Anachroniques

26/05/2019

Cerner les contours du monde, penser

Gérard Valérie, Obéir ? Se révolter ? Illustrations de Clément Paurd, Gallimard-Giboulées, collection chouette penser !, 2012, 79 p.
Une réflexion sur l’obéissance traversée par la philosophie de Rousseau. Distinguant les modalités de l’obéissance, l’autrice développe une réflexion sur le jugement et le libre jugement. Le livre se clôt sur une réflexion assez courte consacrée à la révolte. Le terme de désobéissance est à peine abordé.
Les illustrations de Clément Paurd accompagnent le texte comme un récit à l’intérieur du discours argumentatif de l’autrice et c’est remarquable. Malgré les réserves faites –aucune référence aux penseurs anarchistes ni aux penseurs marxistes, ce qui surprend quand même…– le livre est à conseillé aux élèves adolescents et adolescentes car il est d’une extrême clarté.

Shelley Mary, Frankenstein, traduit de l’anglais par Hannah  Betjeman, Notes et carnet de lecture par Jean-Noël Leblanc, Gallimard, folio junior, 2018, 265 p. 4€90
Frankenstein de Mary Shelley, de déplacer la question du désir de puissance humaine, du terrain de la connaissance scientifique
Nous nous centrerons, ici, à dessein, sur les figures monstrueuses. En effet, la littérature de jeunesse, en particulier dans le roman imaginaire, repose essentiellement sur une tératologie qui renouvelle les démons judéo-chrétiens, les génies orientaux, tout en intégrant les korrigans bretons, les trolls scandinaves, tératologie qui puise dans les traditions populaires, les folklores, les mythes et les légendes, intégrant griffons, dragons, licornes, vampires, loups garous et d’autres créatures issues de la littérature. Celle du docteur Frankenstein créée par Marie Shelley reste la plus célèbre. Nous les appellerons, désormais, indistinctement, monstres au sens de ce qui attire par sa non-normalité de stature, de constitution. Pourquoi les monstres sont-ils si nécessaires au secteur de la littérature de jeunesse ? Quelle bonne marche du monde assurent-ils ? Quelle en est la signification pour aujourd’hui ?
Si ces êtres imaginaires sont les produits d'une « forme spécifique d'angoisses intérieures à demi conscientes naissant de la peur de la rupture des barrières que la société impose à l'homme civilisé »(1), peut-on la caractériser ? En cerner, au moins, quelques contours ?
Enfin, parce que la littérature de jeunesse est intimement liée à une ancienne visée de transmission culturelle, il se pourrait que notre réflexion éclaire un peu plus le rôle du fond folklorique et mythique de son univers littéraire.

N’Diaye Aïda, Je découvre la philosophie ou comment apprendre à se poser des questions, illustrations Thomas Baas, chansons (paroles, musique et voix) Lisa Cat-Berro, Nathan, 2019, 13€90
L’ouvrage confirme cette juste aperception du grand épistémologue genevois, Jean Piaget, qui voyait dans la philosophie une recherche de sagesse loin des principes de la quête des savoirs objectifs. N’Diaye choisit des situations quotidiennes qui font l’objet d’une multitude de questionnements. Dans les bulles roses, les questions d’une fillette, dans des bulles bleues celle de son frère et dans les bulles en bleu pâle celle du philosophe, les paroles de sagesse. La symbolique des couleurs ne peut pas être un hasard et on pourra s’offusquer de ce conformisme sexiste. L’intérêt du livre repose sur le foisonnement des questionnements qui ouvrent l’horizon enfantin. Les réponses apportées sont en adéquation avec l’idéologie dominante. Cela surprend, car l’autrice choisit le sens commun social alors qu’elle aurait pu provoquer ce dernier pour élargir les réponses à un éveil de l’esprit critique. La nouveauté de l’album, ce sont les chansons qui accompagnent les situations présentées et que les enfants écoutent avec plaisir.
Philippe Geneste

(1) Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Agora, Presse Pocket, 1990, p.245 (1ère édition 1939)

19/05/2019

Rétrospective audiophonique

Dans une société de l’urgence où règne la tyrannie du présent, du juste à l’heure, où le temps sert de juste au corps des comportements, les étriquant, la critique littéraire se perdrait à se couper de l’histoire éditoriale. Aussi, épisodiquement, le blog lisezjeunessepg revient sur quelques parutions à peine anciennes dont l’intérêt pour les enfants ne fait pas de doute.

