Vintage, mot en vogue depuis les débuts de la seconde décennie du vingt
et unième siècle signifie originellement vendange, cru, bref, nous parle de
quelque chose qui vieillit bien. Alors que, dans la société, le mot marque un
zeste de nostalgie d’une époque ancienne plus florissante, celle des années des
trente glorieuses mythifiées par la théorie économique, en littérature de
jeunesse, il annonce plutôt un état historique de la culture destinée à la
jeunesse. Après la lutte des années mille neuf cent soixante-dix pour la
reconnaissance du secteur jeunesse et son affranchissement de la morale sociale
étriquée, son élan d’accompagnement de la libération de l’enfance, la
littérature jeunesse est désormais installée dans le paysage culturel comme un secteur
économique et éditorial à part entière. Les rééditions sont autant des
consolidations que des constitutions d’un socle patrimonial pour asseoir la
littérature de jeunesse. Plus qu’offensives, les rééditions vintage sont à lire comme défensives d’une vision
de l’enfance où, quand il s’agit de vieil album, c’est la vision adulte qui
l’emporte sur le goût de la jeunesse présente.
La collection Un petit livre
d’argent
Signe des temps, la littérature
de jeunesse fait retour sur son passé à l’adresse des grands-parents. Les
éditions des Deux Coqs d’or, reproduisent une collection lancée en 1954 avec
textes et illustrations originaux. On y trouve Le Corbeau et le
renard (illustrations de Romain Simon pour les trois
fables contenues dans l’ouvrage), Le Chat botté (adaptation
avec des illustrations de Paul Durand), Cric et Crac en Grande
Bretagne (illustrations de Gongalov), La Belle au bois
dormant (adaptation avec des illustrations de Paul Durand).
Ce sont des livres souples de huit pages (1€70).
Keats Ezra
Jack, Un Garçon sachant siffler, traduction de Michèle Moreau, Didier
jeunesse, collection cligne cligne, 2012,
40 p. 11€90
Le rêve de
Peter, c’est de siffler. Peter est un garçon noir. On ne le voit que dans la
rue, où il joue, s’entraîne au sifflement, joue avec le chien, se cache. A la
fin de l’album, à force de persévérance, Peter aura grandi, il saura siffler.
On le voir aller faire les courses en sifflant accompagné de Willie le chien.
Cet album est d’une modernité absolue. Les peintures sont géométriques, les
couleurs prolifèrent, chatoyantes, d’une ville quelconque des USA. Tant par le
dessin que par le jeu des traits à la craie du jeune héros sur le trottoir, que
par le texte sobre, sans style avéré, mais obligeant le lectorat à revenir aux
dessins dans lesquels il se trouve inscrit, l’album pose ce récit d’initiation
dans la tonalité gaie de l’humour.
Avec une
première édition aux USA en 1964, c’est la première fois que ce classique de la
littérature pour la jeunesse américaine est traduit en France. Keats, de son
vrai nom Jacob Ezra Katz, fut le premier auteur à faire une place centrale aux
enfants noirs dans la littérature de jeunesse américaine. Pour cet album, il
s’est inspiré de photographies des rues mêlant crayonnage, gouache et collages
pour construire l’univers de Peter.
Il faut saluer
cette heureuse initiative éditoriale de Didier jeunesse.
Vincent Gabrielle, Ernest et Célestine, chez le
photographe, Casterman, 2013, 28 p. 5€95
Vincent Gabrielle, Ernest et Célestine, au musée,
Casterman, 2013, 28 p. 5€95
Morte en 2000,
Gabrielle Vincent, peintre, conteuse et illustratrice est connue, en
particulier, pour la série d’Ernest et Célestine. Les héros sont
des animaux, un ours et une souris, Ernest ayant adopté Célestine. Les titres
reposent sur le contraste des tailles, avec un trait et des couleurs
aquarellées composant un univers doux qui versent dans le tendre. Le premier
ouvrage réédité est une réflexion sur la mémoire autant que sur la famille.
Mais jamais les albums de Gabrielle Vincent ne sont didactiques, c’est leur
force ; ils laissent l’enfant interpréter les scènes et l’histoire
qu’elles suturent. Le texte est sous l’image, laissant deux niveaux de lecture.
