Anachroniques

26/06/2022

Petit panorama du personnage en littérature de jeunesse

ARROU-VIGNOD Patricia et Jean-Philippe, Héros, 40 personnages de roman, illustrations d’Andrew LYONS, Gallimard jeunesse, collection Bam !, 2021, 42 p. 12€50

En 2012, Gallimard jeunesse avait déjà fait paraître, sous les plumes de Anne Blanchard, Jean-Bernard Pouy, Francis Mizio et Serge Bloch, L’encyclopédie des héros, icônes et autres demi-dieux, qui en 124 pages explicitaient les origines, le contexte culturel qui avaient vu naître les figures choisies, à la découverte des actions qui leur valent d’être restés dans la mémoire collective. Le livre de P. et J-P. Arrou-Vignod est différent. Il ne concerne que les héros de la littérature depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, de Gilgamesh à Tobie Lolness, de Renart jusqu’à Lyra, de Don Quichotte jusqu’à Croc-Blanc, de Jane Eyre à Nils Holgersson etc. Chacun de ces vingt personnages est présenté en une double page par sa carte d’identité, un argument de sa présence dans le roman qu’il traverse, une contextualisation de l’histoire, une brève citation, et une image du héros ou de l’héroïne commentée avec pour légende une caractéristique mise en valeur.

L’ouvrage de format de poche propose ainsi un portrait qui invite le jeune lectorat à se plonger dans le livre racontant l’histoire de ces êtres imaginaires. Les personnages en effet « sont nos véhicules ; c’est grâce à eux que nous entrons dans un récit » (1). C’est que le héros qui entre dans la vie des lecteurs, celui ou celle qui inscrit ses pas dans la mémoire d’un peuple ou de différents peuples, est un être imaginaire qui a pris une consistance littéraire telle qu’elle se transforme en consistance sociale. Le personnage, qui assume une fonction précise dans le récit qui le soutient en vient à sortir de cette fonction soit par l’identification à son image du jeune lectorat, soit parce que, tel Cosette, il est transcendé par les sentiments qu’il provoque, sentiments qui se muent parfois en valeur sociale de tout un peuple, d’une classe sociale ou d’un groupe. C’est pourquoi les héros sont des vecteurs de représentations sociales. Ils peuplent les mythes et les légendes ; les religions se sont ingéniées à en créer pour enrôler les populations.

La lecture de Héros… mène à distinguer le héros ou l’héroïne et le personnage. Les deux premiers se situent en dehors de l’humanité commune, alors que les seconds lui appartiennent ; les deux premiers s’identifient à un système de valeurs (voir les super héros des films de la culture de masse produits par l’industrie américaine du divertissement), alors que les seconds, parfois, peuvent déborder leur fonction dans le récit tout en s’abstrayant du système de valeurs dominant. Or, si on tient compte de cette distinction, la lecture du livre montre que les héros de l’antiquité et, en partie, du Moyen âge, comme ceux de la fin du vingtième siècle et du début du vingt-et-unième siècle sont hors du commun, alors que la littérature de jeunesse à partir des années 1960/1970 a révélé des personnages. Bien sûr, cette remarque est fragile car il faudrait élargir le corpus et vérifier aussi l’hypothèse qui la fonde de la différence entre héros/héroïne et personnage. Toutefois, Jean-Philippe et Patricia Arrou-Vignot sont suffisamment instruits de cette littérature et de son historique pour qu’on puisse prendre au sérieux leur livre, au-delà de l’intérêt immédiat pour le jeune lectorat.

Philippe Geneste

(1) Arrou-Vignod Jean-Philippe, Vous écrivez ? Le roman de l’écriture, Gallimard, 2017, p.68 (voir le blog du 6 mai 2018

 

Le NEOUANIC Lionel, Je suis un personnage !, rouergue, 2021, 240 p. 17€

240 pages, 116 entrées, pour instruire le lectorat sur la notion de personnage. Tout commence par savoir ce qu’est un personnage, et savoir qui n’en est pas un. On va parler de héros ou d’héroïne, certes, mais aussi des personnages secondaires, des faire-valoir, des personnages de passage. On va évoquer des personnages connus mais aussi une foule d’inconnus.

