BAUM Gilles, Tout noir, illustratrice Amandine PIU, Amaterra, 2022, 30 p. 29€90
Nul doute que ce livre-objet, un livre qui se fait frise quand on le
déplie, un leporello avec des découpes, sera privilégié sous le sapin de Noël
des enfants de 4 à 10 ans. L’objet est de toute beauté, le sujet de grand
intérêt : un bug électrique, New York plonge dans le noir. La narratrice
est une petite fille dont la maman, femme de ménage ou agente de service,
travaille de nuit. Elle est seule chez elle et s’inquiète pour sa maman. Alors elle
part la chercher en se munissant de trois allumettes. À la faveur de la nuit, l’étrange s’installe
dans le périple enfantin. Les objets s’animent, un girafon sert de monture à
l’enfant jusqu’à la rencontre d’un homme-de-rien, un saxophoniste qui se joint
à la troupe en formation pour rejoindre la maman. À la troisième allumette, la maman apparaît,
sur un banc avec une amie. Elles attendaient un peu de lumière. C’est l’enfant
qui craque sa troisième allumette. Bien sûr, la frise noire qui se déplie
s’illumine de jaune quand une allumette se consume. Et les cinq membres de la
troupe du leporello regagnent l’appartement. Ils montent sur le plus haut toit
pour éclairer le monde. La frise se lit d’avers et de revers, le texte sur
l’avers seulement. Les dessins sont délicats, la prouesse technique fascine les
enfants, l’intertextualité évidente (La Petite fille aux allumettes, Les Musiciens de Brême) enrichit encore la lecture. Les enfants
aiment manipuler une histoire, ils peuvent aussi aimer jouer avec le rapport aux
deux autres contes. Le texte est d’une poésie qui prend garde de bien maîtriser
ses effets afin de laisser l’objet-livre et le travail illustratif emporter
d’abord les enfants, lectrices ou lecteurs dans la nuit émerveilleuse.
CRÉPON Sophie & VEILLON Béatrice, L’Histoire
des enfants en BD, illustrations de Béatrice VEILLON, Bayard, 2022, 213 p. 19€90
Ce fort volume part de la préhistoire, passe par l’Antiquité, le Moyen
Âge, les Temps modernes, le XIXème siècle, le XXème et
enfin le XXIème siècle. Un texte documentaire accompagne des
histoires en bande dessinée (24 BD et 26 pages documentaires) retraçant la
condition des enfants dans diverses civilisations et à travers les temps. Si on
regrettera que la famille soit posée bien précocement dans l’histoire de
l’humanité, on ne peut que noter la richesse informative du travail des deux
autrices. L’enfant -de 8 à 13 ans- pourra lire le livre chronologiquement aussi
bien que s’y plonger au gré de ses intérêts. Outre les temps préhistoriques, il
est invité à découvrir les civilisations égyptienne, grecque, amérindienne.
L’enfance dans la civilisation occidentale est plus particulièrement décrite à
travers son Histoire, et le XXIème siècle est l’occasion de
découvrir aussi l’enfance chez les Yanomami, au Pakistan. Bien sûr, la
Convention Internationale des droits de l’enfant (1989) fait l’objet d’une page
documentaire. Cette somme au papier glacé sera sûrement un cadeau prisé.
Mastro Pablo A., Des Histoires plein le ciel, illustrations de SUÁREZ,
Helvetiq, 2022, 32 p. 14€
Cet album au format italien coïncide avec l’âge des « pourquoi ? »
enfantins portant sur le ciel. Or, ce qui intrigue l’enfant est aussi ce qui a
intrigué, apeuré, fasciné l’humanité en ses premiers âges. L’album traduit de
l’espagnol conjoint ces deux problématiques, l’une astronomique, l’autre
mythologique et anthropologique.
Ouvrons ce livre noir du monde des étoiles, des constellations qu’elles
figurent et des galaxies qu’elles forment. L’imagination enfantine, si prompte
à trouver justification à toute chose va, avec ce petit livre aux peintures
oniriques et aux dessins abstraits, être confrontée aux réponses apportées par
les imaginations ancestrales qui l’ont précédée. À son état de fabulation actuelle, l’enfant se
voit proposé d’autres interprétations des constellations. Rien que cela est
déjà, pour l’enfant, une richesse dans son apprentissage de la relativisation
de son point de vue.
