Anachroniques

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30/06/2024

La forêt : émois et savoirs

COLOT Marie, Mori, graines de géants dans les forêts urbaines d’Akira Miyawaki, illustrations de Noémie MARSILY, éditions CotCotCot, 2024, 200 p. 24€

Ce roman est un roman d’apprentissage. On y suit Mikiko à partir de ses 4 ans. Elle vit dans une ville japonaise, au milieu d’immeubles. Elle vit seule avec une mère qui travaille dur pour élever son enfant et assurer le quotidien. Lorsque Mikiko a huit ans, sa nounou, une voisine obèse, téléphage mais tendre, meurt, Mikiko découvre de la fenêtre de l’appartement, un terrain vague, à la terre couleur de bis,« nappée de points d’un vert rafraîchissant ». Émerveillée, elle va surprendre l’activité d’un retraité, Akira Miyawaki qui prépare la terre pour planter des arbres. À 10 ans elle devient son assistante, car le vieil homme l’a prise sous son aile. Il est botaniste et porte le rêve de recréer des forêts qui poussent plus rapidement grâce à un mélange savant d’espèces, et ce sur des territoires détruits par les hommes, ou sur des terrains urbains. C’est la méthode Miyawaki dont une des annexes du roman présente l’historique et les principes. 

Mikiko est une dessinatrice forcenée et elle passe des heures, en dehors de l’aide prodiguée à la culture du terrain où la forêt prend forme, à dessiner avec des crayons de couleur. Elle admire son maître en agriculture et botanique. C’est à ce moment qu’est introduit, dans l’histoire, Kakuzō, le neveu d’Akira. Il faudra plusieurs années pour que les enfants coopérèrent puis s’apprécient jusqu’à ce que se noue entre eux un lien d’amour. Entre temps, la méthode Miyawaki est devenue célèbre et le botaniste court le monde pour la création de mini-forêts urbaines. Kakuzō fait des études de botanique, Mikiko part dans une école d’art.

L’histoire est servie par un travail particulièrement pertinent de Noémie Marsily. Les peintures qui oscillent entre planches naturalistes, illustrations de fanzine, sont empreintes d’une surcharge de traits comme si le monde offrait à qui sait le voir (sait le peindre ?) un univers idéogrammatique. Surréaliste parfois, réalisme merveilleux souvent, tableaux en approche d’impressionnisme, la profusion graphique de Mori (…) épouse sans s’y asservir l’écriture tendre, limpide, de Marie Colot. L’écrivaine introduit de nombreux mots japonais, afin de concentrer la diégèse sur l’environnement japonais où elle se déploie. Ces mots sont explicités, sans lourdeur, et un lexique raisonné se trouve en annexe qui permet aux jeunes et vieux lecteurs et lectrices de retrouver aisément un mot déjà rencontré.

Le blog https://lisezjeunessepg.blogspot.com/ a déjà chroniqué un ouvrage de cette collection Les Randonnées Graphiques, inaugurée en 2022par la très attentive éditrice de CotCotCot. Ce cinquième opus est d’une même qualité éditoriale et créative.

Marie Colot réussit, sans didactisme aucun, en serrant seulement au plus près son écriture et son style, à éviter la fiction documentaire pour rester dans la narration d’une histoire. Mais, et c’est une force de cet ouvrage, en s’appuyant sur une structure du roman d’apprentissage, le déploiement des événements formant l’histoire distille aussi tout un univers de savoirs de pleine actualité. Les thèmes présents sont innombrables : la mort, la nature, la ville, la relation humaine, le rapport entre les générations, la science, la politique écologique, l’amour, et bien sûr, une invitation à découvrir certains aspects de la vie japonaise.

