Anachroniques

30/09/2018

Les Contes africains de Souleymane Mbodj

Mbodj Souleymane, Contes d’Afrique. La magie, illustrations de Caroline Hüe, Milan, 2018, 64 p. 18€
Ce volume de contes est une anthologie des créations du conteur et musicien sénégalais Souleymane Mbodj (1967-). Tous les contes de Mbodj ont d’abord été racontés oralement avant qu’il ne les couche sur le papier. Cette genèse des livres explique que ceux-ci restent empreints d’une oralité qui permet aux jeunes enfants et moins jeunes d’entrer de plein pied dans l’univers de Souleymane Mbodj. La spécificité de l’œuvre audiophonique du conteur est qu’il ne s’agit pas de contes lus mais de contes joués : « Un conte d’Afrique noire sans musique est considéré comme un plat sans sel » déclare-t-il. Son œuvre est traversée par celles de Hampâthé Bâ, Birago Diop, Camara Laye, Césaire ou Senghor. Chaque conte est passeur d’idées et la fiction est la mise en chair de l’idée. Le récit est à proprement parler l’antichambre du savoir tout autant que l’énergie transmissive.
Ce qui rassemble les douze contes de ce volume, c’est le thème de la magie. Or, la magie est justement un état d’esprit dans lequel vivent les enfants. L’écoute du conte va ainsi directement entrer en résonnance avec la pensée enfantine mais en même temps, elle va porter celle-ci vers la réflexion notamment sur les valeurs et sur les relations humaines. Les illustrations de Caroline Hüe sont directes et simples à saisir pour l’enfant. Si elles laissent la place centrale aux textes, elles viennent accompagner discrètement leur compréhension par le jeune auditeur ou lecteur. Car les contes de Modj s’adressent certes aux petits mais aussi parlent aux plus grands.
Modj Souleymane, Diarabi et Mansa, illustrations de Judith Gueyfier, Milan, 2012, 48 p. 1450   
Voici un magnifique album illustré avec brio par Judith Gueyfier, privilégiant les aplats de couleurs sous une multitude de détails graphiques oniriques. Le conte de Souleymane Modj est emprunté à la tradition africaine. C’est une allégorie de l’amour qui ne meurt jamais. Le conte repose sur des métamorphoses incessantes d’une créature mi-femme mi-déesse. La fonction de la transformation est toujours de permettre une victoire de l’amour. Ce sont autant de points de vues différents à partir desquels l’amoureux doit considérer son aimée. Quand l’amour vaincra définitivement, la jalousie sombrera dans les entrailles de la terre. On peut aussi lire le conte comme une apologie de l’amour qui fait de l’être aimé un être d’exception. Le conteur d’origine sénégalaise réalise, ici, une œuvre nouvelle sur le sens à attribuer à la métamorphose dans un conte.
Modj Souleymane, Contes d'Afrique pour les tout-petits, illustrations de Hervé Le Goff, Milan, 2007, 40 p. + 1 CD, 15
C'est un ouvrage remarquable. Souleymane Modj est un conteur hors pair et les histoires qu'il conte sont empreintes de civilisation africaine. Elles ne sont pas colorées d'une atmosphère africaine, elles sont issues de la tradition du conte africain. Le CD qui accompagne le livre abonde en musiques traditionnelles et en chansons ce qui en fait non pas un complément du livre, mais une œuvre en plus du livre.
Modj Souleymane, Contes et sagesses d'Afrique, illustrations de Marie Lafrance, Milan, 2009, 56 p. + 1 CD, 1650
Un recueil de huit contes africains, dits, écrits, interprétés avec accompagnement musical. Que ce soit avec le livre, au bien avec le cd, le jeune public de quatre ans et le lectorat plus âgé plongent dans la sagesse africaine, avec des contes parfois cruels, mais éloquents. C’est un chef d’œuvre.
Philippe Geneste
Pour mémoire, rappelons du même auteur :
Mbodj Souleymane, illustrations de Guérin Virginie, production et réalisation, Wilde Laurent, Contes d’Afrique, Milan jeunesse, 2005, collection “De bouche à oreille”, 1 livre 1CD, 2005 16

