Brenifier
Oscar, C’est quoi la violence, illustrations par Anne Hemstege, Nathan, coll. Philo z’enfants, Nathan, 2019, 97 p.
12€90 ; Brenifier Oscar, C’est
quoi la liberté, illustrations par Frédéric Rebéna, Nathan, coll. Philo
z’enfants, Nathan, 2019, 97 p. 12€90 ; Brenifier Oscar, C’est quoi vivre ensemble, illustrations
par Frédéric Benaglia, Nathan,
coll. Philo z’enfants, Nathan, 2019, 97 p.
12€90.
Ledoux Julien, De
l’enfant à l’élève. Une approche philosophique de la littérature de jeunesse à
l’école élémentaire, L’Harmattan, 2019, 202 p. 21€50
Le livre de
Julien Ledoux est une étude menée à partir de l’observation d’ateliers de
philosophie auprès de classes de l’école élémentaire. Certes l’enfant se pose
des questions, mais se serait sous-estimer le rôle de l’interaction que de ne
pas comprendre que ce sont des sollicitations extérieures qui permettent aussi
à l’enfant comme à tout être humain de s’interroger et d’affronter des
problèmes nouveaux. Le rôle de l’école pourrait ainsi rappeler en lieu et place
de programmes sans progressivité ni compréhension de la psychogénèse des
apprentissages. En partant d’ouvrages de la littérature de jeunesse, des
albums, des récits, l’atelier de philosophie a pour but de sortir l’enfant de
son individualité pour l’amener vers la connaissance de soi par la
confrontation d’idées : « De la
sorte, on peut avancer que l’imaginaire est cette dimension activée par la
littérature de jeunesse qui permet de trouver des solutions à ses blocages
réels grâce à la possibilité, décuplée par la dimension groupale, d’explorer
d’autres possibles » (p.173). Il
s’agit, somme toute, de permettre aux élèves de s’initier au dialogue, à la
confrontation, à la controverse en suivant des règles de l’échange verbal oral
et donc, d’entrer en coopération comme la pédagogie coopérative et nombre de
pédagogies socialistes et libertaires le pratiquent depuis bien longtemps.
Georges Jean, inspiré, entre autres conceptions, par celles-ci, écrivait en
1976 : « une pédagogie de
l’imaginaire est bien une pédagogie transitionnelle, cultivant l’individu dans
sa relation avec lui-même et avec le monde extérieur » (Pour une pédagogie de l’imaginaire,
Paris, Casterman, 1976 -2ème éd. 1991- p.12). Ce que Julien
apporte est que l’activité pédagogique reposant sur le dialogue, ici le
dialogue philosophique adapté à chaque étape du développement psychologique,
permet de révéler l’enfant chez l’élève. Pour Julien Ledoux, la crise de l’école
repose sur l’incapacité de la société actuelle à intégrer les affects des
enfants qui se trouvent ainsi coupés en deux : élève ou enfant. Or, nous
dit J. Ledoux, c’est dans l’unité que la personne peut se développer
harmonieusement. L’école pourrait être le lieu de cette conquête de soi grâce à
sa dimension groupale et donc sociale. On reconnaît bien sûr des éléments de la
psychanalyse, mais aussi des conceptions défendues par Célestin Freinet ou René
Lourau, Jean Piaget ou Paul Robin, Sébastien Faure ou P.P. Blonskij, Véra
Schmidt ou Fernand Pelloutier... Pour sortir de la toute puissance qui empêche
la réflexion, pour vaincre les angoisses et inquiétudes paralysantes qui
empêchent l’enfant de penser, de s’autoriser à penser, la solution pourrait
résider dans les formes d’apprentissage créatif du langage à base dialogique.
Là, Julien Ledoux rejoint Serge Boimare (L’Enfant
et la peur d’apprendre, Paris, Dunod, 1999), puisque l’enjeu est
que la parole trouve un chemin à prendre et que l’élève ne vienne pas empêcher
l’enfant ou mieux, que l’enfant ne trouve pas dans l’élève un empêchement à ce
que s’exprime, vive l’enfant. L’école doit se donner cette tâche : faire
émerger l’enfant dans l’élève et non se fixer sur le devenir élève des enfants.
Il y a là une dimension émancipatrice qui impose de combattre la réaction
scolaire qui a cours aujourd’hui.
Ce qui précède éclaire ce que
nous voulons dire des trois ouvrages d’Oscar Brenifier. Pour chacune des trois
notions philosophiques traitées, il procède par une multitude de
questionnements qu’il range dans des rubriques formant le plan de l’ouvrage.
Ainsi pour C’est quoi vivre ensemble ? on trouve : aimerais-tu vivre seul ? Est toujours
obligé de respecter les autres ? Dois-tu toujours être d’accord avec les
autres ? Sommes-nous tous égaux ? Sommes-nous tous obligés de
travailler ? A-t-on toujours besoin d’un chef et de règles pour vivre ensemble ?
Pour C’est
quoi la liberté ?, on passe par les étapes suivantes : Peux-tu faire tout ce que tu veux ? Les
autres t’empêchent-ils d’être libre ? As-tu besoin de grandir pour devenir
libre ? Un prisonnier peut-il être libre ? A-t-on le droit d’être
libres ? A quoi peut servir ta liberté ? Enfin le plan de C’est
quoi la violence ? est le suivant : Qu’est-ce qui te rend violent ? Comment sais-tu que tu es
violent ? Peux-tu t’empêcher d’être violent ? As-tu le droit de
frapper quelqu’un ? A quoi peut servir la violence ? As-tu raison
d’avoir peur des autres ?
L’intérêt des questions qui
peuplent chaque division des livres est qu’elles sont ouvertes, elles ne
réclament pas une seule réponse. Le but étant que l’enfant réfléchisse par
lui-même, on comprend bien le dispositif qui, pour être efficace, devra être
dialogué. Privilégier le questionnement c’est privilégier la mise à distance
d’un sujet pour y réfléchir, pour qu’il crée de la réflexion. C’est pourquoi
ces ouvrages sont autant des livres de complicité parentale avec les enfants en
se gardant de brimer la pensée de ces derniers, autant que des outils stimulants
et ouverts à des adaptations créatives pour des séances de débat, d’échanges
groupaux en classe. Si le dialogue philosophique a toute sa place à l’école
c’est parce qu’il facilite l’approche des pratiques discursives mettant en
exergue des problématiques. Les collégiens sont, en général, en difficulté
quand il s’agit d’énoncer une problématique pour leur propre discours ou bien
quand il s’agit de reconnaître dans un texte une problématique organisatrice du
propos d’un auteur ou d’un locuteur.
Philippe Geneste