Anachroniques

25/11/2018

Un livre jeu pédagogique de haute rigueur

Caro Florine, Les Trois Petits Cochons. Livre-jeu pédagogique, Tom Pousse 2018 coffret avec livret pédagogique, magnets, album, 80€
Ce coffret intéressera en particulier les professionnels qui travaillent avec des enfants présentant des troubles du spectre autistique : troubles de la communication ; troubles des interactions ; troubles du langage ; déficit du traitement des informations sensorielles ; manque d’accès « à la théorie de l’esprit » ; manque d’accès à l’implicite ; difficultés à se repérer dans l’espace et le temps ; des centres d’intérêt restreints et répétitifs ; troubles des fonctions exécutives (capacité à s’adapter au contexte).
Mais le coffret sera très utile aussi à ceux qui sont confrontés à des situations pédagogiques avec des enfants présentant des troubles associés. Enfin, les enseignants des grandes sections maternelles et du CP y trouveront aussi des ressources. C’est donc un outil pédagogique que nous recommandons à l’achat par les instituts médico-éducatifs, instituts médico-pédagogiques, les Sessad, les écoles et les institutions publiques ou associatives où viennent consulter des enfants à besoins éducatifs particuliers.
Le livret propose des exploitations pédagogiques bien composées et très détaillées, pour les enseignants en école maternelle, pour les éducateurs spécialisés. Les séances sont détaillées, le matériel décrit. Des séances pour éducation sensorielle sont également à l’ordre du jour.
On trouve un travail sur l’oral à partir d’une manipulation des magnets que l’on peut mener en petite section, moyenne section et grande section.
On trouve le détail d’un atelier dans le cadre des objectifs de communication et créativité en lien avec le Système de Communication par Echanges d’Images (PECS). L’atelier repose sur une expérimentation réalisée en Institut Médico-Pédagogique et en Institut Médico-éducatif accueillant des enfants de 4 à 20 ans ayant des troubles du spectre autistique et des enfants présentant une déficience intellectuelle moyenne à profonde avec ou sans troubles associés : discrimination de pictogrammes, travail sur la compréhension de l’histoire à travers leur utilisation, généralisation des compétences , développement de la créativité de l’enfant.
On trouve une exploitation pour des séances de petits groupes dans le cadre d’ateliers interdisciplinaires (« psycho-éducatif », « psychopédagogique », « pédagogico-éducatif » selon les objectifs fixés pour chaque enfant). Ces ateliers visent en particulier le travail sur les émotions et leurs diverses expressions, mais aussi le travail sur la temporalité (chronologie de l’histoire).
Enfin, le livret donne une analyse précieuse du matériel qu’il renferme et donne des pistes pour l’augmenter pour des visées spécifiques. Un véritable outil qui offre des prolongements numériques dont une version audio-phonique du conte.

