Anachroniques

24/11/2019

activité lectrice, activité esthétique

Chedru Delphine, Miam ! Nathan, 2019, 20 p, 11€95
Pour les tout petits, un album qui fait la gueule, gueule d’orque, gueule de léopard des mers, gueule de manchot, de mollusque, de poisson, de krill et dans cet ordre d’apparition, du prédateur suprême au minuscule phytoplancton qui ne sera qu’englouti. Le jeu des trous, du plus grand au plus petit est une mise en abyme de la dévoration, angoisse et jouissance, tout à la fois. Mais aussi, de page en page, la chaîne de l’alimentation qui est figurée. Les fonds en aplat de couleur, bleu, bleu marine, bleu nuit, noir, participe de la stylisation d’un univers non réaliste. L’image est sa propre référence, et invite l’enfant à apprendre au cœur de cet autoréférentialité.

Mory Tristan, Devine quoi ! Milan, 2019, 16 p, 13€90
Pour les tout petits, un album de devinettes ayant pour support des animaux. Ceux-ci sont stylisés, l’ensemble de l’ouvrage est en aplat. Un adulte doit être présent pour poser les devinettes : qui se cache derrière une fleur ? Qui a chipé le chapeau au monsieur ? Qui attrape le ballon ? Pour qui est cette fleur de maman grenouille ? etc. C’est un jeu de transformation puisque la même page qui porte un cœur dévoile un éléphant. Ici, aucun réalisme. Tout est à l’aune du dessin et des couleurs des aplats, saugrenu. La visée est de surprendre, d’amuser. L’intérêt d’un tel album sera lié à la richesse de l’accompagnement dont bénéficiera l’enfant.

Andrews Sandrine, Les Couleurs, collection tralal’Art, Nathan, 2019, 10 p. 10€90
tralal’Art est une nouvelle collection de livres d’art animés pour les petits dès deux ans. Pour faire parcourir les couleurs aux yeux de l’enfant, cinq tableaux ont été choisis : Disques de Robert Delaunay, Château et soleil de Paul Klee, Maison rouge de Kasimir Malevitch, Sur la plage de Félix Valloton, Femme se promenant dans une forêt exotique d’Henri Rousseau. Inutile de dire que le livre prend toute sa dimension si l’adulte accompagne sa lecture par l’enfant. D’une part, il y a la recherche des couleurs, liées à la composition du tableau. Cette étape, essentielle, implique des identifications de lieux. Or, les tableaux ne sont pas réalistes, mais évocateurs. On comprend alors l’intérêt du dialogue avec l’enfant. La perception devient de plus en plus aigüe au fur et à mesure que l’interprétation s’impose. Et c’est un jeu à mener avec les enfants, un jeu à haute teneur cognitive, mais dans la simplicité même de l’échange verbal. D’autre part, il y a les languettes qui servent à animer le livre et à rendre l’enfant lecteur actif. Cette seconde étape exerce l’attention du petit. La dernière double page représente les cinq toiles avec le nom de leur auteur, le titre du tableau et la date de sa création. Elle est intitulée « Mon Petit Musée ». On peut jouer avec l’enfant sur le titre, le lui faire chercher en fonction de ce qu’il dit durant l’étape 1. Plus tard, le livre servira de référence à l’enfant qui l’aura gardé dans sa bibliothèque.

Andrews Sandrine, Les Formes, collection tralal’Art, Nathan, 2019, 10 p. 10€90
Dans la nouvelle collection tralal’Art ce volume repose sur la même conception que les précédents. Mais il s’agit ici de travailler sur les formes. Cinq tableaux ont été choisis : Composition C (n°III) avec du rouge, du jaune et du bleu de Pierre Mondrian, Composition XV de Théo van Doesburg, Premier disque de Robert Delaunay Sans titre de Sophie Taeuber, Esquisse pour plusieurs cercles de Wassily Kandinsky. L’enfant va être sollicité pour identifier et pour différencier le rond, les triangles, les carrés. On regrettera, pour une raison d’évidence, l’emploi du mot rond à la place du mot cercle. Le jeu des languettes pourra être mis à contribution pour renforcer les apprentissages des formes. Mais il pourra aussi servir à instruire l’identification des couleurs, leur apparence, l’idée de mobile même. Mais tout cela dans le jeu ou mieux dans l’activité lectrice qui se fait activité esthétique. La dernière double page, selon le choix de la collection, récapitule les tableaux leurs titres, leurs auteurs. Comme le volume précédent, ce volume est un régal d’intelligence.