Voici un remarquable recueil de contes africains, dits par le conteur Mbodj. Chaque conte est précédé d'une musique qui installe une attente de fiction puis, à la fin du conte, parfois, un chant reprend en partie l'histoire ou y fait un clin d'œil. Les animaux ont une grande place (calao, éléphant, gazelle, lièvre, lion, tortue) dans ces récits qui tous portent à une “morale“ d'humanité. Si on ajoute à l'excellence du ton, du style aussi, un recueil bellement illustré, on aura décrit un très bon album à lire ou écouter, écouter, surtout… à tout âge. Ph. G.

23/09/2018

Sciences en conscience

Joliot Pierre, La recherche scientifique ? Une passion, un plaisir, un jeu, propos recueilli par Christophe Gruner, Flammarion, 2017, 64 p. 13€
Pierre Joliot, né en 1932, lui-même chercheur en sciences, est le petit-fils de Pierre et Marie Curie. A l’occasion de l’anniversaire des 150 ans de la naissance de Marie Curie, Flammarion propose un documentaire que nous pourrions dire de méthodologie scientifique destiné aux enfants de 10 à 15 ans. Les notions de jeu et de recherche, d’invention et de découverte, le travail et le plaisir, la réussite sociale ou la satisfaction d’une œuvre qui s’accomplit, ignorance et créativité, le statut de l’erreur et du hasard, langage scientifique et impérialisme angliciste.
Le livre met l’accent, par exemple, sur l’importance de la recherche fondamentale dont le principal objectif est la compréhension des faits observés et qui reste aux fondements de toute recherche appliquée, ce qui est important à l’heure où la recherche française délaisse la première pour ne tourner ses budgets que vers la seconde. L’entretien aborde aussi les questions de la parité, de l’obstacle des opinions communes et superstitieuses c’est-à-dire religieuses, du travail en équipe, de la photosynthèse.
Ce livre doit être dans toutes les bibliothèques et centres de documentation, il peut être offert aux enfants de 10 à 14 ans avec grand bénéfice.

Barr Catherine Williams Steve, L’Incroyable histoire de l’univers, illustré par Amy Husband, Nathan, 2017, 40 p. 12€90
Il y a 13 milliards d’années, une formidable explosion de chaleur, le Big Bang… Puis tout se refroidit, apparition des atomes, création de gaz, de poussières, naissance des étoiles et de millions de galaxies qui brillaient dans le silence d’Univers. Jusqu’à 4,5 milliards d’années des étoiles meurent d’autres naissent, grandissent, des trous noirs en aspirent d’autres et le système solaire va naître. L’ouvrage suit la naissance de la lune, il suit les transformations de la terre, l’apparition de la vie. Le documentaire s’aventure alors du côté de l’astronomie, parle de l’énergie noire, revient sur les trous noirs ; puis il rend hommage aux premiers astronautes Gagarine et Terechkova, relate l’histoire de Neil Armstrong. Il poursuit la présentation de l’astronomie contemporaine avec les engins spatiaux envoyés dans l’espace aux fins de recherche –passant sous silence les objectifs militaires des états… L’ouvrage s’achève sur les perspectives ouvertes par les recherches récentes qui viennent alimenter les rêves millénaires des humains.

