TAMAILLON Stéphane, Les Enfants d’abord. Janusz Korczak, une vie au service de la pédagogie et des droits de l’enfant, dessins Priscilla HORVILLER, Steinkis, 2022, 160 p. 20€
La bande dessinée
retrace la biographie du polonais Henryk Goldszmit mieux connu sous le nom de
Janusz Korczak (1878-1942), qui fut le pseudonyme pris pour son premier écrit.
On le suit surtout jeune homme, dans ses premiers élans amoureux et choisissant
la médecine plutôt que la littérature afin d’être directement utile à la vie
des autres. Pour autant, il continue à écrire comme journaliste et écrivain.
Son passage comme médecin au front de la première guerre mondiale, ancre son
horreur de la violence et sa haine de la guerre. La bande dessinée permet de
comprendre comment des peuples -ici le peuple polonais- subit le joug des pays
colonisateurs, que ce soit la Russie du Tsar ou bien ensuite l’Allemagne.
Korczak réfléchit à tout cela, ainsi qu’il analyse la position des juifs
polonais à travers leurs différences de classe, critique le sionisme, se bat
pour la liberté des peuples contre toutes les oppressions. Sans avoir
d’engagement de parti, il fonde sa pensée émancipatrice sur les domaines de la
santé et de l’éducation.
La grande
intelligence de l’album est de scander l’avancée de l’histoire par des planches
mettant en rapport son roman Le Roi Mathias premier (1922) avec
sa biographie. Le dessin, la mise en page, le choix d’une grande sobriété dans
les couleurs, l’usage judicieux et suggestif du gris et du blanc de Horviller à
la fois magnifient le texte de Tamaillon particulièrement structuré et,
justement bénéficiant de cette composition rigoureuse, multiplie les
médaillons, enchâssement de cases ou leur mise en vis-à-vis. Le résultat est un
album réaliste sans réalisme, imaginaire sans onirisme décalé. Les planches
prennent parfois l’allure documentaire mais elles restent traversées par la
volonté de raconter et donc par l’exigence du récit, ce dont Korczak était un
adepte infatigable.
L’œuvre de Tamaillon
et Horviller montre surtout comment cet homme ne cesse de s’interroger pour
améliorer la condition des enfants, d’abord à l’hôpital puis, parce que tout
est lié, dans des colonies de vacances où il va expérimenter ses premières
idées pédagogiques et enfin avec la création d’orphelinats dont le fameux Nasz
Dom. On suit Korczak dans son dialogue avec les courants novateurs en éducation
(on est à l’époque où triomphe la pédagogie nouvelle grâce aux avancées de la
psychologie de l’enfant de Claparède et surtout Piaget, grâce aux écoles
coopératives de Freinet et ailleurs, comme en Suisse, aux expériences
libertaires de Hambourg, aux jardins d’enfant de Véra Schmidt, au travail de
Montessori -médecin comme Korczak, en Italie, les Kibboutz en terre
palestinienne.
Les idées qu’il
glane, Korczak les met en pratique mais en les fondant dans sa propre
conception de l’exercice des droits et d’une pédagogie fondée sur la
responsabilisation des enfants, la démocratie indirecte pour une prise de
décision collective. À cette fin, il développe la pratique du journal des
enfants au sein des établissements et le tribunal d’enfants. Le livre explicite
avec bonheur le rôle de ce dernier, qui juge des litiges de la petite
communauté, mis en place d’abord dans les colonies de vacances puis généralisé
dans les orphelinats et écoles. En décrivant explicitement quelques fondements
de la démarche éducative de Korczak, l’album acquiert au fil des pages une
stature de véritable propédeutique à l’œuvre du pionnier polonais.
C’est le 7 octobre
1912, qu’avec Stefania Wilczynska, il ouvre, en 1912, la Maison de l’orphelin,
à Varsovie, qui rassemble garçons et filles, tous juifs car l’État ne tolérait
pas le mélange des populations. Korczak accompagnera en 1919, la création par
Marina Falska de l’orphelinat de Pruszkow -à trente kilomètres de Varsovie,
celle-ci lui demandant d’en devenir le directeur. On regrettera que Tamaillon
et Horviller n’aient pas cru bon de signaler que c’est avec l’appui d’un
syndicat que cet établissement a pu ouvrir, preuve de l’implication sociale et
socialiste du pédagogue polonais.
Pour Korczak l’enfant
est un sujet de droit et son œuvre inspirera la convention internationale
relative aux droits de l’enfant adoptée le 20/11/1989 par l’ONU. Il s’agit pour
Korczak que les enfants s’approprient la défense de droits individuels et
fassent un apprentissage constructif de la loi collective. Remarquons tout de
suite que la conception de Korczak s’éloigne de l’éducation morale et civique,
l’éducation aux droits de l’homme que les lois de programme et d’orientation,
qui se succèdent, réitèrent. En effet, il ne s’agit pas de professer des droits
mais de les vivre et de les instaurer, c’est tout autre chose !
Respecter les
enfants, c’est ne pas les séparer de leur milieu de vie. Par exemple, on doit
les éduquer dans leur langue (le polonais) et non dans celle du colonisateur
(russe ou plus tard allemand).
Enfin, viennent les
dernières années, alors que la dictature nazie s’abat sur la Pologne. Korczak,
fidèle à ses idéaux, refuse de fuir et demeure auprès des orphelins, partageant
leur même condition de condamnés pour être juifs. Il mourra, avec les orphelins
du ghetto de Varsovie dont il était chargé, au camp de Tréblinka.
Philippe
Geneste
NB :
les lecteurs et lectrices pourront relire la vie de Korczak sur le blog du 3
juin 2018 à propos du livre de Rolande Causse Janusz Korczak, la République
des enfants, oskar, collection littérature et société, 2013,
138 p.