Nkashama
Pius Ngandu, Les Cendres du père, L’Harmattan, 2014, 109 p. 11€50
Yannick, un jeune métis, vit à
Bruxelles, chez sa tante Elly, dans un cadre monotone et rigide. Un ami de
celle-ci, le colonel Schoenen, leur rend souvent visite. C’est un homme à la
pensée manichéenne qui veut forger chez Yannick ses principes de haine et
dépeint le père du jeune garçon comme un mercenaire barbare. Il serait mort en
terre du Congo après s’être rendu coupable de tueries nombreuses, en
particulier, le meurtre de la mère de Yannick, une jeune congolaise noire.
Etouffant sous ces sarcasmes et ce
racisme, qui le suivent de chez sa tante jusque dans les rues de la ville, Yannick
se sent de plus en plus différent. Noël approche. Le « divin enfant Jésus »
et son père « le dieu tout puissant des chrétiens » sont célébrés
dans une énorme gabegie, un élan dispendieux de religiosité factice. Yannick
est seul, ses amis sont partis en classe de neige. L’opacité, qui voile les
conditions de sa naissance, le tourmente et l’obsède. Il étouffe chez sa tante ;
il ne supporte plus les paroles cruelles du colonel. Contre leur avis il décide
de se mettre en quête des cendres de son père et part au Congo.
Dès son arrivée, Yannick
rencontre cinq jeunes garçons de son âge. Ils lui racontent la tourmente de
leur pays, les populations massacrées, les difficultés de vivre et de s’instruire
lorsqu’on ne fait pas partie du « clan
des seigneurs » : les nantis. Ses amis ne vont plus à l’école et
travaillent comme sculpteurs sur bois, exploités par un patron sans scrupule. Une
nuit, protégés par l’obscurité, des militaires dissidents massacrent des
villageois, des ouvriers, pillent et dévastent l’entrepôt. Les enfants
s’enfuient.
Madiya, l’un des jeunes sculpteurs,
aide Yannick à retrouver le village de ses ancêtres. Ils se rendent ainsi sur
les rives du lac Makenga que l’on doit respecter sous peine de subir ses
sortilèges. Yannick, devenu Nyota Yannick, est accueilli avec chaleur. Il
apprend la vérité sur les actes de son père et s’approprie ainsi ses origines.
Cette quête dénoue les mensonges qui torturèrent tant son enfance.
En même temps qu’il apprend son
histoire personnelle, Nyota Yannick comprend l’histoire de son pays. Il
comprend que la haine n’appelle que la haine, et qu’elle nourrit de méandres de
sang le cheminement des êtres et des peuples. Il comprend comment la victime y
devient bourreau, et combien le travail personnel sur soi doit rencontrer la
volonté des peuples à vivre ensemble. Si Les Cendres du père est bien un
roman initiatique, le récit de vie de Nyota Yannick épouse la dimension
historique de tout un pays. Les blessures individuelles ne sont pas sans lien
avec les violences sociales.
Le roman charme par son écriture
poétique, certains dialogues s’annoncent comme des contes, certains chapitres
se lisent comme des nouvelles dans une belle langue émouvante et pure. Pius
Ngandu Nkashama signe une œuvre
exigeante aux confins du mysticisme : les origines du sacré sont
dépouillées de la religiosité occidentale. Le jeune métis, « qui n’aurait jamais souhaité une naissance
artificielle, par un soir d’équinoxe qu’aucun soleil n’aurait illuminé »,
« là où des pères en plâtre et des
mères en porcelaine fabriqueraient des enfants dans des éprouvettes
translucides » a choisi sa terre de vie, de résistance.
Annie Mas