Anachroniques

28/07/2014

« Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire » Lautréamont


Debats Jeanne A., Pixel noir, Syros, collection Soon, 2014, 288 p. 15€90
Un adolescent, Pixel, très fort en informatique, tombe du toit du lycée où il est interne. Il est alors plongé dans le coma, mais pour ne pas avoir à rééduquer son esprit, Pixel est transféré dans un virtuel de repos. Mais voilà que la machine n’est pas ce qu’on l’a programmée pour être. Le bug porte sur la temporalité, une journée peut durer une heure comme une semaine. Pourtant solitaire, Pixel va s’ouvrir aux autres durant cette expérience douloureuse. Ils vont gagner le blackdoor, seul moyen de sortir du logiciel, de se réveiller et de prévenir les autorités médicales du danger du virtuel…
L’ouvrage met en valeur la solidarité. En effet, c’est grâce à ses nouveaux amis que Pixel va trouver la blackdoor qui va leur permettre, et donc lui permettre aussi, de survivre.
Florent De Bannes

Dixen Victor, Animale, La malédiction de Boucle d’or, Gallimard jeunesse, 2013, 528 p. 17€90
1832. Couvent St Ursule. Blonde est sa pensionnaire permanente. Orpheline depuis la naissance, depuis laquelle elle est forcée de cacher sa beauté troublante sans raison apparente. Elle mène cette vie misérable depuis maintenant 17 ans et aurait pu la continuer ainsi si elle n’avait découvert  que sa mère n’est autre que Gabrielle De Brances, jeune fille disparu 17 ans plus tôt après avoir été sauvée des griffes de mystérieux individus mi-ours mi-homme.
Vient se greffer là-dessus son amour  fou  pour le jeune tailleur de pierre Gaspard avec l’aide duquel elle se lance sur les traces de son identité.
Personnellement j’ai adoré ce livre. Du début à la fin, l’histoire est passionnante et pleine de suspens. l’auteur met vraiment bien en valeur les personnages, même les plus odieux, même ceux qui vont tomber en disgrâce, peuvent paraître attachants un moment
Le style d’écriture et l’histoire d’amour passionnée entre les deux personnages permet au chef d’œuvre des frères Grimm écrit  en 1837 de rester actuel. L’auteur revisite le classique de boucle d’or  pour le transformer en passionnant thriller. Il imite le style d’écriture des plus grands romanciers du dix-neuvième siècle, tout en réussissant par la composition de l’histoire à le faire résonner dans notre modernité.
Aurélie Arnaud

Place François, Le Secret d’Orbae, Casterman, 2013, 432p. 13€95
L’ouvrage rassemble les deux romans parus en 2011 sous le titre générique Le secret d’Orbae. Ils content deux histoires parallèles qui se joignent par leurs dénouements : Le Voyage de Ziyara et Le Voyage de Cornélius. Les deux récits content l’exploration du monde d’Orbae. Cornélius est à la recherche d’un tissu plus fluide que la soie qui prend la couleur du temps. Durant son périple il se fera cartographe, métier essentiel dans l’œuvre de François Place, et rencontrera, dans une île, Ziyara. Celle-ci est une contrebandière des mers et de la route des épices. Les deux routes se croisent, donc. Chaque personnage est en quête de l’humain, en quête d’un autre que soi en quelque sorte, qui en vagabondant sur les mers du Sud, qui, en errant sur les terres du nord. Et au fond, ces deux ouvrages sont l’histoire d’une rencontre. L’héroïne et le héros se trouvent dans une espace de bifurcation puisque né de la contrariété de leurs parcours initiaux. Dans ce lieu au milieu d’un univers mythique, comme aime à les installer Place, sur une île incongrument là, une inimaginable rencontre a lieu sans prédestination ni fatalité de mouvement. La rencontre sera heureuse car d’amour dans le sens où il s’assimile aux rêves qui « appartiennent à eux qui bataillent pour les faire exister »(1). Extra-ordinaire, la rencontre de Cornélius et Ziyara mue les deux récits en espace de passage dans le non-ordinaire de la vie. Comme l’écrit une auteure pour la jeunesse dans un bel album, leur rencontre est « le rendez-vous secret de deux hasards » (2).
Comme toujours chez François Place, l’exploration, la géographie, le mythe sont récurrents, en même temps qu’une certaine innocence du regard qui plonge vers les profondeurs des désirs humains d’une harmonie universelle des hommes entre eux et des humains et de la nature qui les englobe. François Place pourrait faire sienne cette phrase de Lautréamont : « Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire ».

Philippe Geneste
(1) Martine Laval « François  Place, un conteur enlumineur » Dossier de presse de Le secret d’Orbae, Casterman 2011 non paginé

(2) Hoestlandt, Jo, A Pas de louve, illustrations Marc, Daniau, Milan, 2001. 