L’album part des dénominations communes attachées aux configurations des
étoiles dans le ciel. L’enfant approche donc directement des récits de la
mythologie grecque. On part du connu ou relativement connu, en tout cas d’un
déjà entendu par l’enfant ; Puis commence le grand voyage vers d’autres
civilisations et peuples : les Inuits, les Aborigènes, les Kazakhs, les
Sumériens, les Japonais, les Navajos, les Kiliwas, les Polynésiens, les Sans
(Afrique), les Incas. À
chaque fois, une constellation sert de support de comparaison entre le connu et
la civilisation abordée. Les dessins, couleurs et compositions varient, en
approche du graphisme et des motifs artistiques des peuples sollicités. Et à
chaque fois, ce sont de belles histoires, brèves, qui emportent vers un
ailleurs où l’imaginaire roi cherche à se marier au réel qui fuit. La
connaissance s’éclaire ainsi grâce à la multitude de voix imaginantes de
l’humanité.
PRIME Joanna, ROI Arnaud, Océanomania, illustrations de Charlotte
MOLAS, Milan, 2022, 14 p. 24€90
Ce livre est d’une belle facture éditoriale : un ingénieur papier
(Arnaud Roi) a conçu des pages en pop-up. L’illustratrice use de couleurs
chaudes et mates pour rendre compte des milieux marins décrits. Enfin Joanna
Prime est une biologiste spécialisée en mammifères marins. On a donc une
excellente présentation informative, une fabrication en pages qui se déplient
et en pop-up qui enchante le jeune lectorat dès 7/8 ans, un grand soin apporté
à la composition des images en couleurs. Le livre parcourt l’Atlantique, la mer
Méditerranée, la Grande Barrière de corail, les abysses. Faunes et flores, un
peu de géologie aussi sont convoquées. Le livre surprend les enfants, se lit et
se relit. Les informations données sont ciblées, non foisonnantes mais
précises. Elles sont aussi situées grâce à une carte accompagnant les quatre
milieux visités. Ainsi, le jeune lectorat suit sans difficulté les textes tout
en repérant les plantes, les animaux ou les reliefs marins sur les images.
C’est un livre-objet qui fera un beau cadeau de Noël.
RYLANT Inge, Ma Petite Collection de choses, Amaterra, 2022, 1 boîte et
4 livres de 18 p. 24€
Présentée sous la forme d’un coffret à quatre compartiments, contenant
chacun un livre cartonné de 18 pages, Ma Petite Collection de choses est un livre pratique, un documentaire et un imagier tout à la fois.
Chaque livre décline la présentation de choses dans le cadrage d’une
forme : le demi-cercle, le carré, le cercle, le triangle. Aucune forme
géométrique n’est appréhendée abstraitement puisqu’elle sert de base à un
imagier (une image et dessous la désignation de l’objet imagé). Mais l’intérêt
ne s’arrête pas là. La conceptrice, Inge Rylant procède pour chaque livre par
double page : il s’agit pour l’enfant de trouver le lien entre l’image de
gauche et celle de droite, en dehors de la forme qui sert de cadrage. Ainsi, le
livre implique l’adulte auprès de l’enfant pour qu’il stimule son imagination,
sa capacité d’observation, ses facultés intellectuelles. En effet, les éléments
fondamentaux sur lesquels s’appuie le travail de Inge Rylant sont la
composition et la couleur. Les prolongements de cette
« lecture-observation-compréhension-désignation » sont multiples, à
commencer par la recherche dans l’entourage de l’enfant de ce que propose
l’expérience du livre.
La boîte contenante est fortement cartonnée avec un aimant pour assurer
la fermeture. Les livres sont eux aussi cartonnés avec des coins arrondis,
parfaitement pensés pour les petites mains. On peut passer de longs moments
avec l’enfant à partir de 12 mois et les enfants de trois à cinq ans
apprécieront vivement passer d’un livre à l’autre, imaginer des histoires,
s’amuser à interpréter des images.