Le Néouanic interroge ainsi de nombreuses situations qu’il invente ou qu’il évoque, avec une profusion de dessins humoristiques type fanzines et comics. C’est drôle, et le livre peut se lire comme de mini-biographies de personnages d’un univers nonsensique, ubuesque ou surréaliste. On y croise, évidemment, les personnages symboles de telle ou telle émotion, des comportements, des objets, des animaux, des humains, des éléments du cosmos… On y croise, aussi, des personnages à la vie intérieure chargée.

Bref, le livre de Lionel Le Néouanic fait feu de tout bois. Sa lecture peut être jubilatoire ; mais qu’en retire le jeune lectorat ? Est-il fait pour lui, au fond, ou bien pour des animateurs ou animatrices d’ateliers littéraires, des enseignants ? Le livre peut inciter à prendre la plume, ou tout simplement à se créer son propre personnage : « Toi, moi, nous… Tous, pouvons être personnages » en toute empathie…

Philippe Geneste & Annie Mas

 

FERRETTI DE BLONAY Francesca, Ulysse, l’odyssée des mers, illustrations OYEMATHIAS, Nathan, 2021, 12 p. 9€95

Suivant l’épopée attribuée à Homère dans L’Odyssée, le livre dépliant propose à un plus jeune lectorat la carte légendée qui suit le périple du héros roi d’Ithaque. Nous sommes en Grèce en 1200 avant Jésus-Christ. Ce livre est un riche document, varié, où on trouve des informations sur les dangers de la navigation, sur la science de la cartographie, sur l’apport de l’archéologie à la connaissance de la ville de Troie, sur Homère, avec un résumé de L’Odyssée. Un livre apprécié par la commission

Commission lisez jeunesse

19/06/2022

Deux albums, deux contes, pour l’harmonie à construire entre nature et humanité

EL FATHI Mickaël, Grand Chien, Cipango, 2021, 36 p. 16€

L’album plonge le jeune lectorat -lecteur ou non lecteur, les deux apprécieront l’œuvre- dans une légende Sioux, Lakota plus précisément dit. Pour ce peuple les chevaux, ou Grand chien, occupent une place centrale.

La légende contée par El Fathi, raconte comment le cheval est devenu une caractéristique identitaire du peuple. Les dessins ou images peintes donnent l’illusion d’être faits au crayon de couleur. Ce choix plastique crée une proximité avec le lectorat. Les chevaux et les rares figures humaines tendent à s’échapper du trait, signifiant la liberté symbolisée par ces animaux et par le mustang héros véritable du conte. Le rouge, le jaune et le blanc dominent, ce sont trois des quatre couleurs sacrées des indiens Lakotas. El Fathi, comme à son habitude, manie l’instrument numérique aussi bien que les techniques classiques de l’illustration. Ici, il œuvre à un rapprochement avec les enfants afin de mieux faire partager l’histoire par l’émotion, et non par la conceptualisation. Le pari est réussi.

À la fin de l’ouvrage, Maurice Rebeix contextualise la légende adaptée par El Fathi. Il explique la centralité du cheval au sein des coutumes, du mode de vie et des croyances des Lakotas. Ses explications et le travail fictionnel tant imagé que textuel de Mikhaël El Fathi présentent un univers d’harmonie entre l’humain, les animaux, la terre et les éléments naturels. L’album peut alors se lire comme une propédeutique à la philosophie des indiens Lakotas.

 

CURCHOD Ronald, La Main, rouergue, 2021, 48 p. 16€

Cette histoire est une version novatrice du thème ancien de la main coupée, une variante de la fille sans mains des contes africains (1), que l’on trouve aussi chez les frères Grimm (2). Ronald Curchod articule le thème avec celui de la forêt profonde, lieu des dangers, lieu des mystères, lieu de la régénération. Les illustrations sont essentielles tant elles assurent l’entrée du lectorat dans l’imaginaire. On y distingue les traces d’un art de la gravure structurant les compositions où domine la verticalité et un jeu sur la perspective qui met au lointain les lieux et les actes, obligeant le lectorat à fouiller l’image avec patience pour en sonder -le mot est approprié- la signification en rapport avec la fiction. Les effets aquarellés enrobent de flou les traits introduisant un onirisme fantastique qui n’est pas sans entrer en correspondance avec les contes du romantisme allemand. Sur de multiples parties de planches parfois sur une planche entière, le jeu des traits donne une vie organique au paysage, redoublant alors le travail fouillé sur l’instance narrative que nous analysons plus loin.

