Anachroniques

25/05/2014

Classiques littéraires et classiques cinématographiques en adaptation

Dans un entretien qu’il nous avait accordé à la fin des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, Jean-Pierre Tusseau, traducteur et adaptateur de récits médiévaux pour la jeunesse, soulignait que l’adaptation était liée pour lui à une volonté de partager un texte avec le jeune lectorat. C’est le partage d’un intérêt de l’adaptateur ou de l’adaptatrice, mais c’est aussi une mise en commun dans le but d’ancrer le social dans un culturel partagé.
L’adaptation impose d’élaguer, d’abréger. C’est là, on le sait que bien des adaptations sont coupables de  dénaturation des textes. L’adaptateur ne réécrit pas au sens où il n’ajoute pas. Son travail est long dans la mesure où il impose une recherche sur les textes, ce qui ne va pas dans le domaine du moyen âge sans la nécessité de traduire, puis, ensuite de synthétiser pour réduire sans rogner.
Adapter, c’est aussi permettre à d’autres d’entrer dans un texte qui sinon ne serait réservé qu’à quelques lecteurs ou à une catégorie de lecteurs. C’est ce qui motive bien des adaptations de livres pour adultes versés dans la littérature de jeunesse. C’est aussi rendre accessible le scénario de films, en général de grandes diffusion, dont on tire des images fixes pour illustration. Si, en général, ce travail-ci est plutôt d’intérêt commercial que littéraire, il en existe qui relève l’exigence de l’adaptation telle que définie par Jean-Pierre Tusseau. 

de la littérature …
Cadot-Colin, Anne-Marie, La Chanson de Roland, Hachette, collection “Livre de poche – roman historique”, 2007, 128 p., 490
Après l’excellent Perceval ou le conte du Graal publié, dans la même collection, en 2006, Cadot-Colin récidive avec La Chanson de Roland. Cette spécialiste des romans du Graal offre une œuvre nouvelle qui l’éloigne de son terrain de prédilection. Mais l’intention reste la même et plus qu’un roman historique, c’est à une adaptation nouvelle d’un classique de la littérature de geste que nous avons à faire. L’écriture est claire, la volonté de faire partager le goût de la culture du moyen âge est palpable. Les longueurs du texte sont supprimées, mais avec un respect de l’ambiance générale de l’œuvre. Si nous devions faire un rapprochement avec un auteur ce serait avec Jean-Pierre Tusseau qui, comme Cadot-Colin adapte les classiques du moyen âge avec un respect de médiéviste.

Poe Edgar Allan, Histoires terribles, textes présentés par Danielle Martinigol, Flammarion, 2013, 288 p. 6€10
Le choix du titre dit tout de suite que Martinigol se place dans la même démarche que Baudelaire réunissant des textes qu’il avait traduit de Poe sous un titre personnel Histoires extraordinaires puis Nouvelles Histoires extraordinaires. Baudelaire faisait découvrir aux lecteurs de langue française, un auteur américain. Martinigol réunit un poème, des extraits de nouvelles et d’un roman pour faire découvrir au jeune lectorat francophone ce précurseur de ce qu’il connaît sous le terme d’heroïc fantasy. Six parties structurent l’anthologie de Martinigol.
La première annonce le précurseur du roman fantastique ; la seconde l’annonciateur du roman policier ; la troisième l’écrivain de récits d’aventures ; la quatrième –la plus originale- présente un écrivain qui fleure la science fiction ; une cinquième qui met en avant l’auteur satirique et la sixième, dite conclusion, qui souligne la réflexion littéraire et technique de l’artiste.
Chaque partie fait l’objet d’une introduction intelligente et chaque extrait est situé. Le travail de Danielle Martinigol est de ce point de vue respectueux des lecteurs et lectrices. La variété des extraits choisis à l’intérieur des mêmes parties est due, aussi, aux coupes réalisées et assumées par l’anthologiste et présentatrice.
On regrettera que l’ouvrage ne mentionne que partiellement les traducteurs des textes présentés : Donc tous les textes sont les traductions de Baudelaire, hormis la version du Corbeau par Mallarmé – le référent en poésie pour Poe – suivie de celle de Baudelaire « qu’il me semblait intéressant pédagogiquement de proposer à la lecture immédiate pour comparaison » (entretien par courriel avec l’auteure). Pour finir, sur cette question de la traduction, Le Mille et deuxième conte de Schéhérazade a été traduit par Felix Rabbe – c’est dit dans le chapeau d’introduction. C’est le seul texte qui ne soit pas traduit par Baudelaire.
On regrettera aussi qu’aucun appareil critique même succinct ne permette d’identifier rapidement la date de rédaction ou de publication des textes. Certes, l’éditeur nous répondra qu’il suffit de lire l’avant-propos, qui est excellent et où effectivement Danielle Martinigol présente avec soin son choix. Mais c’est peut-être beaucoup demander aux lecteurs et lectrices de 11 ans.
Ces deux réserves formulées, il faut louer l’excellent travail de Martinigol qui met à la portée du jeune lectorat la palette des styles, genres et tons de Poe. Les introductions aux différents textes sont particulièrement intelligentes, n’hésitant pas de faire des rapprochements avec la biographie de l’auteur, ce qui permet au texte d’aller à la rencontre du lectorat. Le dossier constitué pour la lecture du poème Le corbeau confrontant les traductions de Mallarmé et Baudelaire, mais aussi commentant la première strophe du Tombeau d’Edgar Poe de Mallarmé est un modèle de didactisme érudit. De plus, à l’heure où les adaptations restent une solution massive en matière de classique en littérature de jeunesse, Histoires terribles propose des textes fourmillant des intentions de l’auteur et de ses recherches d’écriture. C’est ainsi que le choix d’une succession d’extraits, savamment orchestrés, inclus dans une composition instruite de l’œuvre complet d’Edgar Allan Poe, relègue les adaptations par troncation, réécriture et recomposition loin derrière lui en matière d’intérêt culturel, littéraire et de plaisir de lecture.
Un petit chef d’œuvre d’un genre, dans lequel Danielle Martinigol impose son nom. La confession de l’auteure explique peut-être la rigueur de son travail : « Ayant été professeur de français 37 ans, je propose à mes collègues des outils pédagogiques qu’il m’aurait plu d’utiliser. Mais la retraite est là, et c’est tant mieux puisqu’elle me permet justement ce genre de travail en parallèle avec mes romans ».


