Le blog de cette semaine propose la deuxième partie d’une étude portant sur l’œuvre poétique de François David,
auteur majeur de la poésie contemporaine destinée à l’enfance. Nulle part mieux
qu’en poésie, nous ressentons la ténuité de la distinction entre littérature de
jeunesse et littérature enfantine. Nulle part mieux qu’en poésie, trouvons-nous
meilleur terrain d’expérience pour l’ouverture des aires imaginaires à
l’inépuisable soif du monde. Une des volontés de François David est d’associer
les images (photographies, œuvres graphiques, peintures, dessins) à l’œuvre,
non pour remplacer du texte, non pour illustrer le texte, mais pour
l’interpréter ou à l’inverse être interprétée par lui. La poésie y approfondit
son rapport privilégié à l’image, aux figures et aux tropes, grignotant de
nouveaux terrains d’écriture, mais toujours dans la simplicité. Car le sens de
la poésie, François David semble le trouver dans la force d’incitation à
écrire, dans l’invitation faite aux lecteurs à prendre la plume, à poursuivre
l’élargissement –libération autant qu’agrandissement– de l’espace imaginaire.
Ecriture de l’espace, la poésie de François David est réflexion obligée du
langage sur lui-même.
David François,
Ma
bien-aimée, illustrations de Marc Solal,
MØtus, 2006, 42 p. 12€ [MB-A]
David François,
Bouche
cousue, illustrations d’Henri Galeron,
MØtus, 2010, 72 p. 10€ [BC]
François David, Vole
Vole Vole, illustrations de Consuelo de Mont-Marin, éditions Les
Carnets du Dessert de Lune, collection Lalunestlà,
2011, 62 p. - p.34 8€ [V]
David François,
Tes
mots sur mes mots, Motus, 132 feuillets dans un boîtier en simili cuir,
2011, 10€ [TMM]
David François,
Les
Croqueurs de mots, croqués par Dominique Maes, MØtus, 2014, 70 p. 10€ [CM]
David François,
Passage,
illustrations de Consuelo de Mont-Marin,
Les Carnets du Dessert de Lune, 2014, collection Pleine Lune, 70 p. 10€ [P]
François, Papillons
et mamillons, illustré par Henri
Galeron, mØtus, 2015, 80 p. 11€
David François
& Grout Isabelle, A
cloche-patte, éditions La renverse, 2015, 70 p. 13€ [CP]
La tentation poétique ?
Quand la poésie n’est pas conçue
seulement comme une technique, ni comme une révélation d’innocence et de
félicité, vieilles sottises souvent encore en vigueur, que lui
reste-t-il ? Une tentation qui serait celle d’une errance à travers les
mots, une quête de soi dans les mots
« Dans “poème”
Il y a “peau”
Il y a “pomme”
Il y a “aime”
Il y a la peau des mots
Et le fruit qu’on en tire » [CM]
Mais de quelle nature est cette
tentation ? De nature humaine, seulement humaine, rien qu’humaine,
immensément humaine. Point de tentation d’infini ou de sacré, ou en tout cas
pas avec ostentation. L’œuvre poétique envoie au diable le divin pour se
charger de la fragilité de la vie qui habite la finitude des existences :
« Tout
glisse
Et dire que cela rassurait
vivant » [P].
Ou encore,
« Bien
embarqué »
mal embarqué
de toute manière
le débarquement » [P].
Enfance en poésie
L’humour, la simplicité,
l’amarrage au mot et non à la syntaxe ou à la technicité de la composition,
mènent à caractériser la poésie de François David comme une poésie d’enfance.
Mais, cette enfance n’est pas saisie à travers une nostalgie. Elle l’est comme
point de départ du langage, comme moment de peuplement des mots par des significations
multiples, dialogiques :
« nous conférons (…) nous colloquons, nous
débattons nous controversons nous échangeons
(…) oh oui que nous discutions devisions et délibérions car nous
causons » [BC]
L’enfant
conquiert les mots, par son expérience, par ses actes de langage et ceux
d’autrui. La poésie de François David ne cherche pas à retrouver des mots
perdus ; dans le corps à corps du rythme, des assonances et des
allitérations, elle prend des mots de tous les jours pour les réinventer,
disons, les remotiver. Il y a, chez François David, comme une nominéthique (3).
