Anachroniques

27/12/2020

La voix des histoires

 

Les éditions d2eux

L’histoire s’amorce en 2015, à Sherbrooke au Québec, alors que France Leduc et Yves Nadon fondent d2eux, ainsi écrit par malice. Forts de vingt années en édition, de trois décennies en arts visuels et de trente-cinq années en salles de classe, ces amoureux de la littérature ont un noble objectif : susciter des lecteurs pour la vie. Pour y parvenir, ils posent les livres au cœur de l’apprentissage de la lecture, donc de l’apprentissage de la vie ; ils s’en servent comme autant de tuteurs pour ces jeunes plantes qui ne demandent qu’à grimper. Les éditions d2eux ont su s’entourer d’auteurs et d’illustrateurs d’exception pour faire naître des livres qui provoquent le plaisir et la réflexion. En voici un :

Poirier Nadine, Le Jardinier qui cultivait des livres, illustrations de Claude K. Dubois, éditions d2eux, 2020, 32 p. 16€

Alors que la civilisation humaine se dilue dans l’adoration aveuglée de la technique, cet album manifeste la culture et invite à la patience. Les pages de garde offrent à voir, pour les premières, un paysage vu en plongée, ciel et terre mêlées où s’enfouit un village ; pour les dernières une vue depuis le sol, coléoptère et papillon sur une feuille fragile en avant-plan, mettant en perspective, de dos, un homme et un enfant, main dans la main, qui s’éloignent, silhouettés. Les tons nuent du vert fugace au jaune, à l’ocre pâle avec des nuances brunes. Comme nous l’a confié l’illustratrice, les images sont travaillées au « crayon noir 3B et 4B (parfois plus poussé, d’autres fois moins) et aquarelle ». L’impression sur papier crème met en valeur ces choix.

Dans cet univers évanescent, nous entrons par la matrice du conte : « Il était une fois un jardinier passionné de livres ». Le jardinier n’est pas un raconteur d’histoires, mais un passeur d’histoires. Lassés par cet homme qui contait des histoires « à toute heure du jour ou de la nuit », les habitants du village l’ont chassé. Le lecteur est alors invité à se rendre sur son nouveau territoire de vie solitaire ; il entre-aperçoit l’agriculteur cultivateur de livres, plantant des mots, s’émouvant, à la veillée, d’histoires lues, transporté dans un ciel océan dans une maison aquarium, environné de fleurs livresques, jusqu’à la découverte, au plus près d’une orpheline, chassée, elle aussi, par les villageois qu’elle dérangeait à force de lire.

Toujours à travers la transparence aquarellée des images évanescentes, des formes silhouettées content la relation naissante entre l’ermite et l’abandonnée, racontent le bonheur humain de trouver échos des voix des histoires. La sauvageonne qui a mémorisé une pleine bibliothèque de documentaires et l’homme de la terre, cultivateur de récits, vont s’unir. La petite fille, en un épisode à la fois surréaliste et déchirant, cherchera à prendre racine sur le sol cultivé et c’est un père et c’est un enfant que, respectivement, l’enfant sauvage et le jardinier des livres adopteront. Ainsi viennent au monde les humains, à travers la nature dialogique du langage, nous dit cet album aux contours génériques floutés.

Philippe Geneste

20/12/2020

Lire dans l’émerveillement du monde naturel qui nous entoure

 Mathivet Éric, Vanvolsen Émilie, Hier chenille, aujourd’hui papillon. Les lépidoptères, Ricochet, 2020, 40p. 13€50

Découvrir les chenilles, les exhibitionnistes, les discrètes, leur art du leurre, leur propension à muer quatre à cinq fois, leur science de la métamorphose quand enfermées dans leurs chrysalides elles en sortent papillon.

Quatre ailes recouvertes d’écailles microscopiques et colorées, deux antennes, six pattes, un art du mimétisme époustouflant, ce sont les papillons, les grands arpenteurs de l’air. Les papillons attirent la lumière autant qu’ils sont attirés par elle. Frugaux papillons de nuit, qui d’ailleurs ne mangent pas, pollinisateurs papillons de jour et à chacun sa parade nuptiale.

L’ouvrage donne aussi une leçon d’anatomie externe des papillons, il détaille des espèces particulières, s’intéresse à des faits étonnants comme la vitesse du vol de certains papillons, le jeu de leurs couleurs. Et n’oublions pas l’exceptionnelle chenille domestique ou vers à soie.

Difficile de ne pas parler de beauté pour certains papillons. Il n’y a rien d’anthropomorphique car il s’agit d’atours de séduction durant l’épisode de la sélection sexuelle ainsi que l’a étudié Darwin.

Et comme toujours, dans ces petits livres aussi beaux qu’instructifs, deux pages de compléments versent dans le discours encyclopédique. Les auteurs montrent la co-évolution en acte des plantes à fleurs et des papillons.

Beauté du voir, exaltation du savoir, Ricochet offre une nouvelle production de haute qualité.

 Daugey Fleur, Colombier Chloé du, Les P’tites coccinelles, Ricochet, 2020, 28 p. 9€50

Magnifique ouvrage qui offre aux enfants petits, un documentaire animalier ouvert à la narration et servi par la rigueur scientifique. Rien que pour cela, l’ouvrage est déjà à retenir et à offrir aux jeunes. Tout y passe : le régime alimentaire, le processus de la métamorphose, les œufs et les larves, les larves collées sur une tige, la coccinelle qui en sort, l’hibernation collective. On suit la ruse de la coccinelle qui imite la mort en cas de présence de prédateurs, l’enfant s’en trouvera tout étonné… Il observera un microcosme vu à la loupe, le grossissement pouvant lui faire prendre conscience du monde qui l’entoure.

Dit simplement, montré clairement, tel est l’album Les P’tites coccinelles. Un délice documentaire et narratif noué à la beauté des dessins et à la joie des couleurs. Les éditions du ricochet œuvrent, auprès du jeune public, à l’émerveillement des découvertes.

 Lecoeure Claire, Mazille Capucine, Les Insectes, Ricochet, 2020, 44 p. 16€

Cet ouvrage grand format est publié dans la collection « petites histoires naturelles ». C’est tout simplement un régal. Les images en gros plans permettent aux lecteurs de voir les détails morphologiques et anatomiques des vingt-et-une petites bêtes qui sont présentées. C’est un émerveillement pour les yeux.

Tous les insectes présentés le sont parce que la situation catastrophique de la planète les met en danger ou les a mises en danger d’extinction. Les autrices n’ont pas privilégié ce qui, dans le regard humain, correspondrait à la beauté (le vulcain, la déesse précieuse, l’éphémère, l’Azuré du serpolet). Elles parlent tout autant du bousier à cornes retroussées, du gerris, du perce-oreille à deux points, de la mouche de l’Antarctique, du criquet pèlerin, du scarabée pique-prune, de la fourmi acacia. Elles parlent aussi du fabuleux Phasme de Yen Tu, de la Luciole Pyralis, de la Perle etc. Le texte est bref, informe sur quelques caractéristiques de l’animal, sans recherche d’exhaustivité. Cela permet au jeune lectorat soit accompagné, pour les enfants avant 8 ans, soit seul, à partir de neuf ans, de s’aventurer dans l’ouvrage qui, et c’est la marque des éditions du Ricochet, allie à merveille science et vulgarisation scientifique.

 VOISARD Lisa, Ornithorama. Découvre et observe le monde merveilleux des oiseaux, éditions Helvetiq, 2020, 207 p. 24€90

Voici un ouvrage rare, magnifique dans sa conception, intelligent dans sa réalisation, instructif en diable, agréable à lire, éditorialement peaufiné. Il offre une vision (-orama) des oiseaux (ornitho-) communs (30 oiseaux européens), ceux que les enfants petits (dès 8/9 ans) ou grands peuvent observer. Au fil des portraits, les familles d’oiseaux sont présentées. Y sont indiqués la taille, les différences entre les mâles et les femelles, les œufs, l’habitat, la nourriture, la longévité, le poids, l’envergure, les activités diurnes et ou nocturnes, les caractéristiques qui permettent de les différencier d’autres espèces proches. Une foule de questions sont abordées, éclairées, avec science, comme par exemple, pourquoi certains oiseaux migrent et d’autres non ? Parler des oiseaux, c’est bien sûr s’ouvrir à la géographie, à l’éthologie. Les textes se répartissent en deux formes. Il y a d’abord une présentation d’une vingtaine de lignes, qui familiarise l’enfant avec l’oiseau traité. Cette première forme est celle de la narration documentaire. Il y a ensuite une multitude de brefs textes qui légendent de nombreuses illustrations.