Entretien avec Michel Honaker
Verne, Jules, L’Île mystérieuse, adaptation de Michel Honaker, Flammarion jeunesse, 2014, 288 p. 6€10
Intrigué par la volonté éditoriale d’adapter ce grand roman de Jules Verne, ce roman phare de la collection Hetzel à la fin du XIXème siècle créée explicitement pour les enfants, nous nous sommes entretenus avec Michel Honaker, auteur lui-même de récits de science fiction et de fantastique pour la jeunesse :
-Qu'est-ce qui vous a guidé pour l'adaptation du roman de Jules Vernes ?
Michel Honaker : L'adaptation des deux romans de Jules Verne était un projet que je caressais depuis plus de trente ans car ma vocation d'écrivain leur doit beaucoup. Mon grand-père me les a offerts quand j'étais gamin ce qui pour moi signifie un double hommage.
-Qu'est-ce que vous avez choisi d'enlever et pourquoi ?
Michel Honaker : Quant à ce qu'il convenait d'amender (plutôt que de retirer) avec toute la révérence que je dois à ce grand devancier, découvreur de la SF, c'étaient d'interminables descriptions et ellipses propres à décourager le jeune lecteur du vingt et unième siècle. De plus, la psychologie des personnages est terriblement sommaire, et quelques touches d'humanité, ici ou là, m'ont paru plus que nécessaires pour leur rendre une sorte de modernité. Dans 20.000 lieues sous les mers [roman aussi adapté par Michel Honaker], par exemple, j'ai accentué le duel feutré entre Nemo et Aronnax, le second n'oubliant jamais qu'il est en face d'un geôlier, si fascinant soit-il. Chez Verne, on est à la limite du bavardage mondain... C'est pourquoi j'ai également raccourci et réécrit quantité de dialogues dans le sens d'une plus grande crédibilité.
Entretien réalisé le 12/02/2014

            … au film…
Gudule & Jugla Cécile, Minuscule, la vallée des fourmis perdues, Nathan, 32 p. 2014, 5€95 ; Gudule & Jugla Cécile, Minuscule, la vallée des fourmis perdues, Nathan, 48 p. 2014,13€90 
Les deux albums sont identiques quant au texte mais l’album de 48 pages est plus impressionnant par l’illustration. Il s’agit d’une adaptation du scénario d’Hélène Giraud et Thomas Szabo créatrice de Minuscules, série télévisuelle à succès. Le récit est un récit écologique. La société de consommation y est critiquée à travers les déchets servant de vaisseau aux protagonistes. Dans ce décor décadent l’affrontement entre les méchantes fourmis rouges et les pacifiques fourmis noires est porté par un ton épique. Récit animalier, le film et ses albums content l’amitié inter-spéciste entre une coccinelle et une fourmi à l’intérieur d’une aventure grandiose à dimension microscopique. Les albums donnent envie de voir le film et resteront comme des traces mémorielles pour ceux et celles qui l’auront vu. Les illustrations sont des extraits du film, images synthétiques pour les insectes, prises de vue des décors naturels pour la nature. Si l’espèce humaine est critiquée pour son non respect de la nature, il y est quand même déposé un espoir puisque ce sont les canadairs qui sauvent les fourmis du désastre du feu.
Geneste Philippe