Les jeux de mots à partir de la morphologie (hirondelle/hirondil),
l’exacerbation du sens (un plafond ça
fond…), le jeu sur la composition des mots (lunettes/lufloues), les
assonances et anagrammes, néologie antonymique (paquebot/paquelait), la
poésie nominale est une constante chez François David.
La nomination
est mise au service d’un autre regard sur le monde qui vient opérer un réglage
langagier de l’imaginaire du monde, réglage que rend tangible l’œuvre des
illustrateurs. La verbigération est là pour ré-enchanter le réel par le partage
des sens inouïs révélés par l’art poétique. C’est que, nommer, c’est partager,
c’est faire entrer l’univers dans l’univers des autres ; inventer des mots,
c’est étendre cet univers, c’est le pousser en expansion devant soi et devant
les autres.
Toutefois, la
nomination poétique s’élargit un peu de ces affirmations en ce qu’elle épouse
la jouissance de la divination des jeux de sonorités ou de graphies. Dit autrement,
la nomination poétique pose la gourmandise des mots pour éthique, pour
nominéthique. La poésie renoue avec la motivation enchanteresse de
significations, contre l’arbitraire des signes qui sclérose. Motiver les sens,
c’est prendre langue avec le monde
La poésie, une propédeutique
sociale à l’affinage des mots
Les linguistes
nous apprennent combien il est commun que les mots aient des sens vagues pour
chacun et chacune d’entre nous. En paraphrasant Jacques Charpentreau (4),
disons, que nous traversons la vie en nous appuyant sur un à-peu-près du sens
des mots.
Dans A
cloche-patte co-écrit avec Isabelle Grout, les deux poètes s’en amusent. Celle-ci , à qui on doit les tercets du recueil, écrit :
« Le perroquet s’orne
De pied-de-coq et de queue-de-pie
Aux grandes occasions » [CP]
et François
David, auteur des quatrains :
« Ulule
quel étrange mot
presque autant que le chant
de la chouette » [CP]
Mais
mesure-t-on assez que c’est de la jouissance des lettres articulées les unes
aux autres, que c’est de la jouissance des sons et syllabes que, s’ingéniant à
l’infini liberté de fouir le sens des mots ou textes, des syntagmes ou phrases,
l’enfant se pénètre des conventions linguistiques pour être entendu, compris, écouté
et comprendre lui-même les autres, savoir les écouter, savoir les entendre. La poésie nous enseignerait,
alors, que tout commencement est un enchantement :
« J’ai
trouvé ma bien aimée
A
l’entrecroisement des chemins
Que font les
lignes de la main
En la
confiance du matin » [MB-A]
Et jouer sur
les mots c’est déjà chercher à découvrir ce qu’ils recouvrent comme réalité (5)
La
poésie d’entre les textes
Appartiennent, à cette réalité,
des références aux poètes aimés que l’on trouve dans l’entre-texte. Toutefois,
c’est davantage le lien qui va intéresser François David que la citation. La
littérature doit être une invitation à l’écriture, et c’est ainsi que François
David invite le lectorat à s’approprier les textes des autres, à les honorer,
si l’on veut, en les poursuivant.
Tes mots sur mes mots
repose explicitement sur cette conception. Ce recueil, donné sous forme d’objet
en cuir pointe le palimpseste comme prolégomènes à l’écriture, à la manière
dont l’imitation des mots d’autrui est prolégomènes à l’acquisition du langage
oral. Cette préoccupation est quasi constante chez le poète. Papillons et mamillons est une
invitation à trouver soi-même de nouvelles paires de mots. Mais on la trouve
aussi, de manière plus suggérée dans des recueils qui semblent être exempts de
sa présence.
