Kaïteris
Constantin, Sur un arbre caché, illustrations de Joanna Boillat, mØtus,
2018, 71 p. 10€90
La poésie est une invitation au
temps long de la patience, de l’attente, de l’entente des mots.
Et puis il y a,
les échos des expressions végétales, des lieux communs forestiers, de la
phraséologie potagère. Kaïteris et Boillat les connaissent bien qui ont publié
en 2014, aux mêmes éditions mØtus, Un
Jardin sur le bout de la langue. On entre donc dans ce recueil,
d’abord, par les mots, puis par les vers. Au fur et sans mesure,
l’intertextualité parle aux enfants : les figures des contes, les lieux de
légendes, une comptine, adviennent et vérifient la vérité de cette forêt figurée
par le recueil poétique en cours de lecture. Ce n’est pas de l’art pour l’art
mais une invitation faite aux jeunes esprits à interroger leur représentation
des arbres, leur représentation des forêts. Ce n’est pas de l’art pour l’art,
parce qu’on s’attache à l’alliage graphique des mots pour en extraire une
signification en partage. Jacques Prévert est omniprésent durant tout le temps
de la lecture, c’est dire si les auteurs chantent la simplicité et la
profondeur des choses vives.
On se perche sur
la fable, on écrit à Marcel Aymé, on convoque le poirier, le cerisier, l’orme,
le platane, le cognassier, le saule-pleureur, le tilleul, le marronnier, le
baobab ; on part en forêt, on sillonne les avenues, on se repose sous un
solitaire. Cette poésie cousue de fil
vert, si on ose dire en paraphrasant un vers de Kaïteris, demande à la
lectrice, au lecteur de prendre racine dans le langage. Et cela se fait
aisément parce que l’humour souffle dans les vers et que la néologie est
convoquée pour rendre foisonnante la hardiesse poétique et la transmettre, en
l’état, au jeune lectorat Et puis, si le recueil rend hommage à l’arbre c’est
parce qu’aucun ombrage n’est fait à l’enfant. Celui-ci court de poème en poème.
Il indique même au poète comment écrire, à la dessinatrice comment tracer les
arbres sur la feuille de papier en lui reprochant de ne point mettre de
couleurs. C’est alors que l’enfant lira les mots qui les désigne et coloriera
les images qui ne cessent de se former à son esprit libre.
Nul idéalisme, mais presque une
poétique matérielle qu’un poème peut bien illustrer :
Le bois dont on fait le poème
Sous les arbres
que je dessine avec des mots
il y a la feuille
de papier
et sous la feuille
la table de bois qui la
soutient et qui pose
ses quatre pieds sur le
plancher
de chêne
j’en dois des choses
aux arbres !
Ce recueil manifeste une question
d’importance. Le premier maillon de la poésie ne serait-il pas le lecteur, la
lectrice ? Etrange affirmation, évidemment, la poésie est si peu lue…
Pourtant, tout poème est une adresse à
et cette adresse à est une condition
d’être de la littérature. Exprimer le monde, exprimer des inquiétudes, des
joies, et célébrer le lien de l’humain à la langue qui le constitue revient toujours
à instaurer le dialogue au cœur de l’acte poétique. Sur un arbre caché l’illustre
nouvellement.
Philippe Geneste