Jolivot, Nicolas, Voyages dans mon jardin, éditions HongFei, 2021, 206 p. 39€
Dessins,
textes et mise en page de Nicolas Jolivot sont mûrement réfléchis autant que
d’une esthétique exceptionnelle. L’auteur est connu pour ses reportages
graphiques en Asie parus en particulier chez HongFei. Mais voilà que le
voyageur fait une pause et décide, durant une année, d’explorer son jardin, de
faire l’inventaire de la vie qui s’y mène, tant florale, végétale, animale,
historique, géographique et, dans une moindre mesure, minérale. Comme un carnet
de voyage, le livre de grand format est chronologique, suit les saisons et mois
à mois nous avançons dans l’année du carnettiste sédentarisé. A la manière des
naturalistes, l’auteur peint et dessine ce qu’il voit, sur de grandes pages
mates et tramées, aux coloris faisant songer à l’ancien. Le jardin a tout juste
deux cents ans, façonné par les mains de ses aïeuls dont il poursuit l’ouvrage.
A la fin des notes et croquis de chaque mois, l’auteur établit une
rétrospective, revenant ainsi sur la situation du jardin à différentes dates
depuis 1821 jusqu’à 2021. C’est une histoire intime qui se déroule, locale et
lié à l’aménagement du territoire. Le ton est doux, charnel parfois quand le
carnet vagabonde le long de la genèse du jardin. L’écriture laisse percer
l’émerveillement devant la vie naturelle, que les dessins et peintures et
couleurs magnifient. Les phrases sont confectionnées comme avec prudence. On
les dirait surveillées à l’instar de l’immense patience de l’artiste à l’affût
des événements du coin de terre. L’usage des mots relève de la désignation
rigoureuse de l’entomologiste, de l’herboriste, du naturaliste, du géologue.
Point de fantaisie, mais une ardente précision jusque dans les illustrations
qui, elles, par le coloris, le fond de page employé, ouvre à une rêverie de
l’espace.
Ce
livre est un magnifique cadeau pour adolescents, jeunes et moins jeunes
adultes ; il est un manifeste de la lenteur et de la patience, une
illustration de la liberté à travers celle d’une pratique du jardinage. Ecrit à
la première personne, bien sûr, il conte une histoire personnelle. Il fait de
l’éloge du silence et de l’écoute du monde, les éléments d’une propédeutique à
l’écoute des hommes.
La
continuité de l’écriture linéaire organisée en une composition chronologique
(celle des saisons) entrecoupée par des rétrospections géo-historiques,
s’oppose au statisme des illustrations présentées à la manière des herbiers et
autres tiroirs de muséum d’histoire naturelle. Peut-être est-ce des pauses
faites sur la ligne du temps qui passe, peut-être est-ce de la capacité du
regard à s’arrêter, à fixer pour voir vraiment c’est-à-dire concevoir,
peut-être donc est de cette aptitude à saisir que l’homme contemporain manque
trop cruellement, emporté qu’il se trouve par un rythme imposé de la vitesse,
du prêt-à-penser, de la communication immédiate. A l’écoute du cycle des
saisons, il ne s’agit pas de retenir le temps, mais d’en saisir la plénitude
des instants alors qu’à l’écoute des ondes, du numérique, de l’urgence
fabriquée, le temps vous emporte vidant la réalité même des instants,
substituant aux présences réelles des virtualités interlocutrices.
Paradoxalement
pour le lecteur trop pressé, mais logiquement pour le lecteur attentif, les Voyages
dans mon jardin livrent une image de ce que peut être un futur qui se
crée. Le poète-artiste jardinier, mais aussi naturaliste et historien, prépare
au présent le futur à venir sans s’en laisser conter par un futur qui viendrait
et l’arracherait au lieu, aux êtres aimés, aux proches, à ses préoccupations de
personne humaine. Voyages dans mon jardin invite à ne pas
différer sa vie, à ne pas la déléguer, et offre la mesure modeste d’éviter
d’être englouti par l’Histoire. Un grand livre, oui, un livre d’art et de vie.
