Anachroniques

31/05/2020

De l'Histoire adaptée à l'adaptation d'une histoire

L’Hermenier, Looky, Parada, Siamh, Les Misérables. Fantine, Jungle, 2019, 72 p. 14€95
Voici une adaptation en bande dessinée du roman de Victor Hugo. Il s’agit d’un premier volume, quatre autres sont annoncés. L’œuvre, rédigée au cours de l’exil de l’écrivain en Angleterre, se prête à un découpage qui suit l’aventure d’un des personnages. Fantine commence ainsi la série. On y assiste à la transformation de Jean Valjean en Monsieur Madeleine, on y rencontre la traque obsessionnelle de Javert, et, bien sûr, l’histoire emblématique de Fantine dans son lien maternel avec sa fille Cosette. Celle-ci est la cendrillon de deux tenanciers âpres au gain qui exploitent Fantine et réduisent Cosette à la condition d’esclave. Le volume se clôt sur la mort de Fantine, la découverte par Javert de la véritable identité de M. Madeleine et la fuite de ce dernier pour délivrer Cosette des griffes des Thénardier.
Le jeune lectorat découvrira, à travers cette bande dessinée, la vie du peuple entre 1812 et 1832. Il entre en connaissance de la conception hugolienne de la justice sociale, de l’exploitation de l’homme par l’homme à travers une inspiration chrétienne évidente. Les dessins transcrivent avec adresse la rhétorique de la prose de Hugo : nombreux changements des angles de vue, usage fin des champs contre-champs, composition variée des planches avec un jeu riche des cadrages rectangulaires et horizontaux, interventions des gros plans au plus près de l’intensité narrative, précision descriptive des arrières plans.
Ajoutons que la bande dessinée contient un supplément comprenant un commentaire du tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple mis en relation avec le roman de Hugo, une brève biographie de l’écrivain, un questionnaire avec des jeux didactiques.
Philippe Geneste

Maury Delphine, Vinuesa Olivier, Les grandes Grandes Vacances. Drôle de guerre, adaptation Boulet Gwenaëlle, dessins d’Émile Bravo, BD Kids éditeur, 2019, 56 p. 9€95
La bande dessinée est une adaptation réussie des épisodes 1 et 2 de la série animée du même titre traçant une grande fresque historique de la seconde guerre mondiale. Elle était au préalable parue dans la revue Astrapi. Le lectorat est invité à s’identifier aux deux personnages, un garçon et une fille qui vont en Normandie passer des vacances chez leurs grands-parents à l’été 1939 et qui vont devoir y rester, car la guerre éclate. Il s’agit bien d’une bande dessinée historique. L’Histoire n’y est pas le prétexte d’un arrière-plan mais irrigue l’intrigue et l’enchaînement des événements. Le volume traite de la Drôle de guerre, de la confusion des sentiments que provoque la situation chez les adultes. L’adaptation de la scénariste Gwenaëlle Boulet est vraiment pertinente. A la fin du volume, huit pages présentent, avec simplicité, l’histoire de la seconde guerre mondiale en soulignant les liens à faire avec la BD. Une œuvre à mettre entre toutes les mains de jeunes lecteurs et à acquérir dans toutes les bibliothèques.