Cette remarque s’appuie sur
l’importance, chez ce poète de la sollicitation de l’autre comme tension
constitutive de la réalisation de soi. N’est-ce pas, par exemple ce qu’on peut
entrevoir dans Ma Bien-Aimée. Chaque phase du poème fait l’objet d’une double
page en regard et surimposé à l’œuvre photographique de Marc Solal. On suit par
le poème les fugitives émotions
et les errants sentiments de l'amour. Le poème n'est point épique bien que
poème d'une quête sans conquête. Entre les vers et leur image support
s’installe l'incertain : l'amour n'est qu'incertitude à trouver l'écho de
désirs et d'espérances enfouies. Grâce à la légèreté créée par la composition
et les vers reposant tous deux sur l'impair, l'être amoureux s'imprécise dans
l'indécis. Où se situe sa quête ? A l'écart de soi et c'est pour cela que
l'amour est découverte de soi dans la découverte de l'autre :
« J'ai cherché ma bien-aimée
dans l'élancement du ciel bleu
sur la lune rouge qui émeut
mais je ne l'ai pas trouvée » [MB-A]
L’autre est au cœur de la poésie,
et Ma
Bien-Aimée poursuit un poème de Jacques Prévert, Pour toi mon amour écrit
en 1945 et paru dans Paroles. Nous voyons clairement ici
que François David, comme nous l’avons souligné, s’intéresse aux liens que
suscitent l’intertextualité et non à la citation.
On le voit, la tension de
l’écriture vers l’autre est une composante de la nominéthique. L’exceptionnel
recueil, Tes mots sur mes mots,
s’offre avec générosité à la plume enfantine, faisant des écrits effeuillés,
qui le constituent, une œuvre profondément réflexive. La modification du texte, le déplacement, le maquillage, la
biffure, la surimpression sont des sources de créations nouvelles surprenantes,
parfois, parfois versant dans la platitude, d’autre fois, dans l’éblouissement.
Dans tous les cas, ce livre-objet, qui se crée par la créativité même de
l’enfant, implique la relecture, la suscite, car une fois le texte écrit,
l’enfant lit en associant les deux et l’exercice est plein d’intérêt. Rien ne
l’empêche d’ailleurs, de barrer, de rayer, bref, d’aller vers le caviardage. Ce
n’est finalement qu’approfondir le dialogue d’où est né le nouveau texte par
association des deux textes, l’initial et le surimposé.
Conclusion
La poésie est action,
véritablement car pratiquement. Elle est nomination dans la co-opération, dont celle de l’écriture
proposée et libre dans ses modalités. Cela suppose une con-fiance. La connaissance est toujours reconnaissance (6).
Combien cela est vrai pour les mots et le langage ! On ne s’embarque pas dans la poésie de
François David « pour s’y taire »
[P] mais pour y nourrir l’envie d’écrire.
Philippe
Geneste
(1)
Bonnefoy Yves, Rimbaud par lui-même, Paris, Seuil, 1972, 190 p. - p.70.
(2)
Charpentreau Jacques, Enfance, poésie, Les éditions
ouvrières, 1972, 200 p. – p.45
(3) voir le blog
lisezjeunessepg du 31 mai 2015 Nominéthique ou l’art des mots de François
David à propos de David
François, Papillons et mamillons,
illustré par Henri Galeron, mØtus,
2015, 80 p. 11€
(4) Charpentreau, Jacques,
Enfance et poésie, paris, Les éditions ouvrières, 1972, 200p. – p.52 :
« il est très difficile de savoir ce
qu’évoque à peu près chaque mot ».
(5)
David François, Les
Bêtes curieuses, illustrations d’Henri Galeron, MØtus, 2011, 64 p. 12€ et [BC]
(6)
voir André Jacob, Esquisse d’une anthropo-logique, Paris, CNRS éditions, 2011,
239 p. et Patrick Tort, Sexe, race et culture, conversation avec Régis Meyran, Paris,
Textuel, 2014, 108 p.