 

HOLIK Klára, NIESNER Ivi, SEDLÁČKOVÁ Jana, La Vie secrète des forêts, illustré par Katarina KRATOCHVILOVÁ, Albatros, 2024, 64 p. 19€90

Il existe de plus en plus de documentaires sur la forêt. Celui proposé par les éditions Albatros se remarque par sa composition intégrante de multiples aspects informatifs et explicatifs qui en font un manuel d’écologie forestière à l’usage des enfants de 9 à 15 ans. Divisé en dix-neuf chapitres formés chacun de deux doubles pages, il propose au lectorat une vue panoramique vivante, facile d’accès sans être simpliste, rassemblant des connaissances accumulées sur les arbres, la forêt comme milieu de vie, les enjeux y compris économiques (présents même si la question n’est pas très développée ce qui se comprend vu l’orientation du livre), des aspects pratiques invitant à l’observation in situ.

La commission lisez jeunesse a été particulièrement sensible aux multiples explications ayant pour sujet l’entraide entre les arbres y compris d’espèces différentes. Mais l’album est tellement riche que les sujets d’intérêts foisonnent, comme par exemples : la présentation de la dendrochronologie ; l’enjeu des forêts mixtes par rapport aux monocultures privilégiées par l’industrie forestière et la recherche du profit qui la gouverne ; la migration sensationnelle des graines d’érable, de peuplier, de bouleau, de saule, celle des forêts elles-mêmes qui se déplacent à pas lent vers le nord pour résister au réchauffement climatique ; la vie en symbiose des champignons, la symbiose étant le nom biologique de l’entraide végétale, quoique le champignon soit un organisme entre l’animal et le végétal ; la description dans plusieurs chapitres de la vie souterraine liée aux arbres, dont le monde des fourmis, des champignons élevés par elles, des vers de terre et des galeries qu’ils creusent… ; la découverte des mousses dont il existe 20 000 espèces depuis des centaines de millions d’année et dont l’ouvrage livre quelques secrets et fonctions ; le détail des différents milieux forestiers selon leur répartition géographique etc. La Vie secrète des forêts est à la fois un régal, une mine de connaissances, un plaisir de lecture parce que facile, bien que d’une haute exigence de contenu.

Philippe Geneste

 


25/06/2023

Contes au cœur de la création mythique des enfants

KEITA-KOUYATE Mallon, La Courge qui parlait. Contes de Haute-Guinée, préface de Bahna Sidibé, L’Harmattan, 2023, 137 p. 15€

Trois contes sont rassemblés ici : La Courge qui parlait, qui donne son titre au livre, La Pierre et Le Plus Grand Amour du monde. Ces trois contes sont des réécritures de contes traditionnels. L’autrice a choisi de les rendre actuels et lisibles pour des enfants lecteurs, adolescents et adultes. Chacun d’eux couvre en moyenne quarante pages. Leur structure respecte celle décrite par la morphologie du conte de Vladimir Propp. Comme toujours avec les contes africains, la morale est explicitée, ici au cours du récit. Nous nous arrêterons sur La Courge qui parlait, qui est une grande réussite, sachant tenir en haleine le lecteur ou la lectrice.

Ce conte repose sur l’animisme, la courge est un personnage, certes du domaine du merveilleux, mais elle mange, parle, bref semble presque humaine. Elle s’installe dans le village de Mariama, la petite fille qui l’a trouvée. La courge recherche quelque chose d’extraordinaire et ce qu’elle va trouver c’est la gentillesse, la générosité et un trésor de patience. C’est l’enfant qu’elle a mis à l’épreuve qui les lui offre sans le savoir, juste par son attention portée à la relation humaine ou plutôt à la relation avec le vivant.

La courge est certes née d’une métamorphose, elle disparaîtra comme elle est apparue. Mais le conte de fée le permet qui ne disjoint pas la vraisemblance de l’histoire, tout simplement parce qu’il s’appuie sur l’animisme. Or, les enfants de 7 à 12 ans aiment ce type d’histoire qui correspond à bien des égards à leur mentalisme propre. La courge n’est pas tout à fait une personne – le conte ne repose donc que partiellement sur une personnification de la courge –, en revanche, comme la mentalité enfantine le ferait, le conte lui prête des intentions et une volonté qui a pour origine une loi morale. Mariama, par son attitude d’empathie toute humaine, cherche à comprendre les caractères, les sentiments, que la courge projette par ses discours au cœur du village. En cela, elle est très différente de sa mère qui dit : « J’ai toujours eu pour règle de me méfier de ce que je ne comprenais pas » (p.46).