COMIN
Marta, Abracadabra, éditions Bayard, 2021, 38 p. 14€90
Travail
sur le vide et le plein, sur les couleurs, en aplats et mates, jeu
typographique appliqué aux formes géométriques, découpes graphiques, voici la
matière plastique d’une œuvre qui surprend le tout jeune lectorat (de 3 ans à 6
ans), qui l’intrigue. Initier l’enfant à la lecture de l’album est essentiel
pour qu’il puisse, ensuite, seul, se rendre dans l’ouvrage, le manipule, joue
avec. On conseillera de s’adonner plusieurs fois à la lecture avec l’enfant
avant de le laisser s’aventurer seul. La formule magique du titre introduit
avec justesse au contenu : l’enfant est invité à produire des effets de
magie grâce à l’ordre de lecture des pages : tourner une page est voir
apparaître une image nouvelle issue de la précédente. Le geste de tourner la
page équivaut donc au mot Abracadabra : quelle propédeutique
joyeuse à la lecture ! Le fil narratif ténu réside dans un dialogue entre
un grand-père et un enfant. Le bémol vient de ce que certaines consignes
écrites ne sont pas réalisables car le livre n’est pas un livre-objet. Il y a
là un défaut important qui touche certaines pages. C’est alors que le dialogue
de lecture avec l’enfant prendra une dimension nouvelle puisqu’il permettra de
mettre en avant la spécificité du langage : ouvrir à la virtualité d’un
monde, c’est-à-dire donner valeur à la page par l’imagination. L’observation et
l’attention de l’enfant seront alors sollicitées, véritable introduction à
l’apprentissage de la lecture par le sens.
Enfin,
la réalisation du livre en forme de mallette imitant celle du magicien du
livre, permettra ensuite à l’enfant de transporter son livre au gré de ses
déplacements. Abracadabra est un tour de lecture portative…
L’Atlas
Gallimard jeunesse. Un outil indispensable pour le collège et le lycée, Gallimard jeunesse, 2020, 160p.
19€95
Rien n’est
mensonger dans le titre de cette deuxième édition augmentée : l’ouvrage
est clair, complet sur la géographie du monde et de la France. C’est un outil
pratique, avec son glossaire et son index. Les pages de garde exposent les drapeaux
des pays et une notice pour chaque état. La cartographie est un régal avec, de
plus, une double page qui instruit le lectorat sur ce qu’est une carte. Autour
des cartes s’organisent une multitude d’informations sur l’industrie,
l’environnement, l’agriculture, la population, le climat, le milieu naturel.
Aux cartes générales (physique et politique) s’adjoignent des cartes
thématiques qui traitent des thèmes ci-dessus mentionnés. Utile au collège, L’Atlas
le demeure au lycée. Une idée de cadeau tout autant qu’une aide pratique aux
études, cet ouvrage de grand format (250 x 295 mm) devrait s’imposer dans les
foyers autant que dans les bibliothèques et centres de documentation.
CUESTA
HERNANDO Mario, Antarctique. Le continent des merveilles,
illustrations de Raquel MARTIN, Nathan, 2021, 44 p. 19€90
Cet ouvrage
sur le sixième continent en impose par son format (28,5x35,5) ses belles
illustrations, légèrement naïves et qui viennent en soutien du texte
informatif, souvent explicatif. Pour guider la lecture, on est à bord d’un
bateau transportant des scientifiques, durant six mois. La trame du voyage, tel
est le repère pour l’enfant de 8 à 10 ans. On plonge sous l’eau avec des petits
robots d’exploration des fonds marins, on joue au naturaliste classant les
différentes espèces de baleines, de pinnipèdes, de manchots. On se mêle à une
colonie de manchots. Ensuite on entre dans la station polaire où se rassemblent
des scientifiques de diverses disciplines et on en partage le quotidien y
compris durant l’hiver glacial. Évidemment, on va aller au Pôle Sud,
participer à une expédition d’observation des volcans. Grâce à la proximité
avec les scientifiques, on va comprendre les dangers qui menacent le continent
et on écoute un petit cours de géographique et de géopolitique sur la loi
internationale qui régit l’Antarctique qui n’appartient à personne mais à toute
l’humanité. On finit avec un peu d’Histoire, celle des explorateurs qui l’ont
découvert et un petit glossaire qui facilite la lecture.
