Dans un entretien qu’il nous avait accordé à la fin des années mille
neuf cent quatre-vingt-dix, Jean-Pierre Tusseau, traducteur et adaptateur de
récits médiévaux pour la jeunesse, soulignait que l’adaptation était liée pour
lui à une volonté de partager un texte avec le jeune lectorat. C’est le partage
d’un intérêt de l’adaptateur ou de l’adaptatrice, mais c’est aussi une mise en
commun dans le but d’ancrer le social dans un culturel partagé.
L’adaptation impose d’élaguer, d’abréger. C’est là, on le sait que bien
des adaptations sont coupables de
dénaturation des textes. L’adaptateur ne réécrit pas au sens où il
n’ajoute pas. Son travail est long dans la mesure où il impose une recherche
sur les textes, ce qui ne va pas dans le domaine du moyen âge sans la nécessité
de traduire, puis, ensuite de synthétiser pour réduire sans rogner.
Adapter, c’est aussi permettre à d’autres d’entrer dans un texte qui
sinon ne serait réservé qu’à quelques lecteurs ou à une catégorie de lecteurs.
C’est ce qui motive bien des adaptations de livres pour adultes versés dans la
littérature de jeunesse. C’est aussi rendre accessible le scénario de films, en
général de grandes diffusion, dont on tire des images fixes pour illustration.
Si, en général, ce travail-ci est plutôt d’intérêt commercial que littéraire,
il en existe qui relève l’exigence de l’adaptation telle que définie par
Jean-Pierre Tusseau.
de
la littérature …
Cadot-Colin,
Anne-Marie, La Chanson
de Roland, Hachette, collection “Livre de poche – roman historique”,
2007, 128 p., 4€90
Après l’excellent Perceval
ou le conte du Graal publié, dans la même collection, en 2006,
Cadot-Colin récidive avec La
Chanson de Roland. Cette spécialiste des
romans du Graal offre une œuvre nouvelle qui l’éloigne de son terrain de
prédilection. Mais l’intention reste la même et plus qu’un roman historique,
c’est à une adaptation nouvelle d’un classique de la littérature de geste que
nous avons à faire. L’écriture est claire, la volonté de faire partager le goût
de la culture du moyen âge est palpable. Les longueurs du texte sont
supprimées, mais avec un respect de l’ambiance générale de l’œuvre. Si nous
devions faire un rapprochement avec un auteur ce serait avec Jean-Pierre Tusseau
qui, comme Cadot-Colin adapte les classiques du moyen âge avec un respect de
médiéviste.
Poe
Edgar Allan, Histoires terribles, textes présentés par Danielle Martinigol,
Flammarion, 2013, 288 p. 6€10
Le choix du titre dit tout de
suite que Martinigol se place dans la même démarche que Baudelaire réunissant
des textes qu’il avait traduit de Poe sous un titre personnel Histoires
extraordinaires puis Nouvelles Histoires extraordinaires.
Baudelaire faisait découvrir aux lecteurs de langue française, un auteur
américain. Martinigol réunit un poème, des extraits de nouvelles et d’un roman
pour faire découvrir au jeune lectorat francophone ce précurseur de ce qu’il
connaît sous le terme d’heroïc fantasy. Six parties structurent l’anthologie de
Martinigol.
La première annonce le précurseur
du roman fantastique ; la seconde l’annonciateur du roman policier ;
la troisième l’écrivain de récits d’aventures ; la quatrième –la plus
originale- présente un écrivain qui fleure la science fiction ; une
cinquième qui met en avant l’auteur satirique et la sixième, dite conclusion,
qui souligne la réflexion littéraire et technique de l’artiste.
Chaque partie fait l’objet d’une
introduction intelligente et chaque extrait est situé. Le travail de Danielle
Martinigol est de ce point de vue respectueux des lecteurs et lectrices. La
variété des extraits choisis à l’intérieur des mêmes parties est due, aussi,
aux coupes réalisées et assumées par l’anthologiste et présentatrice.
On regrettera que l’ouvrage ne
mentionne que partiellement les traducteurs des textes présentés : Donc tous les textes sont les
traductions de Baudelaire, hormis la version du Corbeau par Mallarmé – le
référent en poésie pour Poe – suivie de celle de Baudelaire « qu’il me semblait intéressant
pédagogiquement de proposer à la lecture immédiate pour comparaison » (entretien par
courriel avec l’auteure). Pour finir, sur cette question de la traduction, Le Mille et deuxième conte de Schéhérazade
a été traduit par Felix Rabbe – c’est dit dans le chapeau d’introduction. C’est
le seul texte qui ne soit pas traduit par Baudelaire.
On regrettera aussi qu’aucun
appareil critique même succinct ne permette d’identifier rapidement la date de
rédaction ou de publication des textes. Certes, l’éditeur nous répondra qu’il
suffit de lire l’avant-propos, qui est excellent et où effectivement Danielle
Martinigol présente avec soin son choix. Mais c’est peut-être beaucoup demander
aux lecteurs et lectrices de 11 ans.