Philippe Geneste

18/11/2018

Contre la servitude volontaire

Robberecht Thierry, Le rapport Timberlake, Mijade, collection J zone, Mijade, 2018, 126 p. 6€
« Il faut toujours s’indigner et se rebeller contre l’injustice »
page 139
Voici un ouvrage qui joue sur les frontières du réalisme et de la science-fiction. Suite à la collision entre la planète Terre et un astéroïde, des terriens ont fui sur Cyrus pour survivre, y installant un processus de colonisation. La planète Cyrus est ainsi administrée par le pouvoir central terrien qui y mène une véritable guerre civile.
Régulièrement, des cyrusiens migrent toutefois sur la terre, car les conditions de vie sont terribles sur la nouvelle planète. Au départ acceptés, ces migrants sont désormais refoulés par un pouvoir dictatorial qui se nourrit de xénophobie : « on ne peut pas accueillir toute la misère de l’Univers » (p.11). dit le président nommé le Boss, paraphrasant le ministre Rocard des années 1980/1990 en France. On suit une jeune migrante, séparée de ses parents, expulsée de Terre et qui se retrouve sur Cyrus. On reconnaît aisément un croisement entre l’actualité déchirante de notre monde contemporain et la thématique imprimée durablement dans la science fiction par les Chroniques martiennes de Bradbury. Mais il s’avèrera que les Cyrusiens sont les ancêtres des humains, ayant un corps seulement adapté au milieu hostile de Cyrus et son climat torride, une adaptation qui a abouti à les faire ressembler à de gros insectes vivant, pour les moins fortunés, dans des cactus géants. Se jouera alors une bataille scientifique, médiatique et politique contre le pouvoir, bataille menée par une organisation que la répression force à la clandestinité.. La résistance s’organise dans la ville rebelle de Galeda dans la Province du Nord de Cyrus qui refusé le contrôle télépathique du pouvoir central de la colonie. Le Veilleur, ainsi se nomme le pouvoir sur Cyrus, y enverra l’armée pour anéantir toute résistance présente et à venir. La problématique du pouvoir est ainsi associée à celle de la surveillance et de la guerre. Comment ne pas entendre en échos l’univers dystopique de La Servante écarlate d’Elisabeth Atwood ?
La métamorphose évolutive de l’humanité sur Cyrus permet à l’auteur de poser nettement la question de la place de l’hospitalité et donc de l’autre pour penser l’avenir historique. Elle repose aussi sur la fiabilité des discours des politiques et des scientifiques : le roman est ainsi un récit contre les fausses preuves et l’idéologie qui maintient en ordre des sociétés par la haine et l’intolérance. Le livre s’ouvre alors à la thématique de la non-violence sans en faire un vecteur de l’intrigue : « où que j’aille, je ne rencontrais que violence et guerre » (p.109). Cette thématique s’articule avec celle d’un darwinisme explicitement convoqué et appliqué à la vie extra-terrestre. Dès lors, les êtres humains finissent par choisir des comportements d’empathie. C’est par l’engagement militant pour d’autres rapports sociaux, que leur société  trouve, dans l’altruisme, l’énergie qui la réalise : « On ne règle rien en se soumettant » (p.46).
Ainsi, Le Rapport Timberlake, du nom du scientifique, lanceur d’alerte, qui a réuni les preuves anthropologiques et scientifiques de la nature humaine des cyrusiens, est un roman ancré dans le contemporain. La fin de l’histoire se dégage des dystopies qui pourtant servent de références et forment donc l’intertexte de l’œuvre. On peut y voir la conformité au secteur de la littérature de jeunesse qui abuse des fins heureuses. Mais ce serait une erreur. En effet, le choix narratif est cohérent avec la composition du livre qui promeut l’engagement politique des personnages contre les formes diverses de la servitude volontaire.

