Anachroniques

30/07/2023

Des livres pour silhouetter quelques métiers

ROTTMANN Markus, Drôle d’histoire ces métiers. 100 professions insolites ou disparues, illustrations Michael MEISTER, Helvetiq, 2023, 88 p. 18€90

C’est une centaine de métiers qui sont ici répertoriés, des nourrices aux liftiers et liftières, des charlatans au service postal pneumatique, des laitiers et laitières aux cavaliers postiers du Pony Express, des corsaires aux chapelières et chapeliers, des archimimes aux pétomanes, des bouffons de cour aux souffre-douleurs, des moucheurs de chandelles aux porteuses d’eau, des allumeurs de réverbères aux alchimistes, des voleurs de cadavres aux ramasseuses de sangsues, des claqueurs et dames-claques aux gardiens de tour, des brasseuses de bière domestique aux prédicateurs itinérants, des goûteuses et goûteurs aux pêcheurs d’éponges, des foulonniers aux gladiateurs, des réveilleuses et réveilleurs aux renifleurs et renifleuses de café, des avaleurs aux ermites d’ornement, des porteurs de chaise aux Bématistes, des mandarins aux marchands de sable, des détecteurs d’avion aux singes porte-poudre, des commentateurs de films muets aux téléphonistes, des lecteurs d’usine aux quatorzièmes, des épandeuses de plantes aux collecteurs de nuit, des décrotteurs aux attrapeurs de rats, des porteurs et porteuses de toilettes aux ménestrels, des ramasseuses de Stockholm aux bourreaux, des médecins de peste aux arracheurs de fanons de baleine, des chiffonniers et chiffonnières aux pétomanes, des muets aux pleureuses, des épileurs d’aisselles aux silhouettistes, des glaciers aux coupeurs de glace, des distilleurs aux gladiateurs, des employés et employées de vidéo-club aux calculatrices humaines, des galibots aux coureurs de Bow Street, des joueurs d’orgue de Barbarie aux artistes de la faim, des porte-falots aux artificiers, des exploratrices et explorateurs aux livreurs et livreuses de journaux. Une introduction définit ce qu’est un métier, puis le lectorat est invité à suivre l’itinéraire des sales besognes, des serviteurs et domestiques, l’histoire des métiers, les professions interdites, le travail des enfants, les métiers presque disparus. Le texte appuyé par des illustrations démonstratives donne les origines des métiers, à quelle utilité ils répondent, pourquoi certains ont disparu, d’autres sont exclusivement féminins, et d’autres illégaux. Ce livre est une mine de renseignement, un éblouissement de connaissances parfois incongrues mais historiquement justifiées. Un très beau et très bon livre.

 

DUVAL Stéphanie, C’est quoi le métier de pompier, illustrations de Matthias MALINGRËY, Tourbillon 2023, 29 p. 12€

À destination des enfants de cours moyen à la classe de cinquième, le livre de Stéphanie Duval détaille avec clarté et précision le métier de pompier, s’appuyant sur un travail illustratif à fonction utilitaire et sans cesse voué à rendre explicite le propos du livre. Même si l’ouvrage cherche surtout à montrer la vie des pompiers et leurs missions, la distinction entre pompier volontaire et pompier professionnel est bien faite, l’école des jeunes sapeurs-pompiers est présentée. Le livre est adapté au lectorat visé. En effet, à 8 ans les idées sur ce que sont les métiers deviennent plus précises parce que l’enfant retient des procédés techniques du fonctionnement de machines simples, comme la bicyclette. À 8/10 ans l’enfant renonce à la toute-puissance humaine et à celle de la machine pour afficher les difficultés rencontrées : « bref, c’est apprendre à connaître le réel et ses lois » (1).

Ajoutons qu’après les incendies de 2022 qui peuvent avoir marqué certains enfants, après les gigantesques incendies canadiens de l’hiver 2023, l’actualité d’un tel ouvrage est assurée.

(1) Piaget, jean, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, PUF, 1991, 335 p. – p.313.

 

Le chantier, illustré par Florent Chamiot-Poncet, Tourbillon, 2023, 12 p. pop up, 10€90

Ce livre pour les petits jusqu’à sept ans, est un ouvrage descriptif des engins de chantier : la tractopelle, le bulldozer, la grue, le camion-toupie, le camion-benne, le compacteur. Grâce au pop-up, cet ouvrage au petit format est utilisé par l’enfant comme un jeu. Mais il possède aussi les qualités d’un imagier grâce à la désignation de l’engin de chantier liée à la double page en pop-up, mais aussi se fait encyclopédie par la désignation, sur l’image de termes renvoyant à la scène dessinée et animée. L’enfant apprendra ainsi les mots tombereau, chenilles, lame, cabine, crochet, cabine, réservoir, gravats, benne, pelleteuse, rouleau, enrobé.


