Anachroniques

25/02/2019

La figure féminine en littérature de jeunesse

Toujours agréable à lire et à relire, nous avons choisi deux titres de la collection « Mon Histoire », aux éditions Gallimard Jeunesse.

Dans Anne de Bretagne, Duchesse insoumise, la jeune duchesse Anne écrit son journal de 1488 à 1491. Elle vient de perdre son père et, entourée de conseillers fidèles ou plus ou moins retors, doit défendre la Bretagne contre les assauts du roi de France. Toute jeune adolescente elle doit protéger ses sujets et prendre de bonnes décisions. Elle se confronte aussi à la convoitise de seigneurs puissants qui désirent l’épouser et la spolier de ses terres. Après une guerre sanglante et bien des défaites, elle doit se résoudre à épouser le roi de France.

Au temps du théâtre grec décrit le journal de Cléo, à Athènes en 468 avant Jésus Christ. La jeune Cléo âgée de 11 ans donne la réplique à son père, comédien de  talent qui va jouer Antigone de Sophocle, dont c’est la première représentation. Les cheveux coupés très courts, habillée comme un garçon, Cléo devient le jeune Joulios, neveu du grand comédien, pour se rendre aux répétitions. Joulios a un jeu si parfait, si sensible que le tragédien Sophocle le remarque. Mais lors de la représentation de la pièce, Joulios disparait. La jeune Cléo reprend ses vêtures féminines et coiffe ses cheveux d’un voile. Elle confie toute cette expérience, son exaltation et sa déception devant l’injuste condition des femmes à son ami le papyrus offert par son père pour travailler le grec, et qu’elle a nommé Pétrocle comme l’ami du héros Achille . Riches de sensibilité et d’expériences fortes, ces deux romans proposent dans leurs dernières pages un glossaire et précisent le contexte historique où se situent les intrigues. Ces romans témoignent du courage et de la détermination des héroïnes, offrant des pages stimulantes aux jeunes lecteurs, lectrices.
Annie Mas
Bousquet Charlotte, Proie idéale, Rageot, 2013, 224 p. 9€90
Voici un bon roman qui emprunte le ton du thriller pour une critique sans fard du monde du mannequinat. Les thématiques de la manipulation informationnelle des adolescentes, de la critique idéologique des stéréotypes de la beauté servent une intrigue bien menée, écrite avec une certaine agressivité de l’écriture qui met en avant des héroïnes insoumises.
Commission lisezjeunesse

La figure féminine des contes à Lewis Caroll

Pierre Péju défend l’idée qu’Alice de Lewis Carroll est un « être-petite-fille », « une façon de s’esquiver des rôles (féminins) et du sérieux, mais aussi des genres des sexes, jusqu’à se glisser, du point de vue de l’apparence, vers un certain hermaphrodisme pour devenir ondine, sirène, enfant au sexe incertain » (Pierre Péju, Le Goût de l’enfance, Paris, Le Mercure de France, 2014, 107 p. – p.107/108). « L’hermaphrodite est plutôt un être ni vraiment masculin, ni vraiment féminin, comme si les signes sexuels n’étaient pas assez présents pour permettre de trancher » (ibid. p.108). « Les contes laissent entendre la spécificité de l’être-petite-fille. Ils montrent ses capacités d’initiative, d’aventure, de “détachement”, et surtout de familiarité spontanée avec l’inconnu, les êtres non anthropomorphes. Ainsi, beaucoup de contes populaires laissent la fille aller très loin dans l’aventure et l’action autonome, quitte à la ramener brutalement dans les rôles rigides les plus traditionnellement féminins » (p.108).

