GUIOT Denis (dirigé par), Renaissances. Six histoires réinventent le monde, textes de Nadia COSTE, Florence HINCKEL, Christophe LAMBERT, Yves GREVET, Nathalie STRAGIER, Jérôme LEROY, Syros-Cité des sciences et industrie, 2021, 329 p. 14€95
Ce
volume est un accompagnement à l’exposition Renaissances, qui a ouvert
le 15 juin dernier, et se tiendra jusqu’au 22 mars 2022, à la Cité des sciences
et de l’industrie. L’exposition rappelle la publication en 1972 du rapport du
Club de Rome qui prévenait de la catastrophe écologique et humaine à venir si
la croissance économique fondée sur le profit se poursuivait.
Cette
exposition cherchait à s’ouvrir au jeune public et c’est par la littérature
qu’elle a choisi de le faire. A partir du sujet de l’exposition à savoir la
crise écologique avec sa cohorte d’inégalités sociales, pollution, épidémies, « dérèglement
des écosystèmes vivants, changement climatique, surconsommation des ressources »
etc., il a été proposé à six écrivains d’approfondir six thèmes :
l’alimentation, la santé, l’éducation, l’énergie, la communication et le vivre
ensemble. Les histoires, situées dans un futur proche, partent d’un monde qui
s’est effondré et chaque auteur scrute un devenir imaginaire de l’humanité. L’ouvrage
fait écho au Manifeste du collectif d’auteurs et autrices de
science-fiction, Zanzibar (1) : l’espace des imaginaires pour « se
rencontrer, penser et commencer à désincarcérer le futur ». Une des
nouvelles d’ailleurs, La Fresque de Christophe Lambert s’inscrit
directement dans cette perspective.
Un
intérêt tout particulier du livre est qu’il propose des textes qui ont une
portée politique qui déborde l’humanisme ambiant et somme toute hypocrisie pour
se donner bonne conscience faisant florès aujourd’hui jusqu’au sommet de
l’Etat. Meurtre dans la douceur, en particulier propose une variation
littéraire d’un texte de Jean-Jacques Rousseau : « Le premier qui,
ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : “Ceci est à moi” et trouva des
gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.
Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût
point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le
fossé, eût crié à ses semblables : “Gardez-vous d’écouter cet imposteur ;
vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre
n’est à personne !” » (2). Jérôme Leroy embarque le lectorat au
cœur d’une intrigue policière au sein d’une communauté communiste d’où la
violence est bannie et où l’altruisme et le sentiment de solidarité intérieure
aux êtres s’épanouissent, jusqu’au jour où…
Que
ce soit cette nouvelle, La Ferme au chapeau vert de Françoise Hinckel, Cueilleurs
de vent d’Yves Grevet, Solange à Paris de Nadia Coste, La Fin du
monde de Nathalie Stragier, La Fresque de Jérôme Lambert, tous les
récits abordent une ou plusieurs des questions que soulève Roland Leboucq, dans
sa postface : « Sur quelles bases [les personnages]
construisent-ils les moyens d’atteindre une situation soutenable et de garder
une planète habitable ? Comment s’organise la vie collective ? Quelle
place y tiennent les techniques ? Y a-t-il des fictions sur l’avenir planétaire
qui n’annulent pas les chances d’un avenir meilleur ? ». Faire
connaître ce livre au jeune lectorat c’est les inviter à cheminer dans leur
réflexion, pour l’aujourd’hui de leur vie et pour celle, demain, de la vie de
l’humanité.
Les
jeunes pré-adolescents et adolescents trouveront dans ces histoires matière à
interroger leur quotidien, et, pourquoi pas, pour jeter un autre regard sur la
tyrannie de l’urgence, de l’immédiateté. Les nouvelles rassemblées montrent
aussi combien le genre de la science-fiction évolue en regard du présent. On ne
trouve pas, ici, de présentation positive du progrès, ni une fascination de la
technique. A la science dure se substitue dans ce recueil le recours aux
sciences humaines, peut-être senties mieux aptes à susciter la réflexion chez
les jeunes lecteurs et lectrices. Souhaitons que le choix d’avenir au centre de
la nouvelle de Nathalie Stragier puisse effectivement subsister dans les années
qui viennent : le choix de la civilisation par le progrès humain et social
contre le choix de la barbarie par le progrès industriel et l’aveuglement techno-scientifique.
Philippe
Geneste
(1) clin
d’œil au roman de John Brunner Tous à Zanzibar. - (2) Rousseau,
Jean-Jacques, Discours sur les fondements et ‘origine de l’inégalité
parmi les hommes (1755).