REZKOVA Milada, Qui A Peur de la peur ?, illustré
par URBANESK Lukáš, KASE Jakub, Helvetiq, 2021, 200 p. 24€90
La
peur parle au petit lecteur ou à la petite lectrice. Elle se situe parmi les
quatre premières émotions éprouvées par l’être humain au cours de son
développement. Qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais à ton
corps ? Comment chaque personne est différente face à la peur ? Les
cauchemars ? La peur est-elle partagée par les animaux ? Quelles sont
les différentes formes connues de la peur ? Ne jamais avoir peur est une
maladie bien connue ? Quel lien la colère entretient-elle avec la
peur ? En quoi la géographie détermine-t-elle nos peurs ? Quelle est
l’histoire de la peur ou à chaque époque ses types de peur ? Pourquoi,
parfois, aime-t-on avoir peur… un étrange plaisir ? Et pour
terminer : une petite encyclopédie de la peur.
L’ouvrage
est un grand format (24cm x 31cm) les illustrations sont humoristiques, jouant
sur différents registres du pop art au dessin d’humour, du collage à la
reproduction de gravures anciennes, de la présentation en planches dessinées à
des jeux graphiques pleine page. Il propose au jeune lectorat de participer à
l’illustration et des pages sont attribuées à cet effet.
Jojo,
un garçon curieux est le fil conducteur du livre, on le suit au fil de la
lecture soit en s’identifiant à ses réactions soit au contraire en les tenant à
distance, dispositif narratif intelligent. Pour autant, l’enfant peut commencer
la lecture n’importe où, il n’y a pas d’histoire, juste un dispositif de
complicité pour accompagner l’enfant dans son exploration de l’émotion qu’est
la peur. Jojo figure ainsi la curiosité enfantine et la stimule.
L’autrice
et les deux illustrateurs tchèques offrent là un des meilleurs albums, sinon le
meilleur album sur la peur destiné aux enfants dès 8 ans mais pouvant être lu
encore à 11/12 ans (1). Un signet fixé à
la tranche file du haut du livre parfait le confort de lecture. L’enfant peut
en faire son bréviaire de la peur, en approfondissant par lui-même les
connaissances nombreuses distillées au fil des pages et de chapitres.
Faut-il
souligner l’importance, aujourd’hui, de faire réfléchir les enfants sur la peur
tant celle-ci est devenue constitutive du quotidien de nos contemporains. Le
peintre Markos Löpertz disait à juste titre : « Nous vivons dans
un monde où la peur fait partie du quotidien. Je pense que toute cette
politique de mise sous tutelle et de répression que nous subissons. Cette
répression de l’individu est un produit de la peur » (2). Cette réflexion
fait comprendre que la parution de Qui A Peur de la peur ?
procède, au fond, d’une actualité brûlante.
Philippe
Geneste
(1) Pour mémoire, rappelons l’excellent ouvrage de Benlakhel, Nadia, Ce qui te fait peur, Milan, collection les essentiels junior, 2002, 37 p. et qui s’adressait aux préadolescents. Le livre abordait à peu près les mêmes domaines que celui publié aujourd’hui par Helvetiq. - (2) Markos Löpertz cité par Philippe Dagen, « Markus Löpertz typisch Deutech », Le Monde 24/04/2015 p.16
NB :
Les éditions
Helvetiq, fondées en 2008 par Hadi Barkat, viennent d’acquérir les éditions
Bergli Books avec qui elles avaient déjà collaboré sur plusieurs projets ces
dernières années. Ce groupe suisse d’édition est un des rares à publier
régulièrement et simultanément en trois langues et à être diffusé dans
plusieurs pays.