Les illustrations réalistes sur un papier mat visent l’efficacité. Pour chaque oiseau, la première est une petite œuvre graphique où l’enfant découvre en pleine page l’animal dont il va être question. Une multitude d’autres dessins ou peintures sont présentes dans les six pages qui suivent et où l’oiseau est mis en regard d’autres parmi lesquels il évolue.

Cet ensemble couvre quasi 200 pages. Dans les presque cinquante pages restantes, d’autres oiseaux sont présentés pour leurs caractéristiques étonnantes. Là l’ouvrage procède par doubles pages. En fin de volume, se trouvent des oiseaux venus d’ailleurs sur un atlas sommaire, un intelligent répertoire des migrations. Deux pages présentent des espèces menacées, puis viennent des conseils pour aider les oiseaux, avant un index et les sources utilisées.

Pas de doute, Helvetiq, maison d’édition basée à Lausanne, devrait s’affirmer en France. Ornithorama. Découvre et observe le monde merveilleux des oiseaux est un livre à offrir en toute occasion et que tous les centres documentation scolaires, que toutes les bibliothèques acquerront pour le plus grand enrichissement des enfants. Et qui plus est, l’ouvrage peut se lire bien au-delà de la tranche d’âge pour laquelle il est destiné. 

escoriza Julie, La Tribu, Gallimard jeunesse Giboulées, 2020, 16 p. 16€90

« On ouvre ce livre pop-up comme on écarte les branches sur son passage. Nous voilà au cœur de la forêt tropicale avec la tribu des macaques de Tonkean », annonce le prière d’insérer. Et c’est bien cela. Le pop-up imite la forêt et présente huit scènes de la vie collective de l’espèce.

Chaque scène, ainsi animée, invite à ce que l’enfant la raconte. On touche ici une condition de la lecture des petits, à savoir l’accompagnement de l’adulte. Le court texte sur chaque double page donne le fil directeur du commentaire, mais il n’est pas imitatif. Et, à partir de ce que propose l’enfant, on peut lui suggérer d’explorer plus avant le pop-up et d’enrichir son histoire initiale.

Á la fin de l’ouvrage, un texte explique le mode vie de ces singes. Il permet de situer avec exactitude leur territoire. Les macaques de Tonkean vivent sur l’île indonésienne de Sulawesi. L’espèce est menacée par l’exploitation industrielle de ces forêts humides. Les macaques se réfugient sur la partie des forêts située sur les reliefs accidentés. L’enfant va, ainsi, notamment s’il est accompagné, se familiariser avec cette espèce animale. Le sentiment qu’il éprouvera sera l’amorce d’une préoccupation pour l’équilibre à chercher à rétablir entre l’espèce humaine et les espèces animales.

Philippe Geneste

12/12/2020

Livres en fête, esprit en éveil

 Encyclopédie des sciences, Gallimard, collection Les Yeux de la Découverte, 2020, 384 p. 24€95

L’Encyclopédie des sciences de chez Gallimard Jeunesse ressort en cette année 2020 dans une nouvelle version. Cette version fait partie de la collection Les yeux de la découverte, une collection reconnaissable par ses couvertures présentant les sujets sous la forme d’une planète et qui comporte entre autres L’Encyclopédie des animaux et L’Encyclopédie du corps humain. L’Encyclopédie fait 384 pages et est à destination des 9-12 ans.

