Fontenaille Elise, Dorothy Counts. Affronter la haine raciale,
oskar, 2019, 51 p. 9€95
Les romans d’Elise Fontenaille se
situent dans la lignée du roman objectif. L’autrice part d’un fait divers, d’un
fait historique et d’une documentation serrée. Rien qui ne soit évoqué qui ne
se soit passé. Elise Fontenaille crée des romans de la condition humaine,
ainsi, sans se couper de la réalité. Elle ne vise pas la vérité, mais
l’authenticité. Elle se distingue du roman objectif en cela que le récit ne se
veut pas plus vrai que la vie. Elle affirme la nécessité de la fiction comme
approche sensitive du réel. Et, en littérature de jeunesse, cette position
porte le jeune lectorat à une conscience des enjeux de société qui se trament
dans le quotidien des faits.
Avec Dorothy Counts, Elise
Fontenaille ne propose pas une biographie, mais un récit, celui de la première
lycéenne noire des Etats-Unis d’Amérique. Elle nous transporte donc à
Charlotte, en Caroline du Nord, en 1957. Dorothy Counts a 15 ans. La conscience
noire est en pleine éclosion, le Klux-Klux-Klan reste influent,
« Ils ont tué des gens. Lynché des noirs. Brûlé
des maisons. Violé des jeunes filles ».
La famille de Dorothy est religieuse. La
non-violence est son credo pour l’intégration et la lutte contre la
ségrégation.
La narratrice écrit à la première
personne son histoire. L’identification du lecteur ou de la lectrice au
personnage historique est un choix pour rendre plus percutante la brève
relation d’un épisode d’une existence. C’est la veille de la rentrée des
classes. Tout le monde est nerveux, chaque membre de la famille évite de le
montrer. C’est le matin de ce 4 septembre 1957. Dorothy se dirige vers l’école.
Les abords du lycée sont bruyants, une foule hostile l’agresse, la police
n’intervient pas, les crachats, les jets d’objets, les hurlements de haine.
Dorothy, stoïque, entre au lycée. Première heure de cours : elle est
transparente. Et puis les autres heures ; Elle est harcelée, injuriée, on
lui crache dessus ; le deuxième jour, on crache dans son assiette de
purée. Elle est seule. Les amies qui l’accompagnent seront menacées les jours
suivant et quitteront le lycée.
Dans la famille Counts, c’est le
désarroi :
« Quelque chose en nous était irrémédiablement
détruit.
La confiance qu’on fait au monde ?
L’espoir d’un monde meilleur ? Plus
juste ? »
Le harcèlement va se poursuivre,
de plus en plus vindicatif. Dorothy sera de plus en plus seule, même si un
professeur de mathématiques brisera l’attitude des professeurs. Mais c’est trop
dur. Les amies qui la soutenaient ne sont plus là. Pour les Counts,
l’intégration au lycée ségrégationniste de Charlotte s’avère impossible.
Dorothy ira faire ses études dans une autre ville et, une fois son diplôme
acquis, elle reviendra à Charlotte afin d’y œuvrer contre la ségrégation. Son
exemple va permettre à des acteurs du drame de prendre la parole, d’exposer les
mécanismes de la lâcheté ordinaire dont les ressorts sont les mêmes que dans
toute situation de harcèlement. James Baldwin écrira une lettre de reconnaissance
à Dorothy, qu’Elise Fontenaille propose en annexe du roman.
Incisif, parfaitement documenté,
écrit avec objectivité sans jouer sur l’émotion et encore moins avec la
compassion, Dorothy Counts. Affronter la haine raciale se fait, sans
didactisme aucun, littérature d’intervention.
Simard, Éric, Rosa
Parks, contre le racisme, oskar éditeur, 2019, 38 p. 4€95
L’ouvrage s’adresse aux enfants
de 8 à 10 ans. En trente huit pages, l’auteur rend compte d’une action qui a
entraîné une réaction collective et a fait événement dans l’histoire. Ici, le
boycott comme modalité de lutte des opprimés est à l’honneur. Comment en si peu
de pages rendre compte de la vie de l’aide soignante, couturière, secrétaire, Rosa
Parks, sans tomber dans le récit euphorique ?
Éric Simard y réussit en prenant
dans la biographie les éléments qui convergent vers l’acte central d’une
vie : le 1er décembre 1955, à Montgomery (Alabama), Rosa Parks
refuse de laisser sa place assise du milieu du bus à un blanc qui n’a aucune
place assise à l’avant. Elle est arrêtée conformément à la loi ségrégationniste
américaine. Par solidarité, le mouvement pour les droits civiques, auquel elle
appartient depuis 1943, lance un mouvement de boycott des bus de la ville. La
communauté noire, avec notamment l’action non-violente prônée par Martin-Luther
King, alors âgé de 26 ans, répond massivement présente. Elle organise des
modalités parallèles et autonomes de transports pendant 381 jours. Face à cette
auto-organisation des Noirs, la
Cour Suprême des Etats-Unis, le 20/12/1956, déclare contraires
à la Constitution
les lois racistes appliquées dans les transports en commun.
Six chapitres constituent le
livre et couvrent la vie de Rosa Parks le 4/2/1913 jusqu’au boycott de 1955.
Opportunément, Éric Simard rend compte d’un épisode moins connu, durant les
années mille neuf cent quarante : Rosa Parks, prétextant ramasser son sac,
s’assoit à l’avant d’un bus pendant quelques secondes.
Est-ce que le livre évite la
centration excessive sur une personnalité au détriment du mouvement collectif à
l’intérieur duquel son acte prend tout son sens ? Non. C’est un défaut qui
tient probablement au fait que l’auteur situe insuffisamment les faits relatés.
Les lieux et les dates restent flottants. En revanche, le livre fait entrer le
jeune lectorat dans la problématique du racisme et de la ségrégation. Les
récits sommaires de la fin, œuvrant à la manière d’une annexe contextualisent
le récit biographique qu’ils complètent allant jusqu’à la mort de Rosa Parks, le
24/10/2005.
Justhom, De
L’Esclavage et du colonialisme, St-Pierre d’Oléron, Les éditions
libertaires, 2019, 253 p. 15€.
Sur la question de l’esclavage et
de son instrument le colonialisme, on recommandera ce livre aux jeunes lecteurs.
L’ouvrage se propose un panorama situé de l’esclavage de l’Antiquité aux temps
modernes, une approche par pays colonisateur du colonialisme. Une multitude de
chronologies donnent des repères et de nombreux commentaires factuels et
historiques posent les éléments nécessaires à la discussion de tel ou tel
aspect des deux thèmes centraux du livre. Ce travail documentaire fourmille
d’informations et les met en ordre, fournissant ainsi un livre de synthèse des
plus pertinents. Il serait dommage que les collégiens de troisième et les
lycéens ne puissent avoir à leur disposition un tel guide pour l’analyse et la
réflexion.
BLoch-Henri Anouk, Harriet Tubman, la femme qui libéra 300
esclaves, oskar, 2019, 170 p. 14€95
Enfant, Araminta Ross, qui deviendra
plus tard Harriet Tubman, voit trimer ses parents, fouetter les esclaves,
parader les propriétaires, défiler les marchandises humaines à vendre lors des
marchés aux esclaves. Blessée à la tête par un surveillant lancé à la poursuite
d’un esclave, Harriet va garder toute sa vie des séquelles de ce drame qu’on
peut qualifier d’initiateur puisque il a protégé la fuite de l’homme. De son
premier mariage, elle apprend que le contrat possède des clauses qui font des
enfants la propriété des esclavagistes, des « biens mobiliers ». La séparation des parents et des enfants
est donc inscrite dans un système de gestion des noirs captifs du droit blanc
de la propriété. L’adolescente illettrée comprend la fonction de la terreur
dont usent les esclavagistes : « La
peur, toujours la peur, on vit avec depuis notre naissance, on l’a bu avec le
lait de notre mère » (29). Et c’est cette peur qu’elle va apprendre à
dompter et à retourner en vigilance active et subversion du système économique
américain de l’époque.
L’ouvrage raconte comment la
jeune esclave Harriet Tubman s’évade de la plantation où elle a été vendue
encore jeune fille. Chronologiquement, le livre fait le récit des dix-neuf
allers-retours entre le Sud et le Nord, Canada compris, pour organiser et sauver
trois cents esclaves en fuite. L’ouvrage permet de comprendre le fonctionnement
du « Chemin de fer clandestin »
mis en place par des anti-esclavagistes blancs et noirs, dont nombre de quakers.
Lors du durcissement de la législation contre les esclaves avec le Fugitive
Slave Act (loi sur l’esclave en fuite, voté au Congrès en 1850), les Comités de
Vigilance se réorganisent pour protéger les noirs menacés. On croise la
solidarité internationale, notamment à travers les sociétés anti-esclavagistes
qui ont essaimé de par le monde.
Anouk Bloch-Henry place souvent
le lecteur dans la peau de l’héroïne. Il est ainsi invité à entrer dans la
croyance en la providence qui innerve l’action de la militante. Elle va
rencontrer des abolitionnistes blancs, mesurer l’ambigüité de Lincoln (1), se
trouver impliquée dans la guerre de Sécession avec les atrocités (six cent
cinquante mille morts) qu’elle entraîne, comme toute guerre. Des portraits de
personnages historiques sont inclus pour éclairer le déroulement même de
l’action dans le livre. C’est le cas de Frederick Douglas, un noir évadé,
autodidacte, journaliste, écrivain propagandiste de la cause anti-esclavagiste.
Le récit nous mène à réfléchir
sur la désobéissance civile, sur ses limites et sur la nécessité d’outrepasser
le droit pour faire advenir la justice. Non machiavélique, l’ouvrage pointe les
positions diverses dans le camp abolitionniste. Evoquant la tentative, en 1858,
de John Brown et de ses hommes (noirs et blancs) de s’emparer de l’arsenal de
Harper’s Ferry en Virginie et leur pendaison par l’alliance nouée entre l’Etat
de Virginie et le gouvernement fédéral, le récit pose, de manière ouverte, le
débat entre violence (thèse de John Brown pour une libération par les armes des
noirs du Sud) et non-violence, comme modalité de résistance et de subversion de
l’ordre établi. Harriet Tubman se trouvé impliquée dans le plan de Brown, mais
malade ne put participer.
A la sortie de la guerre, la
victoire nordiste mena à l’abolition de l’esclavage. Mais le racisme n’était
pas éradiqué, et la supériorité affirmée de la race blanche sur les autres
races restait le credo des élites et des gouvernements. Mais c’est une suite
historique, dont le récit documenté d’Anouk Bloch-Henry n’a point à traiter,
son sujet étant la biographie de l’esclave révoltée Harriet Tubman (1825-1913)
et notamment de la période de son action 1849 (la fuite)- 1865 (vote du 13ème
amendement qui abolit l’esclavage, l’assassinat de Lincoln par des sudistes).
Philippe Geneste
(1) « Je n’ai jamais été pour
l’instauration -sur quelque mode que ce
soit- de l’égalité sociale et politique
des races blanche et noire (…) En ce qui me concerne, je suis plutôt, et comme
bien d’autres, pour que les Blancs jouissent d’un statut supérieur »
discours de 1858 dans le sud de l’Illinois cité par Zinn Howard, « Nous
le peuple des Etats-Unis… » Essais sur la liberté d’expression et
l’anticommunisme, le gouvernement représentatif et la justice économique, les
guerres justes, la violence et la nature humaine, traduit de l’anglais
par Frédéric Cotton, Marseille, Agone, 2004, p.343