Voilà une très bonne idée de cadeau.
Dans l’Océan, illustrateur Neil Clark, Tourbillon, 2022,
16 p. 10€90 ; Dans La Jungle, illustrateur Neil Clark, Tourbillon, 2022,
16 p. 10€90
Ces deux ouvrages sont des imagiers commentés. Ils nécessitent
l’accompagnement de l’enfant durant les premières lectures, afin d’étayer les
interprétations enfantines des images et notamment des transformations. Parce
qu’en effet, ces deux livres reposent sur un mécanisme judicieux qui permet à
la figure représentée (pour Dans
La Jungle : le caméléon,
le paon, le lézard à collerette, la tortue, ; pour Dans L’Océan : le diodon, la baudroie, le poulpe, la
raie).
Bien sûr, le choix des animaux, absents de l’univers enfantin,
interrogent. Comment l’enfant va-t-il s’approprier ces images ? N’est-ce pas
pour lui l’équivalent d’animaux sortis d’une encyclopédie des animaux
fantastiques ? Ne va-t-il pas voir et suivre des yeux les pages comme on
entre et évolue dans un univers du merveilleux ? Nous pensons que c’est un
grief que l’on peut faire aux deux ouvrages. Toutefois, le foisonnement sans
complexité de l’illustration, les pages fortement cartonnées, les bous arrondis
pour que l’enfant ne se blesse pas, tout cela l’invite à la manipulation de
l’objet-livre.
De plus les deux ouvrages convainquent par le procédé de fabrication sur
lequel repose leur originalité. Un mécanisme de languette s’actionne dès qu’on
tourne une page. Si bien que l’animal vu dans un cadre rond se métamorphose en
un état de lui-même différent : le paon fait la roue, la tortue rentre
dans sa carapace etc. Or, on sait combien il est difficile de faire
accepter à des petits et tout petits que même changé, même transformé, un
animal, un objet demeure identique à lui-même. L’enfant de cet âge n’a pas
encore atteint la conservation. Là, il peut se rendre compte que l’on parle
toujours du même animal, même si l’image le présente sous un aspect différent.
MINHÓS MARTIN Isabel, Le Monde en 11 voyages
extraordinaires, illustrations de CARVALHO Bernardo P., éditions Helvetiq, 2022,
136 p. 24€90
Comment l’homme s’est-il imaginé un ailleurs ? Quel est cet élan de
curiosité qui l’a poussé ? Comment se repérait-il avant que n’existe la
cartographie ? La carte est-elle une science des rêveries spatiales ?
Le petit enfant explore le monde qui l’entoure, il y découvre de l’inouï,
il s’y accommode, l’assimile, s’y invente en terrain connu ou inconnu, donnant
vie à ce qu’il voit, aux formes qu’il perçoit, prêtant animation à tout ce qui
se trouve là : l’explorateur, l’exploratrice, les découvreurs sont-ils
comme les enfants au point que ceux-ci pourraient y puiser quelque éthique de
vie humaine ? Mais lesquels ? Ceux qui partis d’autour de soi se sont
approprié terres, personnes, travail des membres de peuples colonisés ?
Ceux mus par une volonté d’évangélisation et d’esclavage, assumant leurs
conquêtes territoriales au nom de la foi et de la fureur de la guerre ? Ceux
qui imbus de leur civilisation ont écrasé celles qui, leur étant inconnues,
n’avaient pour eux aucune existence ? Comment le désir d’ailleurs peut-il
échapper à l’égocentrisme civilisationnel, à l’égocentrisme social, à
l’égocentrisme individuel ?
Le livre, illustré de dessins à l’encre et, semble-t-il, au fusain, mais
aussi de peintures pleine page aux couleurs prononcées sur papier mat qui font
penser aux paysages de Georgia O’Keefe (voir le blog lisezjeunessepg du
9 janvier 2002), apportent des réponses à ces questions. L’autrice explicite
son choix de ne pas éclairer les atrocités dont les missions exploratrices ont
abouti à l’esclavage, à l’élimination de peuples entiers, à des génocides, à
des asservissements les plus brutaux. Elle explicite le privilège donné aux
découvreuses et découvreurs ayant parcouru le monde dans le but d’accroître les
savoirs anthropologiques, scientifiques, écologiques, géologiques, biologiques…
Ainsi, et selon l’ordre chronologique de leur départ : Pyhéas (-350 av.