Philippe Geneste

11/11/2018

Du livre-objet et du livre d’activité à la pratique de la lecture

David François, Le bout du bout, illustrations d’Henri Galeron, mØtus, 2018, 15€50
mØtus est dans l’édition de la jeunesse, un protagoniste rare du livre-objet. La dernière parution n’est pas un livre dont on tourne les pages, il n’est pas un livre dont on déplie les pages, il n’est pas un livre accordéon même si on s’en approche, non, il est un tire-lire, un livre dont on tire les pages emboîtées les unes dans les autres. Et pour combler de plaisir le jeune lecteur, une fois les pages remisées les unes dans les autres, on recommence pour mieux apprécier les illustrations un rien pataphysiciennes d’Henri Galéron. La première histoire est d’abord et surtout l’histoire d’un tire-lire, soit un commentaire, facétieux François David, de l’acte même de lecture. Mais le plaisir de lire va encore s’augmenter parce qu’en retournant Le bout du bout on tombe sur Le bout du bout du bout en lieu et place d’une quatrième de couverture… Alors, on a compris, on va tirer, sauf que là, il y a une histoire de langue, une langue au chat appelle le travail d’illustration, une langue pendante de bavards invétérés. Et on tire et on tire, pour obtenir, ou espérer d’obtenir cinq minutes de silence. Et puis on remise la langue dans la gueule d’oiseau de laquelle elle sort. Et tout peut recommencer. Le bout du bout et Le bout du bout du bout ou Le bout du bout du bout et Le bout du bout sont un seul et même tire-lire, un tire-lire infini. Un livre-objet, on ne s’en sépare jamais, parce qu’un livre-objet défie l’âge quand défilent les pages.
Zucchelli-Romer Claire, Petit rond rouge devient grand, Milan, 2018 16 p. 13€90
Voici un nouveau livre d’activité de l’innovante Claire Zucchelli-Romer. Comme les précédents, il s’agit d’approfondir les capacités motrices de l’enfant par le livre et donc par la lecture, une lecture motrice pour les petits. Ici, la lecture se comprend comme un dialogue avec l’enfant car le livre ne prend toute sa dimension d’apprentissage que si une verbalisation accompagne la manipulation de l’enfant : pencher le livre, le tourner, le renverser et le retourner, le faire zigzaguer. Ce qui est travaillé, insciemment, bien sûr, c’est le mouvement d’approche et le mouvement d’éloignement, avec tout ce que ce mouvement comporte de significations affectives possibles pour l’enfant. Ce qui est mis en acte c’est le mouvement d’avant en arrière, de gauche à droite et vice versa.
Par les personnages qui bougent (carré bleu, triangle vert, losange orange, ovale violet) l’enfant se familiarise avec les couleurs et les formes, sans autre métalangage, juste par induction.
Sanders Allan, Mon ABC à jouer, Milan, 2018, 56 p. 14€90
Si le retour des discours sanctifiant le B.A.ba, discours émanant des soi-disant spécialistes cognitivistes payés par le ministre de l’éducation Nationale, relèvent d’une blanquérisation c’est-à-dire d’une régression de la conception de l’apprentissage, les parutions d’abécédaires qui s’égrènent dans les catalogues des éditeurs sont souvent une joie pour apprendre. Ce dernier venu, chez Milan, exige la présence de l’adulte. Il est conçu comme un livre de devinette pratique : où trouver dans un fouillis les objets mis dans la marge droite ou à l’intérieur de chaque double page accompagné par le mot qui le désigne.
Il y a un peu mélange des genres, entre l’abécédaire à proprement parler qui ne concerne que les thèmes-titres de chaque double page et l’imagier (les mots accompagnés de leur image en plus petit à l’intérieur de la double page). On peut penser que ce mélange est contre-productif en termes d’apprentissage de l’alphabet. En revanche le livre plaît aux enfants qui jouent à rechercher les mots-objets imagés.
Deneux Xavier, Brique à brique, Milan, 2018, 56 p. 15€90
Si nous ne mentionnons pas le nombre de pages de ce livre, c’est parce qu’il s’agit d’un livre puzzle qui rend compte de la fabrication d’une maison. C’est donc l’histoire d’un chantier jusqu’au foyer achevé. Le tout, dans l’ordre des pages à voir, constitue ainsi une histoire. C’est une belle réalisation qui convient aux enfants petits, et qui invite les petites mains à s’emparer de l’ordre de la fiction.
Loupy Christophe, Suis le chemin des fourmis, Milan, 2018, 26 p. 12€90
Voici un livre inventif. L’histoire est racontée sous la forme de motifs géométriques. Un rhodoïd que l’on glisse sur la page anime cette dernière c’est-à-dire anime la procession des fourmis au travail inlassable. Carré, triangle droite, cercle, sinusoïde, guirlande, et autres figures composées se révèlent pleines de vie. Il faut accompagner le petit enfant afin qu’il n’en reste pas à la magie des images fixes qui s’animent grâce au glissement du rhodoïd plastique sur la page mais saisisse l’articulation entre les doubles pages. Un album inventif, instructif, ludique par la manipulation qu’il exige. Remarquable.

Philippe Geneste

04/11/2018

Confettis bibliographiques de naguère

Gautier Théophile, Le Capitaine Fracasse, édition abrégée par Patricia Arrou-Vignod, notes et carnet de lecture par Philippe Delpeuch, Gallimard, Folio junior, 2014, 351 p. 6€30
L’adaptation du roman est respectueuse du style et de la structure de ce qui reste l’œuvre la plus connue de Théophile Gautier (1811-1872), celle aussi qui le fige dans un genre qu’il n’a pas épousé durant toute sa vie d’écrivain. Gautier est en effet un créateur en évolution permanente. En tout cas, pour ce travail de transmission patrimoniale, Patricia Arrou-Vignod pour l’intelligence de la version abrégée et Philippe Delpeuch pour la contextualisation du récit aident à la compréhension du mouvement général de ce fleuron du roman d’aventure de cap et d’épée.

