Anachroniques

29/04/2018

Voyage à travers les contes du Burkina Faso

Traoré Fouma, Nandiman, le brave chasseur. Contes du Burkina Faso, L’Harmattan, 2013, 57 p. + CD
Voici six contes burkinabés écrits et dits par Fouma Traoré. Les contes africains sont très proches de la fable. Ils explicitent leur fonction morale en vue d’enseigner une sagesse de vie. L’ouvrage, ici, allie la transmission orale et la perpétuation écrite d’une mémoire ancestrale. L’écoute du CD est évidemment plus importante pour l’entrée de l’enfant dans l’histoire que la lecture du texte qui peut venir en second. Dans les deux versions, écrite et orale, l’ouvrage est remarquable. Il fait entrer le jeune lectorat dans l’ambiance d’une veillée dont Fouma Traoré donne des précisions liées à sa vie dans la préface en hommage à Tiemoko Ousmane qu’il a écrit pour cette édition : « cette expérience, je la retente avec vous à travers ce livre-CD ».  Le chaleureux conteur stipule que « là où j’ai pris ce conte, je l’ai posé là-bas ». Par la parole ce « là-bas », est aussi bien ici qu’en Afrique, en France qu’au Burkina Faso. Le conte voyage en principal vecteur du dialogue entre les civilisations depuis le fond des temps.

thiombiano Kontondia Joseph Herbert, Massaali en quête du monde, recueil de contes gourmantché, L’Harmattan, 2016, 79 p. 12€50
Ce jeune écrivain du Burkina Faso propose un recueil de contes pris aux « sources ancestrales » à couleur morale assumée : « le monde est toute la vie. On ne peut tout savoir de la vie ». L’essentiel ne sera donc pas de tout connaître mais de comprendre ce qu’on en fait. Dix histoires sont ainsi contées, avec parfois des notes qui viennent éclairer leur source pour que le lecteur non familier de l’univers burkinabé puisse s’approprier pleinement le sens du texte. Certains contes sont animaliers, d’autres non, la variété permettant au jeune lectorat de saisir la diversité d’une culture où la frontière entre littérature pour adultes et littérature pour enfants n’a aucune pertinence.

Penot Pauline, Panet Sabine, Le Baluchon de la création du monde et autres contes yorouba, illustrations d’Aline Rolis, L’Harmattan, collection La légende des mondes, 2013, 70 p. 12€
Le peuple yorouba est un peuple d’Afrique qui a payé un lourd tribut à la traite des noirs au temps du commerce triangulaire. Originaire d’une zone géographique que couvrent  aujourd’hui le Nigéria, le Niger, le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Togo, nombre de ses membres ont été déportés principalement au Brésil et à Cuba. Leurs contes et légendes s’y sont enracinés et métissés, jusqu’à former un riche répertoire culturel. Les deux auteures et l’illustratrice ont rassemblé six contes, dont un sur la création du monde qui remporte l’intérêt des jeunes lecteurs et lectrices.
Les hommes sont créés par un dieu qui se fait aider par un alcoolique, Ochala. A ce dernier est confiée la fabrication physique, pendant qu’Olodoumarê, le dieu suprême, se charge de leur insuffler la vie. Et c’est ainsi que naît l’humanité dans sa diversité où le normal et l’anormal se compensent.
Les illustrations d’Aline Rolis sont remarquables. C’est un recueil à recommander aux enfants dès 9/10 ans car il permet de faire la connaissance de toute une civilisation à nous largement inconnue. Si le livre fait œuvre patrimoniale, la liberté d’interprétation de l’écriture l’inscrit dans notre temps. Le travail graphique de Sabine Panet, avec sa majesté des couleurs, dialogue à merveille avec le style riche de Pauline Penot qui sait conjuguer simplicité syntaxique et précision lexicale, jouant de la mise en page pour insuffler le rythme au récit. Un petit chef d’œuvre de contes à ne pas rater.

