Anachroniques

26/01/2020

En deçà du langage articulé, le récit graphique

Binet Juliette, Monts et Merveilles, Rouergue, 2019, 32 p. 13€
Au début s’affiche un titre, qui laisse en absence le verbe attendre qui, ordinairement, commande l’expression toute faite. Premier clin d’œil humoristique au lecteur, à la lectrice, le titre introduit l’histoire, mais ne qualifie-t-il pas le contenu de l’ouvrage ? C’est ce que nous défendrons.
Juliette Binet est une rare autrice à s’adresser aux enfants, uniquement, par l’image. Elle rappelle, œuvre après œuvre, que l’image est narrative, que le récit graphique parle  au non-lecteur comme au lecteur. Le récit graphique rehausse en fait l’écriture, ce dérivé du dessin, comme modalité autonome de l’expression. Il est aussi une exhortation à la compréhension, mais une compréhension qui ne refoulerait pas l’interprétation, et au contraire la solliciterait.
Un couple dans un appartement gris : la grisaille d’un quotidien livré en pages de garde. Le couple décide de rendre autre sa vie de tous les jours, il décide d’imaginer un autre monde et pour cela, il entreprend de refaire la décoration du lieu. Les motifs géométriques imposent cette thématique de l’espace, alors que le pointillisme des figures légèrement granuleuses évoque la sensation comme guide de l’expérience humaine. Les pages se succèdent, et l’appartement devient paysage avec couleur. Mais celles-ci ne sont pas distractives ni esthétisantes, elles côtoient la prégnance du gris rehaussé par la pâleur des roses et des bleus.
Dans cet acte opère la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur, de l’intime et de l’altérité. Juliette Binet peint un monde clos et pourtant ouvert en sollicitant la sensation, celle des personnages bien sûr, mais, mimétiquement, celle des lecteurs. En ne sortant pas de l’unité spatiale, l’histoire souligne l’unité humaine avec ce qui l’entoure grâce à l’action. La cartographie du monde est tout autant topographie intérieure. N’est-ce pas une définition de l’expérience comme ce qui donne sens à ce qu’on traverse en agissant ?
Les motifs décoratifs, les espaces créés par le couple ne sont-ils pas autant de désirs révélés de nourrir une relation à l’univers pour vivre, une relation qui, elle-même - principe de la mise en abyme élégamment introduite par Monts et Merveilles - englobe la relation humaine qui peut alors s’épanouir ? Dans le silence du monde nouveau qui se crée sous nos yeux se déploie une empathie humaine. Par la matité des couleurs et le grain du papier cet univers est apaisant. Il invite à penser un nouvel l’horizon par un remaniement du lieu de vie. La narration visuelle, comme nous incite à le penser l’humour signalé du titre, pointe que le monde est aussi le regard qu’on porte sur lui. Ce que ne dit pas l’album, c’est quand l’action sur le monde se fait création d’un univers artificiel, artefact de la réalité ou alors nouveau monde d’une nouvelle vie sociale, nouvelle vie commune et en commun.
Regarder, propédeutique à la joie du comprendre. Quand le récit verbal pré-dit, le récit graphique propos-e. Cette œuvre est une narration sans clé ; elle laisse le lectorat libre du sens et donc l’ouvre au langage. C’est pourquoi Monts et Merveilles sollicite la relecture comme opération même de la lecture.

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« Mon métier c’est d’être émigrant »
Carl Meffert