19/07/2014

esthétique éditoriale et désinformation ?

Rogers Simon, Le Corps humain, Gundry Peter, Autrement, 2014, 88   p. 16€50
L’ouvrage est attrayant, la présentation simple et originale, les informations sont parfois drôles. Les sens, la reproduction, le cœur, le cerveau, la digestion, le squelette forment le plan avec au final un chapitre Quelle incroyable machine ! Mais à y regarder plus près, l’ouvrage présente de curieux partis pris. Prenons quelques exemples :
« Depuis des milliers d’années, c’est notre intelligence qui nous différencie des animaux ». Mais qu’est-ce que l’intelligence ? En quoi les humains sont-ils plus intelligents que les baleines qui communiquent grâce à des ultrasons sur de très grandes distances et ce, sans outils technologiques ? En quoi sommes-nous plus intelligents que les autres espèces lorsque nous dépensons de l’énergie et de l’argent pour fabriquer des armes ou détruire notre environnement ? Peut-être l'auteur a-t-il voulu mettre en évidence le fait que nous soyons conscients de notre existence, de ce qui nous entoure, mais cela concerne aussi certains autres primates. Quant à placer l’espèce humaine au sommet de l’évolution alors qu’on parle de la complexité de sa machinerie corporelle, on ne voit pas en quoi elle se distingue de celle des autres mammifères par exemple.
Tout le chapitre sur la reproduction est étrange. Page 24 le propos sur les envies des femmes enceintes, même si des envies insolites peuvent apparaître, ne doit pas être généralisé étant très variable d'une femme à l'autre et serait une conséquence de l'hypersensibilité de son odorat ; le rapport fait entre la glace et le fer surprend (mal expliqué?) ; page 21 il est dit que le col de l’utérus grossit lors de l’accouchement, alors que son ouverture s’élargit seulement ; le terme de fœtus est employé pour les neufs mois alors qu’on ne parle de fœtus qu’à partir de 3 mois. Page 19 l’auteur affirme que la grossesse est éprouvante pour la femme ce qui est une affirmation qui suggère que toutes les femmes enceintes sont concernées : pourquoi mettre en avant ce thème de la souffrance alors que si la grossesse entraîne des bouleversements physiologiques qui peuvent provoquer des désagréments et entrainer de la fatigue, elle se passe bien pour la majorité des femmes et nombreuses sont celles qui restent en forme jusqu’à l’accouchement. Page 19 (la même erreur est répétée page 21 concernant les trompes de Fallope) on apprend que la fécondation a lieu dans l’utérus alors que les spermatozoïdes rencontrent l’ovule dans la trompe de Fallope (gauche ou droite) qui relie l’ovaire à l’utérus et c’est là qu’aura lieu la fécondation. La cellule-œuf obtenue commence à se diviser pour donner de nouvelles cellules, ce jeune embryon arrive dans l’utérus une semaine après la fécondation.

A cela s’ajoutent des erreurs factuelles comme la souffrance des oreilles qui débute à 80/90 décibels et non pas 130 comme cela est écrit page 15 ; une définition de la proprioception page 10 est très cavalière ; page 25 la taille des cellules attribuée aux cellules humaines se rapproche beaucoup plus de celle des bactéries (0,76 micromètres valeur donnée dans le livre), les cellules humaines étant bien plus grandes (quelques micromètres à plusieurs dizaines de micromètres selon les types cellulaires) ; page 27 on ne voit pas l’intérêt de donner le nombre moyen de naissances selon le jour de la semaine alors que rien n’est dit sur le fait que nombre de naissances sont programmées (césarienne) soit pour des raisons médicales soit pour des raisons de disponibilité du médecin, ce qui fausse les données fournies ; page 29 l’auteur semble confondre la croissance des organes et le renouvellement des cellules qui composent les organes, et si la croissance osseuse se termine plus tardivement chez le garçon que chez la fille, elle survient bien avant 25 ans ; page 67, une confusion est faite entre moelle osseuse et moelle épinière : cette dernière, constituée de neurones, fait partie du système nerveux central alors que la moelle rouge des os, présente dans les os longs et les crêtes iliaques (hanches), fabriquent les cellules sanguines.

A vouloir faire parfois un peu trop dans le sensationnel, les qualités de cet ouvrage à savoir le côté esthétique, la présentation synthétique et attrayante, sont finalement amoindries voire gâchées par quelques informations erronées ou douteuses. De plus, l'auteur gagnerait en crédibilité en citant ses sources.