Geneste Philippe

22/04/2018

La littérature au bonheur de l’oreille

Yourcenar Marguerite, Comment Wang-Fô fut sauvé, illustré par Georges Lemoine, Gallimard jeunesse, coll. Folio cadet, 2018, 42 p. cat.3 ; Yourcenar Marguerite, Comment Wang-Fô fut sauvé, lu par Christian Gonon, Gallimard jeunesse, collection écoutez, lire, 2012, 1 CD de 30 minutes, 12€90 ;
Marguerite Yourcenar (1903 – 1987) est l’anagramme de Marguerite de Crayencour. Ses textes brefs, nouvelles et récits ou contes sont écrits dans un même style classique que le reste de son œuvre, signe qu’elle y a apporté le même soin et la même profondeur d’approche du monde par la littérature.
Comment Wang-Fô fut sauvé est un conte qui répond à la question : que peut l’art ? Donc, aussi, que peut la littérature ? Le peintre Wang-Fô ne devra sa vie sauve qu’à la puissance de son pinceau capable de rendre la peinture réalité. Le livre est illustré par Georges Lemoine et c’est une œuvre dans l’œuvre qui joue des transparences, des fondus de couleurs qui communiquent ainsi et font vibrer la surface des pages comme s’il s’y lovait une vie autre que la scène représentée.
Le conte repose sur un espoir de paix dont il soumet la réalisation à une situation de servitude et de répression. Wang Fô peint et son acte est acte de résistance au présent. Il fourbit son art jusqu’à la perfection pour réaliser l’œuvre qui le sauvera. C’est à l’intérieur même du tableau que le personnage en compagnie de son disciple trouve l’issue. Il maintient jusqu’au bout la fonction de l’art, « responsable de la beauté du monde » (1) à condition de ne jamais cesser de s’instruire des réalités de la vie. Le personnage traverse les événements avec une angoisse lucide scrutant dans son intériorité une alchimie nouvelle de la vie quand la mort, pourtant, le menace. Ce conte n’est-il pas, au fond, une illustration de ce propos de l’écrivain : « Ne pas laisser la vie sans en avoir tiré tout ce qu’elle peut donner de sagesse, sans lui avoir demandé tout ce qu'elle peut apporter de perfectionnement. (…) Ne pas s’enfermer dans ses choix. Et tout cela les yeux ouverts » ?
(1) termes repris au roman de Marguerite Yourcenar, Les Mémoires d’Hadrien

Petites histoires du père Castor pour endormir les petits, Père Castor, 2012, 128 p. + CD 1h30, 15€
Voici rassemblées dix-huit histoires classiques ou récentes pour accompagner l’endormissement des petits. Le CD MP3 reprend, lues par des comédiens, l’intégralité des textes des dix-huit histoires. C’est donc un ouvrage très riche que publie le Père Castor : il convoque plusieurs comédiens, plusieurs illustrateurs dans un livre à la couverture molletonnée aux coins arrondis.

Dufrancatelle Corinne, Les Fêtes contées par Colinette, L’Harmattan, 2012, 63 p. + 1CD 12€
Les textes de Dufrancatelle content les fêtes : fête du nouvel an, fête des rois, la fête des amoureux, La Chandeleur, le poisson d’avril, la fête du lapin de Pâques, la fête des mères, celle des pères, la fête de Noël. Bien sûr, il ne s’agit pas de documentaires fiction mais bien de fiction. Les fêtes rythment seulement le recueil, prétextes à histoires pour les enfants de cinq à neuf ans. Le cédérom fait entendre la voix de Colinette, conteuse professionnelle, et les musiques d’Alban Lepsy avec un extrait de La Flûte enchantée de Mozart. L’ensemble est humoristique, bien enlevé et fort agréable à l’écoute.

Bichonnier, Henriette, Le Monstre poilu, lu par Francis Perrin, Pef et trois comédiens, Gallimard jeunesse, 1 CD – 1 heure, 12€90
Ce sont des textes pour les petits, autour de 5/6 ans. Le CD rassemble quatre contes drôles d’une facture assez classique, avec des rois et des sorcières, un monstre et des vilains, des coquins. Le monstre poilu fait partie de la liste du ministère de l’éducation nationale pour le cycle 2 de l’école primaire.

Les 40 plus belles comptines et chansons, Gallimard jeunesse, 2012, 96 p.  + CD 75mn, 15€
Il s’agit de comptines, de poèmes, de chansons du catalogue Gallimard chantés par des enfants, par des adultes, à une voix ou à plusieurs voix avec un accompagnement instrumental. C’est une sorte d’anthologie de l’éditeur qui rassemble des chansons connues et d’autres spécifiques au catalogue jeunesse.