Musique

Mes plus belles musiques de piano pour les petits, illustrations d’Elsa Fouquier, de Charlotte Roederer, Claire de Gastold, Gallimard jeunesse, 2016, 40 p. + CD audio, 16€50
Debussy, Beethoven, Schuman, Satie, Brahms, Schubert, Chopin, Bach, Liszt, Mozart, Haydn, Moussorgski, Mendelssohn, Tchaïkovski, Chopin, Saint-Saëns sont regroupés sur ce CD, interprétés en trio ou duo ou solo. Le livre audio a été réalisé en partenariat avec radio classique et contient dix-sept morceaux de musique. C’est un bel ouvrage et une belle production sonore pour les petits.

Comptines et chansonnettes

Comptines pour chanter la savane, illustrations de Cécile Hudrisier, Didier jeunesse, collection L’Eveil musical, 2012, 28 p. + CD 18 minutes, 12€90
Dix morceaux composent cet ouvrage et son CD : l’hippopotame, un jour dans la forêt, Brousse, Le lion et la gazelle, Zandoli mandé mayé, Trois éléphants, Y’avait des gros crocodiles, Papagaio loiro, Girafe, Le lion est mort ce soir. La couleur musicale change à chaque comptine souvent plus proche de la chansonnette, d’ailleurs, que de la comptine. Le répertoire est français, antillais, brésilien et provient d’autres ouvrages de la collection. Framix qui assure l’accompagnement musical et signe trois titres, puise dans des sources diverses parfois étonnantes (le style yéyé, la sonorité dub, le genre du reggae).
L’ouvrage cartonné peut être mis entre les mains des petits, les illustrations de Cécile Hudrisier s’adressent à eux : elles sont tendres, colorées mais sans être criardes, humoristiques dans la personnalisation des animaux.

Chansons du monde, Didier jeunesse, collection Comptines du monde, 2012, 60 p. + 1 CD 57 mn, 23€80
Voici un très beau recueil où se répondent les langues, les tons et les accents. Voici une musique douce, parfois violente et cruelle, souvent rieuse, parfois juste prise au saut de la berceuse pour une comptine. Vint-deux chansons du monde : Inde, Bretagne, Vietnam, Cambodge, Corée, Pologne, Russie, Corse, Brésil, Portugal, Grèce, Espagne, Côte d’Ivoire, Algérie, Arménie, Kurdistan, Turquie, Guadeloupe, Martinique.
Ce florilège exceptionnel est magnifiquement servi par les illustrations de divers créateurs. Un ouvrage hors pair qui grâce à son cédérom fait comprendre l’éloignement des gestes populaires de parole et leur proximité, dans les thèmes, dans les musiques, parfois.

Les 40 plus belles comptines et chansons, Gallimard jeunesse, 2012, 96 p.  + CD 75mn, 15€
Il s’agit de comptines, de poèmes, de chansons du catalogue Gallimard chantés par des enfants, par des adultes, à une voix ou à plusieurs voix avec un accompagnement instrumental. C’est une sorte d’anthologie de l’éditeur qui rassemble des chansons connues et d’autres spécifiques au catalogue jeunesse.