JC), Xuanzang (629), Jean de Plan Carpin (1245), Marco Polo (1271), Ibn Bettûta
(1325), Bartolomeu Dias (1487), Jeanne Baret (1767), Joseph Banks (1768),
Alexander von Humboldt (1799), Charles Darwin (1831), Mary Henrietta Kingsley
(1894). Pour chacun d’eux et chacune d’elles, une carte montre à l’enfant
lecteur le trajet de l’explorateur, de la découvreuse.
Savoir explorer, c’est savoir rencontrer, nous dit Minhós Martin, sinon
explorer revient à s’approprier pour soumettre.
« Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à prendre la route quand la
route n’existe pas ? » Le même élan que ce qui pousse à
connaître, quelqu’un qui ne connaît pas, le même élan qui poussera l’enfant à
ouvrir ce livre magnifique. Peut-être, en tirera-t-il pour leçon que
« laisser à l’impossible la possibilité de se réaliser » apporte
compréhension, sciences, et élargit nos idées.
HEGARTY
Patricia, Un Soir dans les collines, illustrations de Xuan LE, Glénat
jeunesse, 2022, 26 p. 13€90
Ce bel album coloré à souhait, est
réalisé en pages découpées, les décors jouant des fenêtres ainsi creusées dans
le volume, donnant une perspective aux tableaux qui se succèdent au fur et à
mesure que l’enfant tourne les pages. Le nuancier des couleurs progresse,
suivant en cela le passage du soir à la pleine nuit. Le récit est donc
temporel, une temporalité directement saisissable par l’enfant car c’est celle
du passage du jour à la nuit, du jeu au coucher. Le contenu de l’histoire est
simple : la description du comportement d’un certain nombre d’animaux et
de leurs petits, ce qui enthousiasme les enfants. Grâce au découpage des pages,
accompagner l’enfant dans sa lecture peut permettre de lui poser de nouvelles
questions et le pousser à scruter en profondeur les illustrations, à interroger
le retour d’une double page à l’autre d’un même animal, l’amener à anticiper
les attitudes des animaux. La beauté des pages illustrées opère une vive
attraction sur les petits, dès quatre ans, mais aussi jusqu’à sept ou huit ans.
Une nouvelle fois, le livre pour la jeunesse resplendit d’une créativité
éditoriale rare dans les autres secteurs littéraires.
FIGUERAS
Emmanuelle, Au Creux des arbres, illustration Sylvie BESSARD,
Milan, 2022, 32 p. 18€
De l’automne à l’automne, puis de
l’automne au printemps, cet admirable album décrit le cycle des saisons
appliqué à l’arbre. Un pommier d’abord, un marronnier ensuite puis une forêt de
bouleaux et des sapins pour enfin revenir au pommier. Le pommier sert de modèle
pour expliquer comment la graine se transforme en arbre puis en feuilles et en fruits.
L’enfant lecteur découvre ces arbres mais il les découvre dans la synergie avec
les animaux qui les peuplent, qui les habitent ou qui les voisinent, dans la synergie
avec la terre et le devenir des feuillages. Il croise la migration de certains des
animaux présents, s’arrête plus patiemment sur le lérot qui court jusqu’à sa
sortie de l’hibernation, le hérisson, les papillons Belles-Dames. L’album est
donc un récit empli de péripéties naturellement déterminées, tout en étant un
documentaire facile à lire dès l’âge de 7/8 ans. Bien sûr, on peut lire
l’ouvrage à des plus petits.
Mais sa spécificité, Au Creux
des arbres la tient du travail minutieux de fines découpes au laser qui
enluminent les pages, dévoilent l’univers arboricole dans une perspective
écologique globale. Un très beau livre.
Philippe Geneste