AYMEN Gaël, La Belle au bois dormant, illustrations par Sébastien Pelon, Nathan, 2020, 32 p ; 19€95
Une princesse qui s’ennuie,
succombe à la curiosité un soir ténébreux et se retrouve endormie pour cent
années. Elle a 15 ans. C’est « une femme » nous dit le conte
actualisé de Gaël Aymen (une « bonne femme » disait le conte
de Perrault). Les menstrues signent l’entrée dans l’âge adulte, si on ne
surinterprète pas.
Cent ans plus tard, un prince,
qui pour repousser l’ennui, parcourt la campagne et trouve un château, enfoui dans
une épaisse forêt, avec, endormie avec en son écrin, une princesse dont il
tombe immédiatement amoureux. Le travail éditorial, avec ses dentelles de
papier découpé, donnent relief aux illustrations pour imiter la luxuriance de
la nature au fond de laquelle se trouve la naissance de l’amour.
La belle à la vêture surannée
ouvre les yeux : « comme tu t’es fait attendre ». Alors
le prince lui répond : « Comme je t’ai attendue ». Et ils
partent ensemble, « rayonnant d’un amour dont seuls encore les contes,
et peut-être les fées, ont gardé le secret ». Le « sommeil
enchanté » (thème récurrent de contes populaires (1)) est aussi bien
le rêve éveillé de la littérature orale de la tradition populaire dont les
contes sont un des fleurons : « Tout conte est une sorte de rêve
sorti spontanément de l’inconscient, qui, sous une forme symbolique, nous
raconte une histoire chargée de sens » (2). L’enfant reçoit, dès sa
naissance, de la part des fées, figures maternelles et sages-femmes du
royaume, en quelque sorte, bénédiction et malédiction. Elle fera avec,
compensant en rêve, dans son sommeil, le malheur contracté lorsqu’elle se pique
avec le fuseau maudit de la mauvaise fée. Le conte invite à lire un refus de
grandir mais surtout, il va décrire les bienfaits de l’attente. L’attente
suspend le temps comme le montrent plusieurs images ; et c’est la
rencontre qui relance le flux de la vie. C’est une lecture, mais il y en a une
autre, si on se concentre sur la figure des parents : le conte interroge
leur capacité à protéger leurs enfants. La complexité interprétative du conte
fait mentir le chroniqueur du Mercure Galant de 1697 qui parlait de ces contes
« dont [l]a morale est très claire » (3)
Bercé par le style appuyé sur une
quasi versification, cet album est une invitation à rentrer dans l’univers de la
fantaisie. Les dessins et couleurs à l’ordinateur peinent à rendre la chaleur
fiévreuse des événements, mais ils sont, avec bonheur, rehaussés par un jeu de
doubles pages et de caches, de papiers découpés épousant les dessins. Dès cinq
ans, les enfants aimeront jouer avec ces reliefs des pages, à condition qu’on
leur lise le conte. Mais ce dernier sera lu avec délice par les premiers
lecteurs -là, aussi, un accompagnement initial est de mise.
Gaël Aymen signale sa dette
envers la version de Madame d’Aulnoy ; il a emprunté au conte de Perrault
-qui porte le même titre-, mais il s’est inspiré aussi de celui des frères
Grimm, « Rose d’épine », dont il reprend la brièveté et la
cohérence interne bien plus puissante que la version de Perrault. Le récit est
limpide, facile d’accès grâce à ce choix. Il est aussi très suggestif. L’auteur
joue de variantes moins connues et souvent inconnues des enfants. Ainsi, le
prince n’arrache pas la princesse au sommeil, mais assiste à son réveil. Donc,
s’il y a emprunt, c’est pour une nouvelle création par un travail de réécriture.
Ainsi va le conte, tiré du trésor populaire, il se poursuit happé par la vie
contemporaine.
Philippe Geneste
(1) voir Saintyves, Pierre, Les Contes de Perrault et les récits parallèles, En Marge de La Légende dorée. Songes, miracles et survivances ; Les Reliques et les images légendaires, édition établie par Francis Lacassin, Paris, Robert Laffont, 1987, 1192 p. _ (2) Franz, Marie-Louise von, La Femme dans les contes de fées, traduit par Francine Saint René Taillandier, Paris, Albin Michel, 2002, 299 p. - p24 _ (3) cité par Soriano, Marc, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, édition revue et corrigée, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1996, 525 p. – p.26
Delacroix
Sibylle, Les Trois Ours chez Boucle d’or, Bayard, 32 p.
12€90
Voici une nouvelle réécriture
d’un conte traditionnel, à la faveur de la transposition du conte initial de
Boucle d’or, du genre du conte au genre de l’album. Ce n’est pas Boucle d’or qui
découvre la maison des trois ours, mais les trois ours qui découvrent la
demeure de Boucle d’or. Petit ours y met un bazar fantastique et d’autant plus
impressionnant que le format de l’ouvrage est imposant. C’est que la
cohabitation entre l’espèce des ours et l’espèce humaine n’est pas chose aisée.
Les ours, effectivement, même humanisés comme ceux des contes de fée ne sont
pas habitués à des intérieurs en ordre et proprets…. Bref, un album hilarant,
plaisant, agréable et que les petits dévorent…. Quant à Boule d’or, il lui faut
expliquer ce qui s’est passé à ses parents de retour…
La commission lisezjeunesse