Grandir dans et par l’Album
Davies Benji, Mia,
Milan , 2019,
32 p. 11€90
L’enfant impatient de grandir,
voilà le thème de cet album qui est conçu sur la peur de la dévoration autant
que sur le désir d’atteindre l’âge adulte. Dans ce parcours vers
l’indépendance, le plus petit têtard de la mare devra affronter bien des
dangers. Il y a d’abord l’art de déjouer les envies gloutonnes des prédateurs
et puis il y a, aussi, l’art de contrer les angoisses. Le chemin de
l’apprentissage passe par une expérience de la solitude qui fait sentir à Mia
combien on vit mal sans les autres. Grandir devient alors synonyme de se
rapprocher de l’autre et d’aller vers les autres. Symbolique, le récit s’achève
quand Mia sort de l’enclos aquatique de la mare et accède à l’air libre. Le
têtard est devenu grenouille parmi les grenouilles…
L’album abonde en variantes de
verts sur papier mat. Le lecteur partage ainsi, par la couleur, le milieu
sombre de la mare. Mais les personnages qui habitent cette dernière sont
croqués avec humour. Mia n’a rien d’un animal mythique, mais se présente dans
toute sa fragilité au cœur d’un univers hanté par les prédateurs. Grâce à ce
trait d’humour du dessin, pour l’enfant qui lit, la frayeur est ainsi mise à
distance. L’anthropocentrisme de ce têtard parlant est alors déjoué. Mia
n’est point un apologue moral, juste une histoire qui se finit par une image de
liberté : Mia bondit et s’évade du monde clos qui l’a vu naître et
grandir. Il n’y a pas, de la part de l’auteur, de recherche d’une
identification de l’enfant à la grenouille. Au contraire, la fin du récit l’en
sépare définitivement. La nature est rendue à elle-même et l’humain à sa
condition de lecteur qui peut méditer le parcours initiatique de Mia.
Grandir
dans la littérature classique
Nombreux sont les textes littéraires de
la littérature classique passés en éditions pour la jeunesse qui traitent du
thème du grandissement de la personne. « Un classique, au sens usuel du
terme », répondait le directeur de la collection “Folio junior Textes
classiques”, Jean-Philippe Vignot, « est une œuvre étudiée en classe »
(1).
(1) entretien paru dans la plaquette de
présentation de la collection datée de juillet 2009.
Brontë
Charlotte, Jane Eyre, traduit
de l’anglais par Dominique Jean, édition abrégée par Patricia Arrou-Vignod,
notes et carnet de lecture par Philippe Delpeuch, Gallimard, collection folio junior, 2016, 409 p. 5€50
Charlotte Brontë
(1816-1855) publie Jane Eyre en 1847. C’est un roman à
forte influence autobiographique, profondément mélodramatique, celui d’une
personnalité torturée par des élans de passion et le désir de ne point blesser
la vie d’autrui. Les sensations œuvrent à un rapport maladif au monde, et
l’univers de la folie s’y trouve enfermé, un peu comme l’est l’épouse de
Rochester dans sa propre demeure. Le roman de cette orpheline, domestique qui
devient femme indépendante et riche, trouve dans son héroïne un relief pour
échapper à une texture vieillie et réussir ainsi à saisir l’intérêt de jeunes
lectrices et lecteurs.
Balzac Honoré, Le Père
Goriot, texte abrégé par Patricia Arrou-Vignod,
notes et carnet de lecture par Philippe Delpeuch, Gallimard, collection folio junior, 2016, 219 p. 6€
Force est de reconnaître
que faire lire Balzac (1799-1850) aux élèves aujourd’hui n’est pas facile. Les
jeunes lecteurs sont rebutés par les longues descriptions, et surtout, manquent
de référence historiques comme littéraires pour trouver la saveur des textes du
romancier.
Le Père Goriot, paru en
1835, est une œuvre importante pour Balzac car elle signe le début d’un succès
croissant jusqu’à sa mort en 1850 et c’est par elle qu’il initie un classement
des romans qu’il écrit selon un plan de grande envergure de ce qu’il nommera La
Comédie Humaine. Tableau réaliste de la société française
du dix-neuvième siècle commençant, roman d’apprentissage à travers la figure
d’Eugène de Rastignac, Le Père Goriot est un chef d’œuvre du roman réaliste. La
version abrégée permet au jeune lectorat d’entrer dans l’œuvre avec facilité,
d’autant plus qu’un répertoire des personnages est placé à l’entrée de
l’édition. Le travail éditorial sérieux peut être interrogé, mais en tout cas,
il permet de faire vivre un roman par les jeunes générations.
Twain Mark, Les Aventures de Tom Sawyer, traduit
de l’anglais par François de Gaïl, illustrations de Claude Lapointe, collection
Folio Junior, Gallimard Jeunesse,
2008, 347 p. cat. 5
*Signalons la remarquable
édition parue en son temps dans la collection Chefs-d’œuvre universels de chez
Gallimard
C’est la traduction du mercure de
France de 1969 et les illustrations de chez Gallimard de 1981 qui sont reprises
pour ce roman picaresque, chef d’œuvre de la littérature universelle et chef
d’œuvre de la littérature de jeunesse avec l’inégalable Huckleberry Finn (1884).
Dans Les Aventures de Tom Sawyer
, Twain, de son vrai nom Samuel Langhorne Clemens (1835 – 1910), décrit son
village d’enfance, Hannibal, situé sur la rive gauche du Mississippi. Le roman
paraît en 1876 alors que Twain a fait fortune comme journaliste après avoir
pratiqué de nombreux métiers. Il destine sciemment l’ouvrage aux enfants sans
manquer d’en recommander la lecture aux parents. La page de préface écrite pour
accompagner la première édition souligne qu’il s’agit d’expériences vécues ou
authentiques dont le livre est tissé.
Le roman décrit une Amérique des années 1830/1840 et Twain
donne à l’écrivain la fonction d’être une mémoire des croyances et des
mentalités.
Geneste Philippe