Homère, L’illiade, traduit et adapté du grec ancien par Chantal Mouriousef, illustrations de Nicolas Duffaut, carnet de lecture par Chantal Mouriousef, Gallimard, Folio junior, 2014, 206 p. 6€30
Le travail de Chantal Mouriousef n’est pas en cause, loin de là car il est érudit. Mais qu’une œuvre, certes au programme des classes de sixième, fasse l’objet presque chaque année de nouvelles adaptations laisse un peu dubitatif. Au fond, qu’est-ce qui est recherché ? Rendre clair et compréhensible une œuvre inaccessible aux enfants de 10/12 ans ? Admettons, mais alors, la culture patrimoniale ne dit-elle pas ici combien, pour elle, valent mieux les références culturelles communes d’une nation à l’appropriation réelle dans toute leur complexité des œuvres du passé ? Le livre chroniqué n’est pas ici en cause, sinon par sa participation au marché scolaire. Ce qui est en cause, c’est les programmes scolaires eux-mêmes qui, en matière de littérature restent souvent si rébarbatifs et au fond si peu objectifs sur les capacités réelles de lecture des plus jeunes collégiens.

Godard Philippe, Une Poignée de riches… des milliards de pauvres !, Syros, 2012, 170 p. 12€
Il faut toujours revenir sur cet ouvrage exceptionnel de Philippe Godard. Il pose avec simplicité et finesse les enjeux de l’appréhension des sociétés contemporaines, débordant largement la vulgate sociologique pour emprunter le chemin réflexif sur la fibre internationale –nous aimerions dire internationaliste-. Il n’évite pas les points difficiles, comme par exemple essayer d’aborder l’aliénation dans les pays riches et scruter l’affaiblissement du sentiment de la révolte. Il décrit comment on est passé des années soixante-dix où la révolution se donnait comme horizon à la pensée critique au vingt-et-unième siècle où toute idée de révolution a sombré dans les dictatures bureaucratiques qui se l’ont appropriée. L’idée de révolution a été trahie par ceux-là même qui instauraient des régimes coercitifs avec de nouvelles hiérarchies sociales. Et c’est aussi le désir humain d’affranchissement qui l’a été jusqu’à voir la notion de liberté étriquée dans l’individualisme bourgeois conservateur, réactionnaire et toujours empreint de religiosité.

Constant Gwladis, L’étendard collégien est levé, Oscar, collection Court métrage, 2013, 70 p.
Cet ouvrage composé de dix chapitres décrit la vie horrible des collégiens. Décapantes, ces nouvelles s’organisent en quasi fictions documentaires. Les jeunes de 10/13 ans s’identifient aux récits jusqu’à souvent confondre la troisième personne du personnage au « je » qui rend compte du livre. C’est, de ce fait, un livre humoristique et réaliste qui comme le disait un des membres de la commission lisez jeunesse : « Si au quotidien c’est parfois difficile [le collège] voir ce que d’autres vivent et comment ils survivent sont des choses réconfortantes ».

Campbell L.A., Léo Sacrin, mémoires catastrophiques pour collégiens du futur, Gallimard jeunesse, 2013, 176 p. 9€50
Il ne s’agit pas d’un roman, à peine d’un récit, mais plutôt d’une encyclopédie farfelue de collégien. On y retrouve la quotidienneté des 11/14 ans, mais en même temps, un décalage comique dans les situations. On est proche du gag mais le texte est trop long pour appartenir à ce genre. On est donc dans un genre mixte où le journal intime et le gag s’interpénètrent pour créer un ovni littéraire
Commission lisez jeunesse
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Patte Geneviève, Laissez les lire ! Mission lecture, Gallimard jeunesse, 2012, 350 p. 20€
Voici la réédition augmentée d’un ouvrage paru pour la première fois à la fin des années 1970. L’autrice est bibliothécaire, pionnière des bibliothèques pour enfants qu’elle conçoit comme des lieux d’échange, de rencontres et des lieux de paroles. A l’ère du numérique, ces principes n’ont rien perdu de leur pertinence et les nouveaux outils qui métamorphosent bien des bibliothèques peuvent s’intégrer à merveille dans leur réalisation pratique. C’est ce que tente de montrer l’ouvrage.

Delahaye Thierry, Petites Histoires des noms de rue, Flammarion jeunesse, 2015, 127 p. 5€70
Un livre alerte, sorte de cours d’histoire par le nom des rues avec une prédilection pour les personnages historiques, bien sûr, mais des regroupements par époque ou thème. La narration est assurée par le dialogue d’un grand-père et de son petit-fils. Agréable, instructif, bien que prenant le sentier des anecdotes. 

Philippe Geneste