La résolution du conte tient donc à la vertu de la réciprocité empathique. La courge, qui confiera son émerveillement à Mariama à la fin du conte, l’invitera, aussi, à se situer objectivement parmi les autres. Quant à savoir ce qu’était la courge avant sa métamorphose, c’est une autre histoire…

Rien que pour ce conte, très bien écrit, composé avec une précision horlogère, parfaitement en phase avec la mentalité enfantine des jeunes lecteurs et lectrices, Un petit chef d’œuvre à ne pas manquer.

 

DAUGEY Fleur, Plantes intrépides. Cinq contes pour jeunes pousses, illustrations de Chloé du COLOMBIER, éditions du ricochet, 2023, 46 p. 17€

Belle idée de rassembler des contes ayant pour point commun une question d’origine, mais à travers une plante comme héroïne principale. On lira ces contes aux enfants non lecteurs, on les offrira aux lectrices et lecteurs débutants. Jusqu’à 7 ans, la question relative à la naissance des enfants ne porte pas sur le comment mais sur où : d’où vient le bébé ? Comme l’observait Jean Piaget dans ses multiples travaux d’analyse de la conception enfantine du monde, les autres questions portant sur l’origine des astres, des nuages, des montagnes etc. découlent de cette première question sur la naissance.

Comment le manioc vint aux hommes, inspiré d’un mythe de Madagascar, illustre la mentalité enfantine mêlant animisme et artificialisme. L’animisme est redoublé dans l’album par le fait que ce sont les plantes qui racontent l’histoire : tout est vivant pour l’enfant, tout, pour lui, a une conscience et pousse par sa propre énergie. Le conte écrit par Fleur Daugey est en convenance avec ce que décrivait Piaget parlant de l’« évolution des mythes relatifs à l’origine de l’homme, dans le sens de l’artificialisme de plus en plus immanent , c’est-à-dire prêté à la nature elle-même » [1].

Dans Momotaro, l’enfant-pêche, inspiré d’un conte japonais, la naissance de l’enfant est provoquée par le pêcheur qui coupe la pêche dans laquelle il se trouve.

Dans le conte bulgare, La Fraxinelle de l’espace, le peuple androgyne de l’espace se retirera de la Terre, son terrain de jeu, pour laisser prospérer l’espèce humaine. Mais il prendra soin de laisser sur la planète la fraxinelle pour soigner les malades : la fleur n’existe que pour les humains, selon un finalisme convenant avec la mentalité des enfants qui, comme les extraterrestres du conte, considèrent la Terre en tant qu’entité vivante (« Nous t’offrons ce cadeau, à toi et aux hommes : Fraxinelle »).

De même, dans Comment le pin blanc scella la paix, conte de coloration amérindienne, le pin déclare : « ma mission était simplement d’apporter la paix chez les iroquoiens des États-Unis et du Canada, des premières nations qui se faisaient la guerre depuis si longtemps qu’elles ne savaient plus pourquoi ». On retrouve bien le finalisme adossé à l’animisme et à l’artificialisme. Ce qui dans le conte japonais était dévolu à la pêche l’est ici par la pomme de pin.

Dans Pastèque, fille du dragon, provenant d’Iran, ou plus précisément de Perse, l’histoire raconte l’origine de la pastèque, avec, au fondement de sa création, la fonction de plaire aux hommes.

Il faut bien louer cet album respectueux de la mentalité enfantine, de 3 à 8 ans, qui fait aussi voyager et qui porte un message contre la guerre et en faveur de l’amour de la terre.

 

Plantes intrépides. Cinq contes pour jeunes pousses, et La Courge qui parlait. Contes de Haute-Guinée sont à offrir, à proposer aux enfants. Les bibliothèques auront à cœur d’en enrichir leurs rayonnages. De plus, ces deux livres, si respectueux de la mentalité enfantine permettront à leurs jeunes lectrices et lecteurs, de découvrir que l’imaginaire fait fi des frontières…

Philippe Geneste



[1] Piaget, jean, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, PUF, 1991, 335 p. – p.309.