18/05/2014

Prénoêmes

C’est un petit combat de faire comprendre que les créations des élèves, leurs productions en milieu scolaire peuvent participer du complexe de la vie sociale et apporter une pierre à la culture. Seuls quelques praticiens de l’éducation, des cercles restreints de syndicalistes, de militantEs de mouvements pédagogiques, de professionnels de l’enfance ou de la culture promeuvent cette idée qui a toute une histoire. Les actes institutionnels en font partie. L’action de la bibliothèque et de la mairie d’Ares y participent aujourd’hui.
*
« La poésie doit avoir pour but la vérité pratique » écrivait Isidore Ducasse (1846-1870) dans Poésie II (1870). Et la poésie travaille les mots, sous les mots, entre les mots, par les mots, enfin comme vous voulez, mais obligatoirement elle scrute le physisme des mots, c’est-à-dire les lettres et les sons, leurs dessins, la figure du mot sa longueur, sa brévité. La poésie est ainsi, elle scrute.
Et dans cette action de  fouille, elle retrouve parfois le premier principal contact pris par la personne humaine avec le monde, la première sensation de l’exprimer et l’exprimant de s’exprimer, d’imprimer sa trace parmi les autres êtres humains se mouvant au monde.
Dans notre société, l’être humain est assigné à un nom et sitôt à un pré-nom, une avant nomination si on veut. Ce second nom, prénom, il est à charge à l’individu qu’il désigne de lui donner un sens singulier, de le porter et d’y rapporter actes et valeurs. Ce serait la désignation d’une liberté que le prénom, une liberté  qui précède la carte d’identité verbale (appelée le nom de famille). Le prénom, pour la personne ce sera ce qui se nomme avant le nom qui vient.
Dans un proême –c’est la désignation radicale, au sens de racine, que le poète Francis Ponge (1899-1988) donne au poème – donc, dans un proême de 1924, Ponge écrit : « Les pensées, les paroles et les actions ne se commandent ni ne s’obéissent dans l’homme : elles s’y jouent ». C’est pourquoi la pratique poétique peut prétendre à quelques vérités. Et la vérité exige la connaissance ce pourquoi la poésie est une modalité du connaître à côté ou avec les sciences.
Alors, retourner au mot, faire retour au prénom par exemple, c’est faire de soi une présence de langage à condition de laisser libre cours au physisme des lettres, des sons et laisser libre cours  aux phrases qu’ils emportent. Chacun chacune relit ainsi son pré-nom, le re-lie à soi, y fait retour, par une écriture qui est appelée ici par le néologisme prénoême : le poème à la racine du prénom. La classe de cinquième A va vous en présenter ses propres modulations, ses propres variations.
Il y a peut-être sous le secret des anagrammes, métathèses, euphonies, paronymies et autres tropes et figures de rhétorique abondamment travaillés par les élèves scripteurs et scriptrices, comme un souffle des archives de l’origine de chacunE. Peut-être. L’énigme de l’unité du prénom et du vrai du mot qui s’accomplit par la vie, bref, l’unité du physisme c’est-à-dire les sons, les lettres qui forment le prénom et de ce qui s’y love, le sens qu’il recouvre c’est-à-dire une vie en accomplissement, cette unité donc est l’énigme natale de cette exposition ()

Geneste Philippe le 14/05/2014
Inauguration de l’exposition proposée par la classe de cinquième A du collège d’Andernos-les-Bains
Mise en voix et prolongement musical sur une composition de Xénakis par Madame Baudy professeure d’éducation musicale
Interprétations graphiques, plastiques et cryptographiques par Madame N’Guyen professeure d’arts plastiques

11/05/2014

L'enfant et la baleine

En littérature destinée à la jeunesse, la baleine est un animal porteur de valeurs de paix, de silence et d’apaisement. Voici quelques apparitions de l’animal :

Davies Benji, L’Enfant et la baleine, traduction de l’anglais par Min, Milan, 2013, 28 p. 11€90
Une histoire tendre entre un père pêcheur et son enfant. Une nuit de tempête, une petite baleine est retrouvée par l’enfant échouée sur la plage. Il la sauve. Le père lui expliquera qu’il faut la remettre à l’eau. Un jour de printemps, il verra la baleine et sa mère au large, comme un adieu. C’est une histoire où la mer peinte de couleurs sombres de manière dominante laisse planer une menace qui n’est au fond que la tristesse de la perte de sa mère par l’enfant. L’exergue donne la clé de la lecture : « La merveille du monde / Sa beauté et sa force / La forme des choses / Les couleurs, la lumière, les ombres / J’ai vu tout cela / A toi de les regarder maintenant / toi qui es vivant ». Un hymne à la vie, par conséquent.