Berne Jennifer, Einstein, sur un rayon de lumière, traduit de l’anglais par Ilona Meyer, illustrations de Vladimir Radunski, les éditions de l’éléphant, 2017, 56 p. 14€
Cet ouvrage est un album qui s’adresse aux enfants de 8 à 15 ans. L’album raconte la vie d’Einstein, avec simplicité, en suscitant la curiosité du jeune lectorat : comment une chose, comme la fumée, peut disparaître dans une autre chose ? Comment se fait-il que le sucre disparaisse dans le thé chaud ? Pourquoi on peut adorer les nombres ? Est-ce qu’on pourrait rouler à vélo sur un rayon de lumière ? Pourquoi on bouge quand on dort ? Comment résoudre les mystères de l’immensément petit ou de l’immensément grand ? Pourquoi l’esprit vagabonde même s’il n’y a pas de vent ?
L’illustrateur mélange peinture, dessin, chiffres et lettres écrits, pointillisme quand il est question d’atomes. Il interroge le texte, le déchiffre parfois, en imagine une figuration, provoque la réflexion, bref, l’image est en osmose avec le récit. Grace à ce travail, l’album s’approche de l’idée de l’« expérience de pensée » dont on sait qu’elle est à la base de la manière de raisonner d’Einstein, selon ses propres dires, c’est-à-dire, la visualisation de ses recherches sous forme d’événement imagé.
Le livre est aussi une invitation à aller plus loin, pour les enfants de 10/12 ans notamment. Il pose la question du rapport entre la science et la paix quand on connaît l’usage guerrier de la science par l’humanité, dont la bombe atomique.

Hadfield Chris, Fillion Kate, Le Noir de la nuit, illustrations The Fan Brothers, éditions de l’éléphant, 2016, 42 p. 15€
Chris Hadfield est un astronaute canadien qui, enfant, avait peur du noir. La première partie de l’album rend compte, grâce notamment aux illustrations réalistes et aussi surréalistes des illustrateurs, de cette phobie. Puis vient un soir, un certain 20 juillet 1969, il assiste chez des amis de ses parents à l’alunissage d’Apollo 11.
Ce que voit l’enfant est différent de ce que voient les adultes : lui, il voit le noir total qui entoure Neil Armstrong. Ce noir le fascine tant que ses rêves s’en voient sinon bouleversés, en tout cas amplifiés d’une dimension de volition. Or, effectivement, bien plus tard, l’enfant deviendra pilote puis sera engagé par l’agence spatiale canadienne qui le choisit comme astronaute en 1992. Mais aussi, la peur qui empêchait l’enfant de tenter de connaître l’inconnu se mue alors en une curiosité qui va attirer à elle les savoirs pour la satisfaire.
L’album présente, ainsi, les rêves enfantins et la genèse d’une curiosité savante. Logiquement, en termes de composition du livre, les trois dernières pages, à la manière d’un documentaire cherchant à ancrer la fiction dans la réalité d’une vie, proposent des photographies légendées et un texte informatifs.

