Anachroniques

27/12/2020

La voix des histoires

 

Les éditions d2eux

L’histoire s’amorce en 2015, à Sherbrooke au Québec, alors que France Leduc et Yves Nadon fondent d2eux, ainsi écrit par malice. Forts de vingt années en édition, de trois décennies en arts visuels et de trente-cinq années en salles de classe, ces amoureux de la littérature ont un noble objectif : susciter des lecteurs pour la vie. Pour y parvenir, ils posent les livres au cœur de l’apprentissage de la lecture, donc de l’apprentissage de la vie ; ils s’en servent comme autant de tuteurs pour ces jeunes plantes qui ne demandent qu’à grimper. Les éditions d2eux ont su s’entourer d’auteurs et d’illustrateurs d’exception pour faire naître des livres qui provoquent le plaisir et la réflexion. En voici un :

Poirier Nadine, Le Jardinier qui cultivait des livres, illustrations de Claude K. Dubois, éditions d2eux, 2020, 32 p. 16€

Alors que la civilisation humaine se dilue dans l’adoration aveuglée de la technique, cet album manifeste la culture et invite à la patience. Les pages de garde offrent à voir, pour les premières, un paysage vu en plongée, ciel et terre mêlées où s’enfouit un village ; pour les dernières une vue depuis le sol, coléoptère et papillon sur une feuille fragile en avant-plan, mettant en perspective, de dos, un homme et un enfant, main dans la main, qui s’éloignent, silhouettés. Les tons nuent du vert fugace au jaune, à l’ocre pâle avec des nuances brunes. Comme nous l’a confié l’illustratrice, les images sont travaillées au « crayon noir 3B et 4B (parfois plus poussé, d’autres fois moins) et aquarelle ». L’impression sur papier crème met en valeur ces choix.

Dans cet univers évanescent, nous entrons par la matrice du conte : « Il était une fois un jardinier passionné de livres ». Le jardinier n’est pas un raconteur d’histoires, mais un passeur d’histoires. Lassés par cet homme qui contait des histoires « à toute heure du jour ou de la nuit », les habitants du village l’ont chassé. Le lecteur est alors invité à se rendre sur son nouveau territoire de vie solitaire ; il entre-aperçoit l’agriculteur cultivateur de livres, plantant des mots, s’émouvant, à la veillée, d’histoires lues, transporté dans un ciel océan dans une maison aquarium, environné de fleurs livresques, jusqu’à la découverte, au plus près d’une orpheline, chassée, elle aussi, par les villageois qu’elle dérangeait à force de lire.

Toujours à travers la transparence aquarellée des images évanescentes, des formes silhouettées content la relation naissante entre l’ermite et l’abandonnée, racontent le bonheur humain de trouver échos des voix des histoires. La sauvageonne qui a mémorisé une pleine bibliothèque de documentaires et l’homme de la terre, cultivateur de récits, vont s’unir. La petite fille, en un épisode à la fois surréaliste et déchirant, cherchera à prendre racine sur le sol cultivé et c’est un père et c’est un enfant que, respectivement, l’enfant sauvage et le jardinier des livres adopteront. Ainsi viennent au monde les humains, à travers la nature dialogique du langage, nous dit cet album aux contours génériques floutés.

Philippe Geneste

20/12/2020

Lire dans l’émerveillement du monde naturel qui nous entoure

 Mathivet Éric, Vanvolsen Émilie, Hier chenille, aujourd’hui papillon. Les lépidoptères, Ricochet, 2020, 40p. 13€50

Découvrir les chenilles, les exhibitionnistes, les discrètes, leur art du leurre, leur propension à muer quatre à cinq fois, leur science de la métamorphose quand enfermées dans leurs chrysalides elles en sortent papillon.

Quatre ailes recouvertes d’écailles microscopiques et colorées, deux antennes, six pattes, un art du mimétisme époustouflant, ce sont les papillons, les grands arpenteurs de l’air. Les papillons attirent la lumière autant qu’ils sont attirés par elle. Frugaux papillons de nuit, qui d’ailleurs ne mangent pas, pollinisateurs papillons de jour et à chacun sa parade nuptiale.

L’ouvrage donne aussi une leçon d’anatomie externe des papillons, il détaille des espèces particulières, s’intéresse à des faits étonnants comme la vitesse du vol de certains papillons, le jeu de leurs couleurs. Et n’oublions pas l’exceptionnelle chenille domestique ou vers à soie.

Difficile de ne pas parler de beauté pour certains papillons. Il n’y a rien d’anthropomorphique car il s’agit d’atours de séduction durant l’épisode de la sélection sexuelle ainsi que l’a étudié Darwin.

Et comme toujours, dans ces petits livres aussi beaux qu’instructifs, deux pages de compléments versent dans le discours encyclopédique. Les auteurs montrent la co-évolution en acte des plantes à fleurs et des papillons.

Beauté du voir, exaltation du savoir, Ricochet offre une nouvelle production de haute qualité.

 Daugey Fleur, Colombier Chloé du, Les P’tites coccinelles, Ricochet, 2020, 28 p. 9€50

Magnifique ouvrage qui offre aux enfants petits, un documentaire animalier ouvert à la narration et servi par la rigueur scientifique. Rien que pour cela, l’ouvrage est déjà à retenir et à offrir aux jeunes. Tout y passe : le régime alimentaire, le processus de la métamorphose, les œufs et les larves, les larves collées sur une tige, la coccinelle qui en sort, l’hibernation collective. On suit la ruse de la coccinelle qui imite la mort en cas de présence de prédateurs, l’enfant s’en trouvera tout étonné… Il observera un microcosme vu à la loupe, le grossissement pouvant lui faire prendre conscience du monde qui l’entoure.

Dit simplement, montré clairement, tel est l’album Les P’tites coccinelles. Un délice documentaire et narratif noué à la beauté des dessins et à la joie des couleurs. Les éditions du ricochet œuvrent, auprès du jeune public, à l’émerveillement des découvertes.

 Lecoeure Claire, Mazille Capucine, Les Insectes, Ricochet, 2020, 44 p. 16€

Cet ouvrage grand format est publié dans la collection « petites histoires naturelles ». C’est tout simplement un régal. Les images en gros plans permettent aux lecteurs de voir les détails morphologiques et anatomiques des vingt-et-une petites bêtes qui sont présentées. C’est un émerveillement pour les yeux.

Tous les insectes présentés le sont parce que la situation catastrophique de la planète les met en danger ou les a mises en danger d’extinction. Les autrices n’ont pas privilégié ce qui, dans le regard humain, correspondrait à la beauté (le vulcain, la déesse précieuse, l’éphémère, l’Azuré du serpolet). Elles parlent tout autant du bousier à cornes retroussées, du gerris, du perce-oreille à deux points, de la mouche de l’Antarctique, du criquet pèlerin, du scarabée pique-prune, de la fourmi acacia. Elles parlent aussi du fabuleux Phasme de Yen Tu, de la Luciole Pyralis, de la Perle etc. Le texte est bref, informe sur quelques caractéristiques de l’animal, sans recherche d’exhaustivité. Cela permet au jeune lectorat soit accompagné, pour les enfants avant 8 ans, soit seul, à partir de neuf ans, de s’aventurer dans l’ouvrage qui, et c’est la marque des éditions du Ricochet, allie à merveille science et vulgarisation scientifique.

 VOISARD Lisa, Ornithorama. Découvre et observe le monde merveilleux des oiseaux, éditions Helvetiq, 2020, 207 p. 24€90

Voici un ouvrage rare, magnifique dans sa conception, intelligent dans sa réalisation, instructif en diable, agréable à lire, éditorialement peaufiné. Il offre une vision (-orama) des oiseaux (ornitho-) communs (30 oiseaux européens), ceux que les enfants petits (dès 8/9 ans) ou grands peuvent observer. Au fil des portraits, les familles d’oiseaux sont présentées. Y sont indiqués la taille, les différences entre les mâles et les femelles, les œufs, l’habitat, la nourriture, la longévité, le poids, l’envergure, les activités diurnes et ou nocturnes, les caractéristiques qui permettent de les différencier d’autres espèces proches. Une foule de questions sont abordées, éclairées, avec science, comme par exemple, pourquoi certains oiseaux migrent et d’autres non ? Parler des oiseaux, c’est bien sûr s’ouvrir à la géographie, à l’éthologie. Les textes se répartissent en deux formes. Il y a d’abord une présentation d’une vingtaine de lignes, qui familiarise l’enfant avec l’oiseau traité. Cette première forme est celle de la narration documentaire. Il y a ensuite une multitude de brefs textes qui légendent de nombreuses illustrations.