EUSTACHE Sophie, Comment s’informer ?, illustrations Élodie PERROTIN, éditions du Ricochet, 2023, 125 p. 13€

Les transformations en cours en matière d’information exigent des mises au point périodiques. Ce livre des éditions du Ricochet est organisé en cinq parties : s’informer aujourd’hui ; Comment circule l’information ? Comment travaillent les journalistes ? L’information est-elle libre ? L’objectivité est-elle possible ? Conformément à la collection POCQOQ (Pourquoi s’interroger ? Où s’informer ? Comment agir ? Qui est concerné ? Quand débattre ?) le texte est clair, nourri d’encarts explicatifs. Les illustrations ont surtout une fonction de détente et d’aération. Pour les collégiens et lycéens qui, de plus, apprécieront le glossaire qui clôt l’ouvrage.

Philippe Geneste

 

Censure en littérature de jeunesse :

Avec le développement du secteur de la littérature jeunes adultes, qui vient prolonger le secteur de la littérature destinée aux adolescents[1] on assiste à un revirement partiel et minoritaire, mais toutefois sensible, vers une littérature qui viendrait bousculer les codes empruntés et forgés par la loi du 16 juillet 1949 (toujours en vigueur).

Mais le ministère de l’intérieur a des sursauts de pudibonderie et vient de manier la censure. Le 17 juillet il a imposé le retrait des librairies de Bien trop petit, écrit par Manu Causse, pour un lectorat à partir de 15 ans, et publié aux éditions Thierry Magnier. Le ministère a en effet interdit le livre à la vente. La commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence considère que le livre « contient à travers le récit d’une fiction imaginée par le personnage principal (…) la description complaisante de nombreuses scènes de sexe très explicites ». La commission en conclut que le roman présente « de ce fait un danger pour les mineurs qui pourraient l’acquérir ou le consulter ».

(Source : Vulser, Nicole, « Un Livre interdit à la vente des mineurs », Le Monde, 23-24 juillet 2023).



[1] Voir les trois parties de Geneste, Philippe, « Du Roman pour adolescents et adolescentes », blog Sur l’éducation, https://www.quiero.fr/spip.php?rubrique14


23/07/2023

Pour l’enfant de Lilly

 « L’écriture est la première rébellion, le vrai feu volé et voilé dans l’encre  

pour empêcher qu’on se brûle. » 

Kamel Daoud

 

MARICOURT, Thierry, Frérot Frangin. Hôtel Bestiole, Hôtel Bagnole, illustrations de Nathalie DIETERLÉ, Calicot, 2022, 64 p. 14€

Fidèles à leur volonté de présenter aux « enfants et adolescents des livres pour développer leur sens critique et pour rêver d’un monde tel qu’ils le méritent » comme celle de proposer des œuvres de qualité, les éditions Calicot ont publié le troisième tome de Frérot Frangin de Thierry Maricourt Hôtel Bestiole, Hôtel Bagnole.

 

Dans le premier tome déjà, Hôtel Zinzin, Hôtel Zonzon, se fait une première rencontre avec un homme lisant une correspondance en apparence oubliée, soigneusement rangée dans une boîte à chaussure. Ce sont des lettres jaunies, venues du passé, qui soufflent comme des bouffées de jeunesse sur ce lecteur ému ; elles sont écrites par deux frères dont on ne connait pas le prénom, seul leur lien de complicité familiale qui les unit l’emporte (1) et les désigne. Ils sont aux deux confins de l’adolescence : Frangin 19 ans, la quitte à peine, Frérot, 11 ans, est toujours enfant. S’il est écrit sans d’autres précisions que le narrateur, qui introduit et clôt le livre, est l’un des deux frères, sa voix adulte est bien distincte. Elle s’ajoute à celles de Frérot de Frangin qui, par leur correspondance, tissent la trame d’un roman à la fois polyphonique et épistolaire.

Cette correspondance, c’est Frérot qui l’initie. Lui qui ne reçoit jamais de lettre, demande à son grand frère de lui écrire. Il faut dire que tous deux sont brusquement éloignés : lui en classe de neige, Frangin en prison, pour aimer trop les belles voitures. Le roman dépeint avec un humour corrosif la privation de liberté, bien sûr, mais encore le mépris, la saleté, la promiscuité, l’autorité et la brutalité imposées aux prisonniers. Une société indigne se révèle qui exclut une jeunesse à peine sortie de l’enfance. De son côté, c’est une autre promiscuité, une autre brutalité de l’autorité, que Frérot déjoue avec insolence en compagnie de ses copains de la classe de neige.

