BERGÈSE, Paul, La Maison, le jardin et le rêve, illustrations Solange GUÉGEAIS, éditions Voix Tissées, 2022, 54 p. 15€ ; BERGÈSE, Paul, Dans la clarté vive, illustrations Solange GUÉGEAIS, éditions Voix Tissées, 2024, 60 p. 15€
Chroniquer
ensemble ces deux recueils s’impose non pas parce qu’ils sont du même écrivain
mais parce qu’ils portent une même problématique que l’heureux recours à la
même illustratrice pour les interpréter vient renforcer.
Le
titre La Maison, le jardin et le rêve pose deux lieux en accueil
du rêve. Par homothétie ces deux espaces miroitent le livre où sont recueillis
les poèmes. Le poète a besoin de poser l’espace. La préposition, qui ouvre le
titre du second recueil, Dans la clarté vive, inclut la poésie
dans une intériorité, celle de « la clarté vive ».
Mais
revenons au premier recueil. Les deux motifs qui s’imposent sont les oiseaux et
le vent ou sa variante, l’air. Les illustrations y ajoutent des motifs de
l’ordre de l’esprit (des cœurs en médaillons par exemple) épousant des
sensorialités diverses. Les oiseaux semblent comme le produit du vent et de
l’air. Et si le recueil convoque une riche collection de végétaux, c’est pour
leur position en suspension entre ciel et terre qui les soumet au vent, au
soleil et à la froidure. Sur le bord des peintures rougeoyantes, attiré par le
jaune chaleureux, le rythme des vers pairs (largement majoritaires dans cet univers
d’harmonie recherchée) propulse la pensée du lecteur ou de la lectrice vers un
bonheur onirique : la maison qui s’ouvre, la maison qui chante, n’est-ce
pas la poésie comme bâtisse de mots juchée aux quatre vents des rimes ?
Cette
poésie est cosmique, poésie de la nature et qui la chante. La poésie en
chantant le monde, la faune des airs, la flore des couleurs, n’imite pas, mais
porte la nécessité que s’ouvre l’imaginaire pour saisir l’ailleurs sans lequel
la personne resterait close sur elle-même. L’image se porte aux vers, les vers
se portent à l’image et dans cet aller-retour incessamment joué par la lecture,
la vérité d’être au monde de l’enfant trouve un dire homothétique à
l’expérience de sa vie.
L’enchaînement
des poèmes organise les qualités sensitives en correspondances : clair et
ombre, eau et feu, terre et eau, chaud et froid, air et sol, le fluide et
l’inerte… La peinture, le graphisme et les assemblages de Solange Guégeais
rendent visibles cette diversité des relations des sens qui gouvernent les
poèmes. Le retour constant des hexamètres (vers privilégié dans La
Maison, le jardin et le rêve) et la préférence donnée dans le même
recueil aux vers pairs (presque toujours encadrants), le jeu des rimes soit
intérieures soit extérieures, les assonances, les consonances, les échos
sonores dans les poèmes mais aussi entre les poèmes, et ce dans les deux
recueils, traversent l’univers imagé. Le bouquet de couleurs suggère en retour
une unité transparente qui invite le jeune lectorat à entrer dans l’espace des
tableaux où les choses, la faune, la flore, les silhouettes, perdent le motif
premier de leur aspect (oiseaux et fleurs en majorité) sous une lumière
prégnante et sans foyer localisé.
La
poésie de Paul Bergèse n’introduit pas un ordre factice mais tient à distance
la destruction, la détérioration, la putréfaction, l’étiolement. Cette poésie
soulève le renouveau d’un grand chant de la nature et de la vie. Chaque poème
traque la dissonance, qui, surprise au détour d’une composition, est reversée
dans le flux du vivant et de la Terre qui en répond. Cette poésie est une
poésie de couleur et non de contraste, du réciproque et non de l’opposition, de
la variation et non de la coupure, du flux et non des stases, de la
répercussion et non de l’antithèse. Les multiples symétries forment le cadre
d’harmonie de ce choix et Dans la clarté vive en est
l’aboutissement éclatant. Ce recueil est complémentaire du premier. Il
radicalise la symétrie. L’ensemble du recueil est isométrique, composé
exclusivement de pentasyllabes réunis en quatrains. Le rythme des vers est
invariable en 3/2. Savamment suggestif, ce rythme introduit à la perception du
sensible par l’harmonie poétique, l’isométrie faisant flirter chanson et poème.
Les deux dernières syllabes du rythme tombent presque toujours sur un mot
substantif ou adjectif ce qui substantialise les vers et
« ravive
la source
des harmonies
douces »
Il y
a chez Paul Bergèse, (faut-il dire dans la poésie destinée aux enfants ?)
une confiance mise dans le langage pour exorciser l’âpreté du monde et les
menées destructrices des hommes. Éveillé par les assonances, rimes et rythmes,
courant sur les toiles chamarrées de couleurs, l’esprit enfantin rencontre la
licence d’une libre innocence.
Lire
la poésie c’est faire l’expérience que vivre par l’innocence n’est pas vivre en
mensonge, bien que l’harmonie y soit saisie comme une utopie. Lire la poésie,
c’est trouver les sens qui unissent au monde de l’inerte et du vivant. La
poésie enfantine a peut-être cette visée enfouie au creux de ses vers : la
constance de la prise de la vie en sa nature vaut mieux que l’inconstance des
emprises consuméristes tenant lieu commun de vie. À l’unisson, les créations
picturales – le terme d’illustration serait réducteur – invitent à
percevoir l’unité du monde matériel qui semble plonger jusque dans la
profondeur suggérée des tableaux. Ceux-ci renferment tout de même comme une
réticence au continu de la substance dont pourtant ils sont faits et qu’ils
chantent.
Paul
Bergèse et Solange Guégeais, car on ne saurait évoquer l’une sans l’autre, font
écho par leur travail créatif à cette remarque de Jacques
Charpenteau : « Il faut (…) investir ce redoutable lieu commun de
la bonne conscience collective en quête nostalgique de l’innocence perdue, dans
un monde où chacun se sent un peu coupable, où chacun, surtout rend les autres
responsables de son destin – de ce qu’il n’est pas devenu et qu’il avait
rêvé d’être : qu’avez-vous fait de l’enfant que je fus ? »
(1)
Philippe
Geneste
(1) Charpenteau,
Jacques, Enfance et poésie, Paris, les éditions ouvrières, 1977,
200 p.– p.9.