L’histoire est celle d’un marionnettiste qui va, traversant forêt et lac gelé, de village en village poser son théâtre de bois et ses deux poupées de chiffon qui « content l’histoire d’une jeune fille et d’un diable ». Un jour, le marionnettiste sauve un ours qui allait se noyer dans un lac gelé dont la glace avait rompu sous son poids. Ce geste va entraîner la perte de la main salvatrice qui, gelée, se détache du bras. L’homme se réfugie dans la forêt, trouve refuge dans une cabane de bûcheron, mais, dans l’impossibilité de travailler, « il a faim ».

Durant son sommeil vient un ours qui se penche sur lui et qui lui fait offrande, la tenant dans ses mains -« ce nid de peu, de griffes et de poils »- une fée, « une jeune femme petite petite à peine plus grande qu’un carafon ». Le théâtre pour marionnette peut alors repartir en représentations, la main de l’homme animera la poupée du diable, la fée jouera le rôle de l’être pur.

Les illustrations, tout au long du parcours, rappellent au lectorat la présence fantasmatique des ours protecteurs du marionnettiste. La forêt profonde est ambivalente : protectrice, on l’a vu, mais aussi mystérieuse et troublante, le diable déclare d’ailleurs « la forêt transpire le secret et le mensonge ». Or, ce qui se joue sur le théâtre de marionnette est un vrai combat entre la pureté et la fausseté, entre le Bien et le Mal ; mais pas seulement : ce qui se joue c’est l’harmonie à construire entre la nature (la forêt en est le symbole) et l’humanité. Le marionnettiste a fait le sacrifice de la main qui trouve comblement dans le jeu de la fée. Peut alors se jouer la représentation de la vie. Pour ce faire le conte structure un espace, celui de l’imaginaire, dans lequel peut se construire un autre rapport à la nature, grâce auquel peut être déjoué l’arrogance du diable, figure de la domination et du pouvoir.

Ce que défend, au fond, le conte, c’est la nécessaire reprise humaine, par l’humanité, de son parcours dans la nature, une reprise vers une sympathie cultivée envers tous les êtres vivants et un ancrage solidaire des paysages qui l’accueillent, et qu’il traverse. Ce qui se joue, c’est le triomphe de l’humain sur l’in-humain, de l’actif sur le passif dont la relation interpersonnelle entre l’homme et l’ours est la marque. Rouge, la cité soumise à l’enfer que raconte le travail illustratif, sera vaincue dans le théâtre des marionnettes et le soleil se lève sur la dernière page de garde, à travers la forêt des branches et des troncs, les oiseaux tête-bêche en attente. La défaite du Malin ouvre une ère nouvelle. Ce conte est-il celui d’un espoir mis dans l’humanité pour combattre ses aliénations liées à son renoncement à vivre avec la nature ? On peut le penser quand on étudie la problématique du respect qui traverse la question de la voix narrative.

Pour porter cette interprétation, l’album repose sur un travail approfondi de la narration. Au début et à la fin, c’est la forêt qui est la narratrice, qui nous fait part de ses sensations et de ses observations. Puis, insensiblement, une instance narrative impersonnelle se substitue à celle-ci, épousant le point de vue du chemin menant au village, un point de vue omniscient classique pour conter l’événement féérique. Il est temps pour la forêt de reprendre les commandes de la narration, d’abord observatrice puis assimilatrice. À la fin de l’album, la narration rassemble en son sein la totalité du conte, assimilant les hommes, les bêtes, les lieux, dressant l’espace imaginaire des représentations comme espace vital du renouveau de la vie.

Le travail sur l’instance narrative œuvre à l’harmonie interactive du végétal, de l’humain, de l’animal, du réel et du surréel, de l’urbain et de la nature. Le conte est une promesse d’harmonie douce dont l’acquisition (et non la conquête) dépend de l’incessante pérégrination du marionnettiste de village en village, de ville en ville. Le personnage traverse les mystères de la forêt dense qui le recueille puis l’accueille et l’appelle. Il s’y ressource, il en sort, il y entre.

La Main est un chef d’œuvre à offrir, à faire lire, à étudier en classe, un chef d’œuvre qui soulève la problématique de la lecture en tant que jouissance dans la libération de l’imaginaire c’est-à-dire par l’élargissement de son espace. L’outil ? La patience humaine de la construction représentationnelle.