Les illustrations réalistes sur un papier mat visent l’efficacité. Pour chaque oiseau, la première est une petite œuvre graphique où l’enfant découvre en pleine page l’animal dont il va être question. Une multitude d’autres dessins ou peintures sont présentes dans les six pages qui suivent et où l’oiseau est mis en regard d’autres parmi lesquels il évolue.

Cet ensemble couvre quasi 200 pages. Dans les presque cinquante pages restantes, d’autres oiseaux sont présentés pour leurs caractéristiques étonnantes. Là l’ouvrage procède par doubles pages. En fin de volume, se trouvent des oiseaux venus d’ailleurs sur un atlas sommaire, un intelligent répertoire des migrations. Deux pages présentent des espèces menacées, puis viennent des conseils pour aider les oiseaux, avant un index et les sources utilisées.

Pas de doute, Helvetiq, maison d’édition basée à Lausanne, devrait s’affirmer en France. Ornithorama. Découvre et observe le monde merveilleux des oiseaux est un livre à offrir en toute occasion et que tous les centres documentation scolaires, que toutes les bibliothèques acquerront pour le plus grand enrichissement des enfants. Et qui plus est, l’ouvrage peut se lire bien au-delà de la tranche d’âge pour laquelle il est destiné. 

escoriza Julie, La Tribu, Gallimard jeunesse Giboulées, 2020, 16 p. 16€90

« On ouvre ce livre pop-up comme on écarte les branches sur son passage. Nous voilà au cœur de la forêt tropicale avec la tribu des macaques de Tonkean », annonce le prière d’insérer. Et c’est bien cela. Le pop-up imite la forêt et présente huit scènes de la vie collective de l’espèce.

Chaque scène, ainsi animée, invite à ce que l’enfant la raconte. On touche ici une condition de la lecture des petits, à savoir l’accompagnement de l’adulte. Le court texte sur chaque double page donne le fil directeur du commentaire, mais il n’est pas imitatif. Et, à partir de ce que propose l’enfant, on peut lui suggérer d’explorer plus avant le pop-up et d’enrichir son histoire initiale.

Á la fin de l’ouvrage, un texte explique le mode vie de ces singes. Il permet de situer avec exactitude leur territoire. Les macaques de Tonkean vivent sur l’île indonésienne de Sulawesi. L’espèce est menacée par l’exploitation industrielle de ces forêts humides. Les macaques se réfugient sur la partie des forêts située sur les reliefs accidentés. L’enfant va, ainsi, notamment s’il est accompagné, se familiariser avec cette espèce animale. Le sentiment qu’il éprouvera sera l’amorce d’une préoccupation pour l’équilibre à chercher à rétablir entre l’espèce humaine et les espèces animales.

Philippe Geneste

12/12/2020

Livres en fête, esprit en éveil

 Encyclopédie des sciences, Gallimard, collection Les Yeux de la Découverte, 2020, 384 p. 24€95

L’Encyclopédie des sciences de chez Gallimard Jeunesse ressort en cette année 2020 dans une nouvelle version. Cette version fait partie de la collection Les yeux de la découverte, une collection reconnaissable par ses couvertures présentant les sujets sous la forme d’une planète et qui comporte entre autres L’Encyclopédie des animaux et L’Encyclopédie du corps humain. L’Encyclopédie fait 384 pages et est à destination des 9-12 ans.

L’enfant est invité à aborder les trois grands domaines de la science que sont la physique, la géologie et la biologie par plusieurs catégories : matière et matériaux, forces et énergie, électricité et magnétisme, l’espace, la Terre, les plantes, les animaux et enfin le corps humain. On remarquera le choix de progression qui nous fait partir des éléments les plus simples, les atomes, en passant par l’espace pour arriver sur la Terre et finir par le vivant qui est d’une très grande complexité. Cette apparition de la complexité du monde est également le reflet de sa chronologie, joliment décrite dans le sommaire du livre à travers un code couleur qui plaira autant aux enfants qu’aux adultes.

Le principe est simple : chaque page porte son sujet. On a donc la page qui parle de l’oxygène, celle de la tectonique des plaques ou encore celle des nuages avec parfois des doubles pages quand le sujet le requiert. Les pages sont suffisamment grandes et de bonne qualité pour sublimer les images et ainsi transmettre le message. Car là est la force de l’ouvrage. Il y a beaucoup d’images, en fait quasiment 50% du livre sont des images. Des images oui, mais des images accompagnées de leur texte combinant ainsi l’émerveillement et l’apprentissage. Les images se présentent sous différentes formes et sont diversement agencées, de sorte que la lecture se renouvelle au fur et à mesure. Il y a un très gros effort effectué sur le visuel et cela ne manquera pas de plaire aux jeunes curieux.

Même si les images sont belles, on ne fait pas une encyclopédie qu’avec des images. Il faut du contenu. Et du contenu on en a suffisamment pour avoir des connaissances vulgarisées -sans l’aspect péjoratif du terme- dans un domaine. Il ne faut pas oublier l’objectif qui est de plaire aux enfants, il ne faut donc pas rentrer dans une trop grande complexité qui ne serait pas adaptée à leur âge. Et puis le format ne s’y prête pas. En une ou deux pages on doit diffuser les connaissances principales du sujet. J’ai apprécié tout de même la profondeur de certaines explications comme sur « La Gravité » où on ne nous parle pas de la théorie de Newton que l’on sait maintenant fausse mais qui, par souci de simplicité, est toujours enseignée à l’école dans la filière scientifique. Ici on aborde directement la théorie de la relativité d’Einstein qui corrige la théorie de Newton. La gravité n’est pas une force comme le pensait Newton mais une déformation de l’espace, comme l’a démontré Einstein. Cela a peut-être l’air de rien mais je trouve très important de faire saisir aux enfants la véritable nature du monde même au prix d’une plus grande complexité.

Au final, on aime parcourir les pages à la recherche d’une image saisissante ou d’une information surprenante. C’est un livre qui peut à la fois se prendre de temps en temps pour s’émerveiller sur le monde ou pour trancher sur une information disputée dans un repas de famille, chose que ne manqueront pas les jeunes curieux ! C’est un bel effort de Gallimard Jeunesse que de présenter les connaissances de façon aussi attractives autant pour les jeunes que les moins jeunes. A recommander pour les curieux, c’est-à-dire tout le monde.

Cédric

 GRUNDMANN Emmanuelle, MAZILLE Capucine, Les Arbres qui font nos forêts. Les écosystèmes forestiers, éditions Ricochet, 2020, 34 p. 13€50

L’album parcourt le globe, pour présenter les différents types de forêts. Une multitude de légendes dénominatives d’arbres divers, d’autres végétaux et de tous les écosystèmes permettent aux enfants d’élargir leur connaissance, et de même avec les animaux et insectes des forêts. On accompagnera donc avantageusement l’enfant dans sa première lecture. Pour autant, par ses niveaux de lecture variés, l’album permet de couvrir un important empan d’âge du lectorat.

Les informations sont précisées par le texte et chaque fois illustrées. Le système de communication établi entre les arbres par tout le réseau souterrain des racines, le mycélium des champignons sont explicités. La forêt comme habitat est déclinée dans sa canopée, sur son tronc parmi ses racines. L’arbre, comme support de nombreuses autres plantes, est l’objet d’une magnifique double page, au dessin luxuriant, ces plantes, elles-mêmes, attirant d’autres espèces animales. La vie nocturne de la forêt est présentée succédant à la vie diurne.

Le cycle de la nature est adroitement inséré et développé à travers l’anecdote d’une graine, d’un excrément. Tout l’album est placé sous l’égide de la théorie darwinienne de l’évolution, incluant l’homme dans son propos. D’ailleurs, l’album se termine par l’évocation de l’imaginaire de la forêt qui peuple la littérature orale, mais aussi par le rôle joué par elle pour la pharmacopée, pour l’habitat, pour l’alimentation.