Mes Plus Belles Musiques classiques 2, Gallimard jeunesse, collection éveil musical, 2014, livre 36p. + CD d’une heure, 16€90
Bach, Beethoven, Fauré, Debussy, Rossini, Mozart, Strauss, Vivaldi, Rameau, Brahms, Schubert, Offenbach, Haendel, Dvorak, St Saëns, Tchaïkovsky, Grieg, sont au programme de cet imposant opus de la collection éveil musical qui s’adresse aux tout petits en partenariat avec Radio classique. Il complète le premier tome paru en 2012.

Mon Imagier de la poésie, illustré par Olivier Latyk, Gallimard jeunesse, 2016, 36 p. + CD, 16€
Petit format, coins arrondis de la couverture, dessins stylisés avec aplats de couleurs plutôt vives illustrant un texte en général disposé sur une double page. Sur le disque, les poèmes sont mis en musique par Joseph Kosma et Jean-Philippe Crespin, avec six voix enfantines et sept musiciens (harpe, guitare, clarinette, contrebasse, piano, percussions, accordéon). C’est un vrai régal, de vraies redécouvertes des poèmes aussi. Les interprétations des deux poèmes de Desnos sont de belles factures et Verlaine est rajeuni. On lit et écoute, également : Maurice Carême, qui plaît toujours aux enfants, La Fontaine, Paul Fort, Victor Hugo, Max Jacob, Apollinaire, Prévert. Seize versions purement instrumentales invitent les enfants à s’essayer à chanter les poèmes à leur tour, avec le texte ou leur mémoire. C’est un livre riche, un CD riche pour de riches moments de partage avec l’enfant.

Geneste Philippe

14/04/2018

écouter le langage qui bruit de littérature

Alexandre Jean-François (réalisation par), L’Imagier des bruits. Ecoute, observe et devine, illustrations Olivier Latyk, naïve jeunesse, 2010, 88 p. + CD de 40’ 
Cette création a pour but de stimuler l’enfant à écouter les bruits et sons qui l’entourent et à les identifier. Sous une apparence de simplicité et d’évidence, ce discernement sonore procède méthodiquement. L’enfant peut suivre sur le livre l’onomatopée -bruit d’objets ou cris d’animaux- et les rares interjections humaines qui sont parfois transcrites et souvent accompagnées d’une illustration évoquant une situation.
Le CD qui reproduit quarante bruits (onomatopées et interjections), inclut des comptines relatives aux sons. Tout commence par le bruit que l’enfant doit chercher à identifier. La comptine, le commentaire viennent donner à entendre le sens de la manifestation sonore. Cette exploration de l’environnement par l’audition aiguise l’attention de l’enfant et suscite sa curiosité, tout en élargissant sa connaissance des sons reconnus. Ainsi, l’enfant qui joue reproduit le son, il redit pour mieux dire en quelque sorte. S’il imite, il ne quitte pas le contexte ludique que les interactions entre le livre et le CD provoquent ou bien que le CD suscite avec l’auditeur ou l’auditrice. Le sous-titre de l’ouvrage décrit parfaitement la démarche des auteurs. Il n’est pas douteux que la présence de l’adulte doit accompagner les interactions entre l’enfant et les bruits. C’est une condition pour enrichir encore la dimension heuristique de l’écoute.
Cet ouvrage est une perle, un petit chef d’œuvre d’intelligence qui ne doit pas passer inaperçu et que l’ancienneté relative de la parution impose de rappeler à l’actualité du livre de jeunesse.

Leyronnas Dominique, Mes Petits Imagiers photos, tous les bruits, Nathan, 2016, 40 cartes + livret de 16 pages, 12€50
Présentées dans un coffret, les 40 cartes forment un imagier de bruits, onomatopées ou cris. Chaque carte possède un dispositif qui permet de d’écouter le son en question. Leyronnas, un pédiatre, est l’auteur du livret qui s’adresse aux parents. Ce coffret est donc un imagier thématique visuel et sonore. Une belle production.