Les portraits des deux frères qui s’adonnent à l’écriture, et aussi, risquant la chute, Frérot sur ses skis qui dévale une pente enneigée, les yeux et les mains, le corps tout entier pris par la lecture d’une lettre de Frangin, et aussi Frangin sensible au va et vient des araignées entre les barreaux qui le tiennent prisonnier, car pareille à leur danse son écriture brode comme une toile-rêve…, son écriture, celle de son frère, seules échappées permises contre l’enfermement… ces images et bien d’autres : une oreille tirée, meurtrie, qui forme un point d’interrogation face à l’autorité brutale, ou encore un soleil lumineux tressé, tricotté au-delà des murs… en accord parfait, les images, les dessins de Tardi offrent comme un tableau d’harmonie à la musique et aux mots, à la sensibilité de style qui caractérise l’écriture de Thierry Maricourt.

 

Le second tome de Frérot Frangin : Hôtel Resto, Hôtel Hosto apparaît tout d’abord, sous les traits fébriles du dessinateur Zaü, comme soufflé par des vents mauvais. Le narrateur lui-même dans son grenier de guingois semble en équilibre instable. Heureusement qu’un vieux fauteuil en sky noir l’accueille, et qu’il peut reprendre, en toute sécurité, la correspondance des deux frères. C’est que, mine de rien, Thierry Maricourt vient infliger aux deux frères, Frangin et Frérot, deux tourments qui émeuvent l’être humain : celui du temps et celui des sentiments.

Dans les lettres de Frérot, les mots crapahutent, se bousculent. La vie d’Inès, son amie, celle qu’il aime en secret, ne tient plus qu’à un fil, un fil très fin, ténu, fragile, à la merci d’une moindre brisure. Victime d’un accident de la route, elle est hospitalisée, la conscience bien loin, perdue dans le coma. Après l’affolement de l’urgence, après le temps bousculé, c’est maintenant le temps si pesant, si long de l’attente. Malgré l’angoisse qui l’envahit, Frérot reste le plus possible près d’elle, à son chevet. Lorsque sa bien-aimée s’éveillera cela sera non par un baiser, comme la princesse dans le conte, mais bien plus subtil, juste par le souffle de la présence de Frérot. Ce souffle et ce premier éclat de vie qui s’offrent à Inès lorsqu’à son éveil elle va poser « ses yeux sur [lui] ».

Frangin est sorti de prison. Enfin libéré, il travaille maintenant comme serveur dans un bar-restaurant à pizza, parfois sous les quolibets, les remarques désobligeantes de certains clients et l’autorité exploiteuse du patron. Mais Frangin est si heureux d’avoir rencontré Rachel, une jeune fille rayonnante, charmante, qui sait tant de choses et a pu changer de prénom comme on choisit une nouvelle robe. Rachel, qui parle tellement d’avenir, en oublie le présent et Frangin a tant de temps à rattraper, à retrouver, celui qu’on lui a volé en prison et maintenant en l’exploitant, qu’il ne peut se soumettre aux exigences de la jeune fille et à ce temps à venir déjà étouffé. Frangin semble parti bien loin, au bord du gouffre de son désespoir. C’est de là, pour ne pas sombrer, qu’il appelle son petit frère et le refuge de sa tendresse, de son insouciance.

Les lettres des deux frères, très sensibles, se terminent par le poème émouvant de Frérot à Frangin lui demandant de revenir car sans lui, sans ses mots et ses écrits, sa vie ne serait que ratures.

 

Sur la première page de couverture du troisième tome, Hôtel Bestiole, Hôtel Bagnole, les visages dessinés par Nathalie Dieterlé s’annoncent bien penauds. Cependant le grenier a retrouvé sa sérénité. Un voile de poussière, rassurant, sert de refuge à de nombreuses bestioles. Là se devine, tel un ours débonnaire, l’empilement cendré de boîtes à chaussure qui protègent les lettres des deux frères. Et c’est en toute tranquillité que l’homme qui lit se penche sur une nouvelle correspondance.

L’image en couverture ne se trompe pas : c’est bien un petit chat mort que Frérot tient dans ses bras. Un petit chat tué par des mains criminelles. Il écrit à Frangin, avec des mots de colère, de rage, et d’une grande vivacité, comment, avec sa bande qui habite le même immeuble, composée d’Ines, Clément, Aboubakar, Pauline, Julia, Akim, fut découvert ce crime. Leur chagrin mis de côté, une enquête sera menée, le chat sera vengé, les enfants se méfiant –en dignes adeptes des préceptes de Frangin– de la justice sociale, couleur et senteur « barbecue ».

