Anachroniques

29/01/2012

De hasard et d’humour. Entretien avec Lionel Koechlin

A propos de la parution de Un chien vantard, Un poisson amical, Un chat capricieux, Un hamster gourmand, Gallimard -Giboulées, 2012, 12 p. 5€ chacun. Lionel Koechlin poursuit en littérature destinée à al jeunesse son œuvre critique du langage et de la société. Avec lui, les frontières entre littérature pour adulte et littérature pour la jeunesse s’amenuisent. Lors de la sortie des quatre ouvrages chez Giboulées, il nous a accordé un entretien

Lionel Koechlin, votre œuvre cultive toujours un certain décalage avec le réel. Vous insistez sur ce décalage et en faites un trait central d'une approche humoristique de la vie. C'est vrai de votre œuvre de dessinateur de presse, mais c'est vrai aussi de votre œuvre destinée à la jeunesse
Lionel Koechlin : Depuis quelques dizaines d'années, la prépondérance donnée aux mathématiques dans les programmes scolaires a produit beaucoup de gens cartésiens et trop sérieux. Cet état de choses transforme les individus et impose l'humour et le décalage comme un salutaire devoir de résistance.
Pour survivre dans la société qui est en train de se dessiner, le sens de l'humour et le recul devant les évènements seront indispensables aux futurs adultes.
Il y a aussi une autre explication à mes fantaisies : c'est ma nature profonde ainsi que mes expériences qui me poussent vers ce qui, en apparence, n'est pas sérieux.

Et la marque de facétie imprimée à votre œuvre y tire sa force persuasive…
Dans la série "Dialogues de bêtes", vous optez pour des monologues. Pourquoi ce choix de pensées intérieures plutôt que de dialogues ? Est-ce uniquement lié au fait que chaque ouvrage présente un seul animal ?




Lionel Koechlin : Dans les 4 livres, Un chien vantard, un poisson amical, un chat capricieux, un hamster gourmand, j'aurais pu effectivement opter pour des dialogues ou pour la narration, mais je pense que le monologue permet au lecteur de s'approprier plus facilement les réflexions du héros, en créant une sorte d'intimité partagée.
D'autre part, la démarche, qui consiste à prêter à des animaux des pensées, dont le contenu est largement supérieur à leurs capacités cérébrales, enrichit la dimension comique de leurs aventures.

Pourquoi cette insistance, dans votre œuvre pour les enfants, sur les figures animales ? Accepteriez-vous que l'on vous présente comme un fabuliste ?




Lionel Koechlin : L'utilisation des figures animales dans la littérature enfantine s'est imposée depuis longtemps, soit parce qu'elle permet de faire dire aux animaux de façon subtile, des propos qui pourraient choquer dans la bouche d'êtres humains, soit plus simplement parce que l'univers enfantin, est peuplé de peluches et d'animaux idéalisés, ayant chacun des caractères marqués (crocodile cruel, chien fidèle, mouton doux etc.). Ces stéréotypes permettent de camper des personnages en évitant de trop longues descriptions. Fabuliste ? Quand on consulte le dictionnaire, on trouve à ce mot beaucoup de définitions. Plusieurs me vont très bien, surtout la suivante : récit imaginaire, farce. Par contre, de nos jours, on associe, toujours, à l'idée de fable la présence d'une morale en conclusion du récit. Il est vrai que je cherche presque toujours à donner un sens, voire plusieurs, à mes textes mais, s'il y a présence d'une leçon de morale, c'est par hasard... Enfin, le hasard ?...