Le Magicien d'Oz, texte de Maxime Rovère d’après Franck L. Baum, illustrations de Charlotte Gastaut, dit par Charlotte Gastaut, Milan, 2017, 96 p. + CD audio, 22€
On n'a probablement pas à présenter l'histoire de Dorothy et du Magicien d'Oz écrite par L. Frank Baum (1856 – 1919). Au moment de sa sortie, Baum écrivait qu'il s'agissait de bannir du conte le cauchemar et le chagrin pour n'en garder que l'émerveillement dans le but de distraire la jeunesse. La morale étant dévolue à l'éducation, la littérature ne devait qu'amuser.
Cette œuvre est donc une œuvre explicitement idéologique puisqu’elle se dit œuvre de littérature de jeunesse pure, c’est-à-dire dépouillée de tout enjeu social et politique ou éducatif. Baum voyait en cela le renouvellement de la littérature des contes qu'il s'agissait de ranger au rayon des musées littéraires.
On croise au cours du périple de Dorothy, apprentie magicienne, ce qu'on identifie aisément, aujourd'hui, pour des poncifs de l'héroïc-fantasy. Le poétique vient renforcer l'élimination du vilain et du mal. Rien qui ne glace le sang, ici, rien qui ne heurte les consciences : on est dans le divertissement qui se voudrait pur de toute autre exigence. Comme chez Harry Potter, les personnages sont appelés à trouver en eux-mêmes ce qu'ils veulent demander à l'introuvable magicien. Comme Harry Potter, leur pouvoir est inné et l'individu est son propre et seul recours….
Et on voit ainsi que Baum tombe dans une idéologie conservatrice. La misère y est expliquée par une sorte de théorie des climats et un fatalisme très naturel. Le magicien tient son pouvoir de la confiance qu'il redonne aux êtres auxquels il vient en aide. Marchand d'illusion, le magicien était tout indiqué pour faire rêver lors de la dépression économique où Flemin le mit à l'écran en 1939. On touche probablement, ici, au cœur même de l'œuvre : une propagande sans voile en faveur d'une société individualiste de l'illusion.
Le travail d’illustration de Charlotte Gastaut tend à sortir l’œuvre de ces travers inhérents au texte, même adapté par Rovère. La stylisation, le jeu des points de vue, l’usage des aplats et des effets d’aquarelle, les allers et retours incessants du haut au bas et du bas au haut, les illustrations pleines pages sur un format grand format (245x345mm)  le foisonnement des détails (traits, bulles), les contrastes entre le noir et blanc et les couleurs abondantes, l’apparition de monstres dessinés, les compositions des illustrations par double page avec un sens exacerbé du tressage, tout le travail graphique fait entrer l’enfant dans un monde féerique et magique, atténuant le domptage idéologique au divertissement qui caractérise l’œuvre initiale.

Bloch Muriel, Un Conte du Cap Vert. La dernière colère de Sarabuga, illustré par Aurélia Grandin, Gallimard jeunesse, collection Contes du bout du monde, 2012, 32 p.  + 1 CD, 17€ ; Bloch Muriel, Un Conte du Japon. Ce qui arriva à monsieur et madame Kintaro, illustré par Aurélia Fronty, Gallimard jeunesse, collection Contes du bout du monde, 2012, 32 p.  + 1 CD, 17€
Ces deux contes reposent sur des musiques traditionnelles dont les textes ne sont que les introducteurs. Dans les deux cas, il s’agit d’une belle œuvre. La musique permet de rentrer dans l’univers de l’histoire. Si le conte du cap Vert se rapproche de la légende, celui du Japon est un vrai conte à la trame faussement policière.