Moreau Clément (Carl Meffert), Nuit sur l’Allemagne, 107 linogravures des années 1937-1938, traductions de Cordula Unewisse et François Mathieu, Bassac, Plein Chant 2017, 145 p. 15€
Le livre, remarquablement édité, présente un récit graphique réalisé par Clément Moreau, pseudonyme pris par Carl Meffert (1903-1988), un peintre, dessinateur et graveur méconnu en France malgré une œuvre magistrale. C’est l’arrivée au pouvoir d’Hitler, en 1933 qui oblige Carl Meffert à migrer en Suisse. Ce n’est que le début d’une pérégrination incessante, motivée par la fuite de régimes répressifs divers, en Europe, en Amérique du Sud.
Nuit sur l’Allemagne rassemble, comme l’indique le titre, 107 linogravures en une histoire poignante. On assiste à la traque d’opposants au régime hitlérien, les incidences sur les proches, la main mise du régime sur la jeunesse, l’expérience des prisons et de la torture. C’est la première partie du roman. Sa spécificité est de montrer que toute action humaine ne concerne pas qu’un individu, jamais, mais qu’elle rejaillit sur l’entourage, le proche, bien sûr, mais aussi la société.
Dans la deuxième partie, on suit un homme poursuivi pour outrage au pouvoir et à l’uniforme. On le suit dans sa fuite, dans son devenir apatride, dénonçant les frontières, les bureaucraties qui montent des murs de papiers contre les personnes, et qui enferment sous le boisseau du respect des normes, des règles.
Les compositions des gravures créent le mouvement, se répondent souvent, notamment pour celles qui sont en vis-à-vis, Moreau joue des plongées et contre-plongées, des points de vue obliques ou de face, de profil ou par derrière. Le mouvement ainsi créé va épouser le récit final de la fuite, lui donner sa puissance évocatrice. La tension est omniprésente dans ce récit. Elle tient au jeu des ombres et des lumières, obtenus par une science des sources de clarté. Elle tient aussi à l’usage des plans moyens créés avec une grande diversité qu’enrichit la présence des avant-plans. Les légendes des textes sont, comme dans le cinéma muet, des indices, mais Nuit sur l’Allemagne pourrait se lire sans le texte tant le propos artistique est précis. Clément Moreau s’appuie sur la singularité des vies en rendant compte des sentiments des personnages. C’est à travers cette composante affective que l’engagement est mis en perspective, mais il n’y a nulle leçon politique parce qu’il n’y en a plus besoin, le récit, à lui seul, parle, donne signifiance aux actes des personnages. Cité dans l’excellent dossier qui enrichit le livre et nous permet de découvrir plus avant Carl Meffert, le graveur écrit : « Je montre l’époque, mais dans un sens humain ». Cette approche artistique est articulée à la volonté de ne jamais perdre le lecteur : « Le spectateur est important, c’est pour lui que l’on crée ». C’est pour cela, probablement, que Moreau privilégie un même cadre rectangulaire et d’égale dimension sur les 107 linogravures. Toutefois, il n’est pas question, pour l’auteur, de mésuser du choc des images : « le choc va au-delà de la sensation. Si l’individu n’est pas ému, animé, il ne vivra pas la chose et ne comprendra rien. D’abord la sensation puis l’intelligence. En premier, toujours la sensation ».
Avant de conclure, quelques mots sur la couverture du livre. Elle présente Erich Mühsam suicidé par les sbires nazis dans sa cellule. Cette linogravure En mémoire d’Erich Muhsam, nous disent J-W Goette, S. Kruse et Th. Miller qui introduisent l’ouvrage, a été réalisée quatre semaine après le meurtre de l’écrivain anarchiste le 10 juillet 1934. Carl Meffert a travaillé un temps avec Mühsam ils étaient voisins et participèrent ensemble au Rote Hilfe (Secours rouge).
L’édition Plein Chant comble une lacune éditoriale de taille en rendant disponible au public français Nuit sur l’Allemagne œuvre d’un artiste expressionniste, révolutionnaire, qu’on ne peut que rapprocher de la gravure libertaire et anarchiste. On pense à Masereel, Rabinovitch, Zbinden, Mairet, Patocchi, Buchser –tous cités et illustrés dans l’étude qui accompagne l’histoire de Moreau-, mais aussi à Otto Nückel pour l’art de la tension par le jeu des lumières.