L’enfant est invité à aborder les trois grands domaines de la science que sont la physique, la géologie et la biologie par plusieurs catégories : matière et matériaux, forces et énergie, électricité et magnétisme, l’espace, la Terre, les plantes, les animaux et enfin le corps humain. On remarquera le choix de progression qui nous fait partir des éléments les plus simples, les atomes, en passant par l’espace pour arriver sur la Terre et finir par le vivant qui est d’une très grande complexité. Cette apparition de la complexité du monde est également le reflet de sa chronologie, joliment décrite dans le sommaire du livre à travers un code couleur qui plaira autant aux enfants qu’aux adultes.

Le principe est simple : chaque page porte son sujet. On a donc la page qui parle de l’oxygène, celle de la tectonique des plaques ou encore celle des nuages avec parfois des doubles pages quand le sujet le requiert. Les pages sont suffisamment grandes et de bonne qualité pour sublimer les images et ainsi transmettre le message. Car là est la force de l’ouvrage. Il y a beaucoup d’images, en fait quasiment 50% du livre sont des images. Des images oui, mais des images accompagnées de leur texte combinant ainsi l’émerveillement et l’apprentissage. Les images se présentent sous différentes formes et sont diversement agencées, de sorte que la lecture se renouvelle au fur et à mesure. Il y a un très gros effort effectué sur le visuel et cela ne manquera pas de plaire aux jeunes curieux.

Même si les images sont belles, on ne fait pas une encyclopédie qu’avec des images. Il faut du contenu. Et du contenu on en a suffisamment pour avoir des connaissances vulgarisées -sans l’aspect péjoratif du terme- dans un domaine. Il ne faut pas oublier l’objectif qui est de plaire aux enfants, il ne faut donc pas rentrer dans une trop grande complexité qui ne serait pas adaptée à leur âge. Et puis le format ne s’y prête pas. En une ou deux pages on doit diffuser les connaissances principales du sujet. J’ai apprécié tout de même la profondeur de certaines explications comme sur « La Gravité » où on ne nous parle pas de la théorie de Newton que l’on sait maintenant fausse mais qui, par souci de simplicité, est toujours enseignée à l’école dans la filière scientifique. Ici on aborde directement la théorie de la relativité d’Einstein qui corrige la théorie de Newton. La gravité n’est pas une force comme le pensait Newton mais une déformation de l’espace, comme l’a démontré Einstein. Cela a peut-être l’air de rien mais je trouve très important de faire saisir aux enfants la véritable nature du monde même au prix d’une plus grande complexité.

Au final, on aime parcourir les pages à la recherche d’une image saisissante ou d’une information surprenante. C’est un livre qui peut à la fois se prendre de temps en temps pour s’émerveiller sur le monde ou pour trancher sur une information disputée dans un repas de famille, chose que ne manqueront pas les jeunes curieux ! C’est un bel effort de Gallimard Jeunesse que de présenter les connaissances de façon aussi attractives autant pour les jeunes que les moins jeunes. A recommander pour les curieux, c’est-à-dire tout le monde.

Cédric

 GRUNDMANN Emmanuelle, MAZILLE Capucine, Les Arbres qui font nos forêts. Les écosystèmes forestiers, éditions Ricochet, 2020, 34 p. 13€50

L’album parcourt le globe, pour présenter les différents types de forêts. Une multitude de légendes dénominatives d’arbres divers, d’autres végétaux et de tous les écosystèmes permettent aux enfants d’élargir leur connaissance, et de même avec les animaux et insectes des forêts. On accompagnera donc avantageusement l’enfant dans sa première lecture. Pour autant, par ses niveaux de lecture variés, l’album permet de couvrir un important empan d’âge du lectorat.

Les informations sont précisées par le texte et chaque fois illustrées. Le système de communication établi entre les arbres par tout le réseau souterrain des racines, le mycélium des champignons sont explicités. La forêt comme habitat est déclinée dans sa canopée, sur son tronc parmi ses racines. L’arbre, comme support de nombreuses autres plantes, est l’objet d’une magnifique double page, au dessin luxuriant, ces plantes, elles-mêmes, attirant d’autres espèces animales. La vie nocturne de la forêt est présentée succédant à la vie diurne.