Source d’enrichissement du vocabulaire enfantin (qui sait que la mésange zinzinule) l’album se clôt sur une double page qui s’adresse aux enfants plus âgés et qui développe la teneur de l’album, de manière érudite et en lien avec les problématiques de l’actualité tant nationale qu’internationale. C’est encore une fois chez cet éditeur rigoureux, un modèle du genre documentaire écologique que cet album.

 Kercir-Lepetit Emmanuelle, Fleurs de saison, dessins et peinture de Léa Maupetit, Gallimard jeunesse, 2020, 93 p. 16€

D’abord, il s’agit d’un très beau livre, au format vertical, avec signet, couverture cartonnée avec mors et tranche arrondie. Le titre à effet typographique sur une illustration de fleurs invite à ouvrir l’ouvrage. On suit les fleurs en fonction de leur saison de floraison : le livre pourra accompagner l’enfant durant toute l’année et, toute l’année, l’enfant s’enrichira de connaissances botaniques mais aussi littéraires, linguistiques (par excursion étymologique ou sémantique, voire par comparaison des langues, enfin par des légendes où ces fleurs apparaissent).

Les enfants de 9 à12 ans succomberont aux charmes de Fleurs de saison. La présentation est érudite mais non soporifique ; un glossaire complète ce bel ouvrage. Les trente-sept fleurs présentées sont celles que l’enfant pourra rencontrer lors de ses promenades, ce qui est important pour que le documentaire atteigne l’objectif visé.

Un tel livre mène à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, à retrouver, soutenu magnifiquement par les illustrations et le travail éditorial, un goût pour la patience de l’observation et ainsi partager la vie végétale si silencieusement présente. Il offre aussi à l’enfant de pouvoir réfléchir à la vie sur terre, grâce à l’attention à laquelle appelle Fleurs de saison.

Philippe Geneste

NB : on ne manquera pas de dire que cet ouvrage pourrait succéder à la lecture, par les plus petits, de l’ouvrage ancien La Fleur (Gallimard Jeunesse, collection mes premières découvertes, 2016, 8€ destiné aux 2/5 ans) et l’étonnant livre d’Etienne Delessert, Yok-Yok. La Tulipe (Gallimard Jeunesse, collection mes premières découvertes, 2012, 7€ destiné aux 4/5-8 ans).

06/12/2020

Évolution et Métamorphose

 BRIERE-HAQUET, Alice, Phalaina, Rouergue, 2020, 313 p. 15€

 Résumé :

Avec ses grands yeux rouges, la petite Manon intrigue. Et pour cause, elle est très spéciale...

On la rencontre pour la première fois alors qu'elle n'est qu'un bébé faisant ses premiers pas sous une belle journée d'automne. Elle n'en a pas conscience mais auprès d'elle se trouve le cadavre du professeur Humphrey, célèbre scientifique de la Fondation Humphrey, victime d'un accident de voiture aux circonstances des plus suspectes... Deux hommes viennent rapidement sur les lieux de l'accident pour chercher la petite mais elle est introuvable...

On retrouve cette fillette, nommée Manon, quelques années plus tard dans un orphelinat. Muette, elle est complètement indifférente à ses camarades et les religieuses ne la comprennent pas. Des hommes retrouvent sa trace mais la petite s'enfuit à nouveau. Ils kidnappent une religieuse pour l'interroger, elle meurt sous la torture. Deux policiers sont alors chargés de l'enquête : le tranquille Caravelle, proche de la retraite, et Jalibert, qui est très impliqué et prend cette affaire à cœur. De son côté, Manon se réfugie chez la gentille Molly, une poétesse qui décide de la protéger.

Le tournant fantastique de l'histoire se renforce avec l'apparition d'une curieuse créature, le dénommé Lbn, dont les initiales sont aussi mystérieuses que le personnage... Il espionnait Manon depuis longtemps et la contacte à ce moment-là. Lbn est un être d'une autre espèce, capable de se rendre invisible aux yeux des humains. Il aimerait ramener Manon auprès des siens. En effet, grâce à des lettres du professeur Humphrey écrites à son ami Charles Darwin, on comprend qu'il a découvert une nouvelle espèce, le peuple des Phalènes, du même nom que le papillon de nuit. Ces êtres, physiquement proches des humains, vivent en osmose avec la nature. Ils communiquent par télépathie, ont des ailes et sont empathiques. Malheureusement, le scientifique a fait l'erreur de faire confiance à son assistant, l'opportuniste John, qui l'a trahi et a orchestré son accident. John connaît ainsi le secret le mieux gardé du professeur : non seulement il était ami avec ces êtres et a pu les observer, mais il a eu un enfant avec l'une d'entre elle ! Et cet enfant... C'est bien sûr Manon, qui ignore encore les dons qu'elle possède.

Avec la complicité de la sœur d'Humphrey, qui n'est intéressée que par l'héritage colossal laissé par le riche scientifique, John enlève Molly et Manon dans le but d'étudier la petite fille et de faire sur elle les mêmes expériences subies par ses malheureux animaux de laboratoire. Mais il ne pouvait pas savoir que la métamorphose de Manon aurait précisément lieu alors que la petite, laissée sans surveillance dans sa cage, est sa prisonnière ! Munie de deux grandes ailes de papillon et pouvant communiquer avec les animaux par télépathie, la vraie Manon se révèle enfin et sauve Molly ainsi que tous les animaux de la Fondation. Elle trouve aide auprès de Jalibert, qui est en réalité un faux policier et avait temporairement recueilli Manon quand elle était plus petite. Héritière légitime de la Fondation Humphrey, elle va pouvoir, auprès de sa nouvelle famille, Molly et Jalibert reconstruire sa vie et protéger les animaux, « réconcilier science et conscience ».

Mon avis :

            J'ai beaucoup aimé ce livre que j'ai trouvé très original. Je trouve que l'autrice a bien réussi à montrer l'évolution de son héroïne. En effet, au début de l'histoire, j'étais déstabilisée. Je n'étais pas du tout attachée à Manon, qui est pourtant le personnage principal. On n'a jamais son point de vue, elle est indifférente à tout ce qui l'entoure et trop renfermée sur elle-même. Pas étonnant que les religieuses ne comprennent pas cette petite fille muette qui fait des caprices lors de certains repas (on comprend plus tard que c'est parce qu'elle ne veut pas manger de viande). De plus, le lecteur comprend dès le début qu'il s'agit d'une enfant d'une autre espèce puisque qu’elle a les yeux rouges, que des papillons lui ont créé un cocon afin qu'elle échappe aux deux hommes suite à l'accident de voiture... Mais le mystère autour d'elle dure longtemps et j'ai eu peur qu'aucune explication ne soit fournie à la fin du livre ou qu'il s'agisse d'une fausse piste.

            Mais j'ai ensuite changé d'avis : c’est à son évolution qu’on assiste. Sa rencontre avec Molly dévoile un autre aspect de sa personnalité. Elle s'est attachée à elle et fait tout pour la sauver, ce qui change de la Manon sans sentiments du début. J'ai beaucoup aimé la scène de la métamorphose et le fait que Manon communique avec les animaux et essaie d'aider ceux victimes des expériences des scientifiques.

            Enfin, j'ai bien aimé l'écriture et le style de l'autrice. Elle n'hésite pas à faire des scènes assez sanglantes : on est surpris dès le début de l'histoire qui commence avec la mort du professeur, mais le passage le plus terrible est bien celui réservé au sort de John et de la sœur d'Humphrey... Elle mêle des réflexions un peu philosophiques (sur l'enfance, la société, la notion de progrès...) sans oublier de mettre quelques passages humoristiques, notamment à travers le point de vue du chien de Molly, Giulio, qui trouve que les humains se compliquent bien la vie.

Milena Mas-Geneste

29/11/2020

Hymnes à l’amour

 MINNE Brigitte & CHIELENS Trui, Princesse Pimprenelle se marie, CotCotCot éditions, 2020, 32 p. 18

C’est tout d’abord un livre d’une grande beauté, que magnifient, avec sensibilité et harmonie, les images poétiques de Brigitte Minne et Trui Chielens

Sur la première page de couverture, une jeune fille à la longue chevelure en volute qui l’enveloppe suavement, tout comme sa robe de princesse dont la couleur de pastel rappelle le rose tendre des fleurs de son chemin et le rose tendre de ses pommettes, chevauche un beau destrier blanc. Beaucoup de douceur, que reflètent les yeux clos du cheval, se dégage de cette image, tandis que la jeune fille offre son regard radieux sur ce qui semble être une invite de l’inconnu. Quand le livre s’ouvre, elle a dû accomplir beaucoup de chemin car le décor a changé. Le cheval est au galop, les arbres ne sont plus paradisiaques, ils se sont assombris, deux rochers, deux oiseaux ont remplacé les fleurs. La jeune fille porte des vêtements bien plus confortables Le gris, le sombre, le hachuré, se mêlant au rose, donnent une impression de mouvement, de vitalité, sur sa chevelure, son allure, son visage.

