Anachroniques

28/02/2016

Propédeutique à la lecture

Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Le Petit Chaperon rouge, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50 ; Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Les Trois Petits Cochons, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50
Les deux livres reposent sur un concept innovant où des pictogrammes signifient des personnages, des lieux, ou des actions. Un marque-page comprend la légende des différents pictogrammes, ce qui est une aide pour l’adulte qui invite l’enfant à se lancer, ensuite, seul dans la lecture. Par exemple, le ciseau représente le loup, le triangle rouge représente le petit chaperon.
Mais alors, qu’est-ce que lire ? A regarder procéder les enfants sur ces deux ouvrages, lire se définit comme un acte d’interprétation des images et de leurs relations à partir d’une identification des pictogrammes. Lire revient à mettre en relation, à de combiner des actions, des lieux et des personnages. Le truchement des pictogrammes installe la représentation au poste de commande de la lecture de fiction. Un personnage est une représentation. Quant aux images sur la page, l’enfant les interprète à sa façon, il s’amuse à raconter. La stylisation géométrique minimale ouvre l’imaginaire créatif. Et l’enfant, spontanément, touche, suit du doigt, désigne, montre, parfois stimulé par l’adulte. C’est durant cette période première de tâtonnement pour la mise en place de l’histoire que l’enfant est le plus actif.
Chaque conte initial est décomposé en 32 séquences qui sont notifiées au dos du marque page. Le livre comprend donc autant de pages que de séquences. Bien sûr, destiné à des enfants d’âge de l’école maternelle, on présuppose l’accompagnement d’un adulte, juste pour étayer la lecture. La stylisation des pictogrammes oblige l’enfant à faire entendre sa voix dans la voix traditionnelle du conte. Généralement, l’enfant connaît le conte. Il sera intéressant, à l’avenir, d’appliquer ce même procéder d’écriture pictogrammatique d’un conte à des histoires non connues des enfants. Car, ici, on s’assure la connaissance préalable par l’enfant du conte classique. La démarche créative s’en trouve moins ouverte, centrée –et c’est déjà une richesse précieuse– sur la liberté de raconter. Avec un conte inconnu, on passerait de la liberté dans la modalité du racontage (de la narration) à la liberté dans la modalité de représentation des événements qui font l’histoire (diégèse).
Mais interrogeons, encore, notre observation des enfants racontant un conte avec un tel livre. La signification de l’histoire ne se révèle que par le discours enfantin. Ce discours se construit sur la relation des doigts et de l’œil en mouvement avec la page et les pictogrammes qui y sont figurés. Seule la cohérence de ce discours construit la signification du livre. L’enfant reprend dans une trame discursive parfois buissonnière la trace des contes anciens lus ou racontés par l’adulte. En même temps, il découvre d’autres savoirs parce que d’autres événements lui viennent à l’esprit, suggérés par l’interprétation en cours. La lecture s’élargit, alors par l’accomplissement de l’interprétation donnée qui s’avère être une interprétation recherchée. Et l’enfant trouve une satisfaction dans cet acte de sensification, terme de J.P. Lepri qui signifie la mise en sens du texte, ici de l’album. L’enfant ne répète pas l’histoire entendue, il la re-produit, la ré-invente si on veut. Par cette action de lecture, l’enfant affermit le mécanisme de la lecture qui, nous le voyons, exige et le sens à trouver et la cohérence du sens à suivre. Il devient ainsi malaisé pour l’enfant de discourir, de raconter, se raconter l’histoire, sans mettre en relation toutes les pages ; Ce qui exige ce lien, c’est le discours qu’il tient, qu’il se tient.  
Contrairement aux albums ancrés sur l’illustration fictionnelle ou réaliste, ici, plus que l’œil qui observe, c’est l’imagination qui invente. L’imagination est suscitée, elle n’est pas sollicitée. Elle construit le sens. 

