Anachroniques

26/09/2021

S’ouvrir à l’imprévu, accueillir l’inconnu

Promenade sous la terre, illustré par Emiri HAYASHI, Nathan, 2021, 10 p. 9€90

Illustrations en reliefs légers, des tirettes adaptées aux petits doigts, des couvertures aux tranches arrondies, des pages fortement cartonnées, un dessin fourmillant, avec des contours en enluminures brillantes. L’objet du livre : faire prendre conscience des animaux qui vivent sous les pieds du petit d’homme et de femme. L’enfant y découvre la taupe, bien sûr, les souris, le blaireau, les lapins, les fourmis, le renard. L’album privilégie les animaux et leurs petits, ce qui fait de la balade souterraine une promenade tendre.

 GLORIA Hélène, Doubles-croches et crochet du droit, illustrations Julie BOUVOT, Utopique, 2020, 48 p. 10€

Un jeune trompettiste nous raconte son enfance au Caire, sa rencontre avec une enfant Issa qui avait son âge, dix ans. Mais la petite fille se faisait passer pour un garçon afin de pratiquer la boxe, ce que le narrateur va découvrir, par hasard. Entre ainsi la question de la condition de la femme en Égypte. Le récit choisit un dénouement euphorique, dans sa volonté d’insuffler aux enfants un goût pour l’avenir et une attention toute particulière à l’imprévu.

 BOUXOM Sophie, Mon Livre à malaxer – Le chemin de lapin, Bayard, 2021, 2 p. 12€90

Voici un livre en tissu. L’enfant doit aider le héros, le petit lapin à rejoindre un tas de carottes. Il le fait en manipulant un galet de bois qui représente l’animal. Sur le tissu se dessine un labyrinthe, de-ci de-là, des fenêtres en acétate permettent de jouer à cache-cache avec le galet. L’enfant doit aider le petit lapin à rejoindre le potager et pour se frayer un chemin, il doit malaxer le tissu. C’est un livre-jeu qui plaît beaucoup aux tout petits.

Commission lisez jeunesse

 CHOUX Nathalie, Le chemin des animaux et leur repas, Tourbillon, 2021, 10 p. 13€90

Dès 1 an, l’enfant avec l’adulte fera son miel de ce livre sonore. Le sujet, la nourriture, est familier à l’enfant ; juste est-il transposé aux animaux domestiques ou sauvages, proches et lointains, donc. Par une touche l’enfant peut écouter l’énoncé de la quête de l’animal. Se mettant dans sa position, il peut alors choisir avec son doigt un des chemins qui va mener la bête à la pitance convoitée. Si c’est le bon chemin, un bruit est émis. On a donc un accompagnement du geste par le son en cas de pertinence du raisonnement.

De plus, l’ouvrage sert tout autant d’imagier puisque l’enfant doit scruter les images, identifier les figures des différents objets ou éléments naturels qui se trouvent au bout de chacun des chemins qui sont proposés par l’énigme. Il y a donc possibilité d’une recherche active de vocabulaire par le jeu du traçage avec le doigt. L’interaction entre la consigne orale et l’action à mener se double de l’identification visuelle des images simples stylisées aux couleurs vives. La lecture accompagnée par un adulte permet de donner toute son efficience à l’imagier ainsi traversé par les actions enfantines. Tourbillon signe là un livre sonore très pédagogique. Ph.G.

 Deneux Xavier, Les émotions, Milan, collection les imagiers gigognes, 2019, 16 p. 12€50

Voici un ouvrage très créatif qui s’adresse aux enfants à partir de 2 ans. La lecture doit en être accompagnée par l’adulte pour que l’enfant bénéficie de la puissance efficiente de l’album. Les émotions sont créées en creux et en relief. Le plein et le creux sont les vecteurs de l’accès aux émotions que l’adulte lecteur viendra à définir par des situations imaginaires, pour beaucoup animalières. Ce choix du pleine t du creux signifie aussi que c’est par le toucher que l’auteur veut faire aborder la thématique des émotions aux tout petits. Et c’est réussi. L’album enthousiasme. Les expérimentations avec des tout-petits de la commission lisez jeunesse le prouvent. Le prix peut paraître élevé, mais c’est un format carré confortable (180mmx180mm), les pages sont fortement cartonnées, ce que nécessitent par ailleurs les illustrations en relief ou creusées dans la page. Sont abordés dans l’ordre : la joie, la tristesse, le courage, la peur, le calme, la colère, l’ennui, la surprise. On peut lire en suivant l’ordre des pages mais on peut tout aussi bien feuilleter l’ouvrage en fonction des réalités de la vie de l’enfant. Ph.G.