Ces deux réserves formulées, il
faut louer l’excellent travail de Martinigol qui met à la portée du jeune
lectorat la palette des styles, genres et tons de Poe. Les introductions aux
différents textes sont particulièrement intelligentes, n’hésitant pas de faire
des rapprochements avec la biographie de l’auteur, ce qui permet au texte
d’aller à la rencontre du lectorat. Le dossier constitué pour la lecture du
poème Le corbeau confrontant les
traductions de Mallarmé et Baudelaire, mais aussi commentant la première strophe
du Tombeau d’Edgar Poe de Mallarmé
est un modèle de didactisme érudit. De plus, à l’heure où les adaptations
restent une solution massive en matière de classique en littérature de
jeunesse, Histoires terribles propose des textes fourmillant des
intentions de l’auteur et de ses recherches d’écriture. C’est ainsi que le
choix d’une succession d’extraits, savamment orchestrés, inclus dans une
composition instruite de l’œuvre complet d’Edgar Allan Poe, relègue les
adaptations par troncation, réécriture et recomposition loin derrière lui en
matière d’intérêt culturel, littéraire et de plaisir de lecture.
Un petit chef d’œuvre d’un genre,
dans lequel Danielle Martinigol impose son nom. La confession de l’auteure
explique peut-être la rigueur de son travail : « Ayant été
professeur de français 37 ans, je propose à mes collègues des outils
pédagogiques qu’il m’aurait plu d’utiliser. Mais la retraite est là, et c’est
tant mieux puisqu’elle me permet justement ce genre de travail en parallèle
avec mes romans ».
Entretien avec Michel Honaker
Verne, Jules, L’Île mystérieuse, adaptation de
Michel Honaker, Flammarion
jeunesse, 2014, 288 p. 6€10
Intrigué par la volonté éditoriale d’adapter ce grand roman de Jules
Verne, ce roman phare de la collection Hetzel à la fin du XIXème siècle créée
explicitement pour les enfants, nous nous sommes entretenus avec Michel
Honaker, auteur lui-même de récits de science fiction et de fantastique pour la
jeunesse :
-Qu'est-ce qui vous a
guidé pour l'adaptation du roman de Jules Vernes ?
Michel Honaker :
L'adaptation des deux romans de Jules Verne était un projet que je caressais
depuis plus de trente ans car ma vocation d'écrivain leur doit
beaucoup. Mon grand-père me les a offerts quand j'étais gamin ce qui pour
moi signifie un double hommage.
-Qu'est-ce que vous avez
choisi d'enlever et pourquoi ?
Michel Honaker : Quant à ce
qu'il convenait d'amender (plutôt que de retirer) avec toute la révérence que
je dois à ce grand devancier, découvreur de la SF , c'étaient d'interminables descriptions et
ellipses propres à décourager le jeune lecteur du vingt et unième siècle. De
plus, la psychologie des personnages est terriblement sommaire, et quelques
touches d'humanité, ici ou là, m'ont paru plus que nécessaires pour leur rendre
une sorte de modernité. Dans 20.000 lieues sous les mers [roman
aussi adapté par Michel Honaker], par exemple, j'ai accentué le duel feutré
entre Nemo et Aronnax, le second n'oubliant jamais qu'il est en face d'un
geôlier, si fascinant soit-il. Chez Verne, on est à la limite du bavardage
mondain... C'est pourquoi j'ai également raccourci et réécrit quantité de
dialogues dans le sens d'une plus grande crédibilité.
Entretien réalisé le
12/02/2014
…
au film…
Gudule
& Jugla Cécile, Minuscule, la vallée des fourmis perdues, Nathan, 32 p.
2014, 5€95 ; Gudule & Jugla Cécile, Minuscule, la vallée des fourmis
perdues, Nathan, 48 p. 2014,13€90
Les deux albums sont identiques
quant au texte mais l’album de 48 pages est plus impressionnant par l’illustration.
Il s’agit d’une adaptation du scénario d’Hélène Giraud et Thomas Szabo
créatrice de Minuscules, série télévisuelle à succès. Le récit est un récit
écologique. La société de consommation y est critiquée à travers les déchets
servant de vaisseau aux protagonistes. Dans ce décor décadent l’affrontement
entre les méchantes fourmis rouges et les pacifiques fourmis noires est porté
par un ton épique. Récit animalier, le film et ses albums content l’amitié
inter-spéciste entre une coccinelle et une fourmi à l’intérieur d’une aventure
grandiose à dimension microscopique. Les albums donnent envie de voir le film
et resteront comme des traces mémorielles pour ceux et celles qui l’auront vu.
Les illustrations sont des extraits du film, images synthétiques pour les
insectes, prises de vue des décors naturels pour la nature. Si l’espèce humaine
est critiquée pour son non respect de la nature, il y est quand même déposé un
espoir puisque ce sont les canadairs qui sauvent les fourmis du désastre du
feu.
Geneste Philippe