Catherine Grohando

08/07/2014

car les histoires ne tiennent parfois qu’à un trait…

Ahlberg Allan, Ingman Bruce, Drôle de crayon, Edition Gallimard jeunesse, 2008, 46 pages 5€50
Depuis très longtemps, posé nulle part, un petit crayon inanimé se met à frémir. Sous son trait, tout un monde apparaît : chaque dessin prend vie et fait naître un nouveau dessin.
Le premier trait donne naissance à un garçon qui souhaite avoir un chien qui à son tour désire un chat, puis une maison, une ville, des aliments, un pinceau, des couleurs, une maman, un papa, des grands-parents, des cousins, un oncle, un ballon… avec qui les ennuis commencent. Une vitre est cassée par le ballon, les personnes se plaignent d’avoir un chapeau grotesque, des baskets ridicules, de trop grandes oreilles, de fumer la pipe.
Afin d’effacer ce qui ne convient pas et ainsi contenter tout le monde, le petit crayon dessine une gomme. Mais la gomme s’emballe et efface chaises, tapis, portes, maisons, humains, animaux, ville entière, ciel, tout !
Le petit crayon se retrouve seul avec la gomme qui ne veut pas en rester là.
Pour échapper à l’effacement, le petit crayon se hâte de dessiner un mur, puis une cage, une montagne, une rivière, des bêtes sauvages… mais rien n’arrête la gomme : elle réduit tout à néant !
L’idée lui vient alors de dessiner une autre gomme pour qu’elles s’effacent mutuellement.
Enfin débarrassé des gommes, le petit crayon dessine à nouveau tout ce qui avait été effacé. Tout reprend vie. Au coucher du soleil, il dessine une lune dans le ciel et une boîte dans laquelle il peut enfin se reposer.
Sous nos yeux curieux, une simple ligne donne naissance à tout un monde.
Les traits de crayon, les coups de pinceau et les résidus de gomme sont laissés visibles : ils font partie intégrante de cette « histoire de l’histoire » : sa naissance, ses changements et son aboutissement.

Simard Eric, Le crayon qui voulait voir la mer, illustrations par Africa Fanlo, Oskar éditeur, 2011, 27p.
Dans une atmosphère colorée de tons verts et rouges ainsi que de textures matiéristes, images et mots deviennent complémentaires. En transparence, un élément se superpose à un autre, donnant naissance à une aventure vécue par une petite fille qui découvre le pouvoir imaginaire de l’écriture.
Son père vient de lui offrir un crayon magique qui désire voir la mer. Dans sa chambre, assise à son bureau, elle écrit alors sur son carnet le mot « mer ». Petit à petit, la première lettre du mot se met à se dandiner, gondoler, plusieurs « m » apparaissent et deviennent des vagues. L’écriture prend vie, une mer envahit toute sa chambre ! Elle appelle au secours mais ses parents ne l’entendent pas. Ne maîtrisant plus la situation, elle écrit le mot « île » dont le « î » prend la forme d’un palmier sur lequel elle peut enfin se hisser pour de sortir de l’eau. Mais l’eau monte toujours…

Purificacion Menaya, Monstre, vas-tu me manger ? Illustrations de Petra Steinmeyer, Oskar jeunesse, premières lectures, 45 pages ? 5€90
Dans cette petite histoire illustrée, la figure terrifiante du monstre qui empêche de dormir les enfants est abordée sur le ton humoristique. La ligne noire et ondulée des dessins fait vibrer les formes aux couleurs partagées entre ombres et lumière, au même titre que le petit garçon de l’histoire, tiraillé entre sommeil et angoisses nocturnes.
Habituellement, chaque soir, le garçon s’endort grâce à l’histoire que lui raconte sa maman. Les mots flottent dans sa chambre et l’emportent doucement au pays des rêves.
Mais une nuit, les mots font place au silence. Dans  l’obscurité, les rideaux prennent une allure de fantômes, la lampe semble être une araignée et des grognements viennent de sous son lit. Tremblant de peur, le garçon appelle à deux reprises sa mère qui vient le rassurer en vérifiant qu’il n’y a rien sous le lit et en lui disant que les monstres n’existent pas. Mais dès que sa mère s’en va, le monstre réapparait. Après avoir tenté de le combattre avec son épée de bois, le garçon s’aperçoit que le monstre ne se nourrit pas d’enfants mais de mots. Il a grand appétit pour les histoires de princesses au goût de fraise, celles de dragons au goût de citron et les contes de fées au goût de lait.
Des couleurs vives viennent remplacer les tons sombres de bleus, le monstre devient son ami et le garçon apprend à se délecter des histoires dans un sommeil apaisé.
Les jeunes lecteurs pourront affiner leur curiosité pour les mots découverts dans cette histoire grâce au petit lexique de fin.

Laurence Druméa