Philippe Geneste

19/01/2020

Quand de l’or de l’Anahuac coulèrent des larmes de sang

Schaack Laurence, Le sang du serpent à plume. Journal de la conquête du Mexique, Nathan, 2015, 192 p. catC.
Celle qui fit son entrée dans l’Histoire en 1519 et que l’on surnomma « la Malinche », fut-elle, comme la rumeur le rapporte, une traitresse au service de l’Espagne conquérante et du conquistador Hernan Cortès ? Fut-elle complice de l’asservissement du peuple Mexica (terme équivalent au mot Aztèque), de l’anéantissement de sa brillante civilisation, de la destruction de la ville merveilleuse que ce dernier construisit, Mexico-Tenochtitlan ?
Le livre présente ici, loin de la femme intrigante, une jeune fille de dix sept ans, intelligente et sensible, qui témoigne dans son journal, mêlée à l’ambivalence de ses sentiments, de l’histoire de la conquête du Mexique par l’Espagne. Cette jeune fille a pour nom Malinalli avant que Cortès ne l’appelle Marina. A dix sept ans Marina, d’origine Aztèque, a déjà vécu des périodes bien tourmentées, comme lorsque sa mère l’abandonna petite fille pour la vendre à un riche Maya. En 1519, devenue esclave de Cortès, elle apprend à lire et écrire l’espagnol grâce à un soldat, nommé Bernal. Connaissant parfaitement la langue des conquistadores ainsi que le nahuatl, langue des Mexica, Marina sert d’interprète au capitaine, lui permettant une meilleure compréhension du peuple et du pays qu’il veut conquérir.
Dans son journal si bien tenu, quasi quotidien, Marina épanche son cœur : c’est l’horreur des populations massacrées parfois jusque dans les temples systématiquement profanés, comme celui du dieu vénéré Quetzalcóatl, dans la ville désormais saccagée de Cholula. C’est l’humiliation de l’empereur Moctezuma qui, avant sa défaite, invita Cortès et son escorte dans un magnifique palais, c’est l’emprisonnement de l’empereur avant son lynchage par son peuple, c’est le martyre du nouvel empereur, Cuauhtémoc, c’est le pillage de la ville, de tout son or, c’est le vol de toutes ses richesses. C’est la destruction de Mexico-Tenochtitlan, c’est tout le sang versé puis ce sont les maladies, comme la variole que les conquistadores avaient importée sous leurs armures.
Dans son journal Marina réfléchit sur les contradictions des religions. Elle s’interroge sur les sacrifices humains que les dieux, au nom de leur régénérescence, imposent, comme sur le dieu des chrétiens, dieu de l’amour et les massacres perpétrés en son nom.
A la fin de son journal, en 1521, Marina annonce la venue de l’enfant qu’elle attend de Cortès, qui devient le symbole d’une société métissée, comme l’a souhaitée, dit-on, le conquistador.
Mais tout lien conquis par les armes, toute conquête donc, mérite-t-il le mot amour ? Bien plus sincère et profonde, bien plus humaine, se révèle l’histoire romantique de la jeune esclave olmèque Oveja et de son amoureux le jeune page Juan, qui s’était rangé à la cause du peuple Aztèque.
Ce roman très instructif est un vrai roman où l’histoire (1) se mêle à l’évolution sociale, psychologique, sentimentale de Marina. Laurence Schaack a su tenir à distance tout didactisme pour faire œuvre littéraire. Et son roman confirme qu’en littérature de jeunesse, le roman historique se double souvent d’un roman d’apprentissage.
Annie Mas
(1) L’ouvrage s’achève par une annexe précisant les faits historiques et la réalité de certains des personnages rencontrés
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Ninawaman, Ch’aska Eugenia Anka, Un Petit grand-père bien canaille. Contes quechuas, français-quechua-espagnol, traduit de l’espagnol en français par Claire Lamorlette, 2017, L’Harmattan, collection La légende des mondes, 197 p. 17€50
« La poignée d’histoires que je vais vous conter provient des murmures entendus dès ma prime enfance. Je suis née dans la communauté de Ch’isikata, provience de Yauri-Espinar, dans la région de Cusco, au Pérou. Ce sont les gens runa de ch’isikatas et les non-êtres-runa suprahumains qui ont tracé mon chemin de conteuse ». Ainsi s’exprime la conteuse qui porte avec elle des contes appris de bouche à oreille qu’elle a transcrits pour les fixer dans la mémoire de l’humanité tant le temps de ce peuple de langue quechuas s’amenuise, absorbé par l’impérialisme culturel. Dans la tradition quechua, le conte est un échange des lieux autant qu’un espace des métamorphoses, de celles qui vous initient, vous transforment, vous intègrent. Les contes sont des guides de vie. Ils ressemblent aux petits cailloux du petit poucet et plutôt que des cailloux, il s’agit de graines. Les histoires poussent, repoussent, comme autant de déchiffrements de l’ordre du monde naturel et humain auquel ils donnent un sens. Le conte est une pérégrination.
Il est une traversée des signes c’est-à-dire des mondes. Le conte se forge à la croisée des mondes que la conteuse et le conteur doivent parcourir pour y mener les lecteurs et les lectrices. A cet emplacement de la vie humaine, il se fait aussi carrefour des langues.
Toujours, le conte a flirté avec les plantes hallucinogènes pour ouvrir au mieux l’univers du merveilleux à la conscience humaine ; Le récit, l’histoire, sont des amplifications de la réalité de l’homme en société. Pour que ce dernier sache découvrir toutes ses possibilités, il doit sortir de l’état de veille qui est aussi un état de surveillance du personnel par l’ordre social. Ainsi, le conte comme tout art rassemble l’inconnu dans le connu pour que s’élabore la connaissance des nombreuses représentations humaines.
Le vecteur de l’art du conte est la parole, le dire et le geste, la mimique qui tous les deux les accompagnent. Conter, c’est, à l’intérieur de la texture d’une voix, tisser des mots avec l’étoffe des jours et les fils des vies.
Quinze contes trilingues sont ainsi proposés dans ce beau recueil de l’irremplaçable collection La légende des mondes.
Philippe Geneste