Philippe Geneste

17/11/2019

La littérature et son double

Smy Pam, Thornhill, traduit de l’anglais par Julia Kerninon, rouergue, 2019, 544 p. 19€50

« Ma conviction la plus profonde, quant à l’invention des histoires, est qu’elles se fabriquent en grande partie d’elles-mêmes. Le boulot de l’écrivain consiste à leur donner un lieu où s’épanouir  (et à les transcrire, bien entendu). Si vous parvenez à voir les choses ainsi (ou si au moins vous essayez), nous allons pouvoir collaborer sans peine. Si, par ailleurs, vous concluez que je suis cinglé, pas de problème, vous en serez pas le premier » (King Stephen, Écriture. mémoires d’un métier, traduit de l’américain  par William Olivier Desmond, Paris, livre de poche, 2003, pp.192-193

Thornhill est un roman graphique composé selon le montage alterné et qui fait se rejoindre deux parcours de vie de deux jeunes filles, à deux époques différentes.
L’une, Mary Baines, est placée à Thornhill, une institution pour orphelines sise dans une petite ville d’Angleterre. Son histoire est racontée par elle-même à travers son journal intime qui débute en février 1982. La jeune adolescente est harcelée par les autres pensionnaires menées par l’une d’entre elles, perverse et comédienne, qui capte l’admiration de ses pairs par son aplomb et confond la vigilance des éducateurs et éducatrices qui se font, sans le savoir, complices de ses forfaits. Avec le journal, le lecteur plonge dans la psyché de Mary et partage son effroi, ses désillusions ; il apprend à comprendre ce mutisme sélectif qui affecte la jeune fille ; il l’accompagne dans ses jeux symboliques de construction de figurines qui finissent par envahir sa chambre, seul lieu protégé, du moins durant de longs mois. Avec Mary, le lecteur vagabonde dans un jardin secret, un parc en friche derrière Thornhill, lieu de fantasme, de peur pour le lecteur, lieu longtemps de refuge pour Mary.
L’autre fille est Ella. Elle vient d’emménager dans sa nouvelle maison en mars 2017, en face de Thornhill. Sa mère est morte, son père absent à cause de son travail. On la suit à travers des planches en noir et blanc qui racontent sa vie solitaire. Un jour, depuis la fenêtre de son appartement en surplomb d’un jardin en friche, elle voit, sortie de Thornhill la silhouette de Mary Baines et va décider de faire sa connaissance. Or, Mary Baines est morte trente cinq ans plus tôt…
Des indications précises permettent au lecteur de ne pas se perdre ni dans le temps, lorsque les deux destins –celui de Mary et celui d’Ella– tendent à se confondre ni dans la dynamique propre à chacun des deux récits. Ceux-ci se rejoignent grâce à un journal lisible déplié dans les planches du récit graphique pour donner une explication rationnelle aux événements alternativement contés. Ils se rejoignent aussi par le journal intime de Mary Baines que lit Ella. De même, dans les planches dessinées, où la végétation luxuriante du parc abandonné, les ruines gothiques de Thornhill, et les jeux d’ombre et de lumière envoûtent le lecteur, les deux histoires se rencontrent, comme se rencontrent les deux destinées solitaires. Et toutes deux s’unissent dans la mort.
Les dernières images nous montrent alors un nouvel enfant, un garçon, aménageant dans l’appartement laissé vacant par le père d’Ella. Il regarde par la fenêtre, comme Ella avant lui au début de l’album graphique, deux jeunes adolescentes se tenant par la main venant de la ruine calcinée de Thornhill et traversant le parc en friche… Les images se font écho, les comportements se font écho. L’histoire macabre peut donc recommencer, la scène est en place...
Thornhill est un thriller. L’issue déceptive du parcours de vie des héroïnes tient à ce que leur quête d’identité est contrariée par la mort et ce double qui leur permettrait de saisir leur personnalité n’existe que dans la mort. Á la fois nous cherchons à connaître comment Mary Baines est morte, mais notre recherche s’effectue au cœur du frisson engendré par les lieux ténébreux et les pensées glauques qui surviennent de-ci de-là. De plus, nous hésitons sans cesse entre une explication vraisemblable des événements et une explication irrationnelle ; cette définition du fantastique colle à l’œuvre de Pam Smy et en constitue l’énergétique. L’autrice matérialise cette hésitation grâce à la composition en montage alterné surtout que parfois, à la fin notamment, les deux récits se superposent l’un à l’autre. Est-ce une histoire de fantôme ? La proximité des conditions de vie établit-elle une filiation entre les destins des personnes ? Mary Baines est-elle le double d’Ella ? Se constitue-t-il à Thornhill une communauté des enfants esseulés, traqués par les modes de vie stéréotypés auxquels ils dérogent, et y dérogeant se trouvent en bute à l’hostilité sociale ? Se réaliser serait donc trouver son semblable, se sentir semblable ? Dans cette nouvelle communauté, doit-on chercher une quête désespérée d’autres modalités de socialisation, respectueuse des sensibilités enfantines ? Ce serait donc cela, Thornhill un refuge des réprouvés (« tout ce que je voulais c’était une amie » déclare la dernière phrase du journal intime de Mary) ? Thornhill, serait-il alors une fiction interrogeant la norme ?
Les figurines et poupées qui permettent à Mary comme à Ella de liquider les conflits qui les assaillent ou de compenser les lourdes blessures affectives qui les affectent, insistent sur la thématique du double et sur la figure de la répétition qui se livrera comme une clé à la fin de l’album. Ce jeu de construction, avec ses règles d’exercice (couture, peinture, ornementation, sculpture) ouvre les adolescentes à une socialisation qui ne dit pas son nom. Il est aussi, pour Mary, personnage mutique, le substitut du langage, un substitut qui désigne les mots communs de la langue comme insuffisant pour dire le réel vécu. Ce thème du double ou mieux du redoublement des conduites traverse toute l’œuvre figurant l’absence des parents, de la mère, et un désir de présence, d’actualisation d’un désir de présence au monde. Et c’est au fond toute l’œuvre qui est ainsi mise en abyme. Le lecteur possède lui-même un double, Ella, qui lit le journal de Mary. La fin du livre n’est pas la fin de la littérature puisqu’un nouveau personnage regarde par la fenêtre et voit les deux silhouettes des adolescentes disparues. La fiction appelle le lecteur