Frangin répond avec verve à Frérot. Lui a trouvé un nouveau boulot, dans un garage où il répare des voitures : le garage Confiance (nom donné par le patron pour appâter les clients). De fil en aiguille, de jeux de mots en calembours, les deux frères, qui détestent les crimes humains dont sont victimes les animaux et réfractaires à tous les enfermements, toutes les prisons, élaborent un plan visant à libérer des bêtes en cage dans une animalerie. C’est un projet, un rêve insolent, venus de leur amour pour une chanson de Pierre Perret « Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux » (2). Mais avant cela, facétieux, Frérot en vient à offrir sa blague à la Pierre Perret, une devinette qui peut se traduire ainsi : qu’a-t-il bien pu arriver, et où sont donc passés les petits poissons d’une sole esseulée sur une plage de sable, l’été ?

Puis le criminel-tueur de chat est découvert et chât de la façon la plus insolente qu’il soit. C’est cette insolence et les couleurs choisies par Nathalie Dieterlé pour peindre les visages d’enfants du roman qui amènent les souvenirs de « jolies colonies de vacances » où les monos, en soirée, ne savaient comment calmer les petits excités qui n’entendaient jamais « les clochettes tintinnabuler ». Puis, parfois, à la nuit tombée, s’insinuait, jusqu’à émouvoir les étoiles, la chanson de Lilly, elle, qui si jolie, venait de bien loin, des Somalies,

« Dans un bateau plein d’immigrés,

Qui venaient tous de leur plein gré,

Vider les poubelles à Paris »

Mais malgré l’exil, malgré le racisme,

« elle rencontrera quelqu’un de bien, Lilly »

assure le poète et

« L’enfant qui naîtra un jour

Aura la couleur de l’amour

Contre laquelle on ne peut rien »

Aussi, ne pleure plus « Mon p’tit Loup », vois comme Frérot, Frangin et leurs copains se jouent des malfrats, qui ne tirent un plaisir aigre que par leur cruauté. « Mon p’tit Loup », ce roman est pour toi. Il est aussi pour l’enfant de Lilly et pour toutes les Lilly et tous leurs amants. Il est aussi pour toi qui te demandes comment tu pourrais vivre sans lire, sans cet univers insoupçonné où les mots sont tissés comme des joyaux, eux qui traduisent parfois une de tes pensées, un de tes rêves à peine esquissés ; toi qui admires tant cette générosité où les écrits se cachent, s’épanouissent, jusqu’à l’offrande d’une lecture.

Ce roman enfin est pour toi qui terres dans tes cahiers tes révoltes étouffées, tes paroles murées, toutes les errances, les détresses de ta solitude.

Annie Mas

Notes

(1) Tous les mots en italique, exceptés ceux entre guillemets, sont empruntés au blog Lisezjeunessepg daté du 6 juin 2021 « Ces yeux sur moi » qui présente ces deux premiers tomes.

(2) Lire aux éditions EPO, La Parole en chantant, Show-business et idéologie de Thierry Maricourt, où il rend hommage à la poésie du chanteur.

16/07/2023

Des livres pour silhouetter quelques métiers

ROTTMANN Markus, Drôle d’histoire ces métiers. 100 professions insolites ou disparues, illustrations Michael MEISTER, Helvetiq, 2023, 88 p. 18€90