 Zucchelli-Romer Claire, Les émotions au bout des doigts, Milan, 2019, 26 p ; 13€90

Câlin, chatouilles, colère, agacement, ordre, tristesse, joie, peur, ennui, énervement, sont les émotions traitées par ce petit ouvrage. L’enfant est invité à suivre des traits creusés dans les pages pendant que l’adulte prononce onomatopées ou des interjections. Le dessin –ils sont tous géométriques- figure l’émotion en lien avec la couleur de la double page qui le contient. Cette approche sensorielle des émotions peut ne pas convaincre, en revanche, ce qui convainc c’est le dialogue suscité par la composition du livre et qui, immanquablement, rapproche l’enfant et l’adulte par une complicité de jeu à partir du livre et avec le livre. Ph.G.

 

19/09/2021

De la vie quotidienne

GALLISSOT Romain, Le Numérique pas bête pour les 7 à 107 ans, illustrations Pascal LEMAITRE, Bayard jeunesse, 2021, 72 p. 14€90

Un ouvrage de grand format, solidement charpenté autour de 42 chapitres qui sont autant de questions actuelles et pratiques liées à l’usage du numérique. S’y ajoutent un index et un glossaire des plus utiles. Le niveau du discours est simple, les termes techniques sont explicités. Intelligemment, l’auteur replace le numérique contemporain dans son histoire et les inventions qui la traversent. Les protagonistes célèbres de Al Khwârizmi, Ada Lovelace à Edouard Snowden, Mark Zuckerberg, de Grace Hopper, Bill Gates Margaret Hamilton, Douglas Egelbart, etc., sont présentés. La question des mœurs bousculés par le numérique est traitée, le fonctionnement des ordinateurs est décortiqué de manière didactique, la question de l’intelligence des machines fait l’objet de plusieurs interventions, la robotique est analysée avec une présentation des fantasmes qu’elle suscite. Le côté fonctionnel des réseaux sociaux est détaillé, dont l’aspect économique qui est abordé. Fake news, réalité virtuelle, émojis, jeux vidéo, objets connectés font l’objet d’entrées explicatives en lien avec leur usage, ce qui intéresse au premier chef les jeunes lecteurs. La question de la pollution engendrée par l’usage du numérique très gourmand en énergie et terres rares est aussi présentée.

Voici donc un livre charpenté, instruit, qui propose une approche encyclopédique fonctionnelle avec didactisme. Les illustrations très fanzines de Pascal Lemaître apportent humour et légèreté qui aident le jeune lectorat. Le monde du Web est sinon décrypté -il y a toujours des questions laissées en suspens- du moins largement explicité, les comportements face au numérique sont analysés et commentés. C’est un livre qui a été dévoré par nombre des membres de la commission lisez jeunesse qui s’y sont retrouvés, y ont trouvé aussi des réponses à des interrogations sur les propos sociaux et adultes tenus sur le numérique.

La commission lisez Jeunesse et Ph.G.

 

MORO Marie Rose, Quand ça va. Quand ça va pas. Leur(s) famille(s) expliquée(s) aux enfants et aux parents, illustré par Laure MONLOUBOU, Glénat, 2021, 62 p.

Cet ouvrage est un énième livre sur la famille, un livre qui ne déroge pas à l’approche teintée de psychanalyse et socialement favorable à l’institution sociale qu’elle représente. Même dans les crises, la famille est un repère, nous explique-t-on au long du livre et, s’il lui arrive de se défaire, elle se reconstruit : « les familles ne sont pas un problème mais une solution ». La littérature destinée à la jeunesse n’interroge jamais l’institution familiale, sauf dans les contes et dans quelques rares fictions. Toutefois, il n’échappera pas aux lecteurs que le livre parle des familles, ce qui signifie qu’il va aborder les différentes configurations familiales y compris celles à familles multiples. De ce point de vue, et même s’il n’est pas critique sur la famille, Quand ça va… fait un pas vers l’objectivité qu’il serait une erreur de ne pas souligner.

Le livre de Moro commence par une définition large de la famille suivie d’un historique aussi passionnant que clair, pointant l’importance de la condition des femmes dans la redéfinition en cours de la famille. Les fonctions au sein de la famille sont précisément analysées dans les manières diverses de les exercer.

