Anachroniques

19/07/2020

L’internationale du conte II

Abarrou Jamâl, Lila et Amar. Contes berbères du Kif de la tribu d’Ayt Waryaghel, L’Harmattan, collection La légende des mondes, 2018, 179 p. 14€
Voici, une nouvelle fois, un très beau volume de la collection légende des mondes. L’auteur tient ces contes d’une conteuse qui les a recueillis de sa tradition familiale, géographiquement délimitée –ce dont rend compte le titre-. Ce sont des contes traditionnels qui circulaient donc parmi la population berbère de langue tamazight, au temps de la colonisation espagnole soutenue par la France entre 1921 et 1927. Ces contes berbères étaient transmis par les femmes. Ayt Waryaghel est le nom d’une tribu qui a tenu tête aux grandes puissances européennes.
Si l’exil est présent parmi les thématiques de l’ouvrage, celles-ci se rapprochent de celles de la mythologie que l’on rencontre partout dans le monde comme Lakhdira et Lakhdir qui est une version nouvelle du mythe de Cupidon et Psyché. Mais on rencontre aussi des motifs qui entrent en échos avec ceux des contes connus de ce côté-ci de la Méditerranée : « comment une fillette échappera-t-elle à un ogre maître d’école ? », « Pourquoi sept frères partent-ils en exil ? » Les contes sont traversés par des coutumes populaires comme l’épouillage, l’utilisation du moulin à bras, du brasero. Ils permettent au jeune lectorat de découvrir les us et coutumes des paysans berbères.
L’écriture de la transcription privilégie le dialogue. Un rythme ample crée une atmosphère qui confine, parfois, au sacré. Particularité de ces contes, ils ne sont pas systématiquement suivis d’une leçon morale.

tersis Nicole, Pikkivagitsaannaaq, la fugitive. Contes inuit du Groenland oriental, illustrations de Maëlle Toquin, bilingue français/inuit, L’Harmattan, collection la légende des mondes, 2019, 77 p. 12€
Ces contes ont été recueillis auprès d’un conteur groenlandais de Tasiilaq au Groenland oriental. Il parle le tunumiisut qui est la langue de 3600 personnes. Les saisons, comme dans toutes les traditions du conte, constituent une thématique privilégiée. On y rencontre aussi l’errance, l’exclusion, le mépris envers les femmes. Les personnages de l’ogre et de l’ogresse sont centraux. Le climat social représenté par les contes est rude et la musique y joue un rôle intégrateur autant que médicinal. Les personnages parcourent individuellement la contrée en kayak ou bien collectivement en umiak. Les ancêtres sont omniprésents sous la figure des esprits protecteurs, des revenants inquiétants avec une fonction centrale dévolue aux jeux du tambour. Des formules ouvrent et ferment chaque conte retranscrit en langue inuit et en français.

Mossadegh Nassereh, Hassani, le garçon qui disait toujours « Attends ! », illustrations Brice Follet, L’Harmattan, contes des 4 vents, 2019, 24 p. 10€
Ce conte d’Iran, en édition bilingue français-persan, bellement illustré par Brice Follet, illustre une leçon de morale qui clôt le livre : « il ne faut pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même ». L’enfant à qui on raconte l’histoire et qui sera fasciné par les dessins aux couleurs vives et par les traits fripons qui silhouettent le personnage principal, n’a aucun mal à s’identifier à Hassani. Ne retarde-t-il pas lui-même les injonctions parentales d’obligation sociale ? Le personnage de la grand-mère qui l’élève est une figure de l’impuissance de l’éducation jusqu’à ce que la situation se retourne en sa faveur à la toute fin du livre : elle sauve l’enfant grâce à son oncle et au message d’un corbeau. On est dans un merveilleux du quotidien, dans la joie de l’enfance insouciante.