L’édition du livre est un bijou. La couverture cartonnée, par exemple, recouverte d’un papier noir teinté dans la masse, sur lequel a été réalisée une impression sérigraphiée. Un embossage et un marquage à chaud créent un relief et la tranche bénéficie d’un jaspage noir. Les tranches et la tranchefile sont noires ajoutant un effet coffret au volume. Les planches, soit sur pleine page soit sur double page, épousent les effets de l’art gothique du romantisme noir anglais de la fin du dix huitième siècle. Le dessin des ombres, le jeu des noirs et des gris, le fil graphique réaliste plongé dans la peinture des motifs irrationnels, les arrières plans inquiétants, les jeux de lumière déréalisant dans la tradition de la xylographie, imposent le doute au lecteur qui hésite sur l’interprétation à donner à l’image, qui s’enfonce avec délectation dans le jardin secret. Et cela, d’autant plus que Mary lit un livre nommée Jardin secret dont elle crée en figurines les personnages qu’elle dispose ensuite autour de sa chambre. Et ces silhouettes d’enfants, à la frontière de la propriété de Thornhill et de la maison louée, pourquoi ne serait-elle pas images d’une réalité ? Dans Thornhill le lecteur ne pas attester l’existence des silhouettes d’adolescentes dans le « jardin secret » de Mary, ce parc en friche vu depuis la fenêtre de son appartement par Ella puis par le nouvel occupant à la fin du livre. Nouvel effet de double, de mise en abyme, ce thème est celui qui structure Secret Window, secret garden (Vue imprenable sur jardin secret) de Stephen King,
La confrontation du verbe et de l’image, la mise en abyme des personnages, le jeu symbolique des poupées cousues muettes, le redoublement des histoires individuelles solitaires à des époques différentes, la hantise vécue (Mary) ressentie (Ella et les lecteurs) de la venue de la fille harceleuse, la pulsion vers autrui toujours suivie d’un châtiment en humiliation, la communication refusée par Mary au profit du dialogue intérieur, l’introversion provoquée par l’environnement social, la peur de la dépersonnalisation ne sont-ce pas des thèmes qui caractérisent le monde d’aujourd’hui, comme l’avaient analysé Deleuze et Guattari ? L’effacement des frontières entre l’imaginaire et le réel, dont sont victimes les adolescentes et dont va être victime le garçon, ne symbolise-t-il pas la perte de cohérence des sujets au sein d’un univers individualiste ? Les images des deux éducateurs qui refusent de s’engager dans leur métier, qui se replient dans leur plaisir égoïste et passent ainsi à côté de la détresse de la jeune pensionnaire, qui se réfugient dans le discours des règlements institutionnels tatillons qui fragmentent les individus sont peut-être, en négatif, les vrais héros de ce chef d’œuvre tant ils nous tendent le miroir de notre contemporanéité.

Philippe Geneste

10/11/2019

La littérature de jeunesse face au militarisme

Tilman Roxanne, Mon Monde et moi, illustrations de Somotho, Chant d’orties, 2019, 32 p. 16€
Assez rare en littérature destinée à la jeunesse, voici un album qui investit la thématique antimilitariste et ne s’arrête pas seulement à la réprobation humanitaire et à la compassion lisse laissant l’enfant hors du jugement critique de la raison guerrière. Pour autant, le texte de Roxane Tilman na rien de didactique.
Une enfant vit sous les bombes, la menace des soldatesques, réalité quotidienne de millions d’enfants de par le monde. « Dans mon pays tout est gris » dit l’enfant et on la suit dans cet univers de peur et de chaos grâce l’imagerie foisonnante de Somotho où se heurtent les motifs grisés et les détails de vives couleurs. Avec les gris nuancés se creuse un espace où l’enfant perd ses repères ; avec les couleurs, l’enfant reprend possession de l’espace. Or l’humain ne peut vivre que par son insertion dans l’espace construit, dans un espace communautaire, commun, social.
L’album frappe d’autant plus les jeunes lecteurs que les pages semblent réalisées au crayon à papier et aux crayons de couleur, ce que les membres de la commission lisezjeunesse ont tous relevés. Le crayon ou l’effet de coloration au crayon suggère une matière profonde et âpre, rugueuse presque, à l’instar de la vie de la petite héroïne de l’album. De plus, c’est un effet connu par les jeunes lecteurs qui pratiquent le dessin par le crayon et les crayons de couleur. Sans s’identifier à l’héroïne, ils s’identifient à la matière de l’illustration même.
Enfin, ils ont bien compris qu’entre le gris et les couleurs, c’était deux conceptions de l’humanité qui s’affrontaient : celle de l’appropriation par la guerre, la domination et la violence d’un côté, celle de la solidarité, du partage et du dialogue de l’autre.
Pour échapper à l’angoisse, pour maintenir la vie de l’espérance, l’enfant dessine, crée en son for intérieur un univers de couleurs inaccessible à l’armée d’occupation, invisible à l’extérieur. Mais cette création n’est pas égoïste, elle ne vaut que parce que l’enfant porte en elle l’idée que, sur une autre rive du monde, d’autres enfants fomentent aussi, en eux-mêmes, une révolution des couleurs. Cette création symbolise donc l’exercice enfantin de la liberté par le dessin, par le coloriage. Et, à la toute dernière page, n’est-ce pas cette liberté qui fait s’exprimer les voix d’une volonté collective de paix : « Alors, attends-moi. J’arrive… Bientôt, je serai là. Sur l’autre rive » ?

Philippe Geneste

03/11/2019

Prendre langue et y saisir aux mots l’espérance

Pernaudet Christophe, Et pluie voilà…, illustrations de Quentric Lauranne, Rouergue, 2019, 40 p. 16€
Voici un bel album pour éprouver la saveur des langues et les jeux de langage. Le titre paronymique donne le la : l’ouvrage sera un album d’humour à partir d’inventions linguistiques. Ces dernières sont prises à une liste de clichés nationaux équivalent au dicton météorologique il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille ou lorsque les grenouilles chantent, elles appellent la pluie ou il tombe des grenouilles expression déclencheuse de l’album. L’enfant pérégrine ainsi de France en Angleterre,  au pays de Galles, à Amsterdam ou New York, en Norvège, en Allemagne, à Prague, en Belgique, au Canada, à Hong Kong, en Italie, en passant par le Sahara ou l’Islande. Ainsi, dans l’album, pleuvent à seaux des expressions travaillées par la traduction. Car là est une astuce du livre : les dictons et clichés nationaux ne sont pas donnés dans leur langue originelle mais transposés en français. L’enfant est ainsi confronté à l’imaginaire linguistique plus qu’à la langue même et le bonheur des mots devient un exhausteur du plaisir des expressions. L’album se clôt sur un récapitulatif qui permet bien au jeune lectorat de prendre la mesure de cette foisonnante plasticité humaine d’exprimer différemment une même réalité.
Les images à la trame d’aquarelles, regorgent de clins d’œil de silhouettes et de mouvements. Elles accompagnent la visée humoristique affichée dès le titre. Elles illustrent effectivement les expressions, à la lettre, si on ose dire, tout en ayant un aspect abstrait et au fond, surréaliste. Le jeu des transparences imite le procédé même d’écriture de l’album, puisque les langues se superposent les unes aux autres dans la traduction française qu’en donne l’auteur.
L’enfant tient dans ses mains le petit manuel d’un dicton météorologique conçu selon la méthode de la linguistique contrastive. Il est invité à l’approfondissement d’une histoire naturelle à la Jules Renard, décrivant les mouvements d’une bête en lien avec les caprices du ciel. A travers ce panorama, le jeune lecteur va aborder le caractère de peuples différents, et même si le résultat visé n’est point l’affirmation d’une vérité sur les peuples, il impose à l’enfant une nécessaire décentration. Celle-ci s’opère vis-à-vis de sa langue, ce qui le mène à s’identifier à celle-ci, à en faire en tout cas le repère même de sa lecture. Il nous semble qu’ici est le grand apport de cet album à la simplicité tissée de richesses.
Les auteurs invitent ainsi, non à tester la fiabilité du dicton et de ses déclinaisons linguistiques, mais à goûter un fragment de discours institué, c’est-à-dire un dicton. L’enfant qui lit prononce chaque dicton, non dans l’impersonnalisation qui définit ce genre discursif, mais dans la singularité d’une traduction qui le projette, l’image aidant, dans la compréhension d’autrui, un autrui des ailleurs. Entraîné par ce mouvement, l’enfant en vient à interroger ce que signifie, au fond, le dicton si souvent entendu si rarement analysé par lui. Il s’interrogera même, peut-être, sur pourquoi il existe.
En effet, l’ouvrage ne choisit pas de creuser les savoirs enfouis au cœur des sentences populaires mais il est de savourer les imaginaires d’une géographie humaine. Le choix de procéder par la traduction est une manière d’ouvrir à l’entendement enfantin un monde sans frontière ; de lui faire goûter à la paix par les mots unis en une confédération sentencielle des peuples.
Philippe Geneste

Quatromme France, L’Orchestre de la favela, illustrations de Boscus Sébastien, Chant d’orties, 2018, 32 p. 16€
La commission lisezjeunesse a plébiscité cet album des éditions Chant d’orties. D’abord, c’est l’éclat des peintures de Sébastien Boscus qui reviennent dans les jugements enfantins. Les couleurs vibrent, rendant par leur matière la densité de la population dans la favela de Rio, mais aussi l’entrecroisement des matériaux, des objets, des déchets mêmes où le grand père de l’héroïne fouille pour ramasser les ingrédients qu’il assemble ensuite en d’improbables réalités. Le regard des lecteurs vagabonde ainsi de rue en rue, de maison en maison, en suivant les personnages dans leurs activités et leurs émotions. Une volonté figurative reste présente, mise à l’arrière-plan, pour structurer la lecture des images. Ainsi, l’art de l’illustration magnifie les lieux sans en trahir l’âpreté des vies qui’ s’y déroulent.
La narration menée par France Quatromme est simple, précise et cadencée par des mots justes. L’histoire raconte d’abord la déception d’une enfant à ne pas pouvoir s’exercer à la musique, une activité réservée aux gens pouvant payer les cours du soir. Puis elle s’attache au personnage d’un grand-père, récupérateur de matériaux en tout genre et fabricateur hors pair d’objets à rêver. Le chineur de déchets est un artiste brut. Il va fabriquer à sa petite fille un violon sans pareil. Et autour de l’enfant prodige se rallieront d’autres enfants de la favela pour transfigurer le quotidien de misère en un îlot de joie et d’espérance.
Cette fin euphorique se double d’un message d’espoir du peuple par l’éducation. Un très bel album.

Philippe Geneste et la commission Lisez jeunesse