12/01/2020

La poésie, qui va avec aile ?

« L’enfant saisit tout par l’oreille et interprète la langue par les délicates nuances musicales de la parole vivante » écrit Charles Bally (1). N’est-ce pas la raison pour laquelle la poésie est si prisée par les enfants, notamment ceux des écoles primaires et jusqu’en classe de cinquième ? C’est aussi pour cela que la pédagogie pour un apprentissage créatif du langage insiste sur le fait de créer des dispositifs qui mobilisent les impressions et la vie sensitive des élèves. Articulée à ce souci, il y a nécessité pour cette pédagogie de créer des dispositifs qui dramatisent les représentations. En effet, dans le drame est l’action, le mouvement, donc aussi la possibilité d’ouverture à la gestualité, à la mimique. Deux ouvrages publiés par les belles éditions Les Carnets du Dessert de Lune devraient ainsi s’inviter aux rayonnages des bibliothèques scolaires, pour le plus grand plaisir des élèves.
(1) Charles Bally La Crise du français, Paris-Neuchâtel, Delachaux&Niestlé, 1930 p.38

Dejaeger Éric, Le Violon pisse derechef sur son powète, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2019, 21 p. 6€
Le titre explicite une distance prise avec le sérieux dans lequel se présente trop souvent la poésie. Le livre présente un ensemble de brefs paragraphes : pataphysiques un peu, humoristiques beaucoup, absurdes jamais, nonsensiques souvent. Le recueil est tombé de la tour d’ivoire et de la boue des sons ; le gravier des lettres a bâti des mots architecturant des aphorismes. Un aphorisme est une phrase orpheline, mais rassemblez-les dans un recueil et ils invitent le lecteur à trouver, entre les paragraphes plutôt qu’entre les lignes, la poésie.
C’est que réunis, les aphorismes voient leur binarité constitutive s’émousser. Leur autonomie, celle-là même qui constitue la puissance de l’aphorisme se dilue quelque peu, surtout qu’ici, ils se suivent comme des strophes d’un long poème de discontinuités. Si le fil directeur d’un raisonnement jamais ne se forme, l’épaisseur d’une tonalité se mue en attitude d’engagement dans le monde. Le danger pour le poète est de briser les limites de l’instant, or l’aphorisme fait mouche dans l’instant. Mais la suite d’aphorismes ne convoque-t-elle pas une durée ? Les contradictions autour desquelles sont structurés les aphorismes s’interpellent, se font échos, parfois se perdent dans le nonsensique. Une conséquence de cette primauté de la durée, de la suite et de l’à suivre, c’est que Le violon pisse derechef sur son powète n’agit pas sur le référent, sur le monde mais interpelle l’univers même de la poésie, les représentations verbales, le langage comme univers. N’est-ce pas une altération du genre, dans le sens où altérer c’est faire autre ?

Guilbaud Luce, Qui va avec ailes, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2019, 65 p. 10€
Voici trente poèmes à destination préférentielle des enfants. Vingt concernent des animaux de l’air, de l’eau, de la terre. Cinq sont relatifs à des créatures de légendes, de mythes, de l’imaginaire collectif. Quatre concernent des objets de fabrication humaine. Un parle du nez. Chaque poème est accompagné d’une aquarelle avec un collage de la lettre initiale et de la lettre finale du sujet du poème. Aucun des poèmes n’a de titre et c’est au lecteur de le trouver en identifiant par la lecture, de quoi parle le texte. Ainsi, le lecteur est invité à résoudre l’énigme de la désignation. C’est un premier intérêt du livre de Luce Guilbaud. Bien que reproduites sur un petit format, les illustrations de la plasticienne poétesse invitent à se laisser tenter par l’imaginaire. L’écriture use volontiers du mimétisme des sons pour évoquer le sujet du poème. Des anagrammes suturent le cheminement en compréhension. Que l’enfant, l’adolescent, butine au cœur des poèmes mono-strophiques, qu’il s’enivre des sonorités, des rimes intérieures, des échos, des syllepses pour conserver le privilège de découvrir la solution du poème. Le nom comme solution, le nom comme substantif, être de substance sonore et de matière graphique. La poésie de Luce Guilbaud se fait ainsi poésie des sens autant que le recueil devient un collier de perles de sens. Comme l’oiseau, qui va avec ailes, le phénix de la poésie rappelle que celle-ci naît de l’impuissance de la langue courante à revenir sur la motivation des mots qui la composent.

Philippe Geneste

05/01/2020

Décodage d’un livre documentaire pour les enfants

Prottsman Kiki, McArdle Sean, Mon premier livre de codage informatique…animé !, illustratrice Molly Lattin, Edition Tourbillon, 2019, 24 p. 16€50

Le livre commence avec une présentation succincte du rôle et des tâches d’un « codeur », c’est-à-dire d’un développeur informatique. Le livre est destiné aux enfants de 5 ans et plus et déjà, dès la présentation de la première page, les concepts abordés sont trop abstraits pour un si jeune lecteur car ils sont trop formels. On ne sait pas non plus l’intérêt du passage « Être créatif ». Les auteurs écrivent : « Coder c’est comme peindre ou faire de la musique : plus tu t’entraines, plus tu t’améliores ». Déjà le fait de s’entraîner pour s’améliorer n’est ni le propre de l’art ni celui de la programmation ; c’est un concept général. Et puis la plupart du temps la programmation n’a rien à voir avec l’art, on ne cherche pas à faire passer un message avec de l’esthétique, ça on le laisse aux designers. La programmation c’est avant tout construire une logique permettant de répondre à un problème. Evidemment on ne le dirait pas comme ça dans un livre pour enfant, on pourrait dire : Coder c’est écrire un code secret pour construire un logiciel ou un site internet !. Bref, le jeune lecteur regardera surtout les dessins avant de tourner la page.
Ensuite vient la partie « Décomposer », qui n’est pas vraiment utile non plus. Même si bien sûr dans le quotidien d’un développeur on décompose les problèmes pour les résoudre plus facilement on ne voit pas l’intérêt de commencer par ça et de le présenter ainsi. Il aurait fallu regrouper cette partie avec la suivante qui porte sur les algorithmes car mettre ses chaussettes, ses bottes et son manteau c’est un algorithme. Le lien entre les deux parties n’est pas clairement établi alors qu’il yen a un.
La partie « Construire » présente la notion d’algorithme mais expliqué à un adulte : « Un algorithme est un ensemble d’instructions pour effectuer une tâche ». Que va penser un enfant de 5 ou 7 ans lorsqu’il va lire « ensemble d’instructions » ? Les auteurs voulait sûrement bien faire en écrivant une définition formelle et correcte mais sans le vocabulaire adéquat à la tranche d’âge ciblée par le livre. On comprend ce qui est dit dans cette partie mais on ne sait pas quoi en conclure. Le côté animé du livre ici se résume à soulever les clapets, peu ergonomique car difficile à manipuler pour des petites mains. De plus, sous le cache se trouve un texte : est-ce vraiment ludique pour l’enfant ? En fait, le livre mise sur les dessins, très bien adaptés aux jeunes lecteurs mais qui contrastent avec un contenu qui, lui, ne l’est pas.
La partie suivante « Chasser les bogues » présente les bugs (appelés « bogues » en français). Encore une fois le langage est formel et sera dur à comprendre par un enfant. La partie de la fabrique à gâteaux est également difficile. On voit qu’un gant tombe dans le bol mais dans l’image qui suit il disparait. Le lecteur comprendra qu’il y a des choses qui ne vont pas dans cette fabrique à gâteaux mais il ne comprendra pas comment résoudre ces problèmes. Au final le personnage n’a pas son gâteau car à la dernière étape le tapis roulant est cassé alors qu’il y avait pleins de choses qui ne vont pas et qui auraient empêché la machine de fonctionner correctement.
« Sortir de la jungle » est la partie la plus intéressante du livre. Ici tout est bien expliqué et on s’amuse à manipuler les languettes sur le côté pour faire « bouger » le personnage. On aurait pu mettre l’accent sur la notion d’algorithme ici car la succession des déplacements que l’on fait est un algorithme. On aurait pu imaginer qu’à la fin des étapes on dise au lecteur « Bravo ! Tu as réussi à faire ton premier algorithme ! ».
La partie « Repérer le motif » est inutile. On n’utilise jamais le mot « motif » lorsque l’on programme et d’ailleurs on ne comprend pas très bien ce que visent les auteurs. De plus cette partie est sans lien avec les autres. Toutefois, le jeu proposé bien que légèrement difficile, est compréhensible pour un enfant.
La partie suivante traite des boucles, notion très importante et quasi inévitable de la programmation. Là encore une fois c’est mal expliqué. La condition d’arrêt de la boucle n’est pas assez mise en avant pour que l’on comprenne rapidement. Car oui, c’est bien la condition d’arrêt d’une boucle le plus important. Là, les conditions sont à peine écrites en gras et dans une taille de police assez petite : « Répète 3 fois », « Jusqu’à ce que tous les boutons soient attachés », etc. L’animation proposée n’est pas claire, et le jeune lecteur relira plusieurs fois pour comprendre, s’il comprend.
La partie « Elaborer un plan », elle, est assez claire et encore une fois on s’amuse à bouger les languettes pour faire son schéma. Ces languettes sur le côté sont le point fort du livre.
 « Faire un choix » parle des conditions en programmation, un incontournable. On saluera ici la bonne explication des conditions avec un vocabulaire accessible. Le jeu proposé est amusant et pédagogique. Mais encore une fois, même si on comprend le chapitre, on n’arrive pas à synthétiser toutes ces informations pour comprendre ce qu’est la programmation.
La dernière partie, « Stocker les données », traite des variables. La notion de variable est compliquée à comprendre pour un enfant, ce n’est pas un hasard si elle n’est pas enseignée durant les cours de mathématiques de l’école primaire et qu’il faut attendre la fin du collège et surtout l’année de seconde pour la voir introduite. Le jeu proposé est assez mal expliqué alors qu’il est en réalité très simple. On finit ce chapitre sans que la notion de variable ait été rendue accessible ni que son utilité ait été montrée.
Le livre s’arrête là sans dénouement. On n’a pas de jeu final qui résume ce qu’on a appris. L’enfant aura abordé de manière éparpillée des notions ; le lien entre elles restera donc inconnu. Peut-être le livre n’a-t-il qu’une prétention de divertissement sans l’enrichissement. On regarde surtout les dessins, on ouvre les clapets, on tire des languettes et on refermera le livre sans rien savoir de plus au métier de développeur. En raison de ces défauts de contenu, il est difficile de conseiller ce livre à des enfants de cet âge.

Cédric