Philippe Geneste

12/07/2020

L’internationale du conte

Gnazalé Dany-Laure, La Lune errante, illustrations de Maëlle Le Toquin, L’Harmattan, 2018, 24 p. 9€50
Ce conte issu de la tradition de Côte d’Ivoire, donne une explication de la présence changeante de la lune auprès des hommes. Les illustrations pleine page de Maëlle Le Toquin donnent vie en magnificence de joie au texte inventif de Dany-Laure Gnazalé.
Si la lune suit les hommes dans leur nuit, c’est à cause de l’amitié. Des étoiles de mer se sont dévouées pour que la terre puisse bénéficier de l’astre d’argent. C’est l’amitié qui a mené la lune à devenir le satellite de la Terre, et ceci afin de combler un désir des êtres humains. Quant aux étoiles, elles sont un scintillement au ciel des profondeurs marines.
Tout est harmonie dans ce conte pourtant en son départ si triste. Un très bel ouvrage qui repose sur une suite créative d’appropriations contemporaines de thématiques traditionnelles.

Kristofic Fabienne, Le jeune coq et la pièce d’or / Jenn kok-la épi pies lό-a, bilingue français / créole, illustrations de Sylvie Faur, L’Harmattan, 2019, 24 p. 9€50
L’autrice martiniquaise propose un conte traditionnel en version bilingue. Il est illustré avec humour et grande pertinence par Sylvie Faur. Le travail de composition des images et le jeu plein de sobriété des couleurs magnifient l’ouvrage.
Le conte fait découvrir à l’enfant toutes sortes de poules : djenm, rouges, blanches, noires, gingas, madas… La trame repose sur le parcours d’un jeune coq qui, ayant trouvé une pièce d’or, cherche à acheter à un vieux coq un poulailler sur lequel régner. Il va croiser sur sa route un cheval, un cabri, un cochon, un chien fer, un zébu. Arrivé au but de sa quête, il renoncera à son rêve de puissance pour repartir avec une poule qui lui demande de la libérer de « l’immense poulailler ». Ils partent alors ensemble en fonder un nouveau avec une autre poule cherchant elle aussi à fuir. Ce conte animalier, très rythmé, fait découvrir un aspect local de la culture martiniquaise.

Ramseyer Denis, Le Serpent et l’enfant gâté. Contes kouya de Côte d’Ivoire, L’Harmattan, 2019, 90 p. 12€
Voici un livre essentiel, à soutenir et à faire connaître. L’auteur, spécialiste de l’ethnie kouya, a recueilli des contes en cette langue de Côte d’Ivoire au cœur d’une tradition orale en voie de disparaître : « Dans peu de temps, ces récits disparaîtront, faute de transmetteurs ». Ces contes ont été traduits et sont des témoins d’une civilisation s’évanouissant. La langue kouya est parlée par  20 000 personnes dont le mode de vie périclite sous l’assaut des conflits armés qui ont anéantis le patrimoine kouya entre 2002 et 2010 et de la déforestation.
Comme c’est le cas pour nombre de ce qu’on nomme communément contes africains, le genre de ces récits s’apparente en fait à la fable. Sous les traits d’une histoire animalière, les textes narrent des événements relevés dans la quotidienneté de la vie humaine. La famine, par exemple, y est omniprésente
Plus fable que conte, chaque récit est court et se clôt par une morale explicitée ou implicitée, mais toujours présente. Cette morale relève des règles de vie, des mœurs et des rites de la société, tout autant qu’elle ponctue l’univers imaginaire (monde magique, croyances). C’est la différence avec le conte qui, lui, s’affranchit souvent de tout « fondement avec le réel ». La fable, elle, s’ancre dans les faits connus des auditeurs ou lecteurs.
Mais en langue kouya, le même mot, niné, recouvre les sens de ce que nous nommons proverbe, fable et conte. Aussi, quoiqu’il en soit de la définition que l’on retienne, la fable et le conte de tradition orale éduquent et divertissent tout à la fois. Ils déclinent « l’hospitalité, la serviabilité, la justice, la reconnaissance, la bonté, l’amour ou encore l’intelligence ». De plus, dans la tradition africaine, ils tissent une morale sociale d’intégration à l’univers adulte. Le symbolisme des animaux est souvent institué : « la colombe représente l’attachement amoureux, le renard la ruse, l’âne la stupidité, l’éléphant la force, le paon  la vanité, le lion la puissance, l’agneau représente l’innocence », la fourmi l’ardeur au travail, l’araignée l’égoïsme, la duperie, la méchanceté, la gloutonnerie, le mensonge.
Philippe Geneste