Le cycle de la nature est adroitement inséré et développé à travers l’anecdote d’une graine, d’un excrément. Tout l’album est placé sous l’égide de la théorie darwinienne de l’évolution, incluant l’homme dans son propos. D’ailleurs, l’album se termine par l’évocation de l’imaginaire de la forêt qui peuple la littérature orale, mais aussi par le rôle joué par elle pour la pharmacopée, pour l’habitat, pour l’alimentation.

Source d’enrichissement du vocabulaire enfantin (qui sait que la mésange zinzinule) l’album se clôt sur une double page qui s’adresse aux enfants plus âgés et qui développe la teneur de l’album, de manière érudite et en lien avec les problématiques de l’actualité tant nationale qu’internationale. C’est encore une fois chez cet éditeur rigoureux, un modèle du genre documentaire écologique que cet album.

 Kercir-Lepetit Emmanuelle, Fleurs de saison, dessins et peinture de Léa Maupetit, Gallimard jeunesse, 2020, 93 p. 16€

D’abord, il s’agit d’un très beau livre, au format vertical, avec signet, couverture cartonnée avec mors et tranche arrondie. Le titre à effet typographique sur une illustration de fleurs invite à ouvrir l’ouvrage. On suit les fleurs en fonction de leur saison de floraison : le livre pourra accompagner l’enfant durant toute l’année et, toute l’année, l’enfant s’enrichira de connaissances botaniques mais aussi littéraires, linguistiques (par excursion étymologique ou sémantique, voire par comparaison des langues, enfin par des légendes où ces fleurs apparaissent).

Les enfants de 9 à12 ans succomberont aux charmes de Fleurs de saison. La présentation est érudite mais non soporifique ; un glossaire complète ce bel ouvrage. Les trente-sept fleurs présentées sont celles que l’enfant pourra rencontrer lors de ses promenades, ce qui est important pour que le documentaire atteigne l’objectif visé.

Un tel livre mène à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, à retrouver, soutenu magnifiquement par les illustrations et le travail éditorial, un goût pour la patience de l’observation et ainsi partager la vie végétale si silencieusement présente. Il offre aussi à l’enfant de pouvoir réfléchir à la vie sur terre, grâce à l’attention à laquelle appelle Fleurs de saison.

Philippe Geneste

NB : on ne manquera pas de dire que cet ouvrage pourrait succéder à la lecture, par les plus petits, de l’ouvrage ancien La Fleur (Gallimard Jeunesse, collection mes premières découvertes, 2016, 8€ destiné aux 2/5 ans) et l’étonnant livre d’Etienne Delessert, Yok-Yok. La Tulipe (Gallimard Jeunesse, collection mes premières découvertes, 2012, 7€ destiné aux 4/5-8 ans).

06/12/2020

Évolution et Métamorphose

 BRIERE-HAQUET, Alice, Phalaina, Rouergue, 2020, 313 p. 15€

 Résumé :

Avec ses grands yeux rouges, la petite Manon intrigue. Et pour cause, elle est très spéciale...

On la rencontre pour la première fois alors qu'elle n'est qu'un bébé faisant ses premiers pas sous une belle journée d'automne. Elle n'en a pas conscience mais auprès d'elle se trouve le cadavre du professeur Humphrey, célèbre scientifique de la Fondation Humphrey, victime d'un accident de voiture aux circonstances des plus suspectes... Deux hommes viennent rapidement sur les lieux de l'accident pour chercher la petite mais elle est introuvable...

On retrouve cette fillette, nommée Manon, quelques années plus tard dans un orphelinat. Muette, elle est complètement indifférente à ses camarades et les religieuses ne la comprennent pas. Des hommes retrouvent sa trace mais la petite s'enfuit à nouveau. Ils kidnappent une religieuse pour l'interroger, elle meurt sous la torture. Deux policiers sont alors chargés de l'enquête : le tranquille Caravelle, proche de la retraite, et Jalibert, qui est très impliqué et prend cette affaire à cœur. De son côté, Manon se réfugie chez la gentille Molly, une poétesse qui décide de la protéger.

