Toujours agréable à lire et à relire, nous avons choisi deux
titres de la collection « Mon
Histoire », aux éditions Gallimard Jeunesse.
Dans Anne de Bretagne, Duchesse
insoumise, la jeune duchesse Anne écrit son journal de 1488 à 1491.
Elle vient de perdre son père et, entourée de conseillers fidèles ou plus ou
moins retors, doit défendre la
Bretagne contre les assauts du roi de France. Toute jeune
adolescente elle doit protéger ses sujets et prendre de bonnes décisions. Elle
se confronte aussi à la convoitise de seigneurs puissants qui désirent
l’épouser et la spolier de ses terres. Après une guerre sanglante et bien des
défaites, elle doit se résoudre à épouser le roi de France.
Au temps du théâtre grec
décrit le journal de Cléo, à Athènes en 468 avant Jésus Christ. La jeune Cléo
âgée de 11 ans donne la réplique à son père, comédien de talent qui va jouer Antigone de Sophocle,
dont c’est la première représentation. Les cheveux coupés très courts, habillée
comme un garçon, Cléo devient le jeune Joulios, neveu du grand comédien, pour
se rendre aux répétitions. Joulios a un jeu si parfait, si sensible que le
tragédien Sophocle le remarque. Mais lors de la représentation de la pièce,
Joulios disparait. La jeune Cléo reprend ses vêtures féminines et coiffe ses
cheveux d’un voile. Elle confie toute cette expérience, son exaltation et sa
déception devant l’injuste condition des femmes à son ami le papyrus offert par
son père pour travailler le grec, et qu’elle a nommé Pétrocle comme l’ami du
héros Achille . Riches de sensibilité et d’expériences fortes, ces deux
romans proposent dans leurs dernières pages un glossaire et précisent le
contexte historique où se situent les intrigues. Ces romans témoignent du courage
et de la détermination des héroïnes, offrant des pages stimulantes aux jeunes
lecteurs, lectrices.
Annie Mas
Bousquet
Charlotte, Proie idéale, Rageot, 2013, 224 p.
9€90
Voici un bon roman qui emprunte le ton du thriller pour une
critique sans fard du monde du mannequinat. Les thématiques de la manipulation
informationnelle des adolescentes, de la critique idéologique des stéréotypes
de la beauté servent une intrigue bien menée, écrite avec une certaine
agressivité de l’écriture qui met en avant des héroïnes insoumises.
Commission lisezjeunesse
La figure féminine des contes à Lewis
Caroll
Pierre Péju défend l’idée qu’Alice de Lewis Carroll est un
« être-petite-fille », « une façon de s’esquiver des rôles (féminins)
et du sérieux, mais aussi des genres des sexes, jusqu’à se glisser, du point de
vue de l’apparence, vers un certain hermaphrodisme pour devenir ondine, sirène,
enfant au sexe incertain » (Pierre Péju, Le Goût de l’enfance,
Paris, Le Mercure de France, 2014, 107 p. – p.107/108). « L’hermaphrodite est plutôt un être ni
vraiment masculin, ni vraiment féminin, comme si les signes sexuels n’étaient
pas assez présents pour permettre de trancher » (ibid. p.108). « Les
contes laissent entendre la spécificité
de l’être-petite-fille. Ils montrent
ses capacités d’initiative, d’aventure, de “détachement”, et surtout de
familiarité spontanée avec l’inconnu, les êtres non anthropomorphes. Ainsi,
beaucoup de contes populaires laissent la fille aller très loin dans l’aventure
et l’action autonome, quitte à la ramener brutalement dans les rôles rigides
les plus traditionnellement féminins » (p.108).
Prenons Andersen et voyons comment cette idée de Péju pourrait
être illustrée dans un conte où deux figures enfantines, l’une masculine et
l’autre féminine, forment un système de personnage :
Andersen, H.C., La Reines des neiges, traduction du danois
par G.H. La Chesnay ,
illustrations de Rémy Curgeon, Gallimard, collection Folio junior, 2013,
96 p. 4€ ; Andersen, H.C., La Reines des neiges, traduction G.H.