Entretien réalisé par Philippe Geneste en janvier 2012

23/01/2012

Au cœur de la lutte ardente entre l’imagination et la raison

Andersen, H.C., La Reines des neiges, traduction G.H. Chesnay, illustrations par Stéphane Blanquet, Gallimard-Giboulées, 2011, 50 p. 14€50
Les éditeurs ont confié, à l’illustrateur des Bêtes d’ombre, un conte sauvage, paru en 2010 chez Gallimard, le texte intégral d’Andersen pour un album à couper le souffle. On retrouve les mêmes déformations de personnages que dans l’album de 2010 ; la sauvagerie des portraits et des visages sied à merveille à ce conte cruel d’Andersen. On sent, chez Blanquet l’influence du film d’animation par laquelle il donne un dynamisme à l’univers malsain qui se dessine avec des couleurs qui semblent venues de l’envers de la lumière. Mais, partons du texte.
On sait que ce conte fut inspiré à Andersen par sa relation avec Jenny Lind. Kay, le petit héros, qui s’est laissé entraîner par la reine des Neige, ne devra d’être arraché au diable que par les soins de Gerda, tant par les larmes, les baisers et sa présence qui réchauffent le corps gelé du garçon. On verra, alors, dans le conte une image de la lutte entre le bien et le mal dont le dépassement est le pire qui ne fait, c’est écrit dans le premier paragraphe du livre, que révéler « la véritable figure du monde et des gens ». Mais on peut lire, aussi, le récit comme la lutte de l’imagination contre la raison.
Kay, le petit héros, est attiré par une rationalisation de la vie : « Ses jeux devinrent tout autres qu’auparavant, ils furent sérieux. » Kay devient alors le héros en quête de l’éternité, celui qui veut savoir, et qui, pour savoir bravera les frontières sociales. Certes, il échouera, Gerda le ranimera en humanité, et c’est sans aucun doute la victoire de la foi qu’Andersen a conté ; mais il faut tout lire : à la fin de l’histoire, les héros ont des corps d’adulte, mais ils ont gardé leurs cœurs d’enfants.
Cela amène une interrogation : comment comprendre cette victoire de l’enfance sur la raison ? Kay n’est pas innocent, donc l’enfance, ici, ne peut-elle pas représenter la force de l’imagination articulée à la soif de connaître (« il apparut à Kay que tout ce qu’il savait n’était tout de même pas suffisant ») ? N’est-ce aps, alors, une interrogation sur ce qui fait l’humain ? Après tout, si l’histoire se finit bien, c’est parce que Gerda est allé à la recherche de Kay, qu’elle a bravé, elle aussi, les interdits. Ne l’oublions pas : elle non plus, du coup, n’est pas innocente. L’enfance prendrait, alors, une toute autre signification que celle qu’on lui attribue d’habitude : elle serait le temps des découvertes et de la hardiesse ; elle serait le temps des constructions de soi par le tâtonnement et l’expérience bien comprise des erreurs. Mais ce n’est que dans l’expérience réelle du monde, et non dans un milieu aseptisé, que la personne peut se construire en tant qu’être autonome. Et pour cela, il faut que l’individu s’empare des savoirs et refoule l’irrationnel : « Kay était épouvanté, il voulut dire son Notre-Père, mais il ne put se rappeler que la grande table de multiplication ». Cette interprétation n’annule pas les autres, Andersen fait explicitement référence à Dieu. Toutefois, le texte, son texte, ouvre d’autres perspectives d’interprétation cohérente et nous avons cherché, ici, à le montrer. Les illustrations de Blanquet nous semblent alors d’autant plus justes qu’elles servent le déraisonnement des sens et proposent une interrogation de la part maudite du savoir sans laquelle, pourtant, l’humain ne serait pas humain.
Les sept parties qui composent le conte ne sont pas d’égale intensité mais Andersen s’y montre un prodigieux narrateur : « Voilà ! Nous commençons. Quand nous serons au bout de l’histoire, nous en saurons plus que nous ne savons maintenant ; car c’était un méchant troll ; c’était un des pires, c’était le “diable” ». Telle est la première phrase. L’usage qu’il fait, aussi, du thème du miroir brisé, cause de la perception fragmentaire et conflictuelle du monde, est passionnant. Les éclats de miroir ne peuvent permettre de se connaître, ni de connaître, puisqu’ils ne renvoient que des reflets, des illusions. Pour autant, Kay, va aller au pays des glaces jusqu’à y compromettre sa vie. Il va le faire parce qu’il sait, aussi, que la re-présentation à partir de l’expérience du monde est une condition de la connaissance du monde et de soi. Le miroir ne renvoie pas l’image de soi mais lui fait voir le monde. Le conte La Reine des Neiges est peut-être, alors, un conte de la prise de conscience de soi rendue possible par la traversée des apparences, autre nom de l’expérience vécue des êtres et des choses.

