DESMET Tania, Marcelle Delpastre, la pastourelle de Chamberet, Limoges, éditions Mon Limousin, 2023, 11 p. 20€
« Il fallait respecter une source. Il
fallait la contourner (…)
C’était trop magnifique une
source ; c’était le départ de la vie »
Micheline Olive, « Escapades biographiques »,
dans Espaces, éditions Sémentes, 2011, p.55
L’ouvrage
est un recueil de textes écrits à partir de souvenirs d’amis et d’amies, de
proches par l’intérêt social et littéraire ou bien par la seule voisinance.
Tania Desmet, la maitresse d’œuvre de l’ouvrage, accompagne ces dires de
campagne par une abondante iconographie photographique qui permet aux lectrices
et lecteurs de se représenter au plus près le village de Chamberet, au plus
près de ce que fut le milieu de vie de Marcelle Delpastre (1925-1998),
agricultrice, poète, ethnologue, folkloriste, écrivain de langue français et de
langue occitane.
Le livre
ne se propose pas d’introduire à son œuvre mais à sa biographie. Il se compose
de quatre parties (« Les chemins de Chamberet », « Amitiés »,
« La Vie à Chamberet », « Légendes et croyances »)
et d’un épilogue. L’ouvrage nous amène sur les lieux, proposant une traversée
de la terre et du pays de Germont où se situe la ferme de Marcelle Delpastre.
Ici, les photographies de Tania Desmet sont particulièrement précieuses. Si les
première et troisième parties soulignent la prégnance de la langue occitane
dans l’univers delpastrien, elles montrent, aussi, l’apport de l’agricultrice
poète (elle n’aimait pas le terme poétesse) à la littérature occitane. La
quatrième partie souligne l’intérêt de Marcelle Delpastre pour l’ethnologie et
les études du folklore, intérêt qui l’a amenée à une œuvre importante en ces
deux domaines : étude de légendes, rites, bestiaires etc.
La
deuxième partie repose sur des témoignages, soit rapportés par Tamia Desmet
soit directement retranscrits ou écrits. Drôle et plein de délicatesse est
celui de Micheline Bogé, poignant celui Jean-François Desmoulin-Catonnet,
humoristique pour Marcelle Pathier, informatif pour Denise et Pierre, et tous
livrent tant de facettes de Marcelle Delpastre, de la femme, de l’amie, de
l’agricultrice et poète.
Annie Mas & Philippe Geneste
HALIM, La Maison des enfants. Maria Montessori, observer pour
apprendre, dessin Caterina ZANDONELLA, Steinkis, 2022, 136 p. 20€
« C’est l’argent qui établit les
injustices, même entre hommes et femmes »
Maria Montessori
La vogue
des écoles Montessori ne se dément pas depuis une trentaine d’année en France
et on peut dire qu’elle est l’objet actuellement d’engagements lucratifs où la
recette a remplacé le travail expérimental initial de la première médecin femme
d’Italie née en 1870, morte en 1952. La
bande dessinée du scénariste Halim et de la dessinatrice Zandonella tente de
revenir aux engagements initiaux de Maria Montessori pour les enfants. Elle exerça
d’abord auprès d’enfants « anormaux » avant d’étendre la
méthode d’éducation qu’elle expérimentait et mettait au point, aux enfants
« normaux ». C’est en 1907 qu’elle ouvre la Casa Bambini. Très
vite sa méthode et ses recherches appliquées vont trouver un grand écho dans le
milieu de l’éducation émancipatrice et nouvelle. En 1926, elle créera
l’association Montessori internationale dont le siège est au Pays-Bas.
L’éducation
est l’objet de la part de Montessori d’une anthropologie qui partant de l’enfance
envisage les conditions d’un monde de paix. L’idée centrale est que les enfants
sont opprimés par des adultes qui pensent pour eux. De plus, Montessori défend
une éducation qui laisse l’enfant se développer à son rythme. En revanche, il
ne s’agit pas de non directivité car il est de la responsabilité des
éducatrices et enseignantes de mettre en place un environnement matériel qui
facilite les apprentissages. La conception de ce matériel pédagogique (soit
inventé soit intégré à l’école et organisé dans l’espace) est le grand apport
de Montessori. Le livre d’Halim et Zandonella le montre bien.
L’auteur
et l’autrice attribuent à Montessori la pédagogie coopérative, ce qui est peu
compatible avec le socle théorique de la conception montessorienne. Celle-ci repose
sur l’innéisme biologique qui explique la place donnée au corps et à la
sensation mais aussi conséquemment au jeu. L’éducation doit veiller à laisser
libre le développement biologique de l’enfant ce que Montessori nomme l’Hormé.
En revanche, elle pose bien comme finalité de l’éducation la marche vers une
autonomie individuelle dans les apprentissages, ce que développe justement la
bande dessinée. Et, si elle est bien loin de la pédagogie coopérative, le lien
se fait à travers le principe de la relation interpersonnelle au sein de
l’engagement de l’enfant dans des actions. Il se fait aussi par la critique
montessorienne de l’aliénation de l’enfant qui subit l’encasernement dans des
écoles aux règlements inappropriés à l’enfance. C’est comme cela que la société
fabrique des êtres infériorisés.
Certes,
la bande dessinée laisse dans l’ombre la conception des besoins de l’enfant
dans une conception innéiste, l’éducation devant servir à la satisfaction des
besoins par l’épanouissement du développement biologiquement programmé. Mais la
bande dessinée ne cache pas des épisodes ambigus comme lorsqu’en 1924,
Mussolini l’éleva au rang de membre d’honneur de l’organisation féministe
fasciste italienne. Cependant la centration sur l’enfant et son libre
développement allait vite convaincre le pouvoir fasciste d’un malentendu, même
s’il chercha à bénéficier de l’aura internationale des expériences éducatives
de la médecin et pédagogue. La bande dessinée met bien en lumière les
conditions de l’abandon de son enfant à la naissance, enfant avec qui elle
travaillera plus tard mais qui resta douze années séparées de sa mère.
Le choix
de la dessinatrice de jouer avec le débordement des cases, leur chevauchement,
l’utilisation de la matité des couleurs, épouse la centralité du corps et des
sensations dans la pédagogie Montessori. L’alternance des pages à dominante de
gris et des pages colorées rend compte d’une période historique troublée. Le
scénariste a puisé tant du côté de l’histoire de Anne Frank que du roman d’Une
Vie dans les bois de Félix Stalten une intertextualité qui installe la
biographie du côté de la lutte contre l’antisémitisme. De même, l’autrice et
l’auteur identifient le vingtième siècle de Maria Montessori à un siècle de
l’enfant, ce qui est pour le moins bien optimiste et faux au vu de la pérennité
de la guerre et de l’irrationalisme humain menant la catastrophe planétaire.
Or, ce choix a beaucoup à voir avec le triomphe de l’individualisme bourgeois.
Or, force est de constater que l’œuvre pionnière de Montessori n’a jamais su se
départir de cet individualisme qui permet aujourd’hui à des entreprises
éducatives de fleurir en arguant de manière éhontée des recettes
Montessori ! C’est éhonté car Montessori était pour une éducation fondée à
partir de l’observation de l’enfant et sans cesse réajustée... Ainsi va
l’exploitation de la mémoire des œuvres passées. La Maison des enfants,
qui, bien qu’en pleine empathie avec son sujet, sait ouvrir des questionnements,
évite d’entrer sur le marché où s’agitent ceux et celles qui veulent tirer des
dividendes de l’Histoire relue et corrigée.
Philippe Geneste