Ainsi, le livre à peine sous les yeux, on comprend être en présence d’un objet confectionné avec un soin particulier. Les pages sont reliées, les couleurs sur un papier mat se prononcent dans l’éveil du regard, les dessins faussement naïfs assurent l’enfant lecteur d’un univers familier où il déambule communément, le texte oscille entre le classicisme des situations, des fonctions du conte, et l’élan poétique libérateur. La situation initiale est commune : un couple royal cherche à marier sa fille qui n’éprouve aucun sentiment pour les prétendants qui se bousculent à sa porte. Or, le cœur de la jeune fille ne battra que pour une princesse nouvellement arrivée au royaume.

C’est donc par la sensibilité que l’homosexualité est abordée. La fin euphorique invite le jeune lectorat à comprendre ce que la vie fait naître, non depuis les opinions toutes faites mais depuis la sensibilité, depuis les sentiments. Loin de prôner l’anticonformisme, l’album exemplifie une situation humaine qui s’inscrit dans un enjeu de société. Mais plutôt que de passer par l’argumentation prescriptive -celle courante et moralisatrice de la tolérance, du droit à la différence etc.- les autrices recouvrent le schème classique du conte par une situation sociale actuelle. Et c’est par l’abord des sentiments que l’enfant est appelé à rencontrer la problématique de l’homosexualité.

En fin d’ouvrage, une page explicite en termes simples comment les princesses du conte pourront avoir des enfants si elles le désirent. De par la présence de cette postface, l’album s’ouvre à un lectorat qui dépasse les enfants de six ou sept ans visés initialement. L’album sera le bienvenu dans les bacs des centres de documentation pour les élèves de sixième voire de cinquième. En effet, le texte de Brigitte Minne permet à la fois une lecture autonome des enfants, au-delà de huit ans, et une lecture accompagnée, en deçà.

Annie Mas & Philippe Geneste

 

MAJOR Lénia, Á L’Orée des fées, illustrations Cathy DELASSAY, Tom’poche, 2014, 30 p. 5€50

« Mes douceurs servent à se régaler, rigoler, partager, Mais pas à s’empiffrer, on n’est pas des gorets ! »

Dès la couverture, l’illustratrice fait mouche : délicatesse du trait, sensualité des couleurs et de leur matière, onirisme en reconnaissance du motif, soulignement d’un horizon d’attente entre nostalgie, tendresse et recherche de soi. Le titre nous porte à l’orée du livre, nous invite à entrer dans la forêt des vers qui composent en rimes libres les poèmes. Chaque poème est déposé sur le lit d’une illustration qui couvre la double page. Poème, comptine, formulette comportent un titre qui sonne comme le nom d’une enfant à l’oreille de laquelle susurre une fée taquine ou protectrice, irrévérencieuse un peu. Puis, les titres annoncent la vie d’une fée précise, liée à la nuit, à l’aurore, au feu ou à l’eau, à l’hiver ou au printemps. Enfin, des inconnues font leur entrée, l’indisciplinée Line, La paresseuse Couldouce, la gourmande Candi.

Le livre refermé, c’est un hymne à l’amour que le jeune lecteur ou la jeune lectrice auront lu. L’ouvrage aura, le temps de sa lecture, abstrait le jeune lectorat de l’idéologie consumériste, celle de la quantité, pour lui faire vivre un moment de choix singuliers, qualitatifs : un bonheur de la beauté des mots, de la musique des images, un moment décalé de synesthésie en univers juvénile.

Philippe Geneste

22/11/2020

Résistance par temps obscurs : une histoire d’enfance

 Maricourt, Thierry, Les Vikings contre Hitler, Le Calicot, 2019, 254 p. 12€50

Bel ouvrage de Thierry Maricourt, bien écrit, et intelligemment composé. D’autre part, lui qui, d’habitude, privilégie la sensibilité sociale, écrit ici un roman didactique : une carte, par exemple, permet au jeune lectorat de suivre aisément les pérégrinations du personnage ; la volonté de le familiariser avec la géographie de la Scandinavie est évidente. Le choix du genre du roman historique pour les 12-16 ans est-il à l’origine de cette inflexion ?

Il s’agit d’une narration rétrospective par un vieil homme qui se souvient de son enfance suédoise, soixante-quinze ans plus tôt, au moment de la seconde guerre mondiale. Á ce premier narrateur (le vieil homme) s’ajoute la première personne du personnage (l’enfant) quand celui-ci narre sa propre histoire. Les deux narrations se croisent pour tricoter l’histoire. Ce dispositif narratif permet à l’auteur de réaliser un pas de côté par rapport à la norme établie dans le roman historique destiné aux jeunes lecteurs.

Le père de l’enfant est un chef de la résistance de Scandinavie. L’enfant, Stig, dont la mère est morte, accompagne son père dans ses pérégrinations à travers la Suède, le Danemark et la Norvège. La Finlande est évoquée mais n’est pas traversée par les aventures romanesques contées. On suit leur vie clandestine au Danemark en 1942, puis le retour en Suède en 1944 avec la tragique histoire de Judith, jeune fille juive recueillie par une famille mais soumise au harcèlement des nazis qui font pression sur le gouvernement pour la récupérer. Et puis on part en Norvège où l’enfant devenu adolescent participe à un groupe de résistants et de résistantes.

L’auteur ne masque pas son attrait pour ces pays et sa sympathie pour les mouvements de résistance à l’occupant nazi (Danemark, Norvège) ou au gouvernement Allemand (Suède qui défend sa neutralité) qu’ils abritaient. Cette attirance et la focalisation sur les mouvements de résistance laissent dans l’ombre le rôle des gouvernements fantoches et collaborateurs mis en place par l’occupant.

Ce qui frappe, dans cet ouvrage, c’est d’abord la place dévolue à l’Histoire. Elle n’est pas un arrière-plan pour quelque aventure tragique ; elle est actrice, elle façonne la personnalité de Stig, elle est un matériau du roman. De plus, même si des épisodes sont inventés, l’ouvrage est documenté. Par ailleurs, contrairement à la plupart des récits historiques pour la jeunesse, celui-ci fait connaître la Scandinavie, jamais enseignée dans les cours consacrés à la seconde guerre mondiale. Le livre donc échappe au nationalo-centrisme habituel. Chose rare, l’Histoire, dans le roman, n’apparaît pas, en clôture de l’ouvrage, comme une fin de l’histoire mais laisse celle-ci ouverte, sans leçon : « Bien sûr qu’il faudrait interdire toutes les guerres (…) Et j’ai employé les armes à l’encontre [des nazis] et je ne le regrette pas ». Après la guerre ? « Le monde serait comme il avait toujours été. Avec sa cruauté. Ses injustices. Ses malheurs » (p.242 et 243). Le narrateur combat le nazisme comme un mal absolu, parce qu’il faut combattre le racisme, mais il laisse le jeune lectorat s’interroger grâce à des incises diverses.

Les Vikings contre Hitler conte un destin individuel (Stig, enfant devenu plus tard dessinateur puis narrateur du roman) traversant des événements historiques qui l’éprouvent et le transforment. En ce sens, comme souvent dans le secteur de la littérature de jeunesse, le roman historique est aussi un roman d’apprentissage (1). La violence, vécue par le narrateur enfant, n’y est certes pas décrite, mais évoquée et rapportée symboliquement. Stig lui doit d’avoir forgé sa personnalité. Cependant, s’il flirte avec le roman d’apprentissage, Les Vikings contre Hitler reste d’abord un roman historique. En effet, l’autonomie de l’enfant est due au décès précoce de sa mère puis à la disparition de son père, et sa personnalité ne se façonne pas tant au contact de la réalité sociale qu’à celle des événements historiques et d’un engagement politique propre à ce moment de l’Histoire de la Scandinavie. Ce choix porte le jeune lectorat à interroger les valeurs d’altruisme, de solidarité, d’entraide, mais aussi de lutte pour une société meilleure.