Commission lisez jeunesse

24/05/2020

La filiation animale de l’humain

Charpentier Oriane, Moi baleine, illustrations Olivier Desvaux, Gallimard jeunesse, 2019, 65 p. cat 3
Le récit animalier est une veine permanente de la littérature de jeunesse. Le héros ou l’héroïne devient alors un double auquel le jeune lecteur est invité à s’identifier et dans la peau duquel se glisse, parfois, l’auteur. Telle est la configuration narrative de ce beau livre d’Oriane Charpentier. Mais il ne s’agit pas ici seulement d’une inscription dans une tradition littéraire. En effet, l’encadrement documentaire du prélude en cinq pages et de la lettre de l’autrice en postface oriente le lectorat vers une réflexion sur la filiation animale de l’humain. Les péripéties qui s’organisent en intrigue sont toutes inspirées de l’éthologie animale, preuve, de la part de l’écrivaine d’une connaissance approfondie de son sujet.
En prenant la baleine pour héroïne, le récit d’Oriane Charpentier pose une problématique de la paix entre les espèces et offre une réflexion plus générale sur l’entraide. Inconsciemment, le lecteur s’appuiera sur le mythe de Melville, celui de Moby Dick, œuvre, elle aussi, fourmillant de connaissances du milieu marin décrit. Le rapprochement peut surprendre, sauf si on a présent à l’esprit que la première traduction française de Moby Dick parut, sous le titre Le Cachalot blanc, en 1928, dans une édition destinée à la jeunesse (1), et sauf si on prend en considération que le roman de Melville et le récit de Charpentier possèdent l’un et l’autre une dimension allégorique.
Ce trait de l’histoire peut s’appuyer sur la volonté d’Oriane Charpentier d’emprunter aux mythes pour introduire aux thématiques universelles de l’humaine condition : la peur, la faim, le lien maternel, le combat, la fuite, le rapport altruiste. Par ce dispositif finement manipulé, l’autrice donne un aspect animal aux humains rencontrés. Ce passage du livre importe parce qu’il permet d’introduire le point de vue animalier sur le devenir de la vie sur terre ; Cette thématique est immédiatement saisie par le jeune lectorat parce qu’elle est explicitement introduite par les cinq premières pages de l’encadrement documentaire dont nous avons parlé. Ainsi, le récit d’Oriane Charpentier et d’Olivier Desvaux passe-t-il du récit anthropomorphe au récit zoomorphe. En cela, sans pesanteur, Moi baleine possède une dimension didactique pour approcher la biodiversité et la chaîne du vivant à préserver. Si la touche didactique est légère, on le doit aussi à l’œuvre graphique. Les peintures d’Olivier Desvaux, à la croisée du réalisme et de l’onirisme chromatique, ajoutent à la force du texte le mouvement des drames qui se jouent dans le bleu marin de la vie. L’image évite le texte descriptif, ce qui permet de garder un rythme dramatique soutenu, sans avoir à précipiter le récit. L’illustration permet de maintenir la lecture dans la fiction. Et cette fiction est le roman de formation d’un baleineau mais aussi, à l’intérieur même de la durée de sa lecture, le récit d’apprentissage du lecteur confronté à l’interrogation : qu’est-ce qu’être humain ?
Ainsi, avec Moi baleine, lire est un grandissement.
Philippe Geneste

(1) Voir Nières-Chevrel Isabelle, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, Didier jeunesse, 2009, p.140

