Du rêve des mots, du rêve des mondes
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Parce que le rêve et l’amour agrandissent le monde
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Parce que le rêve et l’amour agrandissent le monde
Combes Héloïse, La Petite
Nageuse du Nil, illustrations de Georges Lemoine, Oskar, 2014, 35 p.
Tout au bord du Nil, une jeune
servante aimait contempler les premières lueurs de l’aube et se baigner dans la
fraîcheur des eaux. Elle aimait rire avec les poissons, saluer les animaux à
leur rencontre, s’éclabousser de bonheur dans la promesse des premières heures
du jour, loin des rebuffades de sa maîtresse et du monde terrifiant des hommes.
Un jeune sculpteur la suivait,
cherchant à la nommer dans toutes les palettes qu’offre l’amour : « te nommes-tu la belle, la douce, celle qui
existe pour moi, celle que j’attends ? ».
Mais un matin, l’écho de sa
demande s’est perdu. A l’endroit précis où la jeune fille plongeait dans les
eaux du Nil, il la vit disparaître au loin, accrochée aux flancs d’un canard,
en partance pour l’infini, qu’elle désirait tant connaître.
Le petit sculpteur n’aura de
cesse, alors, que de la faire vivre toujours, traçant dans le bois l’image de
son aimé. Les statuettes ainsi créées ont traversé le temps, de l’antiquité
jusqu’à maintenant, figures gracieuses, immortelles et vivantes de l’amour.
Dans ce très beau livre, la
poésie et l’art du dessin et de la peinture font œuvre commune. La lecture des illustrations
et celle des mots se font échos. Les traces qui marquent les pages -celles des
animaux, celles de la jeune fille et celle du temps-, si elles s’effacent, se
reforment sans cesse par l’écriture et le dessin, comme pour remodeler, comme
pour souligner l’amour en pointillé. Ainsi, le roman commence-t-il par « elle aimait » ; et se termine
par les mots, écrits sur le sable en égyptien, « ouniherabetsy », qui signifie, je l’aimais ».
Annie Mas
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Nominéthique
ou l’art des mots de François David
David François, Papillons et mamillons, illustré par
Henri Galeron, mØtus, 2015,
80 p. 11€
Jeux de mots à
partir de la morphologie (hirondelle/hirondil), exacerbation du sens (un
plafond ça fond…), je sur la composition des mots (lunettes/lufloues),
assonances et anagrammes, néologie antonymique (paquebot/paquelait), ce recueil
de poésie nominale de François David illustré par Henri Galeron ravit. Il
propose un pas de côté en matière de nomination pour voir le monde autrement,
pour le réinventer par le langage, bref, pour opérer un réglage langagier de
l’imaginaire du monde, réglage que rend tangible l’œuvre de l’illustrateur. Ou
plutôt, Henri Galeron propose la définition iconique des couples de mots
contrastivement convoqués. Ainsi, l’apprentissage définitionnel rejoint-il,
sans lourdeur, la verbigération pour ré-enchanter le monde. Car, c’est de
ré-enchantement qu’il est question plutôt que de mise à l’envers du monde. Un
ré-enchantement qui emprunte la méthode contrastive appliquée à un objet, à
elle étranger, la nomination. C’est que, nommer, c’est partager, c’est faire entrer
l’univers dans l’univers des autres et inventer des mots, c’est étendre cet
univers, c’est le pousser en expansion devant soi et devant les autres.
Toutefois, la nomination poétique s’élargit un peu de ces affirmations en ce
qu’elle épouse la jouissance de la divination des jeux de sonorités ou de
graphies. Dit autrement, la nomination poétique pose la gourmandise des mots
pour éthique (pourrait-on oser la nominéthique ?) renouant avec la
motivation contre l’arbitraire des signes qui sclérose. Motiver les sens, c’est
prendre langue avec la monde et pour ce faire et ce comprendre, lisez lecteurs
et lectrices, cet opuscule pour les petits qui porte titre Papillons et mamillons.
Faut-il préciser : quel que soit votre âge… ?
Philippe
Geneste