Geneste Philippe

15/01/2012

Le Tour du monde en 80 jours, un atlas géopolitique du monde

Verne, Jules, Le Tour du monde en 80 jours, dossier pédagogique en fin d’ouvrage par Cécile Dusserre-Telmond, Flammarion jeunesse, 2011, 422 p. 6€
Phileas Fogg, un gentleman à la vie réglée comme du papier à musique, Passepartout, un valet français débrouillard. Un pari pour lancer le livre : Fogg prétend réaliser le tour du monde en quatre-vingt jours. C’est parti : Suez, Aden, Inde, Singapour, Hong-Kong, Shangaï, Yokohama, traversée du Pacifique, San Francisco, New York, navigation sur l’Atlantique, Liverpool, Londres. Le roman est paru en 1872 du 6 novembre au 22 décembre dans Le Temps avant sa sortie en volume chez Hetzel en 1873. Pour cet « atlas vivant de géographie » -l’expression est de Mallarmé dans la revue La Dernière Mode de sept-décembre 1874- il est probable que Verne se soit appuyé sur le fascicule 80 du Magasin pittoresque qui, portant sur le percement du canal de Suez, donnait des éléments de calcul d’un tour du monde (1). Mais on sait, aussi, que Verne était un fervent lecteur du magazine Le Tour du monde créé par Hachette en 1860 et dont Verne découpait les articles en vue de l’écriture de romans. P. Gondolo della Riva signale la parution en septembre 1871, dans La Revue des deux mondes, du récit de voyage d’Edmond Plauchut « Le Tout du monde en 121 jours » (2). Un excentrique Georges Francis Train affirmait, en 1870 avoir fait le tour du monde en 80 jours… Fogg peut provenir du nom d’un voyageur américain, Perry Fogg, qui en 1872 publia Round the world.


De plus, à la fin du XIXème siècle, on se passionne pour les engins modernes de transport (trains, ballon, bateau) qui mettent le voyage à la portée d’un plus grand nombre. En 1869 est achevée la jonction par le chemin de fer des côtes est et ouest des Etats-Unis, et Ferdinand de Lesseps inaugure le Canal de Suez; enfin, en 1871, s’achève le creusement du tunnel du Mont Cenis sous les Alpes qui relie la France à l’Italie. Le grand défi est celui de la vitesse et du contrôle du temps et la maîtrise des distances, thème essentiel de l’œuvre (c’est le temps du télégraphe, par exemple).


Verne multiplie les précisions scientifiques. Ainsi, en effectuant son voyage circulaire vers l’est, Fogg franchit 24 fuseaux horaires gagnant à chaque fois une heure, ce qui va lui permettre de gagner son pari lancé au Reform Club. Pour ancrer le vraisemblable, Verne s’appuie sur des détails : Le Reform Club, dont est membre Phileas Fogg existe bel et bien. Enfin, on est dans une période coloniale où l’expansion territoriale nourrit les appétits financiers divers et ce n’est peut-être pas un hasard si le périple de Fogg s’apparente assez à une traversée de l’empire colonial britannique.
Certes, dans ce roman, le héros est presque un anti-héros et son exploit le ramène plutôt à la vie –il va se marier avec l’indienne qu’il a sauvée du bûcher dans une des premières étapes du livre-. Ce glissement de la figure du personnage mis en valeur par le faire-valoir Passepartout donne au Tour du monde… une place particulière dans la série des Voyages extraordinaires lancée en 1866 par l’éditeur Hetzel. L’intrigue policière qui double le tour du monde du gentleman est un dispositif qui souligne la course contre la montre. Le support scientifique au sens large (géographique, sociologique, géologique, technique…) sert d’éloge au tourisme, en quelque sorte.