Philippe Geneste

(1) Voir Philippe Geneste « Le Roman historique pour la jeunesse » et « Le roman historique pour la jeunesse est-il un roman d’apprentissage ? » dans Escarpit, Denise, La Littérature de la jeunesse. Itinéraires d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard, 2008, pp.416 à 426

15/11/2020

Un homme sans reproche...

 CORLIER Isabelle, Ring est, éditions Mijade, 2020, 330 pages, 12€

La loi du genre du roman policier est de laisser au lecteur le privilège de découvrir la solution de l’énigme. Cette loi afflige le critique ou le chroniqueur qui, s’ils analysent dévoilent et font perdre tout l’intérêt de la lecture, l’assèchent en galvaudant la dynamique propre du texte. L’intrigue du passionnant roman d’Isabelle Corlier, Ring est, ne se noue pas, comme un banal livre policier, par la recherche du meurtrier connu ici dès le début. 

Elle est tissée par les emmêlements de la réalité et du rêve, des événements présents où se glisse parfois la réminiscence du passé, l’évocation d’une femme aimée morte des suites d’un accouchement difficile, du quiproquo de certains dialogues. Ainsi, même si nous connaissons l’identité du criminel, même si nous avons une longueur d’avance sur l’enquêteur et une hauteur de vue sur ses pauvres errements, sommes-nous sans cesse menés, tenus en éveil, par l’écriture savoureuse de l’autrice.

Mais qu’est-ce qu’il a pris au juge Aubry Dabancourt, reconnu pour son intégrité ? Sa brutalité, son passage à l’acte proviendrait-il de l’amertume devant son éviction sur une enquête prometteuse concernant le meurtre très médiatisé d’une famille de la haute bourgeoisie Bruxelloise ? De son désarroi face aux pleurs répétés de sa fillette âgée de quelques mois, que seule une promenade en voiture peut calmer ? De son chagrin après la mort de sa compagne, mort ressentie comme un abandon ? De ces raisons et bien d’autres encore, de sa maison à venir, toujours en travaux, de la nuit de novembre qui tombe si tôt, du brouillard, de la pluie, enfin de toutes les colères diffuses qui épousent ses errements dans le trafic dense de l’autoroute encerclant Bruxelles… Et qui le conduisent au meurtre d’un chauffard, un bourgeois comme lui, un mâle dominant aussi brutal que lui.

Pensant le manipuler, Dabancourt charge un jeune inspecteur, Boulal Zakaria, de mener l’enquête. L’inspecteur, surnommé Zak, ne néglige aucun indice : drame de la jalousie, querelle amoureuse, chien battu, tué, vol de tableau, racisme aussi peut-être… Finira-t-il enfin par résoudre l’enquête ?

Les marges de ce roman n’effacent pas son message féministe face au machisme, qu’il soit d’Aubry Dabancourt qui trompa allègrement sa femme même jusqu’à la naissance de leur enfant ; de Zak qui s’est servi d’une jeune stagiaire, jusqu’à l’indécence, pour trouver un indice, comme il s’est servi de la finesse, de la tendresse de son amante ; du machisme enfin de la victime elle-même qui trahit de son vivant et sa femme et sa maîtresse. Ces comportements n’ont rien à envier à la brutalité d’un criminel comme Dabancourt ou d’un tueur d’animal familier, comme Lambert qui s’en prit à Chance, la chienne adorée d’Alice, son épouse. Par contraste, les héroïnes sont bien plus dignes d’intérêt, plus généreuses et sensibles, plus proches enfin de ce que l’on nomme l’intelligence humaine.

La finesse de l’intrigue, l’allégresse du style et les thèmes que soulèvent ce roman -faisant appel tant à la psychologie qu’à la sociologie-, devraient lui ouvrir, dès l’adolescence, les rayons des bibliothèques : non seulement celui des romans noirs mais aussi celui de la littérature générale.

Annie Mas

 

08/11/2020

Plongée dans la monstruosité

 

Compte-rendu des bandes dessinées Zombillénium de l'auteur français Arthur De Pins :

Le premier tome, Gretchen, est paru en 2010.

►Le second, Ressources humaines, est paru en 2011.

► Le troisième, Controls Freaks en 2013.

► Le quatrième La fille de l'air est paru en 2018.

► Et le cinquième tome, Vendredi noir, va paraître en fin novembre 2020.

Toutes les bandes dessinées sont parues aux éditions Dupuis au prix de 14,50 euros chacune

 Résumé

Imagine que tu te promènes au parc d'attraction Zombillénium, un peu plus petit mais presque aussi célèbre que Disney. Il y a là aussi des manèges, des vendeurs de ballons, de bonbons, de jouets... Les décors qui t'entourent sont simplement liés à un univers halloweenesque (train fantôme, maison hantée...), plutôt logique vu le nom du parc. Au lieu de rencontrer l'adorable Mickey, de belles princesse et la Reine des neiges, les personnages autour de toi sont tous des monstres. Mais, ce que tu ignores, innocent visiteur, c'est que ce que tu crois être des déguisements n'en sont pas ! Tous les employés du parc sont, réellement, des zombies, des vampires, des loups-garous, des squelettes, des fantômes et autres créatures... Tous ces malheureux ont, en réalité, été piégés par le cruel Behemoth, propriétaire du parc, et ses sbires. S'ils peuvent, ponctuellement, en sortir, les monstres sont obligés de retourner y travailler sous peine d'être « licenciés ». Plus clairement, sous peine d'être brûlés sur place ou bien envoyés au niveau -9, qui ressemble un peu à l'Enfer, si vous voulez mon avis...

Et, cher visiteur, il y a même pire que cela... Tu l'as sûrement deviné, si un touriste meurt à l'intérieur du parc, son âme appartient à Behemoth ! Cet odieux démon contrôle les monstres en les faisant travailler pour attirer le plus de visiteurs possibles afin d'envoyer de l'argent, du fric, aux actionnaires. Un vrai « Control Freaks » (1), si j'ose dire... Il cherche, en même temps, à posséder d'autres âmes, en faisant toutefois attention à ne pas éveiller les soupçons chez les humains...

 Mais, je me rends compte que je noircis le tableau et risque de te faire fuir... Il y a aussi des gens sympathiques à Zombillénium. Par exemple son directeur, le vampire Francis Von Bloodt. Très apprécié par les employés, il se bat depuis plus de cent ans pour interdire les meurtres au sein du parc. Après avoir malencontreusement tué le jeune Aurélien Zahner dans un accident de voiture, il accepte de le mordre pour le sauver. Bon, à cause de ça, Aurélien est condamné à être au service du parc pour l'éternité. En plus, un loup-garou va le mordre peu après, ce qui fait que le jeune homme devient finalement un démon ! Mais, heureusement pour lui, la charmante Gretchen le protège. Cette jeune et brillante sorcière, officiellement stagiaire au parc, est la seule employée vivante et ne subit donc pas la malédiction de ses collègues. Elle cache cependant un terrible secret... Quant à Sirius, squelette stylé délégué du personnel et représentant syndical, il prend la défense des monstres en difficulté. Tout comme Francis, Gretchen et d'autres créatures, il refuse de tuer des visiteurs au profit de Behemoth. Ce qui risque, j'en ai peur, de leur causer à tous des ennuis...

 Mon avis

J'ai adoré les bandes dessinées Zombillénium qui sont très humoristiques malgré cet univers un peu sombre. On y trouve beaucoup :

-De jeux de mots, par exemple lorsque Francis précise au sujet d'un vampire nouvellement nommé comme consultant que, malgré une réputation de « carnassier », « il ne mord pas ».

-Des clins d'œil, par exemple au clip vidéo Thriller de Michael Jackson.

-De l'ironie, par exemple lorsque Francis précise à Aurélien qu'il est à présent sous contrat à durée indéterminée au parc.

-Et de très nombreuses situations comiques ou improbables, comme par exemple les interrogations sur la couleur de peau du squelette Sirius.

Au niveau du graphisme, j'ai trouvé que lire Zombillénium, c'est comme être plongé dans un dessin animé. L'auteur utilise le logiciel Illustrator pour ses créations. Là aussi, il y a certains détails assez drôles, par exemple Gretchen qui a accroché un snowboard à son balai.