Philippe Geneste

(1) Ruelland Suzanne, La Fille sans mains. Analyse de dix-neuf versions africaines du conte type 706, Bibliothèque de la SELAF, 39-40, Paris, 4ème trimestre 1973, 209 p. - (2) il s’agit du conte des frères Grimm, recueillis de deux récits de Hesse et trois de la région de Paderborn, au début du XIXème siècle, La jeune fille sans mains. Voir Grimm, Contes pour les enfants de la maison, édités et traduits par Natacha Rimasson-Fertin, volume 1, Paris, Corti, 513 p. – pp.186-193.

 

12/06/2022

D’Athéna aux Poupées Savantes


PANDAZOPOULOS Isabelle, Athéna, la combative, illustré par GAZHOLE, Gallimard jeunesse, 2021, 112 p. 9€90

Avec une grande érudition et sa belle écriture, ici, de conteuse, Isabelle Pandazopoulos a fait de l’histoire d’Athéna, déesse de l’intelligence et de la justice, un roman passionnant.

Comme nous l’indique le chapitre premier, « Une fille pas si sage », Athéna ne fut pas toujours cette figure mythique, impressionnante de raison, que l’Antiquité nous a transmise, mais une fillette impatiente, fébrile et qui n’aimait pas dormir, tant les heures de sommeil étaient pour elle des heures perdues. Elle a vécu son enfance auprès du roi des dieux, Zeus, son père, qui l’adorait, mais dut subir les affres de la jalousie de sa belle-mère Héra et de la cruauté son frère Arès, soutenu par le dieu Poséidon.

Comme nous le raconte l’autrice, Athéna, toute jeune encore, tissa lors de ses nuits d’insomnie une magnifique toile à l’image de son père. Celle -ci fut présentée au banquet des dieux, où selon la coutume, un aède accompagné d’une lyre devait charmer l’assistance par ses poèmes chantés. Héra, pensant nuire à sa belle-fille, avait choisi le jeune poète Talaos car elle le savait inexpérimenté. Mais celui-ci chanta magnifiquement la rencontre de Zeus et de Métis. Sa poésie révéla le rôle de la jeune femme, qui connaissait la science des plantes et leur pouvoir, dans la délivrance des enfants de Cronos dévorés par leur père ; Cronos vaincu, Zeus devint le maître de l’Olympe. Athéna apprit ainsi le secret de sa naissance et ce que devint sa mère, cette femme érudite et généreuse, qui resta vivante dans le cœur et l’esprit de Zeus.

Mais plus tard Athéna, toute jeune déesse encore, ne sut déjouer le piège tendu par Arès qui distilla en elle les poisons de la jalousie. Arachné, qui se mesura à elle, en souffrit. Longtemps Athéna regretta sa cruauté envers cette tisserande de talent qu’elle réduisit à une bête hideuse, haïe, tissant des toiles répugnantes au fin fond de caches lugubres.

Mais Athéna retrouva son aura d’intelligence et de justice en apportant son aide et sa protection à des héros grecs, tel Hercule ou Ulysse.

Elle sut enfin, à l’apogée de sa maturité, vaincre le puissant Poséidon qui voulait se rendre maître d’Ithaque. En apportant simplement un rameau d’olivier qu’elle avait protégé, en offrant ce symbole de postérité et de paix à la ville d’Athènes, elle fut acclamée par une foule de femmes, d’enfants, de jeunes gens qui voulaient se détourner irrémédiablement de l’esprit guerrier et conquérant qui n’engendre que malheurs et désastres.

Ce roman captivant et au si beau message est à lire à partir de l’entrée en sixième, jusqu’à bien au-delà.

Annie Mas

 

TENOR, Arthur, Les poupées savantes, Le Muscadier, 2022, 188 p., 13€50

Lili Cormier, de son vrai nom Lilibellule, est une adolescente de quatorze ans qui vit avec ses parents, sa petite sœur… Et en 2039 ! Tout est normal, excepté un détail : ce sont à présent des robots humanoïdes qui servent de domestiques aux humains. Les parents de Lili sont très à l’aise avec les robots. Son père en a même fait son métier puisqu’il est ingénieur en robotique. Tout le contraire de Cléon, un copain de Lili qui se méfie un peu de ces machines androïdes. Il est presque un « humanilove », un anti-robot, même s’il n’irait pas jusqu’à en abîmer un.