17/05/2020

Approches de l’Histoire

Wladarczyk Isabelle, L’Arbre de Guernica. La Retirada des enfants, illustrations Clémence Pollet, Oskar éditeur, 2019, 47 p. 9€95
Dans cette belle collection dont nous avions chroniqué Le Grand départ (blog lisezjeunessepg du 5 août 2018), reparaît ce volume consacré à l’épisode de la Retirada de la guerre d’Espagne. L’autrice s’est appuyée sur le témoignage d’un exilé espagnol ainsi que sur de nombreux documents confiés par des acteurs de l’époque. Le livre est magistralement illustré  par Clémence Pollet. Les illustrations procèdent d’un trait clair pour le dessin des personnages et de couleurs à caractère pointilliste qui adoucissent la vivacité des verts et des rouges et portent avec elles poésie et tristesse. L’histoire est racontée à la première personne par un petit garçon que ses parents vont confier à des ouvriers français sympathisants de la cause républicaine. A la fin de la guerre civile, après la victoire de Franco, l’enfant retourne à Guernica où il retrouve sa mère. Le père est mort, tué par l’armée franquiste. Le cœur de l’album narre le bombardement du village par l’armée de l’Allemagne nazie, alliée de Franco.
Les illustrations accompagnent l’avancée de l’écriture avec justesse, variant les angles de vue, se faisant ainsi narrative mais aussi support précieux pour le jeune lectorat. Un dossier documentaire clôt l’ouvrage, avec photographies, cartes et documents d’époque. La condition des enfants est détaillée. L’accueil des français est aussi mis en lumière avec la description des camps aux conditions de vie dures voire inhumaines. L’autrice s’appuie pour cela sur le témoignage de Jo Vilamosa. Le supplément documentaire propose ainsi un récit qui double l’histoire de l’enfant de l’album. Au final, c’est un livre complet sur la Retirada qui contextualise l’épisode historique en articulant récit pour enfant et documentaire de témoignages.
CLERVOY Patrick, Au Bord du monde. Journal d’Afghanistan, illustration Samuel Figuière, Steinkis, 184 p. 20€
Cette bande dessinée, intelligemment conçue, est le journal d’un médecin spécialiste des traumatismes psychiques appelé par l’armée auprès des troupes du contingent international de l’OTAN. Le journal court du 28 avril 2011 au 31 juillet 2011. Il donne le point de vue des militaires retranchés dans leur camp de vie et l’hôpital militaire de Kaboul, coupés de la population afghane. L’atrocité de la guerre est présente à travers la litanie des blessés reçus et soignés, des morts de soldats. Les civils afghans blessés et morts sont aussi mentionnés, mais dans une moindre mesure, fonction de l’hôpital oblige. L’auteur n’échappe pas à la bipartition machiavélique entre défenseurs de l’ordre et du droit du gouvernement mis en place par les occidentaux d’un côté, le bon côté, et « insurgés » talibans de l’autre. Cette présentation évite d’explorer le fait colonial en Afghanistan.
La narration est tendue, les faits rapportés le sont du point de vue subjectif propre au genre du journal, journal du dehors plus que journal intime. Le lecteur est pris par l’enchaînement des événements tragiques, des opérations médicales de sauvetage. Les dessins et les couleurs sont remarquables, peignant avec le mouvement de traits et hachures un espace de guerre et de menace.
Ce que la bande dessinée ne montre pas c’est que le médical de guerre n’est pas un havre d’humanité à l’intérieur d’un enfer de combat, mais qu’il est conçu, organisé, administré pour faire valoir les finalités guerrières et les faire accepter. En cela, la bande dessinée de Clervoix et Figuière n’atténue pas la folie destructrice militariste, elle lui prête un visage non pas acceptable mais compréhensif.

Philippe Geneste

03/05/2020

Le sens de la vie Une face cachée de la littérature contemporaine destinée à la jeunesse

"L'important n'est pas ce que l'on a fait de nous mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a  fait de nous".
 Jean-Paul Sartre cité par Helena Cavendi p.43
« Il est vrai que tu lui dois une grande partie de ce qui te fait faire ce que tu fais. Mais, est-ce toi ? »
le personnage Thibald p.82
« Comment pouvons-nous espérer construire un monde meilleur si nous ne sommes pas nous-mêmes capables d’en appliquer les principes ? » ibid. p.83
cAVENDI  Helena, L’Ombre de la lune, éditions Chant d’orties, 2020, 429 p. 16€
Á l’heure où, sous les coups de boutoir de l’actualité économique, écologique et sociale, le genre de la dystopie a supplanté celui de l’utopie, les éditions Chant d’orties font paraître une utopie, une contestation de l’ordre mondial à travers une patiente élaboration fictionnelle ancrée sur les valeurs humaines de l’anarchie. Roman philosophique autant que roman d’aventure, récit d’apprentissage social et amoureux, le roman d’Helena Cavendi tisse une composition serrée, aux clins d’œil multiples.
Proposer une utopie, c’est proposer une contre-représentation du rapport sceptique à l’humain qui suture les dystopies contemporaines ; c’est, face à une esthétique de la désolation, promouvoir une esthétique de l’espérance ; c’est aussi faire travailler le sentiment du doute face au réel de manière à ce qu’il se transforme en volonté de le changer et non fatalisme ; c’est, contre l’inéluctabilité de la violence et de la guerre, de la concurrence et de la pulsion de mort, ouvrir les perspectives d’une société non-violente, d’entraide et de partage. Contre l’échange et l’argent, le roulement des tâches et le troc, autre forme de l’entraide.
La littérature peut-elle être l’instrument cognitif d’une nouvelle société à construire ? Peut-elle, tout en reposant sur un socle classique qui raconte le cheminement de héros et d’héroïnes (1), explorer les comportements humains de la solidarité, du refus du pouvoir et du commandement, jusqu’à ce qu’ils s’imposent à tous et toutes ?