Le livre introduit les enfants et préadolescents -mais des adolescents peuvent consulter ce livre avec bénéfice- à des questions intéressantes comme par exemple : qu’est-ce que faire famille ?

Le livre est aussi ancré dans la réalité contemporaine et s’appuie sur de vraies interrogations d’enfants. Il aborde bien sûr la question de la conception etc.

Cet ouvrage est certes un livre documentaire, mais aussi un livre pratique. Son format d’album de BD facilite l’accès aux informations qui toutes visent à susciter la réflexion ou la discussion. Si le lecteur est un enfant, l’adulte pourra lire parfois avec lui tel ou tel chapitre ; Préadolescent ou adolescent, il le lira seul sans difficulté même si le propos est dense.

 

CODINA Conce, Memento MORI, illustrations d’Aurore PETIT, rouergue, 2021, 40 p. 15€

Conce Codina et Aurore Petit affrontent en direction des enfants un sujet difficile, mais pourtant inséparable du quotidien de la vie, celui de la mort. Couleurs en aplats, vives, dessins stylisés sur un fond de réalisme, multiplicité des détails répartis sur les pages ou doubles pages, l’ouvrage cherche à conserver l’attention du lecteur ou de la lectrice dès 6/7 ans jusqu’à 9/10 ans. L’autrice est partie de questions proches du langage enfantin et y répond. Chaque double page repose sur ce procédé avec des illustrations en commentaire de façon directe ou indirecte. Comment écrire à hauteur d’enfant sur ce sujet ? Conce Codina explore le registre de la simplicité sans s’interdire d’occuper le discours métaphorique. Dans ce dernier cas, Aurore Petit vient en renfort, très nettement afin de guider l’enfant dans l’interprétation. Le livre se finit, dans la logique de son propos, sur le mot « Vivre » car « on ne peut pas tuer la mort, on ne peut pas tuer la vie. Les individus meurent, mais la vie continue, car rien ne s’arrête vraiment. Comme dans la nature, tout se transforme ». Telle est l’écho, dans le texte de l’album, au titre Memento MORI qui signifie « souviens-toi que tu es mortel ». Les illustrations suivent ce travail d’écho puisque dans chacune d’elles, une ombre, un aplat noir, un détail sombre viennent signifier la mort au sein des vives couleurs.

Philippe Geneste

 

12/09/2021

L’espace du livre à la conquête du ciel

Mon Encyclopédie du ciel et de l’espace, Gallimard jeunesse, coll. Mes grandes découvertes, 2020, 136 p. 15€90

Un prix modique pour ce magnifique volume érudit et de composition éditoriale assurée. Les enfants de 6 à 9 ans, et seuls de 9 à 13 ans enrichiront leurs connaissances du ciel. Qu’est-ce que l’espace est le premier chapitre qui traite donc d’astronomie. L’exploration de l’espace mêle savamment les questions propres à l’exploration et des informations, parfois explicatives de certaines étoiles, de Mars, de la lune. Puis retour à l’astronomie avec un chapitre sur le système solaire, qui détaille les planètes selon les dernières connaissances, et un autre qui traite des comètes, des astéroïdes et des météorites. La commission lisez jeunesse s’est passionnée pour ce chapitre. Viennent ensuite l’univers et ses secrets avant un chapitre pratique d’observation du ciel. Mais même dans ces pages, la connaissance encyclopédique intervient au détour des conseils. Á la fin du livre, huit pages interrogent le lecteur ou la lectrice sur les connaissances rencontrées. Ajoutez à cela un glossaire et un index, une iconographie avenante, dense en informations mais aérée dans la mise en page et vous aurez un livre à offrir car Mon encyclopédie du ciel et de l’espace est à la fois un riche documentaire et un beau livre.