Le jour de ses quinze ans, les parents de Lili lui offrent le robot dernier cri du moment : une poupée G III, rien que pour elle ! Ils sont très fiers de ce beau (et très cher) cadeau. Mais, face à cette onéreuse surprise, Lili reste sans voix, troublée par ce nouveau robot… qui a été conçu à son image ! Cependant, pour faire plaisir à ses parents, elle accepte cette nouvelle domestique qu’elle nomme, un peu froidement, « L-Poupée ».

Peu de temps après son anniversaire, Lili est hospitalisée à cause d’un accident de voiture. Ses parents décident alors d’envoyer son robot au collège pour suivre les cours à sa place. Quelle stupéfaction pour ses camarades de classe ! Connectée à sa poupée, Lili peut assister aux cours et discuter avec eux. Mais après l’école, alors qu’il n’y a plus personne dans les rues, L-Poupée se fait kidnapper ! Lili rejoint ses parents qui paniquent : en effet, le père de Lili a illégalement amélioré la machine, afin qu’elle soit plus forte et assure la sécurité de sa fille ! Il ne faudrait pas que cela se sache et qu’il ait des soucis ! Avec ses parents et Cléon, ils décident d’enquêter pour la retrouver. Le papa de Lili surprend alors tout le monde en amenant Gaspard, un prototype de robot-soldat très bien entraîné. Ils acceptent que Cléon soit aux commandes pour diriger ce « Terminator ».

Vont-ils réussir à sauver L-Poupée ?

Mon avis

J’ai bien aimé ce livre qui se lit assez facilement. Il est léger et empli d’humour. J’ai, par exemple, bien aimé la rumeur au collège de la mort de Lili, qui s’avère bien sûr complètement fausse. En même temps, ce roman fait réfléchir. Il est, en effet, déconcertant d’avoir un robot qui soit une réplique de soi-même physiquement, une sorte de double. On peut se demander pourquoi les parents de Lili ont voulu lui offrir une jumelle mécanique. D’ailleurs, à la fin du livre, la nouvelle domestique de Lili est aussi une machine moderne mais très différente physiquement de l’adolescente.

Il est vrai que le sauvetage de L-Poupée à la fin de l’histoire n’est pas très crédible. En effet, le père de Lili n’a aucune raison de faire confiance à Cléon, cet adolescent qu’il ne connaît pas et, surtout, d’accepter qu’il pilote Gaspard, ce qui est très dangereux ! Cléon est un amateur alors qu’il faudrait un spécialiste, ou quelqu’un de très entraîné, pour piloter cette machine tueuse (d’ailleurs il manque tuer un enfant par accident). Mais cela ne m’a finalement pas dérangée, j’ai trouvé ça assez drôle.

Sinon, j’ai trouvé l’histoire d’amour entre Lili et Cléon assez mignonne.

Milena Geneste-Mas

 

05/06/2022

Le conte « pour apporter sens et poésie »

LAM Chi-Lan, Cent contes et légendes du Viet-Nam. Recueil commenté, L’Harmattan, 2022, 376 p. 29€

Voici un livre important et qui traite d’un sujet rarement présent dans la littérature de jeunesse ; il faut dire à ce sujet, d’ailleurs, combien la littérature de jeunesse présente un maillon crucial dans la transmission de ce que l’on qualifie quelque peu dédaigneusement de folklorique. Sous cette appellation, pourtant se cachent les traditions populaires, les éléments littéraires propres à une culture irriguant le peuple d’un paysan, d’une région, d’une civilisation sans discernement de nations. Rien que pour cela, déjà, on saisit l’importance du livre, surtout que la plupart des contes présents dans ce volume sont traduits pour la première fois. Mais il y a plus encore : les textes sont suivis d’un commentaire de l’autrice qui permet de vraiment comprendre chaque fiction en pénétrant dans la culture vietnamienne. Autre atout de l’ouvrage : il s’adresse aux adultes qui veulent accompagner les enfants dans le voyage imaginaire, il s’adresse aux chercheurs -notamment aux anthropologues, ethnologues, psychologues-. Il s’adresse aussi aux préadolescents et adolescents à qui on aura soin de présenter comment se servir de l’ouvrage. En effet, des préadolescents peuvent se plonger dans la lecture des textes d’eux-mêmes.