Tel est le défi de L’Ombre de la lune. Au cœur d’une ville sous surveillance permanente, où le pouvoir assoit sa domination sur le règne de la consommation, où la population asservie semble à jamais soumise et aliénée, s’est constitué, dans les bas-fonds où mènent les tunnels charriant les égouts, une contre-société hyper-technicisée mais rationnelle, exigeante sur son éthique, a-hiérachique, non-violente. Cette contre-société a réussi à vaincre l’usure du temps grâce aux modalités politiques de la discussion, du dialogue, du consensus. Elle s’y est renforcée ; comme l’ont renforcée toutes les décisions prises par un système d’assemblées, sans jamais ne déroger aux principes de l’espérance à fonder.
L’utopie des souterrains est à l’œuvre depuis des décennies, et la durée fait sa force autant qu’elle souligne la culture de la volonté qui la sous-tend. Ce que les rebelles n’acceptent pas, c’est qu’on limite les possibilités de la pensée. Mais loin de s’isoler dans les entrailles des sous-sols, le peuple souterrain ne cesse de lier des liens avec le peuple de la surface, motivant une unité d’intérêt qui ne repose ni sur l’argent, ni sur l’aspiration hiérarchique, ni sur la vengeance des exactions subies, mais qui repose sur le désir cultivé du besoin d’émancipation.
Bien sûr, elle est menacée, à chaque instant, par les services secrets qui tentent de l’infiltrer pour œuvrer à son implosion. La cellule pivot de la lutte contre la sédition est l’organisation Kataskope, animé par Machros et ses fils, sept enfants enlevés dès leur jeune âge à des anarchistes, puis endoctrinés, éduqués à traquer les rebelles pour les éliminer. Le héros est l’un d’eux. Est-il possible de changer les habitudes de penser, d’anéantir les réflexes conditionnés ? C’est à cette lente évolution que L’Ombre de la lune nous fait assister, un peu comme si l’autrice avait voulu se lancer un défi en prenant un héros, Skiakos –de son vrai nom Olivier– dont on peut penser qu’il ne changera pas. Á la manière du naturalisme, Helena Cavendi met son personnage sur l’échiquier de la fiction et l’observe. Il va rencontrer Selenea, une jeune fille née dans les souterrains, qui n’a jamais vu la surface, qui a perdu ses parents anarchistes, tués par les membres de Kataskope. Skiakos est un atome désirant, pulsionnel, en proie à la violence. Il va peu à peu, grâce à ses rencontres, renoncer à cette violence des passions, c’est-à-dire qu’il va contracter un pacte avec les autres dans une volonté conjointe de partager la construction du groupe.
Á travers le personnage de Selenea, le roman jouxte délicatement le genre de l’heroïc fantasy, le spiritualisme en moins et la poésie en plus. Le titre vient de la relation entre Skiakos (ombre) et Selenea (lune). Le roman d’apprentissage est aussi apprentissage de l’amour en tant que celui-ci est le plus haut degré du sens de la communauté, de l’élan social sans lesquels nulle société humaine n’aurait vu le jour. Au-delà, L’Ombre de la lune est le récit d’une quête de liberté. Skiakos fait l’apprentissage de la responsabilité de ses choix. Un choix engage vis-à-vis de soi mais aussi vis-à-vis des autres. Pour paraphraser Sartre, en se choisissant, Skiakos devient Olivier et il choisit la conception de l’homme (2) susceptible de construire, par l’assistance mutuelle, une société épanouissante, protectrice et en harmonie avec l’environnement.