C’est une centaine de métiers qui sont ici répertoriés, des nourrices aux liftiers et liftières, des charlatans au service postal pneumatique, des laitiers et laitières aux cavaliers postiers du Pony Express, des corsaires aux chapelières et chapeliers, des archimimes aux pétomanes, des bouffons de cour aux souffre-douleurs, des moucheurs de chandelles aux porteuses d’eau, des allumeurs de réverbères aux alchimistes, des voleurs de cadavres aux ramasseuses de sangsues, des claqueurs et dames-claques aux gardiens de tour, des brasseuses de bière domestique aux prédicateurs itinérants, des goûteuses et goûteurs aux pêcheurs d’éponges, des foulonniers aux gladiateurs, des réveilleuses et réveilleurs aux renifleurs et renifleuses de café, des avaleurs aux ermites d’ornement, des porteurs de chaise aux Bématistes, des mandarins aux marchands de sable, des détecteurs d’avion aux singes porte-poudre, des commentateurs de films muets aux téléphonistes, des lecteurs d’usine aux quatorzièmes, des épandeuses de plantes aux collecteurs de nuit, des décrotteurs aux attrapeurs de rats, des porteurs et porteuses de toilettes aux ménestrels, des ramasseuses de Stockholm aux bourreaux, des médecins de peste aux arracheurs de fanons de baleine, des chiffonniers et chiffonnières aux pétomanes, des muets aux pleureuses, des épileurs d’aisselles aux silhouettistes, des glaciers aux coupeurs de glace, des distilleurs aux gladiateurs, des employés et employées de vidéo-club aux calculatrices humaines, des galibots aux coureurs de Bow Street, des joueurs d’orgue de Barbarie aux artistes de la faim, des porte-falots aux artificiers, des exploratrices et explorateurs aux livreurs et livreuses de journaux. Une introduction définit ce qu’est un métier, puis le lectorat est invité à suivre l’itinéraire des sales besognes, des serviteurs et domestiques, l’histoire des métiers, les professions interdites, le travail des enfants, les métiers presque disparus. Le texte appuyé par des illustrations démonstratives donne les origines des métiers, à quelle utilité ils répondent, pourquoi certains ont disparu, d’autres sont exclusivement féminins, et d’autres illégaux. Ce livre est une mine de renseignement, un éblouissement de connaissances parfois incongrues mais historiquement justifiées. Un très beau et très bon livre.

 

DUVAL Stéphanie, C’est quoi le métier de pompier, illustrations de Matthias MALINGRËY, Tourbillon 2023, 29 p. 12€

À destination des enfants de cours moyen à la classe de cinquième, le livre de Stéphanie Duval détaille avec clarté et précision le métier de pompier, s’appuyant sur un travail illustratif à fonction utilitaire et sans cesse voué à rendre explicite le propos du livre. Même si l’ouvrage cherche surtout à montrer la vie des pompiers et leurs missions, la distinction entre pompier volontaire et pompier professionnel est bien faite, l’école des jeunes sapeurs-pompiers est présentée. Le livre est adapté au lectorat visé. En effet, à 8 ans les idées sur ce que sont les métiers deviennent plus précises parce que l’enfant retient des procédés techniques du fonctionnement de machines simples, comme la bicyclette. À 8/10 ans l’enfant renonce à la toute-puissance humaine et à celle de la machine pour afficher les difficultés rencontrées : « bref, c’est apprendre à connaître le réel et ses lois » (1).

Ajoutons qu’après les incendies de 2022 qui peuvent avoir marqué certains enfants, après les gigantesques incendies canadiens de l’hiver 2023, l’actualité d’un tel ouvrage est assurée.

(1) Piaget, jean, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, PUF, 1991, 335 p. – p.313.

 

Le chantier, illustré par Florent Chamiot-Poncet, Tourbillon, 2023, 12 p. pop up, 10€90

Ce livre pour les petits jusqu’à sept ans, est un ouvrage descriptif des engins de chantier : la tractopelle, le bulldozer, la grue, le camion-toupie, le camion-benne, le compacteur. Grâce au pop-up, cet ouvrage au petit format est utilisé par l’enfant comme un jeu. Mais il possède aussi les qualités d’un imagier grâce à la désignation de l’engin de chantier liée à la double page en pop-up, mais aussi se fait encyclopédie par la désignation, sur l’image de termes renvoyant à la scène dessinée et animée. L’enfant apprendra ainsi les mots tombereau, chenilles, lame, cabine, crochet, cabine, réservoir, gravats, benne, pelleteuse, rouleau, enrobé.

 

EUSTACHE Sophie, Comment s’informer ?, illustrations Élodie PERROTIN, éditions du Ricochet, 2023, 125 p. 13€

Les transformations en cours en matière d’information exigent des mises au point périodiques. Ce livre des éditions du Ricochet est organisé en cinq parties : s’informer aujourd’hui ; Comment circule l’information ? Comment travaillent les journalistes ? L’information est-elle libre ? L’objectivité est-elle possible ? Conformément à la collection POCQOQ (Pourquoi s’interroger ? Où s’informer ? Comment agir ? Qui est concerné ? Quand débattre ?) le texte est clair, nourri d’encarts explicatifs. Les illustrations ont surtout une fonction de détente et d’aération. Pour les collégiens et lycéens qui, de plus, apprécieront le glossaire qui clôt l’ouvrage.