D'ailleurs, le film d'animation Zombillénium est sorti en 2017. Il a été écrit et réalisé par l'auteur français Arthur De Pins, qui est diplômé des Arts Décoratifs, en collaboration avec le réalisateur Alexis Ducord.

J'ai aussi trouvé intéressant le traitement du thème de la souffrance au travail, le profit étant clairement plus important que le bien-être des employés à Zombillénium. Dans une interview (2), l'auteur explique que le masque monstrueux de ses personnages lui permet de représenter la hiérarchie de l'entreprise : « Dans les années 90, il n’y avait pas beaucoup de fantastique en cinéma ou en littérature, et moi, mon but à l’époque était d’écrire des histoires fantastiques, mais avec un pont vers le quotidien, la vie de tous les jours [...] J'ai imaginé plusieurs catégories de monstres, et pour les implanter dans l’entreprise, j’ai imaginé que chaque catégorie correspondait à une catégorie professionnelle. C’est-à-dire les ouvriers étaient les zombies ; ensuite, les cadres sont plutôt des loups-garous ; les dirigeants sont des vampires et le PDG, le diable. Les zombies étant la main-d’œuvre, les emplois précaires, ils sont donc plus nombreux ».

Francis, Sirius, Aurélien et les autres créatures vont-ils réussir à sortir de cet Enfer ? Quels secrets cache Gretchen ? Pour le savoir, nous devons encore attendre la publication du cinquième tome, Vendredi noir, prévue pour fin novembre 2020 !

Milena Mas-Geneste

Notes :

(1) Titre du Tome n°3 de Zombillénium.

(2) « Interview d'Arthur De Pins pour la sortie de Zombillénium », réalisée par Loïc Smars parue dans le magazine Le Suricate le 28 novembre 2013 et disponible en ligne à l'adresse suivante : https://www.lesuricate.org/interview-darthur-pins-sortie-zombillenium

01/11/2020

Poémologie enfantine ou autre

 

BRACQUEMOND Guillaume, Alpha bêta, Tom’poche, 2020, 28 p. 5€50

Cet album aux illustrations malicieuses et humoristique est paru initialement à l’Atelier du Poisson soluble. Il est repris, ici dans un format réduit qui ne nuit pas à son inventivité. Comme l’indique le titre, il s’agit d’un abécédaire. Mais un abécédaire joyeux. Le personnage principal est un renard qui va vivre une aventure scandée par des bulles (soit ses paroles, soit celles d’un ou d’une comparse) qui annoncent une lettre. Et à chaque page, la lettre désignée figure sur un cube. On va ainsi de A à Z. Par exemple, c’est cassé va désigner la lettre C, patratas ! la lettre A, je dois tout ranger la lettre G etc. Et l’ensemble forme une petite histoire de rangement. L’enfant est invité à chercher des lettres avec le petit renard.

Amusant, vecteur d’un dialogue instructif avec l’enfant sans quitter le domaine du ludique, l’album fait pénétrer l’enfant dans l’esprit de la lettre. La correspondance qu’il fait entre ce qu’il entend en finale d’une expression ou d’un mot est figuré par le dessin. Mine de rien, c’est une formidable initiation à la poésie par la facétie (matérialisée par le travail d’illustration). Mais c’est aussi une initiation aux jeux de langage par le dialogisme, qui est, justement, au fondement même de la construction de sa langue par l’enfant.

 

« L’aphoristeur sait, puise dans les mots »

Massot, Jean-Louis, L’A. Á.F.L.A l’Appareil Á Fabriquer Les Aphorismes, mode d’emploi, Cactus inébranlable éditions, 2020, 60 p. 10€

Voici un genre où excelle Jean-Louis Massot. Il maîtrise avec une égale jouissance la brièveté, l’humour et l’art de la chute : « Dans la Dame au Camélia, on découvre vite le pot aux roses. »

Le poète aphoriste met les mots devant leurs responsabilités. Ainsi, « Parfois on voudrait pouvoir revenir en avant », où revenir et avant sont mis à la question pour un alliage impertinent.

La polysémie est convoquée comme modalité rieuse d’étendre le domaine du discours en irradiation du sens déviant sur tout l’énoncé : « Un chirurgien ne réussit pas toujours ses opérations bancaires ».

Et puis il y a le simple jeu de mots : « Il n’y a aucun danger à croiser dans le Sahara occidental un Maure vivant ».

L’aphorisme est aussi un dispositif de déconstruction des stéréotypes langagiers. En cela, l’aphorisme « est une solution avant d’être un problème ». Pourquoi ? Parce qu’il invite le lecteur, la lectrice, à se mettre à jouer avec les mots, les formules figées. Á chacun de trouver ses mots pour trouver sa vie : « Derrière chaque être humain se cache un aphorisme » ou « Un aphorisme, c’est la voix de son être ».

Derrière le jeu sur les formes, il y a l’investissement par la fonction poétique d’une forme de discours social voire philosophique, d’où les clins d’œil incessants. En même temps, comme sa forme se donne pour énoncé définitif d’une vérité, appliquer l’aphorisme au discours social rient à produire une critique hilarante ou sarcastique des modalités discursives de l’idéologie dominante. C’est là que Jean-Louis Massot introduit une création originale : il abouche l’aphorisme au genre du mode d’emploi. Comme dans le dadaïsme et l’Oulipo, le jeu sur les formes révèle le sens sous-jacent du discours dominant. Ce dernier s’énonce comme discours utilitaire, circonscrit à sa seule fonction de communication et bannissant la rêverie. Or, Jean-Louis Massot nous délivre de ces mécanismes qui contraignent les pensées par le dé-lire du genre du mode d’emploi, qui se hisse en parodie jubilatoire.

En effet, l’ensemble des aphorismes est précédé d’un guide pour leur fabrication. Il ne s’agit que de prendre à contre-pied les poncifs sociétaux, de pastiche des modes d’emploi, de dénonciation de nos sociétés vénales où tout s’achète, s’assure et se paie, de montages verbaux pour faire rire. Pour autant, le langage ayant quand même horreur du vide sémantique, les aphorismes commentent l’actualité contemporaine : « Un aphorisme court en dit long ». Mais ceci sans se prendre la tête car « la paresse n’est pas un état, c’est une politique ». Jean-Louis Massot nous régale et se rassasier de sa nourriture verbale n’a d’égal que « bouffer une curée de pomme-de-terre », même si « Le pire serait de penser qu’on l’a évité » … pensons à la mise en péril de la survie de l’humanité par le capitalisme. Peut-être qu’un jour, l’aphorisme ne sera plus suffisant qui édicte : « on sousvit comme on peut ».

Philippe Geneste

25/10/2020

La volonté de connaître contre l’asservissement des consciences

 Christopher John, Les Gardiens, traduit de l’anglais par Jean La Gravière, Namur, éditions Mijade, 2020, 255 p.

Deux mondes se font face, deux mondes séparés par une frontière réputée infranchissable. Chaque monde vit dans une bulle, métaphore de la sphère qui enferme, qui interdit l’ouverture, et l’émancipation, comme l’expose si bien le philosophe André Jacob dans son schéma d’anthropo-logique (1). Dans chacun des deux mondes, les relations entre les humains sont imaginaires, les comportements se conforment, et le conformisme n’est-il pas justement cette capacité à rester prisonnier du miroir que la société renvoie à l’individu ? L’éducation, dans l’un et l’autre monde, contribue à ce même but, sous des rituels, des idéaux apparemment différents. Les divertissements étouffent toute prise de conscience, les jeux du cirque dans les cités, la chasse à la campagne :

« Le spectacle est l’idéologie par excellence, parce qu’il expose et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique : l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle » (2)

 Dans ces mondes clos, rien ne sort, rien ne rentre, du moins est-ce la thèse de l’ordre respectif qui y règne. Les infiltrés sont pourchassés, les hors-normes sont éradiqués, physiquement éliminés dans l’un, lobotomisés dans l’autre.

Mais quelques êtres mûrissent en eux leur capacité ancestrale humaine de comprendre l’environnement, de s’approprier le milieu et non de s’y soumettre. Ceux-là ont la volonté, secrètement enfouie, de connaître. Or, de la volonté, il en faut pour qui veut briser le miroir de ces deux mondes qui se réfléchissent : l’un orgueilleux de sa modernité, l’autre fier de son archaïsme conservateur ; l’un celui des cités, à l’architecture futuriste, l’autre, celui de la campagne, figée dans un mode de vie et de gouvernance datant de l’empire britannique à son zénith.