Le roman a connu tout de suite le succès, si bien que Verne l’adaptera au théâtre en 1874. Le triomphe de l’œuvre se manifeste aussi par les tentatives concrètes de réaliser le même exploit que le personnage de roman. Ce fut la journaliste anglaise Nelly Bly en1889 et 1890, le français Gaston Stiegler en 1901, le danois Palle Huld en 1928, Jean Cocteau en 1936. De plus, vont sortir dès la fin du XIXème siècle, de nombreux produits dérivés de l’œuvre : chromos du chocolat Poulain vers 1900, cartes postales, assiettes, papiers peints, jeux, plaques de lanternes magiques, théâtres à découper, affiches… Un phénomène banal au XXIème siècle…


Geneste Philippe


(1) voir Aziza Claude, Boëlle-Rousset Cathy, Le Tour de Jules Vernes en 80 mots, Le Pré aux clercs, 2005, p.78 (2) P. Gondolo della Riva « Un Tour du monde qui a conquis la planète » Géo hors série 2003 pp.82-87

08/01/2012

Une invitation, par le trait, à l’inconnu

BINET Juliette, L’Horizon facétieux, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2011, 27 p. accordéon 6,30 mètres
De 4 à 144 ans
« L'Horizon Facétieux était au départ un dessin, suivi d'un second, puis d'un troisième..... Je ne me rappelle pas à quel moment il est devenu un livre dans mon esprit, mais la forme en accordéon s'est imposée d'elle-même ». Ainsi parle Juliette Binet pour son nouvel opus chez Giboulées-Gallimard. Le dépliement des pages s’il « encourage la projection dans la continuité du dessin » nous a confié l’artiste, il propose, aussi, au lecteur de réaliser, lui-même l’horizon. Il peut même l’arrêter à tel moment ou à tel autre ou bien aller jusqu’au lointain du livre accordéon, à six mètres trente de la reliure. La ligne d’horizon se trace à chaque page par des traits, une quasi obsession du trait, le droit, le courbe, le clair, le foncé, les rares bleus, les roses triangles plus rares encore. Nous disons obsession, mais il serait plus juste de dire que le trait permet de poser l’illustration, que suivre les traits c’est, pour le lecteur, entrer dans un univers où règne la lenteur, celle de la marche patiente vers l’horizon. Or, cette promenade lectorielle n’aboutit pas à l’horizon puisque celui-ci est inscrit dans chaque page ; elle aboutit à la dernière page, faisant du livre déplié l’horizon de l’action du lecteur, de la lectrice.
On peut, alors, dire que le trait est peut-être le vrai héros de ce livre abstrait et pourtant si simple qu’un enfant de cinq années peut s’y régaler. Le paysage défile, petit à petit, de la terre à la mer jusqu’à l’envol suggéré vers les airs et c’est le livre de 6m30 de long qui en est l’horizon, l’horizon qui n’est pas tant à regarder qu’à recréer à chaque manipulation du lecteur. C’est une facétie d’artiste qui propose au lecteur de devenir le naturaliste de la page, le géologue des stries, le conteur de la Terre, le poète du trait. Horizon facétieux, aussi, parce que justement, le livre refuse d’horizonner le paysage au final envolé…
Mais l’artiste nous permet de comprendre que cet espace qui est notre milieu naturel de vie humaine, cet espace re-présenté par nos pensées et leurs expressions verbales et, ici, graphiques, procède, pour reprendre un mot de Juliette Binet dans l’entretien qu’elle nous a accordé, par « des alignements mystérieux » des mises en rapports, entre des réalités vues, perçues ou fruits d’aperception, dans le but généralement inscient de mettre en forme nos expériences. Telle est la matière du livre : les « pesanteurs » imaginées du monde et des éléments dont l’humain est lui-même constitué et qu’il est le seul à penser. Cette prédominance de l’espace imposée par la lenteur conséquence de l’omniprésence du trait et de sa maîtrise, porte vers une expérience de l’immobilité, celle paradoxale d’un à-cheminement, d’une pro-men-ade : on va au devant d’un inconnu, c’est une invitation à l’inconnu.
Rarement récit graphique aura été à ce point dépouillé de ce qui configure le récit : les personnages. Alors, direz-vous, puisqu’il n’y a pas de personnage, il ne peut pas y avoir d’histoire. Mais ce serait oublier la facétie : l’histoire s’inscrit, se trace, comme une promenade creuserait sa sente d’égarement où s’éprouve la liberté. Et qui d’autre que le lecteur ou la lectrice est invité en balade ? L’histoire est trop importante pour se laisser distraire par la couleur, d’où la prégnance du gris rehaussé par la pâleur effacée du bleu et du rose. Voici un livre de lecture dont l’histoire est celle de sa lecture, de la concentration nécessaire à la lecture : en quelque sorte le patient suivi des traits épousant une patiente quête de la ligne comme prolégomènes à la lecture. Et quel chef d’œuvre.

Philippe Geneste

01/01/2012

La littérature par la jeunesse fait-elle peur ?

Narou le kangourou * Barca le crabe, Histoires imaginées par les élèves du CP a, rédigées par Marie Duvignau et Florence Sautereau, illustrées par Lou Parnaudeau d’après les dessins des enfants, Paris, L’Harmattan, 2011, 47 p. 7€50


Voilà une initiative éditoriale qui ne peut que nous intéresser. Il s’agit de deux histoires animalières, imaginées par des élèves de CP d’une école élémentaire du dixième arrondissement de Paris. Le titre et la longue notation sur la source auctorale nous retiendra d’abord.

Qu’un livre soit imaginé par un groupe pose la question de l’écriture collective. Assez pratiquée dans le système éducatif cette manière d’aborder l’écriture est efficace lorsqu’il s’agit de travailler sur la structure des récits ou de poèmes etc. En revanche, elle nuit à l’appropriation par les élèves des problématiques propres à l’écriture et au style, si on veut bien donner un sens assez large à ce mot.
Une autre question se pose : peut-on détacher l’imagination d’une histoire de son écriture ? Oui, bien sûr. Mais ce n’est plus travailler sur l’écriture, c’est travailler sur la structure discursive que celle-ci soit un discours argumentatif, un texte de fiction ou autre. Ceci étant dit, l’honnêteté de Marie Duvignau et de Florence Sautereau permet de situer précisément ce qui était visé.

Par ailleurs, Le fait que même les dessins des élèves aient fait l’objet d’une reprise par un adulte dessinateur semble montrer que les dessins d’enfants devaient manquer d’unité pour accéder à l’édition. C’est une objection assez fréquente. Pourtant, n’est-il pas dommage d’adultifier des dessins d’enfants ? L’effet laisse perplexe. Le dessin réalisé par un adulte à partir de celui imaginé par un enfant efface le pouvoir créateur de l’enfant.

Cette remarque permet de revenir sur la question de l’écriture collective. On comprend, qu’au CP, des élèves ne peuvent pas écrire toute l’histoire et que, de ce fait, le dispositif pédagogique mis en place par l’enseignant cherche à passer par une écriture collective qui peut se faire réécriture par l’adulte. Dans le cas du dessin adultifié, on a vu que le pouvoir créatif de l’enfant se trouvait annihilé. Est-ce qu’on ne peut pas penser qu’une même désappropriation de la force créatrice littéraire de l’élève scripteur est à l’œuvre dans la réécriture par le collectif ou par l’adulte enseignant ? Nous penchons à penser cela.

Nous avons donné à lire le livre aux jeunes lecteurs de la commission lisez jeunesse afin de voir comment le livre était reçu par le public même auquel il s’adresse. Tous ont répondu que le livre était intéressant. Tous ont interrogé les noms propres du titre. Nombreux sont ceux qui ont demandé à situer les lieux qui servent de décor aux récits. Plusieurs nous ont demandé pourquoi Marie Duvignau insiste, dans son introduction, sur l’autorisation reçue de la hiérarchie (inspecteur d’académie et directrice de l’école) à travailler sur ces deux récits. Nous leur avons répondu que les adultes s’adonnent souvent à la soumission volontaire. Mais nous avons répondu, aussi, que l’éducation nationale ne doit guère aimer laisser les élèves créer. L’avant-propos de Marie Duvignau est la preuve que l’apprentissage créatif du langage est combattu par l’institution. De là à expliquer la réécriture adulte du texte comme le re-dessin adulte des illustrations, il n’y a qu’un pas qu’il faut probablement franchir. Il y a là une opération qui est un déni d’écriture pour les enfants : en effet, écrire c’est choisir d’où on parle ; or en substituant au propos enfantin la plume de l’adulte, on recentre l’écriture, on génère de l’adulto-centrisme.

Au fond, ce livre, dont nous invitons toutes les bibliothèques scolaires à faire l’acquisition, révèle à travers sa conception les enjeux d’une parole d’enfance qui reste à libérer dans l’écriture.

Geneste Philippe