DONY, Aurélien, Cric ! Crac ! Les taupes passent à l’attaque, illustrations Nina Neuray, CotCotCot éditions, 2025, 60 p. 16€25
Ce
récit animalier fait se joindre animaux sauvages et êtres humains,
préoccupation écologique de la vie naturelle et préoccupation écologique pour
la vie humaine. Le travail des peintures et encres de Nina Neuray portent avec
une haute intensité le propos que développe Aurélien Dony d’une plume
humoristique, poétique et tendre. Le livre se lit comme un roman en prose,
l’écrivain s’appuyant ostensiblement sur la poésie y compris en sa forme
classique versifiée et rimée, à laquelle il mêle des vers libres. Le texte en
liberté circule dans les généreuses illustrations aux tons sombres, aux formes
inquiètes et perturbées, d’un réalisme joyeux pour la représentation des
personnages et d’une abstraction torturée pour la représentation de la terre et
des dommages qu’elle subit.
Ce
qui est notoire est que jamais dans l’illustration ni dans le texte n’apparaît
la cruauté de la situation. L’auteur et l’illustratrice traitent d’une question
tragique, la destruction de la terre et de l’ensemble du règne du vivant qui
s’y est développé, mais ils ont soin d’éviter toute fascination de l’effroi. Du
même coup, la sensation engendrée par l’art d’écrire et l’art de peindre et
dessiner laisse la place à l’œuvre de la cognition. Ce passage de relai est
assez rare, dans un album. Mais celui-ci s’adresse peut-être plus aux lectrices
et lecteurs qu’aux enfants non encore initiés à la lecture.
L’album
est épais ; il s’offre avec générosité à ces jeunes lecteurs, mais aussi
aux non lecteurs à qui l’adulte raconterait l’histoire. Les soixante pages
content une fable écologique, une fable critique qui campe un univers d’effroi
quant au rapport à la matière et de tendresse quant aux rapports qu’entretient
le personnage principal avec ses congénères et autres protagonistes du règne du
vivant.
La
couverture cartonnée, la reliure solide, ajoutent à l’efficacité de l’histoire
le confort tactile et pratique de la lecture.
MEYNIER Fiona, Tractopelles,
CotCotCot éditions, 2025, 48 p. 17€
L’abstraction
et l’ellipse peuvent-elles atteindre le jeune lectorat ? Cet album proposé
avec hardiesse par CotCotCot en fait le pari. S’il y a bien le fil d’un récit,
puisque se déroule « un discours intégrant une succession d’événements
d’intérêt humain dans l’unité d’une même action » (1), il faut
beaucoup d’imagination au lectorat pour relier entre elles les doubles pages et
les événements qu’elles représentent ou qu’elles contiennent sans les
représenter explicitement. Certes, les magnifiques illustrations
s’interpénètrent au texte pour étayer l’interprétation de la lecture, mais bien
des éléments sont en suspens. La discordance des temps entre le début et fin de
l’histoire (avant 1914 ou 1915, un enfant en luge qui tombe à cause d’une bosse
provenant de la présence d’une pelle ; le même enfant revenant « quelques
années plus tard » – donc autour de 1919 ou 1920 – sur les
lieux) et l’exposé de l’évolution des engins de terrassement depuis la première
guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, ne peut que déstabiliser le jeune lectorat
(surtout que cette partie met en scène le globe-tracteur d’un certain Claude,
qu’on imagine être l’enfant ayant atteint soixante ans). Cette discordance des
temps a déstabilisé la commission lisezjeunesse.
Il
n’en a pas été de même de l’historique documentaire par le récit, approfondi
par les feutres, la gouache et la peinture à essuie-tout, qui suscite la
réflexion sur la transformation du paysage, sur le travail humain effectué sur
le sol, sur l’attention à porter à ce qui nous entoure pour y déceler des
traces du passé, des leçons pour l’avenir aussi.
Tractopelles
pourrait
être nommé album expérimental pour jeune lectorat. Le travail graphique et
pictural emporte une poésie saisissante, faisant primer la fiction sur le
documentaire. Les strates interprétatives du livre semblent autant de paliers
d’entrée qui confondent les corrélations habituelles entre le genre de l’album
et les petits enfants. Tractopelles s’ouvre en âges à un large
lectorat.
Philippe
Geneste
(1) Brémond cité
par Bya, Joseph, « Persistance de la biographie », Le
Discours social. Cahiers de l’Institut de littérature et de techniques
artistiques de masse, n°1, août-septembre 1970, pp.23-32 – p.25.