Chaque population est conditionnée à voir l’autre comme une négation de sa propre image, un vide, un néant. Le clivage, entre elles, est entretenu par l’idéologie, chacune cherchant à se protéger de la contamination de l’autre. Alors, oui, il faut que l’ordre règne pour que les images du bonheur, de soi, du social, demeurent stables, ne se floutent pas, ne se lézardent pas. La frontière devient ainsi désirée de chaque côté d’elle-même. Si la frontière cloisonne les deux mondes, à l’intérieur de chaque sphère sociale une division en classes est perpétuée : ouvriers et ouvrières face aux gouvernants invisibles dans les cités ; domestiques assujettis face aux nobles à la campagne.

A la fin du roman, le personnage principal, Rob, un enfant que l’on voit grandir, comprend, après en avoir refoulé la révélation, que le désir de liberté qui l’a poussé à prendre tous les risques pour fuir les cités, le pousse, alors, à fuir le confort du milieu de la noblesse de la campagne. Ce qu’il comprend, c’est que la réalisation de soi n’est possible que par l’effraction pratiquée contre l’assujettissement. Le sujet ne se réalise qu’en en sortant, sinon, l’individu reste individu, citoyen, esclave de la norme.

Ainsi voit-on Rob Randall devenu, après sa fuite, Rob Perrot, s’identifier à son nouveau personnage –l’être social est-il autre chose qu’un personnage ? –, se couler dans les limites que l’imaginaire, individualiste et de classe, de la noblesse a tracées. École et famille ont acculturé l’enfant devenu jeune homme. Ainsi comprend-on grâce à l’action de révoltés, que le pouvoir réel n’est pas détenu par les gouvernements des sphères, mais par un gouvernement occulte à cheval sur les deux mondes et qui les supervise, alimentant les légendes respectives qui les fondent, les histoires qui les divisent, nourrissant aussi, dans les cités comme à la campagne, la fiction d’une guerre des confins pour souder chaque patriotisme assujettissant.

John Christopher dépeint donc un univers où le simulacre domine. Le simulacre, c’est quand la représentation du monde s’englue dans l’apparence, y percevant un réel alors qu’il s’agit d’un imaginaire préfabriqué par un pouvoir transfrontière. S’arrachant à sa captation imaginaire de citadin, Rob s’est englué dans l’imaginaire de la noblesse campagnarde.

Le roman touche alors au nœud qui permettra de dénouer l’intrigue. Pour sortir du simulacre, il faut un tiers. Ce tiers a une figure positive et une figure négative. Figure positive, le tiers est l’ami Mike, ce jeune noble révolté qui a sauvé le fuyard de la famine et de l’emprisonnement. Figure négative, le tiers et la mère de Mike, qui a accueilli Rob Randall mué en Rob Perrot, cette mère favorable aux opérations du cerveau qui anéantissent les volontés de connaissance et de révolte des rares récalcitrants et récalcitrantes. Le simulacre règne, le temps est détraqué, le futur impose sa loi dans une sphère, le passé dans l’autre et seul le pouvoir maîtrise le présent. Pour que l’homme ne vive pas sur Terre en étranger à lui-même, ne lui faudra-t-il pas mettre bas toutes les frontières, et les discours xénophobes qu’elles symbolisent, pour reprendre pied, en toute présence au monde ? Pour, reprenant pied, redonner au présent confisqué (présent éternel de tout pouvoir) son inséparable humaine historicité ?

 Dans ce roman, John Christopher, auteur britannique de science-fiction destinée à la jeunesse, poursuit une réflexion, commencée avec Les Montagnes blanches (1967) et Au-delà des terres brûlantes (1971) –ce dernier quasi contemporain de la première édition de The Guardians–, sur la capacité de l’homme à réaliser la liberté au cœur des sociétés qu’il édifie. Un demi-siècle plus tard, Les Gardiens n’a rien perdu de sa perspicacité sociale. Il s’en trouve augmenté d’une perspicacité historique.

Philippe Geneste

(1) voir en particulier Jacob, André, Esquisse d’une anthropo-logique, Paris, CNRS édition, 2011, 239 p.

(2) Debord, Guy, La Société du spectacle, Paris Champion, 1971 (1ère édition 1967), p.140. Est-il besoin de souligner la contemporanéité de ce texte de Debord et de la parution du livre de John Christopher ?

18/10/2020

Des enfants et des jeux


PETIT Cécile, Je fais mes desserts moi-même sans cuisson, illustrations Elena SELENIENE, Milan, 2020, 96 p. 14€90

Le livre s’attache à proposer des recettes pour les tout petits comme pour les enfants plus grands. Le principe est d’éviter le beurre, le chocolat fondu, la crème chaude. Chaque recette comporte 4 à 6 étapes, chacune illustrée sur une page dédiée. Qu’est-ce qu’on y trouve ? tiramisu au chocolat, tarte aux fraises, mousse au chocolat, bûche de noël, petits roulés fourrés… L’édition est ingénieuse : le livre se transforme en livre-chevalet qui permet aux apprentis pâtissiers et pâtissières de suivre des yeux les étapes du gâteau préparé. Les pages sont pelliculées afin d’être lavables. Bref, un livre qui fera passer un bon moment entre parents et enfants, qui stimulera les enfants à faire la cuisine pâtissière dans des instants partagés de bonheur.

Ainsi, grâce à ce livre bien cartonné qui se transforme donc, si nécessaire, en chevalet, et grâce aux illustrations claires des recettes présentées et avec ces photos d’enfants qui vous ressemblent, à toi et tes amis, tu sauras bientôt fabriquer de « mégas » goûters. Accompagné d’un grand marmiton pour les gestes délicats, comme à l’occasion éplucher des fruits, couper de la pâte d’amende, monter la crème en chantilly, tu vas pouvoir, sans risque de te brûler car ces recettes ne nécessitent pas de feu de cuisson, apprendre l’art de la pâtisserie. La recette de la charlotte de fraises, celle du choco-mousse ou des sucettes fourrées, ni celles, si particulières des palets bretons, des spéculoos et du tiramisu n’auront de secrets pour toi.

En attendant Noël et la bûche poire-caramel, le printemps et la charlotte aux fraises, puis l’été avec les framboises glacées, profite avec tes camarades des après-midis de pluie pour malaxer, façonner, tapisser les moules à cake pour savourer, offrir et partager toutes les recettes de ce livre précieux.

Annie Mas

DENIS Marie-Nina, BEGHYN Benoit, Raconte-nous, 110 cartes pour aider à la narration et développer la créativité, Tom Pousse, 2020, 110 cartes+ livret, 14€

Présenté sous la forme d’un coffret, ce jeu créatif comprend 44 cartes personnage, 39 cartes objet (dans le sens d’objet de l’aventure d’un personnage), 24 cartes décor (endroit où se déroule l’action ou l’histoire) et 3 cartes joker (permettant au joueur d’inventer un personnage, un objet ou un décor de son choix). Avec ces cartes, trois jeux sont disponibles : un jeu raconte-nous un héros ; un jeu raconte-nous une histoire ; un jeu cadavre exquis. Le premier jeu permet de créer un personnage ; le second de créer une narration ; le troisième de créer une histoire collective. On l’aura compris, c’est un moyen ludique pour apprendre à construire un récit. De plus, il peut être utilisé par des enfants comme par des adultes. Chacun des jeux peut se jouer jusqu’à 10 joueurs.

Les trois jeux peuvent se dérouler à l’oral comme à l’écrit. Le livret, très simple, court, permet d’aider les joueurs. Par exemple, pour le jeu 1, un ensemble de questions est proposé et les joueurs répondent afin de construire leur personnage. Le jeu 2 peut s’appuyer sur le jeu 1 ou se faire à part. Il peut aussi s’étoffer par l’ajout de personnages : un qui aide le héros ou l’héroïne, un qui le gêne ou lui met des bâtons dans les roues. Enfin, le jeu 3 se joue à l’oral et chacun improvise sur chaque carte tirée à tour de rôle.

On peut compléter le jeu si on veut, et faire ses propres règles. Bref, ce coffret est un incitateur à la création d‘histoires, il peut être un moyen ludique d’aborder le schéma de narration. Il peut être utilisé en famille, entre amis et aies, être présent dans les foyers socio-éducatifs des établissements scolaires, dans les lieux du périscolaire, dans les classes, dans les CDI. Il peut être utilisé durant les études ou études dirigées. Une belle création de Tom Pousse.