Philippe Geneste

09/07/2023

Tout doux la lecture, toute en variation pour les petits

SOURDAIS Clémentine, Couleurs printemps, amaterra, 2023, 28 p., 13€90

Voici, encadré par une comptine, un documentaire ou livre pratique sur les couleurs, pour les petits : blanc, jaune pastel, jaune soleil, rouge, rose, violet, bleu, vert amande, vert pomme, vert menthe, gris, marron. Sur la page de gauche, des végétaux, des animaux, et une fois, le gris les nuages. Les dessins n’ont rien de stylisés, un réalisme poétique y resplendit de couleurs. Sur la page de droite, un grand aplat de la couleur traitée et le nom de la couleur disposé verticalement. On l’aura compris, le livre est à lire à l’enfant, il réclame l’accompagnement de la lecture par l’adulte. Si on l’offre à des plus grands, ce sera à des enfants déjà lecteurs et l’album documentaire jouera le rôle d’un imagier. Une double page finale, rassemblant certains motifs présentés (végétaux et animaux exclusivement) invite l’enfant à y identifier les couleurs. Couleurs printemps est un livre hybride, comme nous le voyons, avec une couverture de très belle facture, de format moyen, et à l’impression particulièrement soignée.

 

BILLET Marion, Mon premier livre des couleurs à toucher, Tourbillon, 2022, 6 p. 19€90

Magnifique ouvrage pour les tout-petits, réalisé en tissu, avec de la feutrine, du velours, du satin, du coton, de la matière à effet cuir. Les pages en tissus sont reliées entre elles, la lecture est douceur. Centrale dans sa fabrication, la matière ne l’est pas pour le contenu de l’ouvrage. En effet, comme l’indique le titre, il s’agit d’éveiller le tout-petit aux couleurs, par la vue, évidemment, et le toucher ; Le toucher vient à l’appui de la vue.

Les couleurs vont par deux, en général autour d’une couleur primaire, mais pas toujours : jaune/orange, bleu/vert, rouge/marron, rose/violet, et enfin noir/blanc avec gris. On incitera donc l’enfant à manipuler le livre-objet en s’appuyant sur les éléments sensoriels pour introduire le nom des couleurs, à la manière d’un imagier, mais d’un imagier tactile autant qu’interactif -au sens où l’enfant et l’adulte dialoguent atour des péripéties du vagabondage du geste de l’enfant sur le tissu et sur les matières.

Tout en tissu, le livre d’une grande douceur se prête aussi, image par image, page par page à se raconter une histoire en fonction des paysages et situations -très simples- figurés. Une vraie réussite, qui allie beauté et richesse d’explorations possibles avec l’enfant et par l’enfant.

 

LANGLOIS Florence, Au dodo, les doudous !, Tourbillon, 2022, 20 p. 12€90

Il y a d’abord l’histoire, toute simple, toute drôle, toute fantaisiste : des doudous jouent leur partition pour l’endormissement de Léon le lionceau. Les images de Florence Langlois, aux couleurs vives, avec aplats et silhouettes délimitées, interprètent les animaux avec anthropomorphisme. Onze situations sont ainsi proposées, onze scènes, où l’intérêt ne vaut pas tant dans ce qui se passe que dans la sollicitation faite au tout petit enfant de participer, d’interagir avec les actions, de redoubler les gestes des doudous. Le livre se fait catalogue dynamique de gestes, un imagier en actions si l’on veut. Et il y a plus encore ; Par ce doublement gestuel des scènes -car il n’y a pas vraiment d’histoire en dehors d’une suite chronologique menant au sommeil… des doudous- l’enfant est invité à réfléchir, mais en acte nous l’avons vu, à l’utilisation des doudous et à leur réalité affective et relationnelle. Tout ceci, bien sûr, juste par le travail de lecture, car, encore une fois, tout est simple dans cet album cartonné au format italien. Vu, kinésie, motricité gestuelle, plaisir et humour, un livre complet pour les tout-petits. 

 

LI Maggie, La Grande Aventure d’une graine, Milan, 2022, 26 p. 11€90 ; LI Maggie, La Grande Aventure d’une goutte d’eau, Milan, 2022, 26 p. 11€90

Ces deux livres ouvrent une nouvelle collection chez Milan. Grâce aux trous en milieu des pages, l’enfant manipule davantage le livre, se familiarisant ainsi avec l’objet, mais aussi explorant d’autant mieux le sens des images.

Chaque double page peut permettre une historiette, il suffit d’y inciter l’enfance lectrice. Bien sûr, le sens global range le livre dans le genre du documentaire, mais en fait, Maggie LI propose à chaque fois une histoire. Par ce biais, le petit livre au format carré et à bout rond pour que le petit enfant ne se blesse pas, prend rencontre les modalités enfantines de représentation du monde. Pour l’enfant, tout est récit, chaque chose, chaque phénomène, chaque élément naturel entre dans une causalité magico-phénoméniste. Le pépin de pomme traverse tout un périple avant de se trouver en terre pour donner naissance à un pommier.

