JUBIEN
Christophe, Sur La Pointe des pieds, illustrations Laurent
PINABEL, mØtus, 2024, 64 p. 13€
Est-ce
un album ? oui, une suite de textes mis en images raconte à chaque double
page une histoire courte. Est-ce de la poésie ? Oui, chaque double page
est écrite en forme de vers, le plus souvent, et si ce n’est pas le cas, c’est
un effet incontestable de la mise en page ; et chaque poème s’inscrit sur
un dessin poétique qui fouille l’imaginaire du trait comme le poète fouille
l’imaginaire des lettres.
Trente
doubles pages se succèdent ainsi, qui pourraient être lues dans un ordre autre
que celui proposé. Chacune des doubles pages se concentre sur une problématique
soit, dans l’ordre de la succession paginale : l’observation,
l’imagination, l’empathie, l’impertinence, la contemplation, la surprise, la
fantaisie, le conte, la rêverie, la correspondance en surréalisme, la poésie
tendre, l’automne, le chant, l’éthologie, le fantastique, la scène, l’humour,
l’énigme, la tendresse, la poésie sociale, le végétal et l’homme, le souvenir,
l’étonnement, la sympathie, le rire tendre, la fable, l’attention à l’autre, le
trajet, la création tendre… beaucoup de tendresse, donc, et beaucoup d’humour
présent dans la tonalité quand il n’est pas problématique de la création.
Dix-huit
doubles-pages sont écrites à la première personne, signe de poésie. Dix
doubles-pages sont écrites à la troisième personne, signe d’album narratif. Une
double-page est pilotée par un nous et une autre par un on d’où
la première personne n’est pas totalement absente quand sa présence dans le
nous est obligatoire. L’écriture est poétique, d’une poésie humoristique,
parfois proche de Prévert, drôle et impertinente. Les dessins, avec peintures
et collages, soulignent cet humour et ne se gênent pas pour interpréter le
texte plus que l’illustrer. Les fantaisies graphiques dessinent des mots
amoureux de l’imagination autant que les mots appellent en significations
gourmandes des fantaisies scéniques.
L’ensemble
pourrait être qualifié de fanzine poétique dans lequel on entre sur la pointe
des pieds pour trouver au final le pied marin et ferme de la terre du poème. Un
album en partage qui prodigue mots et images pour soigner le développement des
imaginations enfantines ou préadolescentes et autres tous âges.
ALBON,
Lucie, De Pierre en Galet, Utopique, 2024, 32 p. 18€
Quel
bel album que ce livre grand format aux dessins à dominante géométrique, très
épurés mais léger d’humour et touchant de sensibilité. Les couleurs vives sont
évitées, accroissant le sentiment de calme que nécessite la lecture. Quatre
séquences narratives composent le récit. Le héros est un petit caillou, une
pierre, qui veut devenir galet. La première séquence décrit son désir, la
seconde la réalisation du désir et ses effets, la troisième, l’adaptation à la
métamorphose et la quatrième est le prétexte à un prolongement possible et
laissé libre à l’imagination de l’enfant lecteur.
Le
genre du merveilleux est choisi, avec des pierres bavardes et aux comportements
anthropomorphes. La profusion des transformations à l’œuvre induit un plaisir
du dessin que les pages de garde se gardent bien de masquer. Tout au contraire
elles invitent l’enfant à s’amuser, lui aussi, à peindre des cailloux. La
lecture avec l’enfant est aussi l’occasion d’aborder la géologie et la
transformation des pierres en sable, le schéma narratif ayant lui-même esquissé
ce devenir mais ne l’ayant pas exploité… Pierre Galet avait un autre destin…
On
retrouve aussi, dans cet album quelques problématiques tenaces des éditions
Utopiques, celle de la différence de l’acceptation de la différence mais aussi
de l’intégration-adaptation, bref, de comment, parfois, mener sa vie.
CORAN
Pierre, à tire-d’aile, illustrations Dina
MELNIKOVA, CotCotCot éditions, 2024, 24 p.10€90
à
tire-d’aile est une histoire, la narration d’une rencontre. Mais à tire-d’aile par la
disposition sur la page des mots, des syntagmes, est immédiatement identifié
comme une poésie. à tire-d’aile raconte donc une rencontre poétique entre un poète et une libellule. Mais
la libellule prend sens aussi de personne, d’objet d’un désir, elle prend sens
allégorique comme dans une fable de tout ce qui vient et doit savoir être
accueilli :
« je sors,
je la libère et
elle se perd
du côté des nénuphars »
Les illustrations accompagnent le texte, en
l’interprétant plus qu’en le redoublant. Les peintures sur papier mat sont une invitation
à l’attention et au silence. C’est le silence de l’espace, des blancs sur la
page. L’œuvre de Dina Melnikova alterne les lointains et
l’enfouissement dans des gros plans insistant sur le multiple qui vibre en nous
contre une identité une qui ne saurait pas prendre avec soi ce que l’autre
apporte.
à tire-d’aile est un conte plus à lire qu’à dire, un conte où les
peintures et l’écriture se mêlent d’autant mieux, qu’il se lit plus qu’il ne
s’écoute. Aux traits du dessin, aux tracés des peintures, crayons de couleur,
découpages, aux effets de trame par Dina Melnikova fait réponse la mise en page
des mots par Pierre Coran. Les mots, sauf les premiers mots, se dessinent en
noir sur blanc, comme si la peinture et l’écriture, par respect des
significations qu’elles portent respectivement, demandaient à conserver leur
autonomie d’expression pour dialoguer en toute égalité de représentation. Et de
cette rencontre sourd un éloge de la fragilité et d’un éphémère à savoir
repérer. Cette sensibilité n’est-elle pas d’ailleurs celle de la confection
éditoriale propre à CotCotCot ?
Philippe
Geneste
Note additive : Sur Pierre Coran, lire le blog du 19 septembre 2010.