documentaire
Le Huche Magali, Paco et l’orchestre, Gallimard musique, 24 p. 2014, 13€50
Il s’agit de livres sonores. La première partie du livre, en vingt-six pages, présente, par l’illustration, une scénette d’animaux dans la forêt pour l’un, de numéros de cirque pour l’autre. La seconde partie rassemble sur un tableau cartonné, l’ensemble des instruments entendus avec un bouton que l’enfant actionne par une pression. Il s’opère ainsi un lien entre l’historiette de la page, le son et le mot désignant l’instrument. C’est simple mais ingénieux.
L’enfant, en même temps qu’il construit une histoire pour lire les doubles pages, se documente sur un domaine musical, ici l’orchestre et la fanfare. Dans le premier volume l’ouvrage présente la clarinette, le piano, le violon, la contrebasse, le xylophone, le piccolo, le violoncelle, la flûte traversière, la célesta et le basson. Dans le second, l’enfant découvrira le fifre, la clarinette, la trompette, le trombone, le tuba, le soubassophone, le banjo, le saxophone, la grosse claire et la caisse claire, enfin les cymbales. Les dessins humoristiques de Magali Le Huche avec leurs couleurs vives font mouche auprès du jeune lectorat.

Billet Marion, Où est mon doudou, Gallimard, mes petits imagiers sonores, 2014, 8 p. 14€90
Il s’agit d’un livre sonore, où l’enfant par une pression sur des boutons inclus dans les illustrations déclenche un son. Les boutons sont mis sous des caches qui révèlent un personnage de l’histoire des doubles pages narratives qui composent l’ouvrage. Pour l’enfant, il s’agit de comprendre l’histoire que content les pages de manière enrichie. Le livre a reçu un franc succès auprès des tout petits de la commission lisez jeunesse, ce qui est la meilleure évaluation qu’il soit de l’ouvrage.

Commission lisez jeunesse, A.M. & Ph. G.

12/05/2019

Gourmandes de vie

HASSA Yaël, Un Poids sur le cœur, illustration de page de couverture de Ludivine MARTIN, édition Nathan, février 2019, 160 pages, 5€ 95
Sur la page de couverture de ce beau roman écrit par Yaël Hassa, se dessine le visage d’une jeune fille aux yeux baissés, à la bouche triste et serrée dans une moue amère, qui se détourne d’un miroir comme dégoutée par son reflet. Ainsi qu’une colombe blessée qui s’abrite de son aile, elle enfouit son visage dans le creux de son épaule, comme pour se protéger des paroles assassines, moqueries, et quolibets qui viennent meurtrir son dos. Tel est le portrait plein de sensibilité que fait Ludivine Martin de Marjorie, la narratrice du roman, en son début d’année scolaire en quatrième.
Harcelée par ses « camarades », qui jugent son physique trop lourd, à la cantine, en récréations, et même en cours, comme en EPS, isolée en classe où elle n’ose prendre la parole pour ne pas être remarquée, même si elle connaît les réponses, surtout en Littérature, Marjorie est en souffrance depuis son entrée au collège, en sixième. En souffrance malgré la prévenance de ses parents qui stigmatisent malgré eux, ainsi que l’entourage familial proche, par des propos maladroits, le physique de la jeune fille, son supposé surpoids. Comment en effet ne pas perdre confiance en soi lorsque l’apparence du corps est sans cesse mise en exergue, même sans mauvaise intention ? Marjorie doute tellement d’elle-même, se sent si peu digne d’intérêt, qu’elle se méfie tout d’abord de l’amitié d’une nouvelle venue dans la classe, nommée Jo. Et pourtant Jo insiste, parce qu’elle a reconnu en Marjorie un être qui lui ressemble. Bien sûr Jo est d’apparence gracile tout autant que Marjorie, on l’a bien compris, est enlisée dans ses rondeurs. Jo, convalescente d’une leucémie, a connu l’angoisse de la mort, puis la trahison d’un amour et d’une amitié. Elle aide Marjorie à renverser les situations d’humiliation, les expériences de harcèlement qu’elle subissait. Au fil des pages émouvantes du roman, les deux amies ont des discussions profondes, réfléchissent sur ce qui favorise le harcèlement, prennent confiance en elles, en leurs corps. C’est l’apprentissage de la samba, et aussi d’une cuisine savoureuse et légère, des fous rires et le bonheur d’être ensemble tout en s’aidant à épanouir leurs talents réciproques… Puis, vigilantes, elles ouvrent les yeux sur des camarades isolés, en détresse. Elles déjouent les moindres moqueries, le moindre soupçon de harcèlement. Bientôt la cour de leur collège s’embellit de nombreux cercles d’amitié, jamais menacés, mais ni enclos ni cellés.
L’autrice Yaël Hassan dédie son beau roman « à tout ceux et celles qui s’y reconnaîtront », afin de déjouer et de s’affranchir de toutes les bêtises et méchancetés, afin de ne pas rester isolé, malmené, afin de reprendre confiance en soi, afin d’oser aller vers l’autre, et d’aller plus loin. Et le portrait de Marjorie, notre héroïne, en cette fin d’année scolaire, ne sera plus celui d’une adolescente au reflet malheureux, mais les traits lumineux d’une jeune fille au regard direct, ouvert sans craindre le monde.