Zamorano Cécile, Je joue, j’apprends l’orthographe, illustrations de Pepillo, Nathan, 2018, livre + cartes à jouer, 12€90

Le petit coffret à destination des élèves du CP repose sur des dessins et des confrontations deux à deux de mots homonymes. La manipulation de cartes à jouer comportant le mot pour répondre à des phrases à trou. Quelques astuces, certaines ficelles anciennes traditionnelles, d’autres plus ancrées dans le domaine des professionnels orthophonistes, complètent la conception de cette livraison. L’orthographe reste, pour les éditeurs, un inépuisable filon de ventes.

Philippe Geneste

11/10/2020

« car sans toi, une chambre froide… »

 

MOESCHLER Vinciane, À Corps parfait, éditions le Muscadier, 2020, 222 pages, 13€50

« Je suis perdue dans un nulle part, un lieu où personne n’a le droit d’exister » … Ainsi, en 1978, s’exprimait Valérie Valère, dans son récit si brillant, si marquant, Le Pavillon des enfants fous. Elle avait alors quinze ans, elle y narrait sa solitude, son écœurement face à la cruauté de l’hôpital psychiatrique où on l’avait enfermée, pour, disait-on, la guérir de l’anorexie mentale dont elle souffrait.  Son univers familial, reflet d’une société mortifère, l’indifférence, le manque de tendresse et de présence, d’attention de sa mère, étaient dénoncés avec rage.

Dans le roman de Moeschler Vinciane, A Corps parfait, Audrey est une jeune fille de quinze ans à la silhouette gracile…  Pour sa nuque délicate, pour un grain de beauté entre ses cheveux relevés, Anton, un camarade de sa classe, assis en cours juste derrière elle, devient amoureux.

Par les voix mêlées de ces deux adolescents, le roman se tisse et vibre tel un accord parfait - et cela malgré leurs différences sociales, elle, issue de parents bourgeois que l’on dirait « bobos », lui, de parents prolétaires et, comme il dit, d’origine « hybride » -.

Audrey a une meilleure amie, nommée Manon, qui vient comme elle de déménager. Toutes deux sont nouvelles dans ce lycée, où Manon se montre à l’aise et chaleureuse, tandis qu’Audrey paraît secrète, solitaire. Mais Manon l’introduit toujours dans le cercle de ses connaissances. Audrey n’a qu’un modèle, sa mère. Journaliste à succès, celle-ci parcourt le monde pour témoigner de la misère humaine en Asie, en Afrique. Mais elle ignore la détresse de sa fille et ses demandes silencieuses de complicité, de présence attentive. Quant au père d’Audrey, il est souvent absent, homme d’affaire au Japon. Mais du Japon, Audrey a retenu la poésie, et écrit des haïkus sensibles, qu’elle égrène en joyaux purs. Jeune fille exigeante pour elle-même, Audrey déteste le désordre et le superflu, tout ce qui semblerait masquer en couches étouffantes un secret, un cauchemar. De son corps lui-même aucune rondeur ne doit dépasser, et à quinze ans elle n’a jamais eu de menstrues. C’est elle, ses parents absents, qui prépare les repas, qu’elle élabore copieux pour son petit frère Tom et pour leur grand-mère venue les garder, et à très basses calories pour elle… lorsqu’elle mange.

Mais bientôt la jeune fille ne peut ignorer le souffle d’un regard posé sur sa nuque, le souffle d’un ailleurs, le souffle de vie d’Anton… Anton, maladroit, hâbleur, plein d’un talent que ne reconnaît pas l’école et qui devient petit à petit « Mon Anton ». Chez lui, les fins de mois sont difficiles et son père, conducteur de métro, a perdu son aura de héros ; sa mère déborde maintenant d’un peu trop de tendresse.

Mais, peut-être, est-ce de l’univers de ses parents que l’adolescent va trouver la force, le courage de parler à celle qui le méprisait un peu, la mère de son amie, afin de déchirer le voile d’un passé étouffant. Seulement après les révélations de sa mère, Audrey pourra guérir, s’autoriser à vivre, à aimer.

En quatrième page de couverture, les éditions Le Muscadier nous laissent imaginer l’autrice de ce roman, Vinciane Moeschler, entourée de chats qui se lovent près de ses feuillets. A nous de les imiter, de nous envelopper dans sa belle écriture, de nous émouvoir de l’histoire d’Audrey et d’Anton, de les rejoindre un peu,

Et avec délices

C’est le temps de nous glisser

Au velours des mots

Mas Annie

 

DISDERO Mireille, Ce point qu’il faut atteindre, éditions le Muscadier, 2020, 188 pages, 13€50

Vanessa Springola a publié en 2019 un récit autobiographique, Le consentement. Il lui a fallu plus de trente ans pour mettre en mot l’emprise qu’un écrivain célèbre a eu sur elle dès ses quatorze ans. Cet écrivain ne se cachait pas et même tirait profit dans ses écrits, dans les médias, de ses actes de pédophile, rendant, ainsi qu’elle le souligne, la société complice et consentante. Enfin, Vanessa Springola démontre qu’à l’emprise sexuelle son prédateur ajoutait une présence abusive, étouffante, jusque dans ses écrits de jeune fille férue de littérature.

Violette a dix-sept ans. Le roman de Disdéro Mireille, Ce point qu’il faut atteindre, vibre de la souffrance de cette jeune fille, meurtrie au plus profond d’elle-même. Violette, elle aussi, aime écrire. Et pour partager ses mots, ses pensées, elle anime, en plus d’un blog personnel -ses carnets de poésie-, un atelier d’écriture en ligne, Pen Touch, dont la responsable et modératrice se nomme Lily de la Lagune. Très vite un homme plus âgé, qui signe Ahriman, vient submerger de conseils et de suggestions les textes de Violette. Thibault, ami de la jeune fille depuis le collège ne supporte pas l’arrogance, la prégnance sournoise de ce faux littéraire. Depuis ce début d’année scolaire, Thibault et Violette éprouvent des sentiments bien plus tendres que leur ancienne camaraderie.

Un jour sombre de novembre, revenant d’une fête donnée par Ahriman en l’honneur de Pen Touch, à Paris, Violette, si chaleureuse avant, devient agressive, ne supportant plus ses camarades. Elle ressent à leur approche, comme une menace : le monde extérieur vient la blesser, la détruire, pareil à des lames aiguisées. Dans ses cauchemars récurrents, enserrant son corps, le glaçant, se dressent les murs d’une chambre froide, où l’on stocke des denrées périssables.

Comment Violette, aux prises d’un prédateur, brise le mystère de cette nuit parisienne ? Comment déjoue-t-elle les manigances de faux amis ? Comment l’amour de Thibault l’aide-t-elle à se reconstruire, à retrouver son intégrité, à soigner les fêlures de son corps et de son esprit ? Comment l’aide-t-il à « atteindre ce point qu’il faut atteindre… pour ne plus jamais reculer » ? Á porter plainte, plus pour retrouver maîtrise de son être, et pour empêcher d’autres viols que par confiance en la justice ? Les réponses sont lovées dans l’entrelacement secret des paroles de Violette et Thibault.

Mireille Disdero vient nous offrir par ces pages un très beau roman polyphonique.

Cette œuvre fait écho à celles de Vincienne Moeschler et de Claire Gratias (1), où la voix sensible de Valentin nous conte l’histoire de son amoureuse, la silencieuse Manon. Dans ces trois romans, les éditions Le Muscadier tiennent la promesse d’offrir des romans de qualité dans l’exigence d’écriture, où témoignages sociaux et références littéraires font œuvre commune…

Quant au titre de cette chronique, il vient de l’émotion devant l’enfant des banlieues, l’élève que méprise son professeur de littérature, Anton, glissant un poème de Paul Verlaine dans le sac d’Audrey… Sans être aimé, rien n’est possible, l’existence n’est que l’ombre d’elle-même, dit le poète. Et sans toi, jeune fille en souffrance, sans vous, lectrices, lecteurs sensibles, le monde finirait par s’assombrir, se glacer, deviendrait… une chambre froide.

Mas Annie

(1) Gratias, Claire, Je voulais juste être libre, Le Muscadier, 2019, 212 p. Cf. le blog du 12 août 2020.