Tout différemment est rapportée l’histoire de la goutte d’eau. L’album part de la goutte du robinet, plonge dans les tuyauteries des eaux de pluie, pour se retrouver dans le fleuve, dans la mer, dans le nuage, avant d’être libérée en pluie. Ici, contrairement au précédent album, l’album part de l’observation enfantine pour se déplier vers l’univers naturel.

La Grande aventure est sans nul doute une collection à suivre…

 

BILLET Marion, Mes Animaux à attraper, Tourbillon, 2022, 6 p. 14€90

Il s’agit aussi d’un livre en tissu avec du papier crissant dans les éléments, ce qui ne manque pas d’intriguer l’enfant, de stimuler sa curiosité, de le conduire sur la voie de connaissances nouvelles grâce au dialogue avec l’adulte ou avec un enfant plus âgé. Chaque page présente des éléments qui dépassent (queue, oreilles, pattes) poussant le petit à manipuler la page et donc à joindre une action tactile voire gustative à la manipulation de mots. Chat, renard, toucan, cochon, lapin, poisson, crocodile, voilà qui fait du livre-tissu un imagier propice à l’acquisition du vocabulaire, même si, comme dans de nombreux imagiers, le mot réfère à une image et non à l’animal lui-même. C’est une nouvelle belle édition de Tourbillon pour les tout-petits.

Philippe Geneste

 

02/07/2023

Dans l’étoffe littéraire, quelques fenêtres magiques

FOZ Véronique, Un éléphant dans un chapeau, illustrations BARROUX, MØtus, 2023, 44 p. 16€

Voici un formidable album qui prend au sérieux la mentalité enfantine dans son développement. La pensée magique domine chez les enfants, – de 4 à 8/9 ans approximativement, car cela varie selon les enfants –, qui considèrent « comme appartenant aux choses et comme émanant des choses ce qui résulte de [leur] activité propre » (1). Pierrot, le petit héros de l’album de Foz et Barroux, applique la leçon apprise de son père : pour réaliser un tour de magie, « Tout est dans la concentration ». Il suffit de quelques circonstances opportunes, de coïncidences inouïes, pour que la croyance enfantine à la magie s’accomplisse. Et Pierrot y croit et non seulement y croit mais veut persuader sa sœur d’y croire, aussi. Il s’agit pour lui de vivre dans le monde réel et donc de se situer soi-même comme créateur, provocateur, inspirateur des choses et des actes. Afin que la narration adhère à la thématique, le narrateur est l’enfant lui-même. Le lectorat partage ainsi l’égocentrisme enfantin (au sens piagétien),

Parallèlement à cette thématique qui ouvre grandes les fenêtres de l’humour, du sourire et du rire, l’album repose aussi sur le rapport de l’enfant à la disparition du père, disparition dont les lectrices et lecteurs ne sauront rien, pas plus que l’enfant dont l’attitude magique perpétue le geste enfoui d’une présence à jamais absentée. Les illustrations sobres et pourtant parsemées de détails d’ombres, de couleurs pâles fracassées par des explosions de rouge, et le dessin jouant des traits, conjuguant irréalisme et naïveté étudiée, les unes et les autres servis par un grand format sont autant d’acclimatation de l’univers du livre à l’imaginaire enfantin.

Si l’album présente avec fluidité compositrice l’articulation entre le respect de l’âge du lectorat auquel le livre s’adresse et, introduite par le concret de l’histoire, une réflexion sur la notion de disparition et sur l’absence d’un être cher. Quant aux langage, écriture et dessin, ils sont les modes sémiologiques par excellence de l’histoire qui se raconte…

Philippe Geneste

(1) Voir la magnifique étude de Jean Piaget, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, PUF, 1981 (réédition 2017), 335 p. – p.131. Voir aussi le blog consacré à ce sujet sur https://www.lesart-psychomecanique.fr/

 

JALIBERT Maria, Le Petit Poucet, À pas de loups, 2023, 48 p. 16€

Voici un conte classique de Perrault, adapté pour le très jeune public, suivant la succession identique des thèmes du texte de Perrault : la famille unie et pauvre, la famine qui frappe à deux reprises, l’épreuve de la forêt, le chemin retrouvé, nouvelle épreuve de la forêt, chez l’ogre et l’ogresse, la fuite, le retour et la fortune. Cette adaptation est aussi une transposition du genre du conte au genre de l’album. Le texte de Perrault –ou hypotexte– subit plusieurs modifications : le petit poucet, s’il est bien le plus jeune des sept enfants et s’il se distingue par sa taille naine, est un petit canard ; l’ogre, l’ogresse et leur progéniture sont un rat et des rates. L’autrice intègre immédiatement un élément d’intertextualité, le petit canard endosse en effet, le rôle du vilain petit canard de la fratrie. Le Petit Poucet de Maria Jalibert propose donc une version du conte qui mâtine Perrault d’Andersen.

