C’est cette semaine qu’arrive en librairie Je Connais peu de mots d’Elisa Sartori récit graphique publié par les soins des éditions CotCotCot et chroniqué dans ces colonnes le 7 février dernier. Le récit graphique invite le lectorat à un autre rapport au temps, incitant à la rêverie, provoquant l’arrêt momentané avant reprise de la représentation en cours. C’est ce qui a guidé nos pas vers le blog d'aujourd'hui consacré à la lenteur.
DOUCEY Bruno, Petit éloge de la lenteur, dessins de
ZAÜ, éditions le calicot, 2019, 95 p. 8€
Comment classer cet
ouvrage ? Un livre de poche qualifierait le format ; un livre de
philosophie si on définissait ainsi tout ouvrage ayant pour finalité de
provoquer la réflexion chez le lecteur ou la lectrice ; un ouvrage
poétique et ce serait renvoyer à la forme librement versifiée joyeusement
choisie par l’auteur -un des chapitres ne s’intitule-t-il pas « Attention,
poète ! » ; un livre d’humour ce que souligne l’œuvre graphique
de Zaü accompagnant les textes parfois ironiques et gais de Bruno Doucey ;
un livre d’actualité, tant le sujet est au cœur de nos vies. Petit éloge
de la lenteur est tout cela à la fois, un régal, un cocktail
d’intelligence contre l’urgence de nos sociétés malades du temps (1).
Le jeune lectorat est invité à
dresser la liste des lenteurs jugées appréciatives ou mélioratives et celles
jugées dépréciatives ou péjoratives. Il est invité ensuite à relativiser la
notion en sortant de l’anthropocentrisme. Afin que la réflexion ne soit pas en
rupture avec le lectorat, l’auteur l’invite à interroger ses propres
comportements dans des situations spécifiques, celle des vacances, par exemple
ou celles accompagnant le sentiment amoureux. L’éloge de la lenteur est un
petit traité du faire attention, du être attentif à, attitudes
essentielles dans toute démarche de connaissance et d’apprentissage.
Mais Petit éloge de la
lenteur induit une réflexion en prolongement de sa lecture. Si le temps
des connaissances ne relève pas de la vitesse puisqu’elles se sont accumulées,
confrontées au fil des siècles, puisqu’aucune découverte n’est attribuable à
l’instant de son « invention » mais bien à rechercher dans sa
genèse. Chacun travaille sur un matériau déjà formé, est nourri des idées des
autres : le savoir naît de cette filiation humaine et des confrontations
en cours ; il se constitue par des combinaisons nouvelles qui le transforme.
En éducation, par exemple, quelle déraison de l’Education Nationale de faire
croire aux élèves que le savoir est là, tout au fond du net et qu’il suffit
d’aller l’y cueillir ? Et le discours officiel d’expliquer que
l’enseignement consiste bien davantage à permettre aux élèves de s’approprier
les outils numériques ouvrant l’accès aux savoirs thésaurisés sur des sites,
des portails, des blogs, que d’enseigner ces savoirs ! Le Ministère
cherche ainsi à soumettre l’enseignement à la rapidité, à la vitesse, niant la
lenteur propre à toute construction des savoirs et niant aussi leur
construction psychogénétique par chaque élève. Or, l’humanité est ce qu’elle
est par l’accumulation des savoirs, et son devenir dépend de sa capacité
critique de leurs applications sociales, économiques, culturelles.
C’est pourquoi, combattre la
vitesse, combattre la tyrannie de l’immédiateté, c’est se donner une chance,
collectivement, d’envisager le long terme. Mais pour cela faut-il dévisager en
le démaquillant le court-terme. La pandémie du Covid 19 donne une illustration
tragique du bienfondé du propos, ajoutant encore à l’actualité de la lecture de
ce Petit éloge de la lenteur.
Philippe Geneste
(1) Clin d’œil à Aubert,
Nicole, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammarion,
collection champs, 2004, 376 p.
GARCIA-CHOPIN Isabelle, Le Maître des Neiges, dessins
Clémence POLLET, Glénat, 2021, 42 p. 14€50
Voici un
album de quiétude. L’histoire suit le voyage d’initiation d’un jeune disciple
d’un maître (Lama) bouddhiste parti loin du village de montagne où ils vivent
avec une communauté villageoise pour retrouver un enfant élu dans lequel s’est
réincarné le fondateur du temple. La traversée des montagnes, les rencontres
empathiques ou dangereuses, sont autant d’épreuves pour l’enfant moine. Le
karma est illustré par l’histoire qui insiste surtout sur la nécessité de la
lenteur, de la patience et de l’attention à porter aux événements du monde, aux
êtres et aux choses. Les illustrations abondent en couleurs numériques jouant
de multiples nuances et des tonalités pour créer des ambiances accompagnant
l’avancée du voyage. La magie, autorisée par l’aventure, incite le jeune
lectorat à plonger en lui, à ne pas céder au bruit du monde pour tenter de
trouver au fond du silence méditatif, une quiétude réalisatrice de soi. En
cela, le thème religieux glisse vers le merveilleux du conte pour ouvrir à une
réflexion sur le bonheur.