Anachroniques

28/02/2021

Quand le Vent andin feuillette l’album

SANCHEZ Josué & BUSSONNIERE Maguy, Tamaya et le dauphin rose / Tamaya y el delfin rosado, bilingue français-espagnol, L’Harmattan jeunesse, collection Contes des 4 vents, 2021, 24 p. 10€

L’album conte le voyage d’une petite indienne du Pérou chez les indiens Shipibos. L’illustration aux couleurs vives, en aplats, aux dessins évocateurs de la réalité des Andes et en même temps naïvement stylisés aident le lectorat à se représenter cette région du monde. Le voyage est l’occasion de découvrir un peuple qui vit en communautés dans des villages sur les bords de l’Ucayali, en Amazonie péruvienne. Le dauphin rose est une espèce en voie de disparition, à cause de la pollution et de la déforestation. L’histoire est empathique, sensible aussi, glorifiant le rapport de l’humanité avec la nature, de l’animal avec un peuple. L’édition bilingue est aussi un enrichissement, linguistique cette fois.

 ROMAN Ghislaine, Les Rêves d’Ima, DUBOIS Bertrand illustrations, Cipango, 2020, 34 P ; 18€50

Un album de grand format pour une histoire qui plonge ses racines dans la tradition des mythes incas. Le travail graphique stylisé est rehaussé de nombreux motifs qui accrochent la curiosité enfantine. Bertrand Dubois use de couches superposées d’acrylique, « en travaillant des matières au couteau sur du papier qui peut être ensuite découpé et intégré dans l'image » explique-t-il. L’illustrateur utilise aussi, parfois, des collages. Les compositions tendent au surréel, appuyées par un travail des couleurs tantôt jouant sur le dégradé, tantôt se livrant en floconnement sur les motifs, tantôt surgissant puissamment par la vivacité imitative de l’art inca.

Ces couleurs vibrantes, les couches superposées d’acrylique et l’utilisation abondante d’eau pour jouer avec les transparences suggèrent l’âme torturée de la petite fille, Ima, fille d’un pêcheur dont les frères et sœurs sont artisans, créateurs de bijoux, de tissages, de poteries. Ils vivent dans un village andin dont la ville la plus proche est Cuzco (Pérou). Ima, curieuse de tout, souffre de cauchemars. Le père et la fratrie se désole de voir la petite péricliter. Rien ne semble pouvoir stopper le mal incurable jusqu’au jour où le vieil indien, Kamak, donne à l’enfant un attrapeur de rêves.

Le travail de couleurs à effets d’aquarelles, effet d’une utilisation de l’acrylique en patte sans eau, crée un paysage de songe, et introduit à la phase de guérison. Mais si Ima est libérée des cauchemars, tous ces motifs, toutes les couleurs disparaissent des tissus, des poteries, des bijoux fabriqués par les oncles et tantes. Ils perdent alors leur moyen de subsistance. Ima comprend qu’il lui faut déterrer l’attrapeur de rêves pour affronter ses hantises nocturnes et les écrire pour les partager.

Car c’est l’échange qui permet à l’enfant de comprendre ses démons, de vivre avec cette part d’elle sans qu’elle en soit détruite. L’écriture se fait alors thérapie, moyen d’appropriation et d’apprivoisement du réel. Ima devient conteuse, renouant avec le lien qui unit depuis le fond des âges le peuple inca à la terre et aux éléments naturels. Les images du rêve représentent le passé, un passé que l’écriture du conte fait présent et dont l’écoute imprimera l’avenir. Les Rêves d’Ima rappelle que l’individu ne se prend d’autant mieux en main qu’il se comprend participant à une collectivité. L’écriture est le symbole de la médiation signifiante de la vie avec l’univers mental (les rêves, les images mémorielles). En fin de compte, l’écriture est l’héroïne de cet album magnifique, où le texte et l’image, l’un et l’autre de grande générosité, se complètent harmonieusement.