Philippe Geneste

21/02/2016

En toute simplicité : l’enfance

Dedola, Rossana, - Le Conte de ma vie.  Entretiens avec Roberto Innocenti, Gallimard, 2015, 128 p. 17€50
Cette série d'entretiens composent une biographie de l’illustrateur italien, Roberto Innocenti, par lui-même. C’est un volume vivant, qui permet d’entrer dans le monde de l’illustration et donc des éditeurs pour la jeunesse, en Italie, mais aussi à l’étranger, Innocenti ayant cette particularité d’avoir été surtout publié à l’étranger, souvent avant même la parution des ouvrages dans son pays.
Inocenti interroge la vie et excelle à se mettre dans sa peau d’enfant. Par exemple, rappelant que, durant la seconde guerre mondiale, certains écoutaient la radio officielle fasciste quand d’autres écoutaient radio Londres, il se demandait qui était patriote, alors ? Il ajoute  qu’aujourd’hui, « tous se prétendent patriotes. Ils me font rire : pourquoi aiment-ils leur patrie ? Depuis quand ? Pour toujours ? A quelles conditions ? » (p.16). L’illustrateur aime l’enfance parce qu’elle s’étonne, parce qu’elle accepte le nouveau et le juge en l’éprouvant. Le parcours de l’artiste le porte vers cet univers où ne règne nulle nostalgie mais la volonté de vivre. Il faut comprendre « qu’on peut regarder quelque chose sans chercher de message, quelque chose qui existe pour vous tenir compagnie et basta. Vive l’oisiveté, vive l’ennui ! Ennuyez-vous donc, ne vous agitez pas ! Paressez ! Lisez un bon livre, et ne regardez pas la télé ! » (p.95). L’enfant interroge le mystère de la vie et la peur l’accompagne naturellement : « les enfants aiment la peur, tout comme les ténèbres, le mystère, le noir, le froid, le danger aussi, tout ce que l’on aime beaucoup entendre raconter parce qu’ils sont l’attente d’un salut qui arrivera le jour d’après » (p.23). C’est que, « les enfants ne sont pas surchargés de tristesse, de souvenirs, de soucis, de stress. Ils ont l’esprit libre, donc ouvert, si vous les mettez devant une chose compliquée, ils s’amusent énormément à la démonter pour essayer de la comprendre » (p.97). C’est pourquoi on peut proposer aux enfants autre chose que des histoires à fin heureuse, qu’on peut aborder le thème « de la mort, de la guerre, de la violence contre les faibles » (p.100). Pensons à Rose blanche, à La Petite fille en rouge.
S’il sait mettre en scène les gens simples, c’est parce qu’il aime le peuple, sans le glorifier ni le magnifier. Il a lui-même été apprenti mécanicien avant de multiplier les postes dans l’édition, l’illustration et le travail pour les revues. A dix-neuf ans, il travaille dans les studios de dessins animés, puis il sera graphiste, publiciste pour des magazines de luxe, affichiste pour le cinéma et le théâtre, souvent en situation de précarité, surtout qu’il est catalogué de communiste. Embauché par les studios Noorda, conscients, eux, que l’art graphique est une science, il va développer son art. On est dans les années 1968/1970, Innocenti multiplie les projets et découvre les albums de jeunesse étrangers, où la qualité des illustrations lui indique une nouvelle voie à suivre. Il va en garder, en revanche, une science du regard. Ecoutons-le : « L’important [pour faire une image] est la place de l’objectif d’une caméra imaginaire, c’est-à-dire l’endroit où l’illustrateur positionne le regard du lecteur, comme c’est le cas pour le spectateur au cinéma. Je peux le mettre au ras du sol ou bien je peux lui faire prendre de la hauteur pour lui montrer un vaste horizon, lui permettre de dominer la scène. Il faut vaincre les deux dimensions de la feuille, tout comme le réalisateur doit vaincre la platitude de l’écran » (p.106).
Profondément impliqué dans le quotidien, il ne va pas suivre la voie de la peinture abstraite car c’est « une chose étudiée, intelligente, mais calculer à froid ne me disait rien, ça me semblait dépourvu de toute humanité » (34). Il préfère le réalisme car le détail permet d’actualiser la fiction en la renvoyant, parfois, au réel immédiat. C’est La Maison avec les anecdotes de l’année évoquée qui peuvent être racontées par un adulte à l’enfant. De plus, le dessin permet d’aborder des sujets délicats avec les enfants, plus directement que ne peut le faire l’écriture. Innocenti insiste, aussi, sur le fait que « Pour faire un livre, il faut toujours une idée fondatrice. Tout livre doit avoir une raison de naître » (p.72). On s’explique alors la parcimonie des productions de l’artiste et on comprend mieux le travail monumental sous-jacent à chacune des créations, soit personnelles soit en illustration de l’œuvre d’un auteur ou d’un classique. La gourmandise rigoureuse des détails vient aussi de cette conviction confirmée par ce que nous savons du développement mental de l’enfant : « Il n’y a pas ce besoin de simplifier. La simplicité est une chose, et la simplification une autre, que l’on impose au monde qui existe » (p.97). La présence de détails, de plus, ouvre le récit à une multitude d’interprétations, ou mieux de questionnements de l’œuvre lue. C’est un apport considérable de l’image pour l’action de lire et l’introduction des enfants et des jeunes dans la lecture. De plus, voir « ce paysage, cette publicité, cette circulation, cette pollution, cette violence, cette laideur, [les] enfants baignent dedans quotidiennement » (p.115) ; rien ne sert de la nier quand on passe à la représentation artistique, mieux vaut entraîner l’enfant à la voir, à y réfléchir, à la mettre à distance. Taire les choses ne met pas à distance ; ça conforte leur imprégnation dans les esprits, ça les classe dans la normalité. L’art doit interroger le normal, questionner les évidences. .
La littérature de jeunesse va l’accueillir à bras ouverts, enfin, les éditeurs étrangers, car l’ostracisme règne à son encontre dans son pays. Innocenti caractérise l’illustration du livre de jeunesse comme « le seul espace qui reste à ceux qui veulent raconter et communiquer en dessinant » (p.117).Le récit est inhérent à l’image semble-t-il. A l’écouter parler des différents albums, on prend conscience de ce qu’il exprime lui-même ainsi : « illustrer, pour moi, c’est une façon de raconter », « concevoir un livre original c’est comme entreprendre un voyage sans suivre une route balisée » (p.93). Et on pense à L’Auberge de nulle part, comme récit, aussi, de la démarche créative en général. 
Philippe Geneste
NB : Plusieurs de ses ouvrages ont été réédités chez Gallimard Jeunesse :
La Maison, J. Patrick Lewis / Roberto Innocenti, Collection Albums Gallimard Jeunesse / Réédition le 5 novembre 2015 http://www.gallimard-jeunesse.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Albums-Gallimard-Jeunesse/La-Maison - Les aventures de Pinocchio, Carlo Collodi / Roberto Innocenti, Collection Albums Junior / Réédition le 29 octobre 2015 http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Albums-Junior/Les-aventures-de-Pinocchio  - Un chant de noël, Charles Dickens / Robert Innocenti, Collection Albums Junior / Réédition le 29 octobre 2015 http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Albums-Junior/Un-chant-de-Noel