Un autre effet de l’adaptation est de réduire le conte à sa trame dramaturgique, dont le motif central des enfants (canetons) perdus dans la forêt. Cette réduction ne se fait pas sans liberté grande de la part de l’autrice. En effet, si elle conserve de Perrault la situation misérable de la famille, elle ne représente pas les parents comme des imprévoyants mais comme des victimes de la pauvreté. D’ailleurs, les images les montrent dans un rapport d’empathie avec les enfants et ne souligne pas leur impéritie parentale ni le fait, présent chez Perrault, des préférences pour tel enfant. L’album de Jalibert serait alors un conte du drame de la faim (la rédaction de Perrault garde la mémoire de la famine de 1694/1695), sujet ô combien actuel !  

Les images sont des photographies de scènes réalisées avec des Playmobil et autres jouets réservés à la petite enfance. Les figurines et les objets sont donc familiers aux enfants à qui on va lire et montrer l’album ou qui, plus tard, le feuilletteront par eux-mêmes. Cette proximité crée une complicité pour une meilleure entrée dans la lecture, pour une invitation astucieuse à la lecture. Le montage photographique est aussi utilisé dans les scènes du merveilleux avec la botte de sept lieues. Ces images renforcent le motif de la forêt profonde de par les couleurs soutenues, les contrastes dans le sombre des teintes qui laisse penser que la créatrice a utilisé des filtres. Or, ce choix alimente l’atmosphère de l’angoisse ressentie par les canetons. Certaines images, comme celle de la page 18, s’inspirent du texte de Perrault inscrit dans l’album par le trait iconique et pourtant absent du texte de la page en vis-à-vis : Parlant de la préparation du festin, le conte originel (hypotexte de l’album) fait état d’enfants à mortifier et à habiller (c’est-à-dire à préparer pour la cuisson), c’est très exactement ce que montre l’image… Bien sûr, l’enfant lecteur ou lectrice n’en saura rien, mais c’est une richesse intertextuelle supplémentaire qui donne une étoffe littéraire au livre de Jalibert et rien n’empêchera, plus tard, quand l’enfant grandi aura connaissance du conte de Perrault, de revenir sur l’album pour une lecture érudite. N’est-ce pas une richesse du genre de l’album que de permettre ce genre de relecture, sinon, parfois, quand l’intertextualité est abondante, de la susciter ? 

Si on articule le texte et l’image, on voit que l’autrice n’a pas intégré l’humour présent chez Perrault et a préféré mettre l’accent et de manière très insistante sur l’ingéniosité du Petit Poucet. De plus, à aucun moment, contrairement au conte de l’hypotexte, le Petit Poucet est moqué pour sa petitesse et il n’est pas le souffre-douleur de la maison. Or, la morale du conte de Perrault portait sur ce thème : « On ne s’afflige point d’avoir beaucoup d’enfants (…) / Mais l’un d’eux est faible ou ne dit mot, / On le méprise, on le raille, on le pille… ». Les oiseaux, qui permettent aux parents de perdre les enfants en mangeant les miettes de pain que le rusé Poucet avait laissé pour baliser le chemin parcouru, sont représentés par un spécimen noir comme un rat, c’est-à-dire comme l’ogre, ce qui n’est pas le cas dans le conte. Enfin, les bottes de sept lieues sont ramenées à une unique botte et elle est identifiée à un véhicule spatial. L’adaptation joue sur le merveilleux, tout en y demeurant. Enfin, la fin du conte de Perrault fait l’éloge de la fonction d’intercesseur du bonheur à laquelle le Petit Poucet va devoir sa reconnaissance dans la société de sa fortune. Plus prosaïque, la fin du conte de Jalibert fait l’éloge de la même fonction qui s’exerce auprès de la famille pauvre : « une nouvelle vie peut commencer ».

Philippe Geneste

NB Les accompagnatrices et accompagnateurs de la lecture enfantine se reporteront avec bénéfice à Soriano, Marc, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Paris, Gallimard, 1996, 525 p. (1ère éd. 1968) et Saintyves, Pierre, Les contes de Perrault et les récits parallèles (leurs origines). En marge de la légende dorée, songes, miracles et survivances. Les reliques et les images légendaires, édition établie par Francis Lacassin, Paris, Robert Laffont, 1987, 1192 p.