Résumer une telle somme est difficile, alors nous avons réalisé avec l’autrice un entretien que les lecteurs trouveront ci-dessous.

 

Entretien avec LAM Chi-Lan

Lisezjeunessepg : Il y a plusieurs « groupes ethniques » au Viet-Nam. Vous avez privilégié les contes des peuples Viet, pourquoi ce choix ?

LAM Chi-Lan : Le peuple vietnamien est en majorité composé des Kinh, habitants des plaines (90 %) et d'une cinquantaine de peuples ethniques répartis sur les Hauts-Plateaux. Ce recueil privilégie les contes et légendes intimement liés de cette majorité Kinh, très attachée à sa littérature orale dont est issu ce patrimoine retranscrit au cours des siècles, d'abord en écriture idéographique nôm, puis en écriture latine quôc ngu


Lisezjeunessepg : En quoi les contes du Viet-Nam se distinguent-ils de ceux des autres civilisations et continents ? Parce qu’il y a beaucoup de similitude, non ?

LAM Chi-Lan : Le Viet Nam est proche de la Chine et de l’Inde, d'où l'influence des trois courants philosophiques et religieux du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme qui se sont greffés sur un fond de coutumes anciennes tournant autour de la culture du riz. Les contes et légendes du Viet Nam reflètent la dure condition paysanne d’un peuple fortement attaché à sa terre nourricière et désireux de la défendre et la servir ; la primauté du collectif sur l’individu, le respect des aînés et du culte des ancêtres ; la place de la femme soumise en apparence mais acteur majeur du commerce de détail et pilier de la famille. Autre caractéristique : la poésie des thèmes merveilleux portés par la notion de dette et de destin ainsi que l'usage d'un mode de versification spécifique propre aux chansons populaires et locutions proverbiales qui émaillent la trame des contes et légendes du Viet Nam.


Lisezjeunessepg : Pouvez-vous nous parler de votre travail de collectes de contes sur le thème de l’enfant et nous dire pourquoi ce thème ?

LAM Chi-Lan : Mon intérêt pour le thème de l'enfance est venu en partant du thème de la maternité, lorsque fraîchement diplômée en psychologie j'ai été sollicitée pour proposer des formations au personnel soignant des Hôpitaux de Paris confronté à l'arrivée des réfugiés du sud-est asiatique (les premiers "boat people" des années 70-80), avec une forte présence de femmes en âge de procréer. De fil en aiguille j'ai constitué un riche fonds documentaire de chants enfantins, de comptines et bien sûr de contes et légendes dont le potentiel éducatif est évident. Trois ouvrages, tous édités chez l'Harmattan, en sont le fruit (1). Le confinement covid m'a permis de peaufiner ce quatrième dont le sujet me trottait dans la tête depuis mon départ à la retraite en 2016 et l'entrée simultanée dans une nouvelle identité de grand-mère soucieuse de transmettre quelque chose de précieux à sa descendance...


Lisezjeunessepg : Aujourd’hui, quel rapport le peuple vietnamien entretient-il avec ses contes et ses légendes ? Les contes restent-ils vivaces ?

LAM Chi-Lan : Le peuple vietnamien entretient un rapport très vivace, d'une part avec les contes pour inculquer et transmettre des valeurs morales, et d'autre part avec les légendes historiques pour entretenir le sentiment de fierté nationale d'indépendance conquise contre la Chine. Des contes sont édités tels quels, circulent sur internet, servent de trame à des films ou pièces de théâtre... 

Dans ce présent recueil, beaucoup sont traduits en français pour la première fois. La valeur ajoutée est le commentaire qui les accompagne et fait le lien avec les traditions, l'Histoire du pays et sa littérature orale et écrite. 

Entretien réalisé en mai 2022

(1) La Mère et l’enfant dans le Viêt-Nam d’autrefois, Paris, l’Harmattan, deuxième édition revue et mise à jour, 2008, 360 p. ; Chants et jeux traditionnels de l’enfance au Viêt-Nam, Paris, l’Harmattan, 2002, 366 p. ; Contes du Viêt-Nam. Enfance et tradition orale, Paris, l’Harmattan, 2007, 258 p.