Philippe Geneste

21/02/2021

Deux points de vue, matérialiste et spiritualiste, contre la tyrannie de l’urgence

C’est cette semaine qu’arrive en librairie Je Connais peu de mots d’Elisa Sartori récit graphique publié par les soins des éditions CotCotCot et chroniqué dans ces colonnes le 7 février dernier. Le récit graphique invite le lectorat à un autre rapport au temps, incitant à la rêverie, provoquant l’arrêt momentané avant reprise de la représentation en cours. C’est ce qui a guidé nos pas vers le blog d'aujourd'hui consacré à la lenteur.

DOUCEY Bruno, Petit éloge de la lenteur, dessins de ZAÜ, éditions le calicot, 2019, 95 p. 8€

Comment classer cet ouvrage ? Un livre de poche qualifierait le format ; un livre de philosophie si on définissait ainsi tout ouvrage ayant pour finalité de provoquer la réflexion chez le lecteur ou la lectrice ; un ouvrage poétique et ce serait renvoyer à la forme librement versifiée joyeusement choisie par l’auteur -un des chapitres ne s’intitule-t-il pas « Attention, poète ! » ; un livre d’humour ce que souligne l’œuvre graphique de Zaü accompagnant les textes parfois ironiques et gais de Bruno Doucey ; un livre d’actualité, tant le sujet est au cœur de nos vies. Petit éloge de la lenteur est tout cela à la fois, un régal, un cocktail d’intelligence contre l’urgence de nos sociétés malades du temps (1).

Le jeune lectorat est invité à dresser la liste des lenteurs jugées appréciatives ou mélioratives et celles jugées dépréciatives ou péjoratives. Il est invité ensuite à relativiser la notion en sortant de l’anthropocentrisme. Afin que la réflexion ne soit pas en rupture avec le lectorat, l’auteur l’invite à interroger ses propres comportements dans des situations spécifiques, celle des vacances, par exemple ou celles accompagnant le sentiment amoureux. L’éloge de la lenteur est un petit traité du faire attention, du être attentif à, attitudes essentielles dans toute démarche de connaissance et d’apprentissage.

Mais Petit éloge de la lenteur induit une réflexion en prolongement de sa lecture. Si le temps des connaissances ne relève pas de la vitesse puisqu’elles se sont accumulées, confrontées au fil des siècles, puisqu’aucune découverte n’est attribuable à l’instant de son « invention » mais bien à rechercher dans sa genèse. Chacun travaille sur un matériau déjà formé, est nourri des idées des autres : le savoir naît de cette filiation humaine et des confrontations en cours ; il se constitue par des combinaisons nouvelles qui le transforme. En éducation, par exemple, quelle déraison de l’Education Nationale de faire croire aux élèves que le savoir est là, tout au fond du net et qu’il suffit d’aller l’y cueillir ? Et le discours officiel d’expliquer que l’enseignement consiste bien davantage à permettre aux élèves de s’approprier les outils numériques ouvrant l’accès aux savoirs thésaurisés sur des sites, des portails, des blogs, que d’enseigner ces savoirs ! Le Ministère cherche ainsi à soumettre l’enseignement à la rapidité, à la vitesse, niant la lenteur propre à toute construction des savoirs et niant aussi leur construction psychogénétique par chaque élève. Or, l’humanité est ce qu’elle est par l’accumulation des savoirs, et son devenir dépend de sa capacité critique de leurs applications sociales, économiques, culturelles.

C’est pourquoi, combattre la vitesse, combattre la tyrannie de l’immédiateté, c’est se donner une chance, collectivement, d’envisager le long terme. Mais pour cela faut-il dévisager en le démaquillant le court-terme. La pandémie du Covid 19 donne une illustration tragique du bienfondé du propos, ajoutant encore à l’actualité de la lecture de ce Petit éloge de la lenteur.

Philippe Geneste

(1) Clin d’œil à Aubert, Nicole, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammarion, collection champs, 2004, 376 p.