Ce qui, autrefois, aurait pu paraître
commun est devenu, avec le temps un choix signifiant de narration
iconico-textuelle. Comme chez La
Fontaine , comme chez Beatrix Potter, l’humanité sourd des
personnages curieusement réunis, donnant crédit à la thèse défendue par
Isabelle Nières-Chevrel : « L’animal
occupe dans la fiction pour enfants une fonction de détour et de mise à
distance » (1). Dans cette série, Ernest et Célestine permettent de
mettre en exergue la relation adulte- enfant, sans la restreindre à la relation
père-fille. Ainsi comprend-on que chaque album prend une dimension de portée
générale. Le sentiment de la peur, par exemple, est scrutée dans Ernest
et Célestine, au musée tout comme y est interrogé la nécessité pour la
peinture d’être regardée avec attention, longuement…. Avis aux lecteurs et
lectrices, évidemment….
(1) Nières-Chevrel, Isabelle, Introduction à la littérature de
jeunesse, Didier jeunesse, 2009, 239 p. 22€50 – p.142
Pienkowski Jan,
La Maison
hantée, Nathan, 2013, 14 p. 24€90
C’est un signe qui ne trompe pas.
La littérature de jeunesse gère ouvertement depuis quelques années un
patrimoine qui lui est propre. Cette réédition du chef d’œuvre de Pienkowski
paru initialement en 1979, en est une preuve supplémentaire. La question qui
vient immédiatement à l’esprit, c’est de savoir si l’univers de l’horreur de
1979 parle encore aux enfants d’aujourd’hui. Le gorille à la
King Kong effraie-t-il ? L’univers
très proche d’Edgar Poe et de Wilde, celui du Portrait de Dorian Gray
ne sont-ils pas excessivement datés ? L’absence de référence à l’univers
vidéaste, filmique, télévisuel, comme l’absence de graphisme du type de ceux
qui font la gloire des jeux de rôle ne sont-elles pas un empêchement majeur à
la lecture jouissive du livre par les enfants de quatre, cinq ou six ans ?
La Maison
hantée ne tomberait-elle pas en ruine, entraînant avec elle toutes ses
références culturelles et littéraires ? Eh bien non ! C’est le
constat unanime de la commission lisez jeunesse. Le livre comble le jeune
lectorat encore non corseté par les formes dominantes anglo-saxonnes de la
culture destinée par nos sociétés occidentales à la jeunesse. Le jeune lectorat
se plaît dans cet univers de folie et de peur. Il n’y est pas en sidération,
pas en situation d’hypnose. L’humour porté par les figures des monstres les
emballe même. Le gorille fait peur et rire à la fois. Nous ne sommes pas dans
la recherche de l’absolu terrassement du jugement du récepteur, de la lectrice.
Comme quoi, l’épanouissement créatif des esprits est une lutte à continuer à
mener. Il ne s’agit pas de dire qu’ avant c’était mieux, ce serait du
conservatisme, mais de dire que l’enfant doit pouvoir se nourrir de toutes les
formes de l’art. Et pour cela, parce que le jugement esthétique est une
construction, une lente édification à l’architecture complexe, il faut qu’il
ait accès à la multitude des formes de l’art et qu’aussi les créations qui se destinent
à la jeunesse travaillent du sein même de l’œuvre l’épanouissement du jugement
enfantin. N’est-ce pas un des enjeux majeurs de la littérature pour la
jeunesse, sinon sa haute visée éthique comme esthétique ?
Provensen, Alice et Martin, La Ronde des animaux, Autrement, collection vintage, 2013, 64 p. 15€
L’ouvrage est un pot pourri où se
côtoient, en général au rythme de doubles pages, des sujets épars :
camouflage, oiseaux, historiettes à sujets multiples, des poèmes, le tout avec
des illustrations d'un réalisme stylisé légèrement comique. Le seul
dénominateur commun est la présence d’animaux. Le livre est paru aux USA en 1952. C 'est un classique de
la littérature destinée à la jeunesse américaine. Bien sûr, il a vieilli, mais
il y a quelques perles comme ces trois « Histoires sans bruit » des
pages 40/41. L’intérêt repose toutefois sur l’aspect brouillon de l’album où se
succèdent des genres très différents sans logique d’ensemble.