Prenons Andersen et voyons comment cette idée de Péju pourrait être illustrée dans un conte où deux figures enfantines, l’une masculine et l’autre féminine, forment un système de personnage :
Andersen, H.C., La Reines des neiges, traduction du danois par G.H. La Chesnay, illustrations de Rémy Curgeon, Gallimard, collection Folio junior, 2013, 96 p. 4€ ; Andersen, H.C., La Reines des neiges, traduction G.H. Chesnay, illustrations par Stéphane Blanquet, Gallimard-Giboulées, 2011, 50 p. 14€50
Alors que sortait en 2013 la dernière production Walt Disney qui n’a rien su faire que perpétuer les stéréotypes de l’idéologie dominante sexiste américaine, il faut signaler la réédition du conte d’Andersen intégral en folio junior et la remise à l’office du merveilleux album comportant le texte intégral. Ces ouvrages sont toujours disponibles.
Kay, le petit héros, est attiré par une rationalisation de la vie : « Ses jeux devinrent tout autres qu’auparavant, ils furent sérieux. » Kay devient alors le héros en quête de l’éternité, celui qui veut savoir, et qui, pour savoir bravera les frontières sociales. Alors, certes, il échouera, Gerda  le ranimera en humanité, et c’est sans aucun doute la victoire de la foi qu’Andersen a conté ; mais il faut tout lire : à la fin de l’histoire, les héros ont des corps d’adulte, mais ils ont gardé leurs cœurs d’enfants.
Comment comprendre cette victoire de l’enfance sur la raison ? Kay n’est pas innocent, donc l’enfance, ici, ne peut-elle pas représenter la force de l’imagination articulée à la soif de connaître (« il apparut à Kay que tout ce qu’il savait n’était tout de même pas suffisant ») de ce qui fait l’humain ? Après tout, si l’histoire se finit bien, c’est parce que Gerda est allée à la recherche de Kay, qu’elle a bravé, elle aussi, les interdits, ne l’oublions pas : elle non plus, du coup, n’est pas innocente. L’enfance prendrait, alors, une toute autre signification que celle qu’on lui attribue d’habitude : elle serait le temps des découvertes et de la hardiesse ; elle serait le temps des constructions de soi par le tâtonnement et l’expérience bien comprise des erreurs. Mais ce n’est que dans l’expérience réelle du monde et non dans un milieu aseptisé, que la personne peut se construire en tant qu’être autonome. Et pour cela, il faut que l’individu s’empare des savoirs et refoule l’irrationnel : « Kay était épouvanté, il voulut dire son Notre-Père, mais il ne put se rappeler que la grande table de multiplication ». Cette interprétation n’annule pas les autres, Andersen fait explicitement référence à Dieu, mais le texte, son texte, ouvre d’autres perspectives d’interprétation cohérente et nous avons cherché, ici, à le montrer. Les illustrations de Blanquet nous semblent alors d’autant plus justes qu’elles servent le déraisonnement des sens et proposent une interrogation de la part maudite du savoir sans laquelle, pourtant, l’humain ne serait pas humain.
Les sept parties qui composent le conte ne sont pas d’égale intensité mais Andersen s’y montre un prodigieux narrateur : « Voilà ! Nous commençons. Quand nous serons au bout de l’histoire, nous en saurons plus que nous ne savons maintenant ; car c’était un méchant troll ; c’était un des pires, c’était le “diable” », telle est la première phrase. L’usage qu’il fait, aussi, du thème du miroir brisé, cause de la perception fragmentaire et conflictuelle du monde, est passionnant. Les éclats de miroir ne peuvent permettre de se connaître, ni de connaître, puisqu’ils ne renvoient que des reflets, des illusions. Pour autant, Kay va aller au pays des glaces jusqu’à y compromettre sa vie. Il va le faire parce qu’il sait, aussi, que la re-présentation à partir de l’expérience du monde est une condition de la connaissance du monde et de soi.  Le miroir ne renvoie pas l’image de soi mais lui fait voir le monde. Le conte La Reine des Neiges est peut-être, alors, un conte de la prise de conscience de soi rendue possible par la traversée des apparences, autre nom de l’expérience vécue des êtres et des choses.
On le voit on est loin du grand guignolesque film des productions Disney qui mettent l’accent sur le milieu des princesses et des reines alors que ce qui intéresse Andersen c’est l’humanité commune. Doit-on ajouter qu’il serait bon que les enfants connaissent l’histoire originale avant d’aller voir le film qui l’affadit à la romance bourgeoise stéréotypée pour l’industrie du divertissement de l’enfance ?  
Geneste Philippe

19/02/2019

Pour les préadolescents et avant

Frost Adam, Wily the fox mène l’enquête. Un poison nommé Tina, illustrations d’Emily Fox, Thomas jeunesse, 2018, 128 p. 6€90
Le récit traverse les pays, de l’Egypte ancienne au Grand Canyon des USA. L’enquête est pleine de péripéties et l’humour ne cesse de faire rage. La commission jeunesse du blog a beaucoup aimé ce récit animalier drôle et sans aucune vraisemblance. Elle a aussi souligné l’importance du travail des dessins qui accompagnent l’histoire et donne visage à tout ce monde foutraque et étrange.