 

GARCIA-CHOPIN Isabelle, Le Maître des Neiges, dessins Clémence POLLET, Glénat, 2021, 42 p. 14€50

Voici un album de quiétude. L’histoire suit le voyage d’initiation d’un jeune disciple d’un maître (Lama) bouddhiste parti loin du village de montagne où ils vivent avec une communauté villageoise pour retrouver un enfant élu dans lequel s’est réincarné le fondateur du temple. La traversée des montagnes, les rencontres empathiques ou dangereuses, sont autant d’épreuves pour l’enfant moine. Le karma est illustré par l’histoire qui insiste surtout sur la nécessité de la lenteur, de la patience et de l’attention à porter aux événements du monde, aux êtres et aux choses. Les illustrations abondent en couleurs numériques jouant de multiples nuances et des tonalités pour créer des ambiances accompagnant l’avancée du voyage. La magie, autorisée par l’aventure, incite le jeune lectorat à plonger en lui, à ne pas céder au bruit du monde pour tenter de trouver au fond du silence méditatif, une quiétude réalisatrice de soi. En cela, le thème religieux glisse vers le merveilleux du conte pour ouvrir à une réflexion sur le bonheur.

Commission lisez jeunesse & Ph.G.

14/02/2021

Afrique

 BLOCH Muriel (contes réunis et présentés), Babel Africa, illustrés par Magali ATTIOGBE, préfacés par Angélique Kidjo, Gallimard jeunesse / giboulées, 2020, 104 p. 16€

Ces quinze contes, la plupart inédits, proviennent de toute l’Afrique, principalement sahélienne et sub-sahélienne. Des introductions, des notices ouvrent le jeune lectorat à la compréhension que derrière l’universalité des thèmes, il existe des traditions locales diverses qui impriment des approches différentes. C’est une première caractéristique de cet ouvrage qui permet de ne pas parler de l’Afrique une, mais de l’Afrique dans sa réalité constitutrice de peuples divers.

La seconde caractéristique est d’insister sur l’humaine filiation historique des cultures. L’interrogation est alors : pourquoi le conte se perpétue-t-il sinon pour une réappropriation au présent d’un passé ancestral ?

La troisième caractéristique est de rappeler que fables, devinettes, légendes, mythes, contes sont d’abord des œuvres de la parole, véhiculées par la parole. En conséquence, la société est réunion humaine autour de paroles, « sociétés de paroles » comme l’écrit Muriel Bloch. La critique sociale qui transparaît, plus ou moins prononcée selon les contes, s’offre, à chaque époque, à une lecture nouvelle. Aujourd’hui, il y a l’interrogation sur la perte de l’horizon humain des actes et des comportements induits par l’ordre social : qu’entend-on, aujourd’hui, des morales contre l’égoïsme ? Des volontés de se libérer des carcans sociaux d’une héroïne ? De l’enfermement dans telle ou telle identité valorisée par telle ou telle tradition populaire ? Que nous disent ces traditions du pouvoir auxquelles elles appellent à se soumettre ? Quand le nom de l’héroïne d’un conte Rwandais est Ndabagà (femme combattante) et que l’on sait que ce nom est repris par des associations de femmes victimes de la guerre aujourd’hui, comment ne pas saisir la contemporanéité des contes ? Et comment ne pas interpréter à l’aune des valeurs en débat aujourd’hui cette histoire d’un petit albinos d’un conte de Côte d’Ivoire ?

 

TAWA Kouam & WILSON William, A comme Afrique, Gallimard jeunesse, 2021, 64 p. 22€

Il s’agit d’un abécédaire de l’Afrique, magnifiquement interprété par les peintures et collages de William Wilson. L’ensemble des entrées (ancêtre, baobab, calebasse, dattes, entraide, feu, griot, hakuna Matata, initiation, jeu, lion, marché, Nil, oasis, proverbe, question, rire, sagesse, termitière, Uhuru, village, wax, xylophone, yako, zèbre) met en scène une terre, un environnement naturel, des mœurs, la psychologie humaine, l’histoire, le mythe. Le livre souligne une philosophie du grandissement, à l’instar de ce conte de la patience :

« Il n’y a pas longtemps

 que la bouche

 d’un adulte s’ouvre

 sitôt après

 une question d’enfant.

  Grandir était naguère

 une leçon de patience.

  Le jeune prenait le temps

 d’ouvrir les yeux

 d’ouvrir les oreilles

 pour trouver

 de lui-même

 réponses à ses questions. »

 Dans les sociétés occidentales, que laisse-t-on libre de deviner l’enfant ?

 « L’adulte ne parlait

 qu’après une quête vaine.