Stoddard warburg
Sandol, Je t’adore, traduction d’Emmanuelle Gros, illustrations de Chwast Jacqueline, Casterman, 2014,
56 p. 8€
L’album est paru aux USA en 1965
et s’est imposé comme un classique de la littérature de jeunesse américaine.
C’est une longue variation humoristique et poétique sur l’expression « je
t’adore » (le titre américain est I like you) adressée à quelqu’un, un
parent à son enfant, un enfant à son chat, d’un enfant à un autre enfant etc. Les dessins de Chwast entre
illustrations de livre pour enfant et comics, donnent le ton au texte proposé
par Stoddard Warburg (1927-). On est plus proche du livre illustré que de
l’album. L’ouvrage n’a pas l’unité texte/image/mise en page nécessaire pour
entrer dans le genre de l’album tel qu’il se définit aujourd’hui. On voit, ici,
le décalage d’époque. En revanche, bien que relevant d’une littérature gaie et
volontiers divertissante, il ne manque pas de pointes critiques où l’humain est
tourné en dérision, enfant compris. Le petit format (118x130 mm), la couverture
rouge du livre relié, sa jaquette, en font un objet agréable et soigné.
Sasek Miroslav, Paris, Casterman, 2009, 64 p.
16€50; Sasek Miroslav,
Londres,
Casterman, 2009, 64 p. 16€50; Sasek
Miroslav, Rome, Casterman, 2009, 64 p. 16€50 dès 7 ans
Sasek est un grand illustrateur
des années 60. Il est né à Prague en 1916. En 1948, il fuit la Tchécoslovaquie et
s’installe à Munich. Homme de radio (à radio free Europe), il va finir par se
consacrer à la peinture et sortira, pour la jeunesse, dix portraits de villes.
Il est mort en 1980.
Trois d’entre ses ouvrages sont
réédités par Casterman. Au départ, ils appartenaient à la collection de l’Encyclopédie Casterman pour la jeunesse.
Sasek procède par un mélange de notations historiques, géographiques et
subjectives, celles d’un passant, d’un promeneur attentif aux mœurs. Les
aspects politiques et populaires de l’urbanisation sont absents, conformément
aux idées de l’auteur. On ne peut que le regretter car la ballade dans ces
villes en reste au niveau d’un manuel scolaire, officiel et n’évite pas
toujours le poncif. Les textes sont des légendes de dessins. Ils sont posés
soit à côté, soit au-dessus, soit au-dessous de l’illustration. Cette mise en
page donne un air daté à l’ouvrage. Pour palier à cet effet, l’éditeur adjoint
un appendice « Paris/Londres/Rome
d’hier… à aujourd’hui » qui actualise le propos en évitant de donner
des informations erronées au jeune lectorat.
Il est extrêmement intéressant de
relire, quarante ans après leur parution, ces ouvrages qui ont marqué des
générations. On y mesure l’évolution du livre de jeunesse mais, aussi, on y
(re)découvre des pistes de fraîcheur pour la lecture enfantine de nos jours.
Kathelyn
Dina, Marmouset – Bonjour Marmouset, Casterman, 2015, coffret de deux
ouvrages 24p. + 24 p. 9€95
Née dans les années s1970, la
série Marmouset montre à voir le corps de l’enfant en gros plan avec des
plongées et contre-plongées qui font le délice de la mise en page. Ici, il
s’agit du pied et de la main. Le dessin est d’une ligne claire avec des
couleurs vives passées en aplats. Le texte est abondant, mais gai. Il ne s’agit
pas d’un fac-similé mais d’une nouvelle édition. Dans les années soixante-dix
du vingtième siècle, la littérature de jeunesse a suivi l’élan issu de mai 68
prônant une vision libérale de l’enfance. On retrouve bien cela dans les
volumes de Dina Kathelyn. La volonté d’imprimer du mouvement dans
l’illustration renvoie à cette problématique. L’enfant a les cheveux qui
s’allongent, les parents sortent de l’austérité bourgeoise des années soixante.
Philippe
Geneste