05/07/2020

Mon journal du confinement

Chercher à savoir ce que la littérature dit de la jeunesse, chercher à déconstruire les messages idéologiques qui drainent ce secteur éditorial, recueillir les avis, les opinions, les manières de concevoir les univers de la littérature qui ont cours chez le jeune lectorat, est une partie de la tâche pour qui veut rendre compte des univers mentaux propres aux enfants, aux adolescents et adolescentes. Pour approfondir cette fonction, lisezjeunessepg ouvre régulièrement ses colonnes à des jeunes auteurs ou autrices. Cette rubrique nous l’avons appelé juvenilia et nous la réservons aux jeunes proposant une approche du monde par l’écriture, par la poésie ou tout autre genre littéraire.

JOUR 1
J'ai trois poissons rouges.
Le premier s'appelle Le Transparent car c'est un mâle qui a le ventre blanc, on voit ses organes par transparence. Il a des yeux différents un noir et l'autre noir et blanc. Il a une tache rouge sur la tête. Malheureusement un petit problème de santé l’empêche de nager autant que les autres. Il s'agit d'un problème de vessie. Le Transparent se pose sur le sable.
Le second est aussi un mâle on l'appelle Le Petit Marron parce qu'il est marron sauf son ventre qui est jaune. Il a la particularité de foncer lorsqu'on éteint la lumière.
Le troisième est une femelle blanche et orange, on la nomme La Gloutonne parce qu'elle est plus grosse que les autres. Lors du repas, elle n'hésite pas à voler la nourriture de ses congénères.
Chacun de ces trois poissons rouges a une personnalité. Le Transparent, lorsque je mets mon doigt dans l'eau de l'aquarium, est toujours le premier à le toucher et La Gloutonne, elle, arrive tout de suite, espérant, je pense, récupérer de la nourriture. Le Marron, lui, est le plus sage ; il est le dernier à venir.

JOUR 2
Le matin, lorsque je me mets devant l'aquarium, ils arrivent vite, tous les trois.
Le Transparent et La Gloutonne ouvrent la bouche comme s'ils me criaient dessus. Ils montent, descendent, vivement, à droite et à gauche tout excités. Le Marron le fait aussi, mais moins énergiquement.
Lorsque nous mettons un nouvel élément de décor ou une nouvelle plante, le premier à venir explorer, c’est toujours Le Marron.
Le matin quand je m'approche de l'aquarium les trois m’accueillent en s'agitant devant moi espérant que je leur donne à manger. J’ai pu constater, en changeant plusieurs fois leurs nourritures, qu'ils préfèrent certains aliments à d’autres.

JOUR 3
J’ai essayé, de leur distribuer deux sortes de granulés de marques différentes. Ils ont préféré sans équivoque, les Goldpearlrs au Goldfish ; la qualité nutritionnelle étant pratiquement la même, j'en conclus qu'ils les ont préférés pour leur qualité gustative. Même constat pour la verdure : ils privilégient les petits pois et la laitue aux carottes et à la courgette.
Lorsqu’on leur donne les petits pois, ils se précipitent comme des fous, s'empiffrent en remplissant au maximum leurs bouches. Ils procèdent de même avec la laitue. Un jour La Gloutonne avait un gros morceau de feuille de laitue qui dépassait de sa bouche, j’ai eu très peur qu’elle ne s’étouffe, mais, finalement, elle a tout avalé.
Souvent, ils déterrent les plantes en tirant dessus, au niveau des racines et des feuilles. Ils en grignotent au passage, ça les amuse beaucoup, j’ai l’impression.  Mais nous, avec ma mère, un peu moins. Nous somme obligés de les replanter. A chaque fois que l'on ajoute de nouvelles plantes, ils fouillent autour des racines, tirent sur les feuilles et finissent par les déplanter.