Arrou-Vignod Jean-Philippe, Un Petit pois pour six. Histoires des Jean Quelque-Chose, illustrations de Dominique Corbasson, Gallimard jeunesse, 2018, 168 p. 12€
Et on retrouve d’histoire en histoire et au gré de celles-ci, Jean-Ai-Marre, Jean-Bon, Jean-C.-Rien, Jean Dégâts, Zean-Euh, Jean-Fracas, leur père, leur mère, Papy Jean, Mamie Jeannette. Ces personnages sont embarqués dans une série de nouvelles mésaventures que l’on peut lire à partir de 9 ans. La commission lisezjeunesse plébiscite ce livre, à l’unanimité. C’est drôle, facétieux. L’écriture porte aux mots les jeunes lecteurs et lectrices, les mène jusqu’à leur saveur par le jeu. Le quotidien des enfants est aussi très présent, servant à créer des situations d’où se lèvent des péripéties romanesques.

Bloch-Henry Anouk, Dans la toile du passé, oskar, 2018, 82 p. 8€
Un roman qui repose sur l’allégorie d’une toile d’araignée qui symbolise les pièges insus dans lesquels sont enfermés les êtres. C’est la relation d’une jeune fille avec son grand-père et la relation du passé avec le présent qui sont scrutées. Le passé peut-il être une source, en chacun de nous, de la mort de l’humanité ?

mens yann, Dans vos petites poches, Thierry Manyer, 2018, 48 p. 5€10
Voici un très bon ouvrage sur l’esclavage des enfants roumains, enrôlés à Paris par des bandes mafieuses souvent dans un cadre familial. Le livre s’appuie sur une bonne connaissance des faits réels et son approche réaliste permet aux lecteurs et lectrices de prendre conscience que l’esclavage existe de nos jours dans les pays occidentaux eux-mêmes.
NB : cette lecture pourra être complétée par le roman de Philip Ribe, Mihaï et Cosmin, frères des rues en Roumanie, L’Harmattan, 2011, 73 p. 10€50. Ce denier décrit les conditions de vie des enfants des rues dans une grande ville roumaine. C’est l’envers de la révolution roumaine de décembre 1989 qui est ainsi présenté. Le récit pose aussi la problématique des orphelinats dans une perspective humaniste qui n’aborde qu’insuffisamment les conflits de classes dans la société.

durrant S.E., Ma vie sens dessus dessous, Gallimard jeunesse, 2017, 219 p. 13€50
Voici un roman réaliste. Les héros sont des enfants de l’assistance publique, placés dans un « refuge », Skilling House, entre 1989 et 1990. Le récit prend en compte la réalité délétère de la vie des orphelins. Il souligne l’ambivalence de la vie en famille d’accueil. Par sa fin euphorique, il délivre un message optimiste sur la vie. Les deux héros trouveront une famille d’accueil où ils se réaliseront.

Leblanc Perrine, La Peur au placard, Oskar éditeur, 2015, 78 p. 5€
Comment assumer son homosexualité en milieu scolaire, quand tous les codes de l’école favorisent l’hétérosexualité, quand tous s’avèrent tolérants à l’excès au sexisme ordinaire et à son corollaire le machisme dont le fondement est la défense de la conformité de l’hétérosexualité et de la déviance des autres choix sexuels ?
Le livre de Perrine Leblanc plonge dans cette quotidienneté des relations humaines pour faire émerger le courage de ces préadolescentes et préadolescents qui vont écouter leurs désirs contre les préceptes civiques et moralisateurs. L’histoire d’Elsa l’exemplifie sans aucun effet de pathos, juste au ras de la vie vraie.

Metz Florence Jenner, La Fabuleuse Odyssée des naufragés du non moins fabuleux cargo zoo, le Blue Sea, oskar, 2018, 124 p. 12€95
Le roman convoque Robinson Crusoë pour la thématique du naufrage sur une île inconnue, l’arche de Noé pour les personnages, tous des animaux qui peuplent le cargo à la dérive. Il explore les relations sociales entre des individus que tout oppose mais qui se trouvent confrontés à une situation de survie qui impose l’entraide. Le titre qui flirte avec ceux des seizième, dix-septième et dix-huitième siècles, annonce la tonalité humoristique qui prévaut tout au long de l’histoire. Alors un roman allégorique pour signifier la question de l’acceptation des différences autant que celle de la migration ?