HEURTIER Annelise, Le complexe du papillon, illustration de page de couverture de Djor GUEDRA, édition Casterman, 2016, 192 pages, 12 euros.
La narratrice du roman, Mathilde, a quatorze ans. C’est la rentrée des classes, elle entame sa dernière année de collège. Sa grand-mère maternelle n’est plus présente, comme elle le fut à chaque rentrée scolaire. Elle est décédée depuis six mois, cette grand-mère tant aimée, qui répondait au si beau surnom d’Ama, que Mathilde et son cousin lui avait inventé et dédié.
Avec Ama c’était un monde de fantaisie qui était permis, de gambades éperdues dans les herbes folles, d’échappées sous les ciels étoilés d’été. Grâce à Ama, Mathilde s’est initiée à la course à pieds, et courir des heures entières comme ses modèles, les indiens Tarahumaras du Mexique, n’était pas l’un de ses moindres rêves.
Mais avec la disparition d’Ama les rêves se sont brisés, le quotidien étouffe les désirs fantasques, ce quotidien qu’elle partage avec ses parents dans leur exploitation d’élevage et de gavage de canards, qu’elle partage aussi avec son amie indéfectible Louison.
Pourtant cette amitié va être mise à mal lorsque Mathilde, perdant l’assurance que le regard d’Ama lui offrait, ne se retrouvant plus dans son corps devenu étranger, alourdi, décide de maigrir. Elle suit son propre régime, le « régime papillon ». Afin d’atteindre un degré de métamorphose du corps qu’une grande légèreté permet, elle s’affranchit des repas, ces codes sociaux qui régissent la prise de nourriture.
mais cette métamorphose l’aide-t-elle à effacer « l’angoisse qui grignote [ses] nuits » ?
Petit à petit, page à page effeuillée, on découvre Mathilde et sa mère, alertée, inquiétée, qui se rapprochent. Louison et Mathilde, réconciliées, retrouvent leur complicité. Si la magnifique page de couverture de Djor Guedra, illustrant la silhouette d’une jeune fille aux grandes ailes de papillon peut sembler inquiétante, elle laisse deviner un idéal de beauté, d’évasion de toute personne désirant s’élever, comprendre et connaître le monde… de toute personne gourmande de vie.
Il faut lire ce beau roman écrit avec beaucoup de poésie et de sensibilité.
Annie Mas

NB : le lecteur intéressé se reportera au blog du 5 juin 2016, intitulé, « Jeunes narratrices en détresse »

05/05/2019

Pour petits et tout petits

Matthew Morgan, Les Animaux, illustrations Deborah Van de Leijgraaf, Tourbillon, 2019, 10 p. 11€50
Si le livre a dix pages, celles-ci comptent double car, par un système de glissement d’un cache, une double page propose en fait des scénettes qui se développent sur quatre pages. Les Animaux est le titre inaugural de cette nouvelle collection qui convient particulièrement aux enfants de trois ans, voire à partir de deux ans. L’album se fait ainsi documentaire avec des illustrations aux aplats nombreux, des silhouettes animales stylisées des scénettes pouvant intéresser les petits car regardant vers leur vie à eux. L’humour abonde, il est même un fil conducteur des historiettes narrées. Eléphants, oiseaux, poulpe, hippocampe, poisson, requin, chouette, souris, loup, papillon sont présents, désignés ou évoqués par l’image ; L’auteur a choisi de les rassembler par des liens et notamment le lien de la filiation : éléphanteaux, petits singes et parents, œuf et oisillon.
La manipulation de l’objet livre va familiariser l’enfant avec les savoirs contenus autant qu’avec la pratique même du livre. Cet effet paratextuel n’est pas à négliger et nous avons pu le vérifier à l’intérieur de la commission lisezjeunesse. Les Animaux est donc et un bel objet et un bon livre pour les petits.

Chedru Delphine, BZZZ ! Drôles de trous, Nathan, 2019 20 p. 11€95
Le livre carré à bouts arrondis, de format 21x21 est fait de pages fortement cartonnées. Au milieu, à l’endroit de ce qui va constituer la bouche des animaux, un trou qui se réduit de double page en double page. Le petit enfant peut agripper ainsi les pages, les tourner plus aisément et en même temps, ces tous participent du récit dessiné. Ce dernier conte, une histoire tendre, celle d’un bébé abeille qui part, pour la première fois, butiner. Seulement, comment reconnaître les fleurs ? Polie, l’abeille demande à chaque forme rencontrée si elle peut butiner. Mais il s’agit d’une grenouille, d’un serpent, d’un canard, d’un chat, d’un signe, d’un chien, d’un cochon… C’est grâce à son père qu’elle va enfin trouver une fleur. Celui-ci lui transmet son savoir et la petite abeille entre en apprentissage.

Mon Grand Imagier sonore illustré par Kiko, Milan, 2018, 24 p. 19€90
Chaque double page est consacrée à un thème relevant de la vie quotidienne. Les objets et animaux etc. inclus dans la double page, selon le principe de l’imagier (une image portant en dessous un mot), font l’objet d’un son que l’enfant actionne en appuyant sur le bouton propre à la double page. Au final, le livre devient un espace visuel autant que sonore qui ravit les petits enfants et qui instruit par ces deux sens (vue et ouïe) l’univers de la désignation du monde environnant. Un bel instrument pour enrichir son langage. On utilisera l’ouvrage d’abord en accompagnant l’enfant dès 1 an. Plus tard, on laissera l’enfant seul explorer les doubles pages. Une belle réalisation des éditions Milan.

Le Hénand Alice, Non ! illustrations Thierry Bedouet, Milan, 2018, 14 p., 10€90
Le nouvel opus de la collection Minimousses, dont la caractéristique est d’aborder une situation du quotidien du tout petit enfant. Le moment où l’enfant s’oppose est un grand moment pour son adaptation à la vie sociale et à son environnement. Dans la psychogénèse de l’humain le moment du Non est un moment structurant. En effet, c’est l’âge, au cours de la deuxième année, où l’enfant construit la relation aux autres. Il s’agit donc de la genèse de la relation sociale, les relations humaines.
L’ouvrage de Le Henand et Bedouet propose des situations réelles grâce auxquelles le dialogue entre les parents et l’enfant ou entre l’adulte et l’enfant peut aisément s’enclencher pour mener l’enfant à approfondir son expérience. Il ne s’agit évidemment pas là de faire dans la réflexion avec l’enfant, mais de parler de ces situations où le non paraît. La fiction est alors une médiation, d’autant plus que le personnage est un animal, ce qui permet, ici, de parler d’autre chose que de soi tout en s’investissant pleinement soi-même. Le jeu de languettes, qui anime les pages fortement cartonnées, aide à ce dialogue, lui donne consistance ludique.
Le sujet est important. Le Non signifie l’intériorisation d’interdits par le tout petit et il manifeste une distinction de l’enfant vis-à-vis de son entourage. Pour le psychanalyste René A. Spitz, le Non est d’abord un secouement de tête, probablement par imitation du geste accompagnant une interdiction prononcée par la mère. Puis le Non s’autonomise, devient propre à l’enfant, qui accède, ensuite, au mot Non. Pour Spitz, c’est le moment essentiel de la genèse de la socialisation de l’individu comme de l’humanisation de l’espèce.
Comme les précédents volumes de la collection, Non ! est à recommander car il est bien en prise avec la réalité de la vie enfantine.

Philippe Geneste