JOUR 4
Dans la journée, les trois sont parfois immobiles ; on a alors présumé qu’ils faisaient la sieste. Le soir venu, ils ne bougent toujours pas, ils dorment. Le Transparent se positionne sur le sable et les deux autres se mettent à proximité de lui. Le fait qu'ils soient toujours ensemble montre que les poissons sont très sociables.
Lorsque nous les avons changés d'aquarium quelques semaines après leur arrivée, mi-août 2019, nous les avons transféré d'un aquarium de 20 à 80 litres à l'aide d'une épuisette. Cela à été particulièrement stressant pour eux. Ils se sont réfugiés dans un premier temps sous le filtre, sans s'alimenter. Quelques jours plus tard Le Marron a été le premier à explorer le nouvel aquarium, suivi ensuite des deux autres.
Ils recommencèrent alors à se nourrir.
La découverte de leur nouvel espace de vie a été progressive. Une Coquille Saint-Jacques leur servant de nouveau refuge.

JOUR 5
Chaque  matin après la distribution de leur nourriture, ils mangent puis ils fouillent le sable sur toute la surface de l'aquarium à la  recherche de restes. Ils absorbent alors du sable, ils trient ce qui est comestible et recrachent le non comestible.
J'aime bien les observer nager. Suivant l'endroit où ils veulent aller ils utilisent des nageoires différentes. Par exemple quand ils se déplacent vite, ils  mettent à profit la nageoire dorsale qui est totalement aplatie ainsi que la nageoire caudale.
Lorsqu'ils s'immobilisent, pour se maintenir sur place, ils se servent des nageoires pectorales. J'admire leur souplesse; parfois ils se déforment complètement, pour passer dans des endroits exigus.
Toutes les semaines, j’effectue le changement d'un tiers de l'eau de l’aquarium. Avec ma mère, nous allons la chercher, toutes les semaines, à la fontaine parce que l’eau du robinet contient du chlore et cela pourrait leur nuire.

JOUR 6
La nuit, lorsque les poissons dorment, les mélanoïdes sortent pour dévorer les algues qui se sont développées sur les décors, les vitres et les plantes. La journée, ils se cachent en s'enfouissant dans le sol. Ces escargots ont une forme spiralée avec des antennes. Le plus petit, qu'on ait observé, avait une taille de deux millimètres, et les plus grand deux centimètres. Ils se plaisent bien, je pense, car ils sont nombreux. En décembre on en a introduit dix et aujourd’hui, ils doivent être une trentaine.
On en retrouve partout, même dans des endroits improbables, comme dans le filtre. On en voit souvent à l’extrémité des feuilles des  plantes, qui ploient quelque fois, sous leur poids.
Quand je donne individuellement à manger à mes  poissons, ça m’arrive de toucher leurs écailles. C’est une drôle d’impression : mon doigt glisse dessus et quand je leur tends un morceau de laitue, je sens une résistance. C’est incroyable la force qu’ils ont à travers la bouche.

JOUR 7
Pendant le confinement, j'ai vu à deux reprises, les  mâles poursuivre la femelle, j’ai présumé que bientôt ce serait la période de frai. Quelques jours après, j’ai  alors trouvé un alevin de quelques millimètres caché dans le filtre. Pour que les autres poissons, ne le mangent pas, je l'ai placé dans l'aquarium de 20 litres. Je l’ai nommé Champion.
Les jours suivants, pendant le nettoyage hebdomadaire du filtre, j'ai eu la surprise de découvrir quatre petits nouveaux alevins. Nous les avons logés dans le petit aquarium.
Cela a été très compliqué de s'en occuper car ils sont extrêmement petits, ils ne font que quelques millimètres. Les trois premiers jours, Champion, dans son nouvel aquarium, était resté caché pour éviter, je pense les prédateurs.
Les cinq se baladent ensemble maintenant. Nous les nourrissons avec du jaune d’œuf, avec des mini flocons que l’on réduit en poudre. Il existe, dans la nature, toutes sortes de micro-organismes qui peuvent leur servir de nourriture. Ainsi, lors d’une ballade, j’ai récupéré des lentilles d’eau. Ont a retrouvé de minuscules petits escargots aquatiques qui vivent maintenant avec les alevins. Ce sont des escargots différents de l’autre aquarium ; eux sortent le jour, ils sont de la famille des planorbes.

Enzo Felicetti