Philippe Geneste

16/09/2018

Quand le vent ouvre le livre, les nuages s’y déposent

Lee Jungho, Promenade, adaptation de Bernard Friot, Milan, 2017, 48 p. 16€50
Lee Jungho est un plasticien qui travaille au fusain, à la gouache, à l’aquarelle, mais aussi avec le numérique pour la création d’images poétiques narratives. Le grand format de Promenade (235x340) magnifie son travail de composition qui emprunte aux avant-gardes du vingtième siècle en recherchant la simplicité et une forme de minimalisme chaleureux.
L’album se place sous le signe de la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur, soit l’objet et la signification du texte contenu dans l’ouvrage. Le vent  ouvre le livre, les nuages y déposent la vie et la grisaille du temps s’abandonne à l’avènement des couleurs. A travers le livre que tient le lecteur ou la lectrice c’est ce moment d’effection de la représentation qui se figure, page à page, et qui se fixe aux épingles de pensée sur le fil de l’espace imaginaire.
Aller vers la lumière c’est aller vers le livre, c’est en ouvrir la porte imposante entre l’arbre et la nuit illuminée, pour tenter de gratter le ciel depuis cet élément discontinu au sein de la continuité de l’azur. Une représentation prend forme qui vient déborder l’espace du livre, qui s’invite au réel. Clin d’œil à Wang Fô sauvé des eaux, la lecture se déclare monde ; le livre est une nacelle vers d’autres mondes, qui vogue vers d’autres représentations. Mais une nacelle, ça s’ancre au sol, dans l’actualité du monde présent. S’amarrer ? Le livre pourtant ne le peut pas, il laisse voguer le sens par un appel incessant à tous les sens : il est reflets, images, mots, phrases, énoncés, objets évanescents, il se perd dans l’onde. Et là s’ouvrent les vannes de la liberté d’interpréter.
Ainsi grandit l’enfant, à force de cheminements de compréhensions, il grandit grâce au livre, avec le livre, en se soutenant du livre et de ce qu’il contient de si unique. Le livre découpe le réel, parce qu’il est langage et que le langage transporte au surréel. L’enfant à force d’y éprouver la signifiance qu’il porte sur les choses, sur les autres, sur lui-même, prend confiance, c’est-à-dire accepte que ses représentations prennent corps. Mais si le livre est si unique, c’est parce qu’il impose de saisir le réel dans la patience du temps, du temps de la lecture. On s’installe d’autant mieux dans son for intérieur qu’on a su entrer dans les histoires, les récits, les mythes, les légendes, tout ce qui est écrit dans l’espace-livre.
Mais ne t’y trompe pas enfant, savoir lire c’est savoir écouter. L’écoute, cette attention portée au monde, se confond avec l’entendement du monde. Entre la poire et le fromage, sur la terrasse d’un café, on partage et on déguste ses lectures parce qu’on vient les partager. Le langage est ce dialogue et le livre, cet émissaire du langage transporte aussi ce dialogue. Entendre une histoire, s’entendre dire une histoire, c’est sentir passer sur nous la patience du temps, se l’approprier, prendre à soi le temps. C’est apprendre pour soi et apprendre aux autres à faire sien le temps de la lecture. Prendre son temps, c’est le comprendre avec soi et à y inviter les autres pour un voyage hors des sentiers battus d’une contemporanéité où le temps est fracassé par l’ordre des urgences.
Alors, petit ou petite enfant ouvre le livre, pars en promenade grâce au livre, emmène avec toi chaque page et tu verras, les mots de lumière goutte à goutte s’éveiller en toi, en pluie d’échanges entre ciel et terre, en éclairs sans tonnerre. Tu avanceras, en sérénité, toi petit ou petite enfant, sur un sentier lumineux sans rien omettre au-dedans sans rien médire du dehors.
Acquérir le langage c’est l’avoir au cœur et le témoin de ce transfert est le livre, objet transitionnel d’exceptionnelles visions mais si simples et banales, à l’humble hauteur de la vie. Le livre nous fait gravir, par la marche des mots disposés sous la rampe des pages, l’échelle qui mène à la fenêtre, là, par dessus le toit si bleu et si calme où toi, petit ou petite enfant tu grandis, pêchant à loisir dans le plus grand sérieux, les étoiles de la constellation humaine. Le livre retient le passé tout autant qu’il prévient l’avenir, mais sa vraie vie, au livre, c’est sa lecture au présent de cet album de Lee Jungho.

Annie Mas & Philippe Geneste

09/09/2018

voyage gourmand et épicé dans la vie quotidienne

Chusita, Ceci n’est pas un livre de sexe, Nathan, 2018, 160 p. 14€90
Le sujet n’est pas facile à traiter. L’autrice s’y est employée en dialoguant par blog interposé avec des adolescents et adolescentes. Le résultat est remarquable et place Ceci n’est pas un livre de sexe en haut de la pile des ouvrages répondant aux questions que se posent les jeunes mais aussi en leur permettant des questionnements dont ils ne soupçonnent pas l’existence. Sont abordés : le corps et le plaisir, l’orientation sexuelle, les relations affectives, la protection, la masturbation, les prémisses amoureux, l’acte sexuel dont la sodomie, les fantasmes et les jeux. Une sitographie, un dictionnaire complètent l’ouvrage qui alterne textes et images ainsi que planches de bande dessinée.