  Il m’a fallu vingt ans

 disait le vieux Nônô,

 je dis vingt ans et pas vingt jours,

 pour savoir comment on vient au monde »

 Dans nos sociétés dévastées par une conception de l’éducation qui nie de plus en plus le développement psychogénétique des enfants, combien juste sonnent cette fin du poème illustratif du titre « Question ». Un livre qui mène à se poser des questions est un livre de science, de science humaine. Les illustrations répondent à leur manière, suscitant de nouvelles interrogations. Qui veut interpréter le monde doit savoir, d’abord, interroger la réponse spontanée qui lui vient et s’appuyer dans sa prise de distance non pas sur les réponses d’autrefois, mais sur les leçons à tirer de celles-ci pour renouveler son approche du monde.

Philippe Geneste

 

ABOUET Marguerite, Akissi. Enfermés dedans, dessins SAPINS Mathieu, Gallimard jeunesse, 2021, 48 p. 10€90

La série jeunesse en bande dessinée d’Abouet et Sapin en est à son dixième numéro, dix années de bêtises. On y compte cinq histoires : un récit sur les jouets genrés qui mettent Akissi hors d’elle-même, elle qui voudrait un vélo mais qui n’en a pas parce que c’est une fille (clin d’œil au film Wajda). Une histoire de bêtise colorée puis trois récits mettant en scène la vie ordinaire par temps de virus. L’Afrique évoquée est l’Afrique urbaine, et l’album prend alors une dimension générale, c’est l’humanité entière qui est logée à la même enseigne avec le COVID. Derrière le rire et le fou rire, les questions sanitaires sont évoquées, à hauteur d’enfant de dix ans.

Cette fois-ci, le bonus de l’album -dont on dit que les parents en raffolent- est la recette des clacos, plat typique de la Côte d’Ivoire.

Commission lisez jeunesse

07/02/2021

Dans la fibre nerveuse des songes et des mots

 SaRtori Elisa, je connais peu de mots, CotCotCot éditions, 2021, 16 p. 15€50

Cet ouvrage, rangé dans son coffret bleu doux aux traits épurés, s’adresse aux enfants petits, petits, mais aux plus grands aussi, voire très grands, jamais trop et s’il leur plaît d’écouter en eux murmurer la langue. On tire l’album hors de son fourreau. Il est de petit format (A6), et se déplie en huit volets qui forment les seize pages d’un livre-objet édité avec soin et délicatesse.

L’histoire ? Raconter comment la société nourrit la culpabilité de l’enfant d’âge scolaire qui apprend la langue : « mes phrases ne sont pas justes », « je fais trop d’erreurs » … Mais par sa lecture, l’album engage l’enfant dans un cheminement buissonnier, où le mot des pas résonnent en un dire qui se forme. Ce qu’il a à dire ? Nul ne le sait mais l’album souligne combien cultiver la volonté du dire est au commencement de l’être de langage. Ce qu’il a à dire, c’est de trouver des mots qu’un autre ou une autre que lui comprendra.

L’album, pourtant tourné vers la production, invite à l’écoute, tant il est un album de silence. En effet, peu de texte sur chaque page, et tout en minuscules afin d’inviter à l’interprétation du minimalisme du dessin et de la couleur -du blanc de page, espace de texte, du bleu d’encre, dessin du ciel et nuées-. Silhouettes d’une femme par contour de photographies, noyée dans le jeu des traits, doucement sortant d’un paysage au pointillisme rêveur, découvrant les mots, les cultures, les langues, allégorie de l’apprentissage comme parcours, comme dépliement de l’à-dire dans la volupté du physisme d’expression, son et trace, « E bleu », points de suspension… Car la lecture de l’album lu et relu puis lu, est infinie ; chaque fin de seizième page, au huitième volet déployé, engage le retour non à la ligne mais de la première ligne de la première page du premier volet.

Le leporello, ou livre accordéon, réalisé à l’encre de chine (plume et pinceau) avec « ecoline couleur bleue intégrée numériquement », peut aussi s’interpréter comme une propédeutique à l’apprentissage d’une langue étrangère. Mais il s’agit toujours d’une entrée dans un univers de représentations qu’est toute langue, maternelle ou nouvelle.