Le tournant fantastique de l'histoire se renforce avec l'apparition d'une curieuse créature, le dénommé Lbn, dont les initiales sont aussi mystérieuses que le personnage... Il espionnait Manon depuis longtemps et la contacte à ce moment-là. Lbn est un être d'une autre espèce, capable de se rendre invisible aux yeux des humains. Il aimerait ramener Manon auprès des siens. En effet, grâce à des lettres du professeur Humphrey écrites à son ami Charles Darwin, on comprend qu'il a découvert une nouvelle espèce, le peuple des Phalènes, du même nom que le papillon de nuit. Ces êtres, physiquement proches des humains, vivent en osmose avec la nature. Ils communiquent par télépathie, ont des ailes et sont empathiques. Malheureusement, le scientifique a fait l'erreur de faire confiance à son assistant, l'opportuniste John, qui l'a trahi et a orchestré son accident. John connaît ainsi le secret le mieux gardé du professeur : non seulement il était ami avec ces êtres et a pu les observer, mais il a eu un enfant avec l'une d'entre elle ! Et cet enfant... C'est bien sûr Manon, qui ignore encore les dons qu'elle possède.

Avec la complicité de la sœur d'Humphrey, qui n'est intéressée que par l'héritage colossal laissé par le riche scientifique, John enlève Molly et Manon dans le but d'étudier la petite fille et de faire sur elle les mêmes expériences subies par ses malheureux animaux de laboratoire. Mais il ne pouvait pas savoir que la métamorphose de Manon aurait précisément lieu alors que la petite, laissée sans surveillance dans sa cage, est sa prisonnière ! Munie de deux grandes ailes de papillon et pouvant communiquer avec les animaux par télépathie, la vraie Manon se révèle enfin et sauve Molly ainsi que tous les animaux de la Fondation. Elle trouve aide auprès de Jalibert, qui est en réalité un faux policier et avait temporairement recueilli Manon quand elle était plus petite. Héritière légitime de la Fondation Humphrey, elle va pouvoir, auprès de sa nouvelle famille, Molly et Jalibert reconstruire sa vie et protéger les animaux, « réconcilier science et conscience ».

Mon avis :

            J'ai beaucoup aimé ce livre que j'ai trouvé très original. Je trouve que l'autrice a bien réussi à montrer l'évolution de son héroïne. En effet, au début de l'histoire, j'étais déstabilisée. Je n'étais pas du tout attachée à Manon, qui est pourtant le personnage principal. On n'a jamais son point de vue, elle est indifférente à tout ce qui l'entoure et trop renfermée sur elle-même. Pas étonnant que les religieuses ne comprennent pas cette petite fille muette qui fait des caprices lors de certains repas (on comprend plus tard que c'est parce qu'elle ne veut pas manger de viande). De plus, le lecteur comprend dès le début qu'il s'agit d'une enfant d'une autre espèce puisque qu’elle a les yeux rouges, que des papillons lui ont créé un cocon afin qu'elle échappe aux deux hommes suite à l'accident de voiture... Mais le mystère autour d'elle dure longtemps et j'ai eu peur qu'aucune explication ne soit fournie à la fin du livre ou qu'il s'agisse d'une fausse piste.

            Mais j'ai ensuite changé d'avis : c’est à son évolution qu’on assiste. Sa rencontre avec Molly dévoile un autre aspect de sa personnalité. Elle s'est attachée à elle et fait tout pour la sauver, ce qui change de la Manon sans sentiments du début. J'ai beaucoup aimé la scène de la métamorphose et le fait que Manon communique avec les animaux et essaie d'aider ceux victimes des expériences des scientifiques.

            Enfin, j'ai bien aimé l'écriture et le style de l'autrice. Elle n'hésite pas à faire des scènes assez sanglantes : on est surpris dès le début de l'histoire qui commence avec la mort du professeur, mais le passage le plus terrible est bien celui réservé au sort de John et de la sœur d'Humphrey... Elle mêle des réflexions un peu philosophiques (sur l'enfance, la société, la notion de progrès...) sans oublier de mettre quelques passages humoristiques, notamment à travers le point de vue du chien de Molly, Giulio, qui trouve que les humains se compliquent bien la vie.

Milena Mas-Geneste