Duval Stéphanie, La Mort, illustrations de Pierre Van Hove, Milan, coll. Mes p’tits pourquoi, 2018, 32 p. 7€40
C’est un ouvrage à lire avec l’enfant. Il traite du sujet avec distance, les images venant accompagner l’intellectualisation du phénomène de la mort et de ses conséquences pour les vivants. Aucune dramatisation mais une structuration à partir de questions supposées des enfants sur le sujet. Un bon ouvrage à condition, redisons-le, de le lire avec l’enfant. Plus tard, l’enfant l’ayant dans sa bibliothèque, lorsqu’il saura lire, il pourra, seul, y revenir.

Dussaussois Sophie, Les Emotions, illustrations de Magalie Clavelet, Milan, coll. Mes p’tits pourquoi, 2018, 32 p. 7€40
La joie, la peur, la tristesse, la colère, la jalousie sont les émotions que l’album vient illustrer, charpenté autour d’un texte abondant et clair. Le livre, qui s’adresse aux 4/7 ans, ne peut qu’être lu et commenté par l’adulte auprès de l’enfant. Il y faut un dialogue véritable, car il ne s’agit pas d’une histoire et le texte est assez conséquent pour les jeunes enfants visés. Mais, avec l’accompagnement parental, l’ouvrage trouverait une fonction d’explication et d’éclairage sur des situations vécues grâce au retour qu’il permettrait d’en faire. C’est la spécificité de cette collection de s’adresser par l’image a l’enfant pendant que le texte  sollicite vivement la médiation de l’adulte par la lecture commentée.

Houdé Olivier et Borst Grégoire, Mon cerveau, illustré par Mathilde Laurent, Nathan, 2018, 31 p. 6€95
Houdé et Borst sont deux professeurs de psychologie qui travaillent au CNRS à mieux comprendre les mécanismes du cerveau. L’ouvrage offre donc un contenu scientifique assuré au jeune lectorat selon un jeu de questions et de réponses qui caractérise la collection où paraît le livre. Qu’est-ce qu’un neurone ? A quoi sert le cerveau ? Comment voit-on dans la tête ? Qu’est-ce que les neurosciences ? Le cerveau peut-il faire des erreurs ? Les animaux ont-ils tous un cerveau ? Le cerveau rêve-t-il ? Qu’est-ce que l’intelligence ?
Les illustrations exemplifient le propos avec une volonté de sobriété qui s’harmonise très bien avec le texte. Le volume n’oublie pas de donner des repères historiques qui inscrivent les connaissances acquises dans la longue expérimentation humaine pour mieux comprendre cet organe. Bref, un livre excellent pour des enfants de 9 à 14 ans.

Ledu Stéphanie & Frattini Stéphane, L’Histoire de la cuisine, du mammouth à la pizza, illustrations de Claire Gastold, Milan, 2018, 80 p. 14€50
Comment se sont nourris les hommes depuis le fond des temps ? C’est à cette question que répond cet album épais, de format italien, foisonnant d’informations, organisées sur des doubles pages richement colorées sur papier glacé. L’enfant y apprendra l’origine de bien de mets qu’il goûte mais il découvrira aussi la cuisine d’ailleurs. Il s’apercevra, aussi, qu’en voyageant, les denrées, les épices changent les habitudes alimentaires et sociales des humains. Le livre montre le lien entre les faits culinaires et les mœurs. Pour ce faire, la description de la cuisine à travers les temps depuis l’Antiquité, prouve que le goût n’est pas une donnée immuable mais une réalité historique.
C’est une encyclopédie qu’on destinera à des enfants lecteurs, à partir de 7/8 ans. Le passage dans la commission lisez jeunesse a montré que des plus grands s’en emparaient avidement.