 

Sellier Marie, Les Mots sont des oiseaux, illustrations Catherine Louis, HongFei, 2020, 44 p. 14€50

Une situation banale : deux frères sont en promenade dans la nature. Le grand frère va retrouver son amie. Le petit se trouve à l’écart. Il va donc partir dans ses rêves. Grâce à l’excellence du travail de gravure et de collages de Catherine Louis, le jeune lectorat est invité à partager l’attitude contemplative de petit frère. Le gris des images est traversé de noir et de blanc, par moment rehaussé d’un rouge éclatant, qui capte l’œil comme autant de désirs de vie et de tendresse révélés au creux des mots de Marie Sellier. Petit frère rêve de Nils Holgerson, il trace son histoire en pictogrammes subjectifs sur le sable de la plage. Le geste de gravure à même le sol fait venir à lui un univers de fiction qui est aussi celui de l’enfance, ici représentée comme un sommeil créatif. Les mots sont des oiseaux, peut-être parce qu’ils permettent l’envol dans le conte.

Ce très bel album milite en faveur de la contemplation comme passage privilégié vers l’appropriation du monde. La littérature renoue alors avec ce pouvoir qu’a le petit enfant de vivre sans entrave de raison ni de convenances l’expérience qui s’offre à lui et qu’il façonne. Les gris de Catherine Louis ne représentent-ils pas la démarche par laquelle l’enfant se forge une connaissance du réel. Les Mots sont des oiseaux décrit, au fond, une traversée de l’imaginaire. Le livre explore la fabulation enfantine du réel. Parce qu’il regarde les choses avec tendresse, parce qu’il les transfigure en y projetant ses désirs et ses étonnements, petit frère fait advenir l’événement dans le banal.

Or, le lectorat est happé par le personnage de petit frère au point de vue duquel la narration se mène. L’album devient alors une propédeutique à l’attente, au refus de l’activité programmée qui confine les enfants d’aujourd’hui au conformisme du déjà là, du préfabriqué. Petit frère n’enseigne-t-il pas, une culture des songes libératrice de soi :

« - Cette histoire que tu as écrite sur le sable, tu veux bien nous la raconter ?

- Ah non, c’est mon secret »

Le récit n’est pas un divertissement, il est une réalisation de soi, une invitation faite aux jeunes lecteurs et lectrices à dialoguer avec eux-mêmes dans le secret de leur for intérieur. Entre la puissance des images et les ellipses du texte, un silence s’installe imprégnant la lecture, en appelant à la durée de l’observation des dessins, des scènes figurées. Ici est, nous semble-t-il, la singularité de cet album qui agit sur la sensibilité par le dialogue intense du texte et de l’image.

 

Bianco Guillaume, Méli Mélo s’emmêle les mots, illustrations de Marie Pommepuy, Milan, 2020, 40 p. 12€90

L’album s’approche du fanzine pour interroger la peur des mots. Félicien confond les mots, mélange par paronymie, homophonie les mots et ses paroles s’enferrent et s’enferment dans la confusion et le délire humoristique où l’enfant perd toute confiance en lui et en son pouvoir sur le monde. Félicien perd pied, même sa maîtresse l’appelle Méli Mélo. Les dérèglements de sa parole instaurent une relation horrifique avec les autres ; au lieu de s’effacer au profit du rapport à l’autre, le langage prend consistance, substituant à la signification visée un univers signifiant grotesque. Cet univers ravit l’environnement humain qui en rit, mais il isole Félicien qui bâtit ainsi l’enceinte de sa prison

C’est grâce au recours à l’écriture qu’il va se reconstituer. La présence des autres oppresse Félicien qui n’arrive alors pas à maîtriser son dire. Chaque expression le mène au dédit silencieux ou bien à la colère privative de relation verbale avec autrui. C’est la doublure silencieuse de la parole, c’est-à-dire l’écriture, qui va mener Félicien à la maîtrise des mots et donc de lui-même.

L’écriture comme voie de la confiance en sa parole, voilà ce qu’explore cet album léger dans sa forme, humoristique par son texte, intelligent dans les questionnements qu’il peut susciter.

 

Philippe Geneste