L’art qui provoque la conscience politique plus que sociale, telle est la voie creusée et vigoureusement illustrée par Helena Cavendi. Le principe de la paronymie qui fonde l’onomasiologie du roman s’articule aux multiples références explicites ou non à la contre-culture des années 70 à aujourd’hui. La lecture est sans cesse mise en éveil par ces procédés d’attention de vigilance littéraire : tout fait sens, les noms propres, les gestes. La littérature n’a jamais transformé l’utopie en Histoire, mais la confrontation des choix littéraires appartiennent à l’histoire nouvelle qui peut naître des conflits sociaux englobant. Là prend tout son sens le choix de l’utopie contre la dystopie. Là se situe un enjeu éditorial que les éditions Chant d’orties ont le courage de porter sur l’espace public. C’est pourquoi, même si nous n’adhérons pas à la vision rousseauiste de l’homme bon par nature, donc bon et juste de manière innée, mais que la société aurait déformé, vision qui affleure souvent au cours des dialogues, même si nous n’adhérons pas aux propos essentialistes qui définissent l’anarchiste –mais ces réserves relèvent de la discussion sur la conception de l’homme–, la lecture de L’Ombre de la lune offre au jeune lectorat une chose rare : la possibilité de faire des pas de côté pour penser. Chaque aspect de l’existence y est interrogé sous un angle prospectif, loin de l’humanisme plat et convenu qui sert de nappage à un nombre considérable d’œuvres du secteur de la littérature destinée à la jeunesse. Contre l’idéologie humaniste bourgeoise, le roman place l’altruisme au centre de la conception de l’humain. Plutôt que de conforter les adolescents et adolescentes dans l’inéluctabilité de ce qui est, L’Ombre de la lune les invite à se faire leur propre opinion, à interroger leurs propres choix en regard de ce qu’ils et elles disent penser, en regard de ce qu’ils et elles font.
Le roman d’Helena Cavendi est une utopie parce que la littérature s’y fait proposition à la vie : « les mots sont une manière fascinante de façonner les choses sur lesquelles nous n’avons pas de prise » (p.134)
Philippe Geneste

(1) Ce choix est-il dicté par la destination du roman à la jeunesse ? Pour un récit qui développe la conception d’une société sans chef, sans hiérarchie, où le partage des tâches et le roulement des fonctions viennent abolir la division du travail capitaliste, maintenir les figures héroïques n’est-il pas contradictoire ? Car, là où il y a héros, il y a hiérarchisation des personnages et même des fonctions. Thibald et Marine ne paraissent-ils pas diriger ? Les parents de Selenea ne sont-ils pas décrits comme des leaders ? Faut-il n’y voir qu’un effet de l’héroïsation des personnages ? Une réplique de Selenea apporterait-elle, alors, une réponse : « Pour pouvoir devenir vraiment humains la plupart des gens doivent franchir le passage de l’héroïsme » (p.305) ? Nous ne pensons pas. L’héroïsme, manière de gagner sa liberté contre la peur, qu’évoque Selenea, est l’objet d’une discussion sur les ressorts de l’action sociale. Ses propos ne disent donc rien de la distribution des rôles des personnages du roman.
Par ailleurs, et toujours en lien avec ce choix de l’héroïsation des personnages : pourquoi ne pas avoir choisi la structure du roman collectif ? Est-ce que celle-ci contreviendrait à la réalisation de la liberté chez le héros qui sert autant la dynamique de l’action que d’illustration de la viabilité de l’utopie ? C’est un débat ancien, qui a traversé les préoccupations littéraires chez les littérateurs progressistes. C’est tout à l’honneur d’Helena Cavendi de le réactiver dans L’Ombre de la lune. Il est vrai que, le genre du roman collectif aurait été mal adapté à l’absence de la lutte des classes comme moteur de l’action émancipatrice. Le roman oppose un ordre social despotique reposant sur l’aliénation de masse à un ordre social émancipateur reposant sur l’entraide, l’abolition du salariat et le partage des tâches. La lutte des classes n’y joue aucun rôle majeur, ingénieurs ou employées, ouvriers, ouvrières ou commerçants, propriétaires ou sans logis, artisans ou soldats, tous s’unissent dans l’émergence d’un intérêt commun et animés par le sentiment primordial de sympathie.
(2) « Je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en me choisissant je choisis l’homme » Sartre, Jean-Paul, L’Existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970, 144 p. – p.27