Philippe Geneste

02/09/2018

Un riche vent de réalisme poétique

Belder Grâce, Un Vent en colère, illustrations de Soazic Deleplanque, éditions chant d’orties, 2017, 71 p. 7€
Le roman se présente comme un récit de science-fiction écrit par Vincent, le narrateur personnage. Nous sommes sur une planète X-Yole où se sont réfugiés des terriens après la catastrophe écologique qui a rendu cette planète inhabitable. Mais, voilà, la colonisation de X-Yole entraîne les mêmes conséquences néfastes pour le milieu de vie et les signes avant-coureurs d’un nouveau sinistre écologique s’amoncellent. Le climat se dérègle, les catastrophes naturelles menacent.
Du magico-phénoménisme à la raison de sympathie
Comme le livre s’adresse à des enfants de 9 à 12 ans, le point de vue magique sur lequel se fonde l’explication de Vincent aide le lectorat à s’identifier à son argumentation : « Si les tempêtes naissent de nos colères, peut-être qu’en distribuant de la joie, des petits rires, des instants fugaces de bonheur aux uns et aux autres, le ciel redeviendrait paisible » (p.15). Les phénomènes naturels dépendent donc de l’expression des sentiments et des émotions des habitants : « Les colères aussi sont une forme de pollution » (p.22). Ce qui est novateur dans la narration de jeunesse, c’est que cette pensée magique enfantine difflue jusqu’à trouver un ordre de raison dans la fiction : « Nous subissons de grands bouleversements et nous ne croyons pas que c’est à cause de nous » (p.14). Il y a ici un léger déplacement narratif, car ce n’est pas au héros, le narrateur de la première personne à qui s’identifie le lectorat mais à son argumentation. La poéticité de la thématique s’allie à une rigueur d’écriture qui permet au roman de solliciter l’objectivité du jugement sur les faits de pollution et de gouvernance des sociétés.
La non-violence pour combattre la déraison humaine
Une autre spécificité de ce récit est l’actualisation de la lutte non-violente pour contrer les décideurs et remporter l’adhésion de l’opinion commune. C’est un autre apport majeur du livre de Grâce Belder de renouveler cette thématique dans le secteur jeunesse  d’où elle est assez absente. L’enjeu est de vaincre l’égoïsme qui fracture la communauté humaine comme il fracture l’équilibre naturel. Le roman pourrait alors entrer dans la stéréotypie éculée des bons sentiments sous le verbiage des droits de l’homme.
Mais Grâce Belder et Soazic Deleplanque choisissent de pousser au bout l’action et nous retrouvons les héros devenus adultes et eux-mêmes parents. Le combat initié par une marche pacifique dans les années 52 et 53 de X-Yole se poursuit. Gagner l’opinion ne suffit pas car l’égoïsme économique, c’est-à-dire la recherche du profit quels qu’en soient les dommages sur la planète mène toujours le monde. Les dures conditions de travail des employés, la répression des conflits sociaux générés, les fausses argumentations, les informations erronées diffusées par les détenteurs des médias, reprennent vite le dessus entre les êtres humains.
Alors les personnages, qui ne sont pas des héros, Vincent, Valora sa compagne et l’ami Victor s’unissent  afin de promouvoir un mouvement international de paix entre les peuples pour contrer « la dissociation de l’ordre équilibré des événements » (p.69). Et comme la prise de conscience, pour être l’instant initial de la lutte, n’est pas suffisante, le trio crée des « centres de recyclage des colères » où « chacun vient déposer ses colères (…) Les tourbillons de violences sont recyclés, ce qui produit de l’énergie et préserve la planète » (p.67).
La fin du roman réalise un autre pas de côté par rapport au récit pour pré-adolescents traditionnel. La fin n’est ni euphorique ni dysphorique. Le problème posé à la population de X-Yole a peut-être trouvé solution, mais cette solution pose de nouveaux problèmes que la survie impose de voir et de traiter en tant que tel. C’est à nouveau pousser le lectorat à comprendre qu’avant toute chose, il faut « admettre les faits » (p.37) pour espérer pouvoir améliorer la condition humaine et s’arracher des diverses formes d’exploitation et d’oppression. Un Vent en colère est un livre rare parce que la fiction ne croule pas sous le didactisme et parce que la thématique poétique donne un souffle qui emporte l’intérêt et dépasse le comportementalisme pour atteindre sentiment et raison, une raison imaginante qui silhouette les clés de l’organisation nouvelle du monde.

Philippe Geneste