14/02/2016

Le racontage, entrée naturelle dans les récits

contes et légendes
Andersen Hans Christian, La petite Sirène, lu par Marie Tirmont, Gallimard,  2013 CD 1h15, 12€90
Marie Tirmont qui lit le texte si connu d’Andersen permet d’apprécier le style de l’auteur qui cherche à dévitaliser l'univers mythologique. Dans une quête toute spirituelle de l’âme éternelle, la petite sirène cherche à connaître le monde humain. La référence religieuse explique probablement le succès éditorial de ce conte en ce que l'univers adulte chrétien y a vu une didactique du sentiment religieux. L'amour de l'homme ne vaut que par l’immortalité de l'âme qu'il procure au bon croyant. Si on croise cette interprétation avec celle de la lecture biographique, on verra, alors, dans la petite sirène, un symbole de l'échec amoureux en ce que l'amante, ici, est supplantée dans le cœur de l'aimé par celle qu'il croit être celle qui lui a redonné la vie mais qui n'est que celle qu'il a vu au moment de son réveil après le naufrage. L'amour ne serait, ainsi, que le fruit de l'illusion construite par les amants, une illusion cruelle puisqu'elle impose à l'amour le sceau de l'impossibilité. Au fond, l'écume en laquelle se transforme la petite sirène n'est-elle pas celle de l'évanescence des jours reconquis en pensée, loin des affres de la relation amoureuse ?