SUSUMU shingu, Le Requin-baleine, Gallimard, collection Giboulée, 2014, 48 p, 1400      Pour les 3 – 5 ans
Connu pour ses sculptures d’acier et de toile qu’animent le vent ou l’eau, collaborateurs de chorégraphes et d’architectes, Susumu Shingu, né à Osak,a poursuit une œuvre pour la jeunesse qui se situe dans le domaine du documentaire mais qui fait éclater la frontière du genre en y introduisant, par le graphisme et la couleur une poésie de la vie naturelle.
Ici, l’artiste a travaillé sur le bleu de la mer, le bleu des profondeurs, la brillance de la lumière argent sur fond bleu, le bleu noir des ombres, le bleu strié, le bleu tacheté, le pointillé de bleu, le bleu granuleux, le bleuâtre, l’aplat bleu, le bleu pastel…
 L’ouvrage narre graphiquement la vie du requin-baleine en suivant ses pérégrinations incessantes. Le texte est minimaliste, d’une certaine façon purement informatif mais écrit avec une recherche d’analogies et de comparaisons qui flirtent avec la poésie/ Les plans et les points de vue sont orchestrés par la phrase de chaque double page écrite en blanc. Seule l’ultime page du livre est écrite en bleu sur fond blanc, qui vient documenter plus précisément le récit narré par les dessins et la couleur.
On est proche, tout simplement, de l'œuvre d'art car le graphisme porte au silence des profondeurs où retrouver l’animal. L’enfant seul, dès trois ans se régalera des images. L’enfant de 7/8 ans lira un documentaire que la trame graphique transforme en fiction.
NB Toujours disponibles chez Gallimard – Giboulées : L'Araignée, (2006), Les Petits Oiseaux (2006), Le Papillon voyageur (2012)

Greenwood Mary, Minister Peter, Le Livre géant des animaux sauvages, Gallimard jeunesse, 2014, 14 p. 16 €
Le livre d’un confortable format (230 x 255 mm) est augmenté de nombreux rabats à déplier pour découvrir les éléphants d’Afrique, la girafe, le panda géant, l’hippopotame, la baleine bleue, l’ours polaire, le chameau de Bactriane. Milieu de vie, mœurs, spécificités, anatomie, mode de vie, tout y figure sous forme de mini-fiches précises avec un jeu intelligent de comparaisons afin que le lectorat puisse évaluer à sa juste mesure les informations données.

Baleines et dauphins, Gallimard jeunesse, collection Mes grandes découvertes, 2013, 56 p. + 8 pages d’activités et 100 autocollants, 7€90          pour les 7/10 ans
L’ouvrage est excellent, si abondamment illustré qu’il semble que tout le texte n’est qu’une succession de légendes, alors que la composition repose sur des doubles pages savamment orchestrées. On commence d’abord par la classification des mammifères dans els espèces aquatiques, on en détaille un certain nombre, puis on passe à la question de la respiration, de l’anatomie, des migrations, des mœurs, avant d’entrer dans le détail de certaines espèces par doubles pages.

Wainwright Jen, Cache-cache avec les suricates – Vive les vacances !, illustrations de Paul Moran, Père-Castor / Flammarion, 2013, 48 p. 10€
Le livre est à lire par double-page : un texte succinct présente la situation et le lecteur part en quête des dix membres de la famille Suricates dont portraits et biographies figurent au début du livre. L’enfant enquêteur passe ainsi de l’aéroport au hall de réception d’un hôtel, à la plage, dans une course de VTT, à un festival rock, au camping, à la gare, au milieu des baleines et pingouins, aux feux d’artifice, à la patinoire, au musée, dans la ville, au théâtre, à la piscine, au zoo, dans une course de rafting, dans un parc d’attractions. Les six dernières pages livrent la solution à chaque enquête. Saluons le patient travail de Paul Moran et sa dextérité à l’enluminure en personnages de ses illustrations !
Geneste Philippe

