FERRY Luc (conception), BRUNEAU Clotilde (scénario), Tristan et Iseult 1/5 Le Château de Tintagel, POLI Didier (direction artistique), BAIGUERA Giuseppe, SMULKOWSKI (couleurs), GRELLA Paolo (couverture), Glénat, 2025, 56 p. ; FERRY Luc (conception), BRUNEAU Clotilde (scénario), Tristan et Iseult 2/5 La Blessure du Morholt, