Anachroniques

28/08/2011

Trois facettes du documentaire pour la jeunesse

Début septembre est un bon moment pour s’approprier le contenu d’ouvrages qui peuvent servir durant l’année scolaire tout en n’étant ni des livres d’école ni des livres para-scolaires. Nous en recommanderons trois :

Thinard Florence, Combres Elisabeth, Pourquoi la guerre ? Comment la paix ?, préface de Mémora Hinterman, Gallimard Jeunesse, 2010, 112p., 19€95 - à partir de 13 ans.
Propagande, commerce des armes, périodes de l’attente, celle des conflits, des négociations internationales, période de la reconstruction, vie des soldats, des populations civiles, détails sur le statut de réfugiés, sur les casques bleus, rôle et intervention des humanitaires, des journalistes. La partie « voir » propose 72 photos avec commentaires développés. La partie »comprendre » décortique les enjeux internationaux, nationaux économiques, historiques de quelques conflits et c’est, bien sûr, la partie la plus sujette à caution car le parti pris humanitaire empêche les auteures de porter leurs regards vers les conflits de classe à l’échelle nationale ou planétaire, et donc à biaiser avec la réalité des enjeux. Du coup, se trouve évacuée une bonne partie des causes de certains conflits. Enfin, la partie « Agir » donne des adresses, des pistes et des « solutions concrètes pour aider les jeunes à construire une paix durable pour demain » : là on est dans l’idéologie pure, où le parti pris individualiste vient faire croire aux enfants qu’ils ont un poids dans ces conflits. Il aurait fallu, pour cela, présenter et approfondir la notion de militantisme, livrer les différenciations entre l’engagement humanitaire et ses sources de financement et l’engagement politique et ses ressorts de solidarité. Le livre fait croire que la solidarité se décline par l’humanitaire. Or, ce qui s’est passé et se passe en Haïti nous montre combien cette entrée masque ce que nous appellerons par euphémisme un engagement rémunérateur. La solidarité a, un autre nom, l’internationalisme. On s’étonne que dans un ouvrage ayant une partie historique, cet aspect n’ait droit à aucun chapitre.
Ces critiques étant faites, le livre par sa belle composition et facture, l’abondance des informations qu’il contient est un ouvrage solide : mais qui préviendra l’enfant du parti pris des auteures ?

Thinard Florence, Combres Elisabeth, Les 1000 mots de l’info pour décrypter le l’actualité, illustrations et infographies par station OMD et Olivier Charbonnel, nouvelle édition mise à jour, La documentation française – Gallimard Jeunesse, 2010, 64 p., 21€ - à partir de 13 ans
Le sous-titre a changé, passant de pour mieux décrypter le discours de l’actualité à pour décrypter le l’actualité. Il y a une volonté de coller au réel et de prendre des distances avec les médias auquel le livre viendrait se substituer. Mais, bien sûr, c’est un discours sur l’actualité internationale, sociale, politique, économique, écologique, où on retrouve l’axe central des droits de l’homme et de la citoyenneté avec une volonté d’apparaître neutre en terme de classe sociale, ce qui reste un leurre : le livre ne part pas du point de vue des exploités pour rendre compte de l’actualité. Ceci étant dit, l’ouvrage est une somme d’une utilité certaine pour les jeunes. La maquette est particulièrement efficace, avec des explications fouillées. Par rapport à l’édition précédente, ce volume contient de nouvelles entrées, une dizaine si nous avons bien compté, une nouvelles rubriques thématiques (l’élection présidentielle), de nouveaux portraits. C’est un dictionnaire de l’actualité en France et dans le monde. Cela explique probablement son immense succès, mais un succès mérité. Tous les Centre de Documentation et d’Information doivent posséder au moins un exemplaire de l’ouvrage.

Bourreau Clara, Du Côté des impressionnistes. Journal de Pauline 1873-1874, Gallimard jeunesse, collection Mon Histoire, 2010, 121 p. 7€95 - 12/15 ans
L’histoire des arts ayant fait son entrée à l’école, avec une improvisation surprenante, l’ouvrage de Clara Bourreau –co-signataire de la série télévisuelle passée sur Canal + à la rentrée 2010 concernant cette période de la fin du dix-neuvième siècle– pourrait, le cas échéant rencontrer l’intérêt de certains élèves de quatrième et surtout de troisième. Pour écrire ce faux journal intime d’une fille de 14 ans, l’auteure s’est appuyée sur les richesses du musée d’Argenteuil. L’héroïne est née dans une famille bourgeoise. Elle aspire à devenir artiste. C’est ainsi, à travers elle et la vie de son frère et de son ami Léopold, étudiant aux Beaux-arts et dont elle est amoureuse, que l’ouvrage aborde un pan de l’histoire des arts. Son père est médecin et Monet chef de file des « indépendants » fait partie de sa clientèle. La jeune fille va se construire en opposition intellectuelle avec celui envers qui elle ressent des sentiments mais qui prône un art académique. Elle, au contraire, trouve intérêt à l’étrangeté des couleurs et des peintures de ce mouvement alors avant-gardiste qu’on allait appeler l’impressionnisme. Ainsi, apprentissage amoureux et apprentissage intellectuel pictural s’entremêlent.

Parfois, le documentaire inclus, par sa composition un élément de récit. Ainsi, le livre de Pinto Deborah, Mon Cirque à toucher, Milan, collection Docus à toucher, 2011, 16 p. 13€50. Les doubles pages imposent au lecteur accompagnateur de l’enfant de raconter ce qui se passe sur els images. Pourtant, le livre est bien conçu comme un documentaire. Ca se déplie, ça s’ouvre, on touche et la sensation varie d’une figure à l’autre. On suit des magiciens, des lions, des clowns, des acrobates etc. Mais ceci n’est pas un récit ni l’histoire d’un cirque. C’est un documentaire sur le cirque. Alors les vignettes sont accompagnées de définitions, de précisions, bref, une sorte d’imagier où des textes minuscules explicatifs auraient été substitués aux mots désignant les réalités représentées par les images. Ce lien qui s’impose pour la lecture entre récit et documentaire ne nous montre-t-il pas, comme nous l’avons déjà remarqué, que le documentaire pour els petits gagne à passer par la fiction.

D’autres fois, la fiction se fait documentaire. C’est le cas avec Smith Lane, C’est un livre, Gallimard jeunesse, 2011, 40 p. 11€.
Cet auteur-illustrateur américain use d’un trait naïf humoristique pour faire l’apologie du livre. La composition repose sur le dialogue entre un âne et un singe. L’âne utilise l’ordinateur, et interroge le singe qui lit un livre. De cette confrontation, apparaît d’abord la multiplicité des usages de l’ordinateur auxquels le livre ne donne aps accès mais dont il est aussi affranchi (code ‘accès, pseudo identifiant etc.). Peu à peu, l’âne se prend à l’histoire du livre, c’est celle de l’Île au trésor. On regrettera, peut-être que l’âne soit mis en position ridicule, stéréotypie bien mal venue pour cet animal. On s’interrogera, sûrement, sur le rapprochement, lui aussi stéréotypé, du singe et de l’homme. En revanche, l’historiette engage de riches débats avec les petits certes mais aussi avec les plus grands. Chaque mot est chargé d’humour et d’interrogations essentielles ; chaque trait, chaque détail de l’illustration porte la même charge de riche questionnement. Cet album est une contribution de la littérature de jeunesse en faveur du livre de papier ; c’est un manifeste pour une culture du temps, une culture qui mette de la distance avec l’agitation induite par l’usage des nouveaux médias et nouvelles technologies de l’information. C’est un livre contre la culture du clic ; un clin d’œil à une définition du récit comme réalité de durée et de chronologie imaginaires. L’imaginaire contre le virtuel, en quelque sorte.

Geneste Philippe

14/08/2011

Le surréalisme en littérature de jeunesse ?

David François, Le Garçon au cœur plein d’amour, illustrations de Stasys Eidrigevicius, Urville, éditions Motus, 2010, 32 p. 13€

pour tous les âges
Le récit de François David est, comme souvent chez cet auteur, assez proche de l’exercice de style savant et sensible à la fois. Il conte les pérégrinations de Tristan qui devient tout ce qu’il voit et aime. Dès lors s’installe le dialogue avec l’illustrateur lituanien Eidrigevicius (1949-) spécialiste des peintures de visages.
Le visage renvoie en miroir le monde où vit Tristan, comme il reflète ses désirs. Ses métamorphoses sont celles qui accompagnent toute quête d’identité qui se perdrait en identification aux icônes du moment. Les portraits racontent moins de choses qu’ils ne posent de questions sur Tristan, donc, par ricochet, sur le lecteur. François David, utilisant de-ci de-là des stéréotypes, invite ce dernier à s’interroger. Chaque double page est une perspective sur le rapport à soi autant qu’à l’autre : ni narcissisme ni personnalité diaphane poreuse aux autres, ni certitude de ses raisons ni certitude des raisons d’autrui, mais se poser face à face au monde, telle pourrait être une ligne de lecture du livre, comme on parle de lignes de la main. L’ouvrage est un chef d’œuvre et la dextérité graphique ne doit pas faire oublier l’intelligence du texte de cet auteur singulier et pénétrant qu’est François David.

Vinau Thomas, Du Sucre sur la tête, illustrations de Lisa Nanni, éditions Motus, 2011, 40 p. 11€
On est frappé, d’abord, dès qu’on ouvre l’album, par les illustrations froides mais colorées en teintes sombres avec un souci de faire ressortir les traits comme autant de veines de sens à suivre pour comprendre l’histoire qu’elles racontent autant qu’elles l’accompagnent. L’illustration est si forte qu’on pourrait être tenté de parler de livre d’image, mais ce serait oublier la visée narrative de l’œuvre.
Le texte de Vinau enchaîne des situations qui forment une allégorie de l’engluement de la planète dans ce qui va créer son propre étouffement. Le récit allégorique serait-il un pur message didactique ? Le lecteur est emporté par la recherche du sens. On s’appuie sur les illustrations surréalistes qui nous éconduisent dans la quête de raison pour nous indiquer la recherche d’un sens par analogie… Par ce procédé, le livre évite le didactisme. C’est la force du livre, c’est aussi, d’une certaine façon, sa faiblesse si on en fait un ouvrage destiné à la jeunesse.
Certes, l’éditeur mentionne que l’album s’adresse à tous les âges, bref, qu’il s’agit d’une œuvre à part entière qui prend le vecteur jeunesse parce que c’est celui qui laisse le plus largement ouverte la porte vers le lectorat. Mais ne peut-on pas se demander si un album qui s’adresse, entre autre à la jeunesse, peut se structurer dans son entièreté sur la métaphore ? En fait, il nous semble que pour aller au bout de notre interprétation, le livre relève de la poésie et qu’à ce moment-là, il n’y a plus de restriction à mettre à l’ouvrage. Qu’on ne nous dise pas que cette recherche de compréhension du genre propre à un ouvrage de jeunesse est une réduction de critique. En effet, c’est la question initiale à toute prise de parole et encore plus d’écriture.

Philippe Geneste

07/08/2011

De la dévoration… d’un conte

Lechermier Philippe, Dautremer Rebecca, Journal secret du Petit Poucet, Gautier-Languereau, 2009, 208 p., 20€ - à partir de 10 ans
Cet ouvrage est un chef d’œuvre. L’illustration de Dautremer plonge le lecteur dans un univers moyenâgeux alors que de nombreux détails se rattachent à l’époque contemporaine ou à celle du vingtième siècle. La multiplication des angles de vue, des plongées et contreplongées, le luxe des détails qui vient épouser la luxuriance des inventions textuelles, l’usage de l’énumération et de ses variantes, la liste et le baroquisme, tant dans l’illustration que dans le texte, obligent à des lectures multiples. Le choix du genre (le journal intime) est, à cette fin, judicieux.
Abracadabrantesque, le récit l’est par texte et illustration conjugués, qui empruntent la voie du surréalisme aussi bien que du merveilleux avec, partout, tout au long de ce fort volume, une pointe de nostalgie et de tristesse. Mais l’humour est toujours présent. Les auteurs n’hésitent pas à passer du coq à l’âne, à user du collage, à mélanger intériorité et extériorité. Si bien que l’univers du conte, ce nulle part en nul temps, s’invite sans crier gare ! Que ce soit l’usage des proverbes inventés, la moyenâgisation du vocabulaire, les craquelures de la peinture plagiant les toiles italiennes des quinzième et seizième siècles, tout concourt à entraîner le lecteur dans un monde à part, et ceci d’autant plus que le livre est épais, ce qui procure un effet d’envoûtement. Ajoutons que jouer ainsi du chant énumératif et du conte pour adulte, met en abyme l’histoire même du genre du conte, ce qui n’est pas sans magnifier l’œuvre.
L’amplification de l’histoire du Petit Poucet par ce journal secret, s’amuse avec la thématique de la dévoration. Le pays est en pleine famine, les héros sont affamés, la belle mère a pour caractère de thésauriser, un ogre rôde : bref, le livre multiplie les figures de la dévoration, père et mère indistinctement. Et si les enfants triomphent de ces figures infantiles de la gloutonnerie en même temps qu’ils délivrent le pays de la Grande Privation, c’est parce que le conte affirme la précellence de la raison sur l’irrationnel…
L’espace onirique (image) et l’espace sémantique (texte) se joignent pour afficher la compossibilité du règne de la raison et de la paix. Le petit Poucet qui possède la parole est le guide de ses frères. Langage et raison sont les alliés contre l’usage désordonné de la bouche. Le livre raconte l’incapacité des personnages à ingurgiter et ce, à l’intérieur d’une thématique dominée, culturellement (horizon d’attente créé par le titre comprenant le nom du Petit Poucet) par l’image de l’ogre donc de l’avalement. La résolution de cette contradiction, la régulation finale de la satisfaction de la faim, l’éradication au sein de la famille de la thésaurisation par la fuite de la marâtre, sont le moteur de l’histoire. La réalisation même de l’amour du Petit Poucet avec Maricrotte Marigoult en dépend. Il ne faut pas qu’ils soient obsédés de dévoration pour, leur bouche libérée, pouvoir se parler.

Philippe Geneste