La commission lisezjeunesse

10/02/2019

De la figure du peuple

Gérard Noiriel, Une Histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, collection mémoires sociales, 2018, 829 p. 28€
A l’heure où la littérature Young Adult fait le forcing pour se développer en France, après sa prise de possession du secteur jeunesse dans les pays anglo-saxons, on ne voit pas comment passer sous silence ce volume remarquable des éditions Agone. L’auteur, soucieux de la science historique choisit un ton personnel qui rend la compréhension des événements relatés très claire et rapproche les préoccupations historiennes des préoccupations de notre temps. Prenons cet exemple. Philippe Le Bel entre 1313 et 1343 tente d’instaurer un impôt pérenne sur le royaume (la taille d’abord puis la gabelle). Mais, « exténués par les guerres », les épidémies et « paupérisés par la crise économique », les « populaires » (populares) se révoltent. Les populares ce sont les gens du peuple, de la ville ou de la campagne. Leur refus de la servitude se traduit par des jacqueries et de nombreuses « explosions de colère ». En 1356 débute la guerre de Cent Ans. En 1358 Paris est agité par des Jacqueries d’une extrême violence. Les soulèvements se multiplient contre les taxes en 1378 et 1382. Voilà qui entre en écho avec la révolte d’un peuple dit des gilets jaunes en 2018/2019.
Le livre est traversé, nous semble-t-il, par un fil directeur : qu’appelle-t-on le peuple ? A la Révolution Française, les sans-culottes mélangent maîtres et compagnons, la corporation unifiant sous son institution des clivages qui sont d’intérêt social de classe. Le glissement du travailleur immigré à l’immigré souligne aussi une conception du peuple qui de sociale se fait volontiers ethnique. L’ouvrier, figure mythique du mouvement socialiste, est régulièrement déclaré disparu par les nouveaux penseurs bourgeois, qui pensent le champ social recouvert par la classe moyenne… Las, il ressurgit sans cesse dans l’actualité des grèves, notamment, abreuve les chroniques des licenciements massifs et l’épopée du chômage. De nouvelles figures d’écrivains prolétariens s’affirment après la brèche ouverte par Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray. Les employés, les aides soignantes, s’affirment aussi et tout un prolétariat du service à la personne fait irruption sur la scène sociale, venant contredire les idéologies crépusculaires de la lutte des classes.
Le peuple, c’est aussi les populations colonisées, mises en esclavages ou en situation d’exploitation. Elles sont parties prenantes de l’histoire de la France. Ce lien prouve, s’il en était encore besoin, mais il semble que besoin il y a, que la question de la libération par le peuple de ses oppressions passe par un internationalisme que l’idéologie dominante foule au fond des oubliettes de l’histoire. Mais le cri des oubliés remonte sans cesse à la surface de l’actualité du monde d’une classe en lutte.
Alors, le peuple ? Noiriel en défait la vision mythique unifiée, il démontre qu’il est l’objet de constructions conflictuelles que les soubresauts de l’histoire rappellent sans cesse. L’auteur conclut : « Le développement des luttes populaires au sein de notre Etat national demeure le moyen le plus réaliste pour combattre les injustices et les inégalités sociales  ».

Philippe Geneste

03/02/2019

Des émotions

Filliozat, Isabelle, Les Cahiers Filliozat, mes peurs amies ou ennemies, illustrations de Fred Benaglia, Nathan, 2017, 96 p. + 24 p. 12€90 ; Filliozat, Isabelle, Limousin Virginie, Les Cahiers Filliozat, colère et retour au calme, illustrations d’Eric Veillé, Nathan, 2017, 96 p. + 24 p. 12€90
Filliozat aborde ici deux émotions que certains reconnaissent comme primitives mais que nous préférerons dire, en suivant Henri Wallon, primordiales. L’approche du cahier consiste à rendre l’enfant actif par rapport à ses peurs ou à sa colère. Les deux émotions sont traitées en lien avec les situations où elles surgissent, suite à une perte d’équilibre, à une dissonance dans les représentations des choses que se fait l’enfant. Si les émotions peuvent être source de désordre, elles peuvent aussi être un facteur positif pour la conservation de soi. Elles sont d’autant plus un facteur positif que l’enfant arrive à les identifier, c’est-à-dire non pas à discourir sur elles mais à travailler sur elles pour modifier son comportement. Pour ce faire, les cahiers insistent sur l’interaction parents – enfants. « Plus un enfant est entendu dans ses colères » par exemple, « moins il fait de crise de rage, mieux il sait exprimer ses besoins et tolérer les frustrations ».
Comme les autres cahiers, l’enfant est mis à contribution avec des coloriages, des collages etc. et des pages spécifiques sont adressées aux parents. Soulignons que le cahier consacré à la colère fait la différence entre la colère et la violence, alors que souvent les deux se trouvent confondues. Il y a là des passages riches que tout parent s’appropriera avec bénéfice. 