Morel Fabienne, Di Gilio Debora, Bouc cornu, biquette et ses biquets, illustrations de Nathalie Choux, Syros, 2014, 40 p. + CD 15’  18€90
Voici une version remaniée du Loup et les sept chevreaux. Les conteuses qui assurent la version audiophonique avec talent et truculence, ont choisi la fin heureuse du conte (le bouc noir et cornu, symbole du diable, est éventré durant son sommeil, les chevreaux échappent ainsi à leur prison temporaire, comme dans certaines versions allemandes du Petit Chaperon rouge, et c’est lui qui périt noyé dans une mare. L’accent est ainsi mis sur le renouvellement de la vie. L’interprétation est joyeuse, ce que renforce la présence de comptines italiennes, même si nous ne connaissons pas de versions italiennes anciennes du dit conte. Les conteuses ont aussi opté pour une version moralisante. Comme dans Le Loup et les sept chevreaux des frères Grimm, Morel et Di Gillo insistent sur le rôle d’éducatrice de la mère.

Du racontage
Petites histoires du père Castor pour endormir les petits, Père Castor, 2012, 128 p. + CD 1h30, 15€
Voici rassemblées dix-huit histoires classiques ou récentes pour accompagner l’endormissement des petits. Le CD MP3 reprend l’intégralité des textes des dix-huit histoires lues par des comédiens. C’est donc un ouvrage très riche que publie le Père Castor : il convoque plusieurs comédiens, plusieurs illustrateurs dans un livre à la couverture molletonnée aux coins arrondis.

Bichonnier, Henriette, Le Monstre poilu, lu par Francis Perrin, Pef et trois comédiens, 2014, Gallimard jeunesse, 1 CD – 1 heure, 12€90
Ce sont des textes pour les petits, autour de 5/6 ans. Le CD rassemble quatre contes drôles d’une facture assez classique, avec des rois et des sorcières, un monstre et des vilains, des coquins. Le monstre poilu fait partie de la liste du ministère de l’éducation nationale pour le cycle 2 de l’école primaire.

Petites histoires du Père Castor pour devenir plus grand, Père Castor – Flammarion, 2013, 128 p. + CD 1h30, 15€
Les seize histoires du livre sont lues intégralement par des comédiens sur le CD qui en comprend une dix-septième « le Grand voyage d’Oscar » de Sylvie Poillevé. Toutes ces histoires et leurs illustrations sont parues sous une forme ou une autre et c’et un florilège du Père Castor que propose la présente édition aux enfants de 3 à 7 ans. Il n’y a pas de thématique particulière, les récits animaliers côtoient les histoires poétiques ou des contes contemporains. La couverture molletonnée décorée de fer argenté et aux coins arrondis est très agréable au toucher. La variété du travail des illustrateurs assure à l’enfant de trouver son bonheur visuel autant que la variété des styles des écrivains certifie l’accroche des auditeurs ou lecteurs, auditrices ou lectrices. Pour notre part, nous soulignerons la présence d’un conte bulgare raconté donc adapté par Albena Ivanovitch, « Le Petit Loup qui se prenait pour un grand » qui est une petite merveille d’humour.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     
Joly Fanny, Cucu la praline, lu par Fanny Joly, Gallimard jeunesse, 2015, 1 CD – 1 heure, 12€90
Un auditoire d’enfants de 8 à 11 ans et c’est le succès assuré. Angèle Chambar, Machouillou, Chloé, Kévin Truffe, Victor, Jean-Maxime, le papa, Mémé Chambar, Ali l’épicier, la maman, traversent les trois parties chacune divisée en 4 chapitres de Cucu la praline. Identification, reconnaissance d’événements de la vie quotidienne, humour et sarcasme, mais aussi, tendresse, colère et dépit, parlent aux enfants de cet âge avec bonheur, dans un langage courant, sans vulgarité ni relâchement invraisemblable.

