Anachroniques

06/08/2009

Joyce Carol Oates en jeunesse


Entretien avec une lectrice


Joyce Carol Oates, Sexy, traduit de l’américain par Diane Ménard, Gallimard, collection Scripto, 2008, 223p. 9€ (12-16 ans)



Le livre met-il en scène des héroïnes ?


Annie Mas : le héros principal est un jeune garçon de 16 ans. Les figures féminines sont son amie de collège, Molly, et, à la fin une jeune étudiante, Gill, grâce à qui il va sortir de l’impasse où l’avait mis sa relation avec son professeur d’Anglais M. Tracy qui le convoitait sexuellement.

Donc c’est plutôt un livre sur l’homosexualité ?

Annie Mas : non. Le thème principal c’est la rumeur. Darren qui trouve des réponses à ses questionnements à la piscine ; parce qu’à l’école, il a du mal. De plus il appartient à un milieu populaire contrairement à ses camarades de classe. Mais c’est à la piscine que M. Tracy vient le voir. Le trouble s’installera quand il obtiendra une très bonne note pour un devoir, comme d’habitude, assez moyen. Et cette note va installer une rumeur sur la relation sexuelle entre l’enseignant homosexuel et Darren. Or, il n’y a rien entre eux Darren l’ayant refusé et M. Tracy l’ayant respecté. Tracy se suicidera sous l’effet de la rumeur. Darren va aller contre la rumeur en rendant hommage à cet enseignant ce qui va alourdir les jugements à son encontre.

Est-ce que le héros est lancé dans le monde à cause d'une rupture avec sa famille ?


Annie Mas : non, mais il y a rupture avec la morale bourgeoise qui l’emprisonne. Quand il dédie sa victoire en natation à Tracy, la rupture avec les bienséances sociales est explicite ; comme est explicite l’affirmation de soi.

Son apprentissage de la vie est-il lié à un apprentissage amoureux ?


Annie Mas : oui. Il se pose beaucoup de questions sur lui-même. Il est très beau, il va échapper aux sentiments de Tracy, à ceux de son amie Molly et va se trouver quand il rencontrera l’étudiante au même moment où il affrontera les camarades de classe porteurs de la rumeur et avec qui il se battra.

Les personnages sont-ils confrontés à la crise sociale ?


Annie Mas : Non, mais, en revanche, la condition sociale modeste des parents du héros pèse sur la vie de ce dernier. Par exemple, il va partir à l’université grâce à la bourse obtenu par le sport, donc grâce au corps alors que les autres élèves n’ont pas ces problèmes. .

Où se situe la véritable expérience d’une découverte de soi, d’une connaissance de soi ?


Annie Mas : Darren ne trouve pas de réponse dans le monde des adultes. Aucune réponse à son angoisse existentielle. Il s’épanouit quand il prend la défense de Tracy, osant braver la rumeur. Qu’à la fin du livre il fasse l’amour avec Gill, alors qu’il est mis en quarantaine par ses pairs, est le signe définitif de sa connaissance de soi. Mais c’est bien quand il rend hommage au professeur homosexuel, lui qui n’est pas homosexuel, qu’il se trouve : être soi c’est affirmer ce qu’on pense et révéler aux autres le non dit de leurs obsessions. En effet, ce sont les autres, les voyeurs de la rumeur, qui sont obsédés par le sexe car lui, Darren, ne se pose pas de question quand à une attirance envers Tracy, il n’en a pas. Mais Tracy l’a respecté et lui va le respecter post mortem. On peut dire que se connaître c’est se confronter jusqu’à s’affronter si nécessaire.

L'adulte est-il présenté comme empêtré dans ses problèmes, trop emporté par le remodelage des cadres conservateurs des rapports de couple ?


Annie Mas : Tracy étouffe dans le cadre de l’idéologie conservatrice du couple hétérosexuel ; Darren étouffe sous les injonctions de réussite de ses parents. Le monde adulte est vu comme un univers oppressif et les jeunes gens se coulent dans le même univers. En fait, il n’y a que l’univers des valeurs sociales (ce à quoi renvoient, obligatoirement, les adultes) qui prévaut.

Le roman fait-il une part à l’histoire de notre temps ou bien les héros vivent-ils dans un isolement psychologique par rapport aux interventions de l'histoire immédiate ?


Annie Mas : l’histoire se passe aux USA, elle pourrait se passer en Europe. Bref, on est dans le milieu petit bourgeois de l’occident. Mais nulle prétention historique, ici.

Sommes-nous dans une narration individualisé, subjective d’une héroïne ou d’un héros ou bien sommes-nous dans une narration à la troisième personne ?


Annie Mas : C’est écrit à la troisième personne, mais, comme dans ses récits adultes, Oates, plonge dans la psychologie des personnages et notamment dans celle de Darren. Le discours indirect libre est très présent. Oates joue de cette ambiguïté. On entre ainsi à l’intérieur des questionnements de Darren et c’est son cheminement intérieur qui va faire événement.

Est-ce que comme ailleurs dans la littérature de jeunesse, on cherche à ce que le lecteur s’identifie au héros ?


Annie Mas : on peut dire que oui : un collégien de 16 ans est démuni face au regard des autres, adultes ou pairs. Mais il faut ajouter que ce livre pour la jeunesse peut très bien être lu par des adultes.


Propos recueillis par Philippe Geneste le 6/08/09

Annie Mas autrice de nombreuses chroniques de livres pour la jeunesse est membre fondatrice de la commission Lisez Jeunesse qui œuvre depuis plus de dix ans à la connaissance critique de l’actualité de ce secteur éditorial.