Godard Delphine, Weil Nathalie, Bouh ! AAAAAA ! IIIIIIIh. Toutes les questions que tu te poses sur la peur, illustrateur Nicolas Trève, Milan, 2017, 47 p. 16€90
Le thème de la peur a, de tout temps, intéressé le secteur éditorial de la jeunesse. Cet ouvrage est une sorte de mini-encyclopédie qui foisonne d’informations. Le livre souligne l’apport majeur du langage, cette représentation essentielle du monde des humains ; mais il se propose, aussi, d’aborder le versant psychologique de la peur. Il tombe, alors, un peu dans le comportementalisme. Ce n’est pas un hasard à l’heure où l’éducation est de plus en plus intéressée par les « compétences psycho-sociales ». Mais ce bémol ne doit pas diminuer l’intérêt du livre que les enfants de 11/12/13 ans liront avec grand profit. Et puis la multitude de rabats et les nombreux volets organisent des surprises qui rendent sa lecture dynamique.

Brignone, Petit Pouce au cirque. Une histoire et des jeux de doigts de Marie Brignone, illustrés par Marie Mahler, Didier jeunesse, 2015, 32 p. 11€10
Les images de vives couleurs avec de nombreux aplats sur lesquels se dessinent des personnages à formes géométriques, une ambiance de joie et d’humour, accompagnent l’histoire écrite en vis-à-vis. Chaque page du récit fait l’objet de didascalies indiquant à la personne qui lit la gestualité d’accompagnement qu’un flash code peut aussi permettre d’aller visionner. Cette gestualité portée par un rythme de comptine est particulièrement inventive. C’est un livre qui, du coup, devient une aventure manuelle, gestuée autant que racontée. Très bien édité, le livre permet à l’adulte de communiquer avec l’enfant par les jeux de doigts. La parole ne fait pas obstacle, elle accompagne mais l’enfant est déjà dans l’interaction des gestes. Le verbe est pleinement tactile et corporel plus que sonore. L’orthophoniste de profession, Marie Brignone a composé son ouvrage en recherchant à y faire figurer de nombreuses émotions. Elles sont accueillies d’autant plus aisément que le récit convoque le milieu du cirque, graphié et peint tendrement par Marie Mahler. Comme souvent chez Didier jeunesse, la qualité et la recherche sont au rendez-vous.

Doray Malika, Parot Annelore, Pas de bain pour les lapins, Milan, 2015, 20 p. 8€90 ; Loew Frédérique, Barman Adrienne, Tous les pipis, Milan, 2015, 20 p. 8€90 ; Antony Steve, Betty voit rouge, Milan, 2015, 20 p. 8€90
Des albums cartonnés en format 180mn x 250mn avec des fonds en aplat de couleurs vives et des dessins humoristiques avec pour Pas de bain pour les lapins un côté japonisant par le trait un peu manga. Les livres abordent avec anthropomorphisme, sauf celui de Doray et Parot, un terrain du quotidien des tout petits : le livre nous parle de la colère ou de la propreté, ou encore du bain. Chaque livre de cette collection part donc de l’idée que l’enfant va s’intéresser au livre parce qu’il parle de ses émotions. Ouvrage didactique, il reste sous la dominante du plaisir de lire.

Filliozat Isabelle, Perreault France Marie, Les Cahiers Filliozat : les droits de l’enfant, illustrations de Zelda Zonk, Nathan, 2018, 116 p. 12€90
Le livre commence par l’évocation de Janus Korczak et à la création des deux orphelinats qui reposaient en leur fonctionnement sur le respect mutuel et l’apprentissage coopératif de la loi les régissant. On y trouve un historique de la convention internationale des droits de l’enfant adoptée le 20/11/1989, la présentation du « défenseur des droits », des situations discriminantes sont évoquées, la notion de solidarité fait l’objet d’activités, enfin différents articles de la convention sont analysés toujours de manière à faire agir le lecteur. Comme à l’accoutumée dans cette collection, un cahier à l’intention des parents clôt le volume car l’œuvre de Filliozat et de ses collaboratrices vaut par l’échange que le livre suscite entre l’enfant et l’adulte. C’est en ce sens qu’il s’agit de cahiers d’activités immensément instructifs. C’est une modalité pour l’enfant d’entrer dans la connaissance d’un texte international. La rédaction n’est pas exempte de clichés comme par exemple lorsqu’il est affirmé que l’ONU « assure la paix et la sécurité dans le monde. C’est un peu le gardien du monde ». On pourra regretter, aussi, que le livre n’interroge pas ce qu’il en est des droits des enfants dans les écoles et collèges de France. Les autrices ne voulaient peut-être pas abîmer les déclarations d’intention par le vide des pratiques. Par ailleurs, par une volonté d’accueil, les pages 36 et 37 induisent en erreur car les photos de mains signifiant les lettres ne peuvent en aucun cas être désignés comme une écriture de la langue des signes : ce serait réducteur de la réalité de la langue des signes française et faux pour ce qui concerne la problématique de l’écriture d’une langue
Philippe Geneste