Récits documentaires
Dufrancatelle Corinne, Les Fêtes contées par Colinette, L’Harmattan, 2012, 63 p. + 1CD 12€
Les textes de Dufrancatelle content les fêtes : fête du nouvel an, fête des rois, la fête des amoureux, La Chandeleur, le poisson d’avril, la fête du lapin de Pâques, la fête des mères, celle des pères, la fête de Noël. Bien sûr, il ne s’agit pas de documentaires fiction mais bien de fiction. Les fêtes rythment seulement le recueil, prétextes à histoires pour les enfants de cinq à neuf ans. Le cédérom fait entendre la voix de Colinette, conteuse professionnelle et les musiques d’Alban Lepsy avec un extrait de la Flûte enchantée de Mozart. L’ensemble est humoristique, bien enlevé et fort agréable à l’écoute.

Philippe Geneste

07/02/2016

Et l’enfant qui rêve fait des rêves d’or *

Cazals Thierry, Demain les rêves, illustrations Daria Petrilli, mØtus, 2015, 40 p. 14€
L’album, genre majeur de la littérature destinée à la jeunesse, n’en finit pas d’élargir son champ d’exploration. Thierry Cazals et l’artiste Daria Petrilli abordent ainsi, frontalement, le thème de la crise et des drames humains que les licenciements ne cessent de générer. Loin des interprétations suffisantes des médias, la narration à la troisième personne plonge dans la réalité quotidienne. Agathe a perdu sa mère, ouvrière broyée par l’usine où elle travaillait, puis son père, victime d’un accident de travail, ces accidents tus de la violence patronale qui brisent des centaines de vies par an, puis. Elle vit avec son oncle Jean, qui va lui aussi connaître la mise à pied. Il se réfugie, alors, dans le silence honteux jusqu’à perdre un peu la tête. Pour réagir, l’enfant va susciter des solidarités d’actes. Et c’est un trait essentiel de Cazals d’éviter la condescendance ambiante et les sentiments dérivés du judéo-christianisme pour proposer une suite laïque à son récit. Dans ce monde ravagé par la dictature économique, Agathe, un ami ressuscité de l’apathie par un baiser sur le front dans un taudis ordinaire de l’arrière société, et l’oncle Jean tout à ses rêves vont faire un pied de nez à la machine de la gestion du chômage. Ils choisissent, en effet, de former une brigade d’action directe de l’écoute des fors intérieurs des travailleurEs de la cité. Ils n’y recueillent rien, mais y suscitent le retour d’un refoulé, celui de la vie autrement pensée, tout autrement à vivre. « La crise n’aime pas, oh non ! / elle n’aime pas ça, / les enfants qui rêvent ». Contre la chute des espoirs, contre l’aspiration par l’obscurité des impératifs économiques, les enfants gagnent les frondaisons des arbres, pour voir la vie humaine et contrer la vie économique des êtres. Une autre société pourrait se construire, loin de ce qui est présenté comme inéluctable, sans autre issue.
Nulle imprécation, ici, nulle fin euphorique. Les compositions de Daria Petrilli, flirtent avec le surréalisme comme avec le réalisme merveilleux, sans quitter la matité et le sombre. On y croise Magritte, on y croise Goya. L’usage probable de papier faisant transparaître les grains, emportent le récit dans une brume fantastique où les effets du collage dadaïste s’ajoutent à une dextérité inventive rare à partir de l’art numérique.
Philippe Geneste

* vers extrait de Victor Hugo, Les Djinns