Chesnay, illustrations par Stéphane Blanquet, Gallimard-Giboulées, 2011,
50 p. 14€50
Alors que sortait en 2013 la
dernière production Walt Disney qui n’a rien su faire que perpétuer les
stéréotypes de l’idéologie dominante sexiste américaine, il faut signaler la
réédition du conte d’Andersen intégral en folio junior et la remise à l’office
du merveilleux album comportant le texte intégral. Ces ouvrages sont toujours
disponibles.
Kay, le petit héros, est attiré
par une rationalisation de la vie : « Ses jeux devinrent tout autres qu’auparavant, ils furent sérieux. »
Kay devient alors le héros en quête de l’éternité, celui qui veut savoir, et
qui, pour savoir bravera les frontières sociales. Alors, certes, il échouera,
Gerda le ranimera en humanité, et c’est
sans aucun doute la victoire de la foi qu’Andersen a conté ; mais il faut
tout lire : à la fin de l’histoire, les héros ont des corps d’adulte, mais
ils ont gardé leurs cœurs d’enfants.
Comment comprendre cette victoire
de l’enfance sur la raison ? Kay n’est pas innocent, donc l’enfance, ici,
ne peut-elle pas représenter la force de l’imagination articulée à la soif de
connaître (« il apparut à Kay que
tout ce qu’il savait n’était tout de même pas suffisant ») de ce qui
fait l’humain ? Après tout, si l’histoire se finit bien, c’est parce que
Gerda est allée à la recherche de Kay, qu’elle a bravé, elle aussi, les
interdits, ne l’oublions pas : elle non plus, du coup, n’est pas
innocente. L’enfance prendrait, alors, une toute autre signification que celle
qu’on lui attribue d’habitude : elle serait le temps des découvertes et de
la hardiesse ; elle serait le temps des constructions de soi par le tâtonnement
et l’expérience bien comprise des erreurs. Mais ce n’est que dans l’expérience
réelle du monde et non dans un milieu aseptisé, que la personne peut se
construire en tant qu’être autonome. Et pour cela, il faut que l’individu
s’empare des savoirs et refoule l’irrationnel : « Kay était épouvanté, il voulut dire son
Notre-Père, mais il ne put se rappeler que la grande table de multiplication ».
Cette interprétation n’annule pas les autres, Andersen fait explicitement
référence à Dieu, mais le texte, son texte, ouvre d’autres perspectives
d’interprétation cohérente et nous avons cherché, ici, à le montrer. Les
illustrations de Blanquet nous semblent alors d’autant plus justes qu’elles
servent le déraisonnement des sens et proposent une interrogation de la part
maudite du savoir sans laquelle, pourtant, l’humain ne serait pas humain.
Les sept parties qui composent le
conte ne sont pas d’égale intensité mais Andersen s’y montre un prodigieux
narrateur : « Voilà ! Nous
commençons. Quand nous serons au bout de l’histoire, nous en saurons plus que
nous ne savons maintenant ; car c’était un méchant troll ; c’était un
des pires, c’était le “diable” », telle est la première phrase.
L’usage qu’il fait, aussi, du thème du miroir brisé, cause de la perception
fragmentaire et conflictuelle du monde, est passionnant. Les éclats de miroir
ne peuvent permettre de se connaître, ni de connaître, puisqu’ils ne renvoient
que des reflets, des illusions. Pour autant, Kay va aller au pays des glaces
jusqu’à y compromettre sa vie. Il va le faire parce qu’il sait, aussi, que la re-présentation à partir de l’expérience
du monde est une condition de la connaissance du monde et de soi. Le miroir ne renvoie pas l’image de soi mais
lui fait voir le monde. Le conte La
Reine des Neiges est peut-être, alors, un
conte de la prise de conscience de soi rendue possible par la traversée des
apparences, autre nom de l’expérience vécue des êtres et des choses.
On le voit on est loin du grand guignolesque film des productions
Disney qui mettent l’accent sur le milieu des princesses et des reines alors
que ce qui intéresse Andersen c’est l’humanité commune. Doit-on ajouter qu’il
serait bon que les enfants connaissent l’histoire originale avant d’aller voir
le film qui l’affadit à la romance bourgeoise stéréotypée pour l’industrie du
divertissement de l’enfance ?
Geneste Philippe