NIELMAN Louison, Virgin mojito, le muscadier, 2025, 111 p. 13€50
Aborder la prostitution et la sexualité de façon directe n’est
pas, en littérature pour la jeunesse, un pari facile, même encore aujourd’hui.
Le naturalisme tempéré et le glissement vers une problématique aseptisée des
droits de l’homme et du civisme, qui trouve son origine dans les années 1990
(1), restent un frein à une libération de l’approche des problématiques du
corps et de la sexualité à l’intérieur du secteur jeunesse de la littérature.
Les éditions du Muscadier, plus que toutes autres éditions, tentent depuis des
années de débloquer cette situation, ce que l’ouverture du créneau de la
littérature jeune adulte semble permettre la réussite. En même temps, cette
nouvelle catégorie de lectorat peut servir d’écran à celle véritablement visée
de l’adolescence.
Virgin Mojito s’attache à deux
problématiques. La première est celle de la sexualité saisie non pas avec la
distance du documentaire, mais dans l’expérience vécue et réfractée par la
fiction. La seconde est celle de la prostitution, principalement des
adolescentes et jeunes filles, dont les enquêtes multiples montrent l’actualité
vive et souffrante.
La première problématique est abordée par le versant de la
sexualité liée à l’exaltation et la découverte de l’amour d’une adolescente.
C’est un premier volet de l’intrigue, récit d’une relation amoureuse soumise à
la probabilité de sa réalisation. La seconde problématique explore le versant
de la sexualité sans amour, lié, ici, au besoin d’argent. Ce second volet de
l’intrigue intègre au roman les thématiques dominantes du patriarcat, de la
domination masculine et, chose plus rare en littérature de jeunesse, la
relation entre acte sexuel et rémunération de l’acte. Le paiement porte le
fondement du commerce qui est l’aliénation du corps objet d’échange.
Les deux problématiques articulées pour construire la suite
romanesque de Virgin Mojito permettent d’aborder un peu les
processus mentaux et affectifs en jeu dans l’amour et la sexualité. L’intérêt
du livre est d’objectiver la sexualité comme procès mécanique de la chair, et
d’y développer en négatif ce qui fait la relation amoureuse, le désir
envahissant et réciproquement ressenti et captivant.
Une caractéristique sensible du roman de Louison Nielman est
d’aborder, par la seconde problématique, le thème de la honte et de l’indignité
que le commerce projette sur la jeune fille. Le roman en vient ainsi à pointer
la question de l’indépendance de la jeune fille, c’est-à-dire à mettre en scène
le moment où elle retourne le stigmate (2) de la « putain »
qui est le moment où elle prend conscience d’être femme et sujet actif de sa
vie. Virgin Mojito réussit alors à poser le rapport amoureux dans
la toile des relations qui le tissent : corporels, sociaux, féminins et
masculins, mais aussi relation de la personne à son être social et à son être
intime et enfin, la sexualité comme rapport régi par le pouvoir politique d’une
société. Ainsi, la prostitution est bien saisie, à travers l’histoire de
Clémence, comme « un instrument de conditionnement et d’imposition de
ce pouvoir » (3). Et comme la prostitution possède dans la doxa une
dimension morale, Virgin Mojito aborde aussi la sexualité à
partir de cette catégorie, qui, avec le cours contrastif de l’histoire de
Salomé, étend son propos à l’ensemble des deux
problématiques traitées.
Annie Mas
(1) lire Geneste, Philippe, « Les Axes de la
préoccupation sociale dans le roman pour la jeunesse » dans Escarpit,
Denise, La Littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui,
Paris, éditions Magnard, 2008, pp.399-416. — (2) Plumauzille, Clyde, « Prostitution »
dans Rennes, Juliette (sous la direction de), Encyclopédie critique du
genre, Paris, La découverte, 2017, pp.498-410. — (3) Ibid.,
p.499.