 

NICOT Fabrice, Pourquoi La Conquête spatiale ? Ricochet, 2021, 128 p. 12€

Cet ouvrage s’adresse aux préadolescents et adolescents. L’information y est précise, les explications nombreuses. Le livre se compose en neuf parties dont cinq chapitres thématiques : Les satellites relient le monde, Scruter la terre depuis l’espace, Le système solaire quelle aventure !, La guerre dans l’espace ?, Les innovations de la conquête spatiale. A ces chapitres s’ajoutent une introduction et une conclusion, un lexique d’une grande utilité et des pistes pour aller plus loin. L’ouvrage explique avec moult précisions et de manière claire. Pour accrocher le jeune lectorat, il relie les sujets aux préoccupations et mœurs contemporaines. Le jeune comprend alors que ces objets dont il se sert, ordinateurs, smartphones, nécessitent les techniques décrites. Il en apprend l’origine et en suit l’histoire. Le livre se fait alors livre d’économie ou de géopolitique. Il s’appuie sur le rôle des satellites pour l’étude de la Terre, du changement climatique etc., et pour introduire le jeune lectorat à des commentaires spécialisés bien qu’écrits sobrement. Atmosphère, effet de serre, deviennent des sujets limpides. Le système solaire est détaillé, mais en lien avec des découvertes toutes récentes et l’actualité astronomique comme la mission dans lesquelles est engagé l’astronaute Thomas Pesquet 

Mais il n’en reste pas à une scrupuleuse information et à des explications éclairantes. Le livre interroge aussi le rapport des hommes à l’espace. Il n’évite pas, par exemple, le sujet de la conquête spatiale qui recouvrirait une colonisation spatiale. C’est l’occasion de parler des fusées, de leur fonctionnement, de leur effet pollueur, mais aussi de la guerre dans l’espace. Là encore, la géopolitique s’invite. Le livre montre comment la neutralité de l’espace (l’espace appartient à tous) est remise en cause. Enfin, le livre regorge de ponts lancés avec la littérature et l’histoire. Les auteurs de science-fiction apparaissent, les scientifiques et ingénieurs sont présents… S’il nous parle de Mars, le livre revient sur la représentation historique des martiens.

Alors oui, Pourquoi La Conquête spatiale est une somme à prix correct. Une encyclopédie moderne de l’espace en connexion avec les problématiques contemporaines tant techniques, scientifiques qu’humaines et politiques. Il sera une référence pour les passionnés, mais sa lecture aisée l’ouvrira à tous les curieux et à toutes les curieuses. Un livre que tout centre de documentation, toute bibliothèque d’école ou de municipalité choisiront de se procurer.

 

YOSHINO Emiko, TAKAYAMA, Katsuhiho, L’Univers en manga, Bayard jeunesse, 2020, 157 p. 12€90

L’ouvrage commence comme un récit de science-fiction, avec Star Wars pour référence. Chaque événement fait l’objet d’une note de bas de page qui explique le pourquoi du phénomène narré. Pour les besoins du sujet, des extraterrestres sont introduits dans la narration, relançant l’exploration du héros et de l’héroïne. Certaines pages sont consacrées à un exposé informatif ou explicatif. Les inventions techniques des hommes pour observer l’univers sont aussi présentes et explicitées.

Là est l’originalité de la conception du livre : s’appuyer sur le besoin d’évasion des lecteurs et lectrices pour les documenter sur l’univers : « Le soleil un astre qui brûle » ; « la terre berceau de l’humanité », « Voyage vers la lune », explorations de diverses planètes du système solaire, « La naissance des astres », « Les trous noirs », « La voie lactée », « la naissance de l’univers », puis la fin du voyage avec la séparation d’avec l’ami extraterrestre, compagnons des explorations des deux héros. Les curieux et curieuses s’arrêteront sans nul doute sur ces pages exclusivement documentaires, d’autres suivront le voyage d’exploration comme on suit une aventure. Mais même ces derniers apprendront bien des choses au détour des notes. Dès 9 ans, certains enfants se régaleront mais le livre peut être proposé aux enfants de 12 à14 ans tant il est foisonnant de savoirs.

La commission lisez jeunesse

05/09/2021

Dans l’album des récits humains, deux aventures au gré du vent

FOMBELLE, Timothée de, Esther Andersen, illustré par Irène Bonacina, Gallimard jeunesse, 2021, 72 p. 24€90

Cet album de grand format italien est animé de bout en bout par une écriture poétique, avec des images qui se forment dans l’agencement des mots, dans le détournement de groupes verbaux communs qui viennent se fondre ensuite dans une illustration minimaliste d’Irène Bonacina, porteuse d’humour et de haute sensibilité. C’est à celle-ci qu’est dévolue la représentation de l’évolution des sentiments du jeune garçon.

Timothée de Fombelle choisit un de ces moments de l’enfance où le sujet fait l’épreuve de la liberté. Ici, le garçon part en vacances rejoindre son oncle Angelo, personnage solitaire, récupérateur de toutes choses, recycleur des objets délaissés, grand cuisinier de nouilles. Cet oncle, on ne l’approche que par les paroles directes insérées dans le récit de l’enfant qui raconte à la première personne. Dit autrement, cet oncle est une figure symbolique du récit puisqu’il est connu pour sa propension à raconter des histoires à son neveu. De ce personnage émane de la douceur, une volonté d’accueil splendide à l’égard du trouble de l’enfant. Il agit avec une discrétion, un tact où s’inscrit tout ce que l’humanité pourrait être. Quant au héros, il passe des vacances à sillonner la contrée avec son vélo jusqu’au jour où, s’enhardissant sur une route inconnue, il va découvrir la mer dont il ignorait jusqu’à présent l’existence, si près de la maison de l’oncle. Et, à la mer, comme une vision, il va rencontrer Esther Andersen, pour un conte d’amour tendre.

Les images d’Irène Bonacina développent en aquarelles le sentiment qui grandit dans l’âme des deux enfants. Le pouvoir de l’image est tel que le garçon ne dort plus, il est tel que les enfants vont construire -il n’y a pas d’autre mot- une nouvelle rencontre. La fin de l’été adviendra avec la sûre promesse de se retrouver aux vacances prochaines. Minuscule au milieu des larges pages, le texte procède d’un jeu typographique qui laisse en relief la survenance des silhouettes de l’héroïne et du héros. Celles-ci se fondent à leur tour dans le paysage. Et le paysage les attire, les englobe et les enfants s’y glissent, s’y déplacent, à la manière du sentiment amoureux qui les envahit.

Timothée de Fombelle et Irène Bonacina convoquent dans ce conte le thème du voyage, parce qu’il éloigne les convenances. Si l’oncle Angelo cristallise l’humour, c’est parce qu’il est faiseur d’histoires. Quant à l’amour naissant, il irradie progressivement l’album, parce que s’y accomplit au plus haut degré la socialisation des enfants. L’album caractérise ainsi la liberté : une conjugaison de ces trois thèmes, un exercice de l’attachement par la hardiesse d’aller vers l’inconnu. La bifurcation emporte le jeune garçon vers un rehaussement de ses représentations sur le fond des histoires de l’oncle, symboles de la nécessité première du récit pour faire sa vie.

 

BICKFORD-SMITH, Coralie, La Chanson de l’arbre, Gallimard jeunesse, 2021, 62 p. 15€

Dès la couverture au papier granuleux, couverture souple pour un album épais, la poésie s’invite.

Et puis, l’enfant ouvre le livre. La magnificence des illustrations le captive. Avant même toute entrée dans l’histoire, il entre dans les images, fouille du regard au cœur de la frondaison et des branchages d’un arbre rendu magique par le foisonnement des détails et des couleurs. On dirait que chaque double page est la parcelle d’une tenture représentant un arbre de vie, tout mysticisme mis part.

Puis l’enfant reprend le livre au début et commence à lire l’histoire, celle d’un oiseau rouge, un oiseau curieux, jaloux de sa liberté, intrépide par réflexion.

L’enfant s’identifie-t-il à l’oiseau ? Oui, sûrement, car cet oiseau parti du bas de l’arbre va, peu à peu, suivre un chemin ascendant, pour découvrir le monde intérieur du végétal mais aussi profiter des bienfaits de l’hospitalité du logeur branchu et feuillu. La tentation est forte de rester dans ce cocon, mais les saisons tournent et « il faut partir lui chantait le vent… ». L’oiseau ne veut pas laisser son ami et contemple la beauté du paysage vu du plus haut. Alors son chant s’élève, un chant qui dit que le cycle de la nature assure à l’arbre la compagnie de tout l’écosystème dont il est partie prenante. L’oiseau comprend que son aventure intérieure doit faire place à une autre aventure, au dehors, au gré du vent. Il est enfin prêt, son amitié avec l’arbre enracinée en son cœur, à rapporter plus tard le racontage de ses pérégrinations à l’ami amant des nuages.

Quant à l’identification de l’enfant avec l’oiseau rouge, elle est transmission d’un fait incontournable : chaque être vivant, chaque animal, dont les êtres humains, dépend de l’environnement auquel aussi il participe. La Chanson de l’arbre est à la fois un poème, une ode à la nature, et l’allégorie d’un enjeu immédiat de l’espèce humaine. Un beau livre, un livre généreux, foisonnant de couleurs, de traits et de sensibilité.

Philippe Geneste