Philippe Geneste

01/04/2018

comprendre la non-violence

Bernard André, avec la coopération de Geneviève Coudrais et Nicole Lefeuvre, Le Boycott, moyen de lutte multiforme. De Lysistrata au BDS, St-Georges-d’Oléron, les éditions libertaires, 2018, 76 p ; 8€
Voici un ouvrage tout indiqué pour les centres de documentation des lycées et pour les médiathèques et autres bibliothèques accueillant des adolescents. Le livre se place dans la filiation des formes de lutte non-violentes et en décrit avec moult précisions des exemples contemporains. Un historique savant, mais très simple à lire, ouvre la lecture et nous plonge dans une familiarité de la modalité d’opposition pourtant, souvent, perdue de vue. Evoquons : Lysistrata, une pièce d’Aristophane, Les Voyages de Gulliver où Swift offre un exemple qui préfigure presque Gandhi. L’auteur passe aussi en revue des événements liés à des luttes syndicales du début du vingtième siècle puis de l’Espagne en 1936 etc. Il évoque, aussi, des luttes sociales contre la colonisation, Tagore, Gandhi, contre l’apartheid et le racisme, Mandela, Rosa Park… Et bien sûr, le livre produit une riche chronologie de boycotts contemporains.
Deux d’entre eux sont ensuite analysés en explorant le processus qui y a mené et les mécanismes de leurs mises en œuvre. C’est le boycott de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, et la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), initiée pour que soient appliquées, par Israël, les résolutions de l’ONU consacrées à la Palestine et au droit des palestiniens. Le Boycott y apparaît « comme moyen légitime de défendre et de faire campagne pour la liberté des Palestiniens, la justice et l’égalité ».
La modalité non-violente du boycott met à l’épreuve les états sur le droit à la liberté d’expression. La France, par exemple, est la seule démocratie occidentale à réprimer le boycott alors que la liberté d’expression est inscrite dans la Constitution. Qui connaît les démêlés des partisans du BDS France avec la justice ? Et pourtant, voilà un sujet intéressant la question de l’engagement dont le système éducatif se fait des gorges chaudes à dates régulières.
Le Boycott, moyen de lutte multiforme (…) interroge le lien entre engagement individuel et engagement collectif, question vive au sein de la jeunesse. Le boycott « peut être un acte minimal, un moyen pauvre » mais est-il la marque « d’un “nouveau militantisme” horizontal qui se concrétise autour de projets éphémères et immédiats » ? Déplace-t-il véritablement « le conflit du lieu de production vers le lieu de la consommation » ? La lutte des classes n’a-t-elle pas pour source, encore et toujours, y compris via le boycott, son ancrage dans la production et dans la relation entre consommateurs et producteurs ? Ces questions sont posées, l’auteur penchant parfois du côté d’une désobéissance de la « société civile » plutôt que du côté du combat des exploités contre les détenteurs de moyens de production et des leviers du pouvoir. Mais il sait aussi illustrer les liens entre le boycott et la lutte des classes et l’histoire du boycott développée montre que son succès dépend de la convergence des actes individuels dans l’action collective. Encore une fois, ce livre ouvre des horizons. La modalité de l’action par le boycott met à l’épreuve la liaison entre ce qu’on nomme le mouvement social et les luttes contre l’exploitation portées par le syndicalisme. Là aussi, l’auteur permet au lecteur de s’instruire pour se faire lui-même une opinion.
En ces temps où triomphent les discours guerriers, lire un ouvrage qui prône la non-violence avec une érudition amoureuse de clarté d’exposition, est suffisamment exceptionnel pour entrer dans les rayons de toutes les bibliothèques.

Cohen-Janca Irène, Ruby tête haute, illustrations de Marc Daniau, les éditions de l’éléphant, 2017, 40 p. 15€
Ruby Bridges est le nom de la première petite fille noire à fréquenter une école jusque là réservée aux enfants d’adultes blancs. On est en 1960, en Louisiane. L’année sera une année terrible pour l’enfant qui soutenue par ses parents et la communauté noire va résister à l’hostilité haineuse de la population blanche. En novembre 1960, la Cour suprême des Etats-Unis imposera la fin de la ségrégation dans les écoles…Ce fait héroïque pour l’égalité des droits a souvent été salué. En 1963, un peintre qui travaille pour différents magazines, Norman Rockwell (1894-1978), réalise The Problem we all live with, un tableau représentant la petite fille de six ans se rendant à l’école encadrée par quatre agents fédéraux…
C’est ce tableau qui sert de point de départ à l’album d’Irène Cohen-Janca. L’illustrateur Marc Daniau interprète pour l’occasion le tableau de Rockwell, en explorant, dans un style réaliste les potentiels prolongements anecdotiques et historiques. Cet album, soutenu par Amnesty International, est donc une histoire vraie mise en scénario fictif avec intelligence. L’autrice et l’illustrateur font éprouver la solitude de l’enfant, soulignent la persistance des stéréotypes racistes, interrogent la place de l’autre dans la vie de chaque individu. A l’heure où le Ku-Ku-Klan trouve un nouveau souffle aux USA, à l’heure des assassinats légaux de jeunes noirs dans les quartiers noirs des villes américaines, l’album résonne comme un rappel de mémoire pour l’immédiat avenir.

Philippe Geneste