04/05/2014

Dans le jardin des genres

De la poésie potagère…

Kaïteris Constantin, Un Jardin sur le bout de la langue, illustrations de Boillat Joanna, éditions mØtus, 2014, 72 p. 10€
On commence avec une exploration des lieux communs, des formes figées, que les vers interrogent, mettent en échos avec des forces d’énergie nouvelle grâce à de subtiles correspondances en abondance. Puis on passe à la description des fruits et légumes, point la description physique, point la description gourmande, même si celles-ci sont convoquées, mais plutôt, la familiarité gestuelle et la ritualité commensale connexes.
De ci de là, le poète en appelle au lecteur : « Regarde autour de toi / sur la table / et à la cuisine / et poursuis / ce glissement sans fin des couleurs ». Mais cet appel vise, nous semble-t-il, à introduire le jeune lectorat dans l’univers poétique, bref, à l’introduire à une poétisation de l’univers.
Les illustrations font fonction de références évidemment, ce qui facilite la lecture, mais elles sont une interprétation du texte et en cela se font elles aussi poèmes graphiques. Crayonnées en noir et blanc, en degrés de gris serait plus juste, elles stylisent le propos, le sur-réalisent, cherchant probablement à rendre l’univers du jardin à la vérité du monde. La poésie serait alors vérité, la poésie illustrée en particulier. La Ballade de la poire et du poireau réalise parfaitement cette symbiose du texte et de l’illustration où c’est l’interprétation graphique qui supplante le texte pour lui redonner une orientation hors référence au monde et pourtant si en prise avec lui… De même, au calligramme Poème en forme de bananes, l’illustration regarde le texte avec ironie, poussant l’enfant à jouer sa lecture.
Tant de plaisir ne doit pas nous faire oublier qu’à chaque étape, le poème réfléchit les mots du titre ou du produit du jardin évoqué (« on savoure d’abord / leurs noms et leurs couleurs »), pour le plus grand bonheur de la langue qui renaît chez le lectorat peu à peu habitué à la vie changeante des expressions. Parce qu’au fond, la phraséologie potagère de Constantin Kaïteris fait de banalité original recueil. Les dictons y perdent leurs saisons mais le vocabulaire des plantes s’enrichit des interrogations tues des enfants que fond advenir le poète et l’illustratrice poétesse. Ainsi, Un Jardin sur le bout de la langue nous invite à mâcher nos mots pour que s’articulent nos sens à la patience tendue dans l’attente du monde à venir. Et ce monde sera ce que nous saurons le configurer avec attention. Le recueil de Kaïteris et Boillat devient alors un petit livre noir et gris de la subversion sociale en une ère des temps pressés.
A la manière d’Hésiode ou de Virgile mettant la science poétique au service des travailleurEs des champs, Kaïteris et Boillat la mettent au service des expérimentateurs de vies renouvelées. Et ainsi, la poésie se fait-elle bien terre à terre, de cette terre d’où sortent et où poussent ces fruits et légumes, ces plantes et ces saisons, que l’émotion humaine par le goût, l’odorat, le toucher et la vue, transforme en saveur tout autant qu’en savoir… Et la poésie pour en savoir plus.
Geneste Philippe

… et autres genres aux fruits et légumes

Guettier, Bénédicte, Pat la Patate, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Chou le chou, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Champierre le champignon, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Popo le potiron, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 
Le principe de cette nouvelle collection est de mettre en scène chaque légume du jardin dans des situations où joue le langage de ces végétaux parlants. Une suite moins fouillée des enquêtes connues de l’inspecteur Lapou.
Guettier, Bénédicte, La Ciboulette hachée menu, Gallimard - Giboulées, 2012, 28 p. 7€10 
Justement voici le dernier volume de l’inspecteur Lapou. Un livre qui fait merveille, relativement amoral, Lapou et fripou rimant un peu, ici. L’histoire passe en revue tout le potager et s’achève par la recette de la ciboulette au concombre, un délice, sauf pour l’héroïne de l’histoire…
Brunelet Madeleine, Boucher Michel, Les Fruits, Père Castor, collection Mon imagier de petit, 2011, 16 p. 6€ ;
Une couverture mousse, un petit format tout en carton, une forme de valisette 130x130 mn, avec le principe d’une image par page et trois écritures de l’objet (capitale, minuscule, italique). La nouvelle collection s’inscrit dans une lignée d’imagiers qui ont largement fait leur preuve, avec toujours, à notre avis, cette ambigüité : le nom désigne une image, non le référent de l’image, ce qui est entraîner l’enfant dans un monde virtuel, comme si la représentation linguistique ne parlait pas du monde. 

Geneste Philippe