Roman
Ghislaine, Le Cerf-volant de Toshiro, illustrations de Stéphane Nicolet, Nathan, 2018, 32 p. 11€50
Les peintures
du livre semblent des aquarelles qui permettent à l’auteur de jouer sur la
transparence et l’illusion des surfaces et des fonds. Or le récit a pour lieu
central une mare et les reflets du ciel qu’elle permet de capturer. Ce n’est
pas la nature que l’album magnifie mais la création humaine : le
cerf-volant, la mare recréée par un enfant qui y transporte l’eau. Mais la plus
belle création est celle de la relation affective nouée entre un vieillard et
un petit enfant, Toshiro. De la même façon que jeunesse et vieillesse
s’opposent, l’air et le ciel s’opposent à la terre, le regard vers le haut au
regard vers le bas, l’immensité du ciel, son reflet sur une surface liquide. Si
le grand-père, Sato, raconte des bribes de son histoire personnelle, Toshiro
est un enfant mutique, jusqu’à ce que la neige tombe et que, le grand-père ne
pouvant plus voir le reflet du cerf-volant jouant avec l’air dans la mare,
l’enfant trouve la ressource sonore des mots pour, à son tour lui décrire les
circonvolutions de l’objet aérien. Mais si l’album émeut, c’est parce qu’il
approfondit, par le dessin et le propos littéraire, la relation entre
générations. Sato se raconte, Toshiro lui raconte et la transmission repose sur
le lien entre les deux, c’est-à-dire donner de soi pour que s’ouvre, toujours
nouvellement, l’histoire du monde. Ce qui unit les êtres humains, c’est le
monde et donc la relation humaine raconte la relation des hommes au monde.
Jolibois Christian, La princesse aux doigts d’or,
illustrations de He Zhihong, Milan,
2018, 40 p. 15€90
Un empereur
pacifiste, première dérogation à la norme historique, une fille d’empereur qui
a reçu, par don -ainsi vont les contes au penchant de l’inné- de savoir peindre
les oiseaux et de leur donner, ainsi, vie. Un pays imaginaire où les oiseaux de
papier se retrouvent, loin des terres habitées. Un monstre mauvais génie qui
veut contrevenir au bonheur de l’empereur en handicapant sa fille. La princesse
aux doigts d’or devient la princesse aux doigts gourds. Mais la volonté
intervient chez cet être chétif et, par l’intermède d’un chenapan, elle regagne
par l’acquis, cette fois, l’art de peindre. Les illustrations de He Zhihong
sont produites sur papier de riz selon le dessin traditionnel chinois. Douceur
et magnificence s’allient pour créer cet univers parallèle au nôtre. Le genre
du conte de fée est l’intertexte annoncé dès le titre et assumé par
l’illustration que met en valeur le grand format (320 x 240 mm ). Les métamorphoses
sont présentes et répétées par le travail du dessin, bref, le jeune lecteur ou
l’enfant à qui on lit l’album, peut voir et se représenter cet univers fabuleux
où les animaux sont les alliés de la paix et de la légèreté de vivre contre
l’esprit guerrier. Une très bonne idée de cadeau qui poursuit le conte
traditionnel dans les règles de l’art, y ajoutant des interpellations au
lecteur.
Quatromme France, Au temps des cerises, dessins et
peintures d’Elsa Oriol, Utopique,
2018, 40 p. 17€
Proposer aux
enfants un récit sur la maladie n’a rien d’évident. Comment s’y est prise
France Quatromme qui a relevé ce défi ?
D’abord, elle a
choisi d’immerger le lectorat au cœur de la relation d’une mère et de sa fille,
relation propice à l’expression des émotions. C’est la mère qui est malade,
atteinte d’un cancer du sein. France Quatromme a ensuite mis de la distance
entre les lecteurs, les lectrices et le récit : elle a refusé la narration
à la première personne, préférant opter pour une narration à la troisième
personne. Elle évite ainsi ce qu’une identification à l’héroïne pourrait avoir
de ravageur. Les illustrations courent sur les doubles pages ce qui rend le
lectorat dépendant des décors, paysages, situations relatées par Elsa Oriol. Les
peintures, servies par le grand format de l’album, sont porteuses de calme et
pourtant reflètent une indicible tristesse. C’est justement cet indicible que
vise le texte de France Quatromme.
La couleur va
épouser le passage des saisons c’est-à-dire du temps. Le récit traverse l’angoisse
de la mort tout le long de la période hivernale. L’album se clôt sur le
printemps, « le cerisier, comme une
promesse… », les couleurs vives et une double page lumineuse où une
mère qui a retrouvé ses cheveux tient par l’épaule une petite fille, toutes
deux de dos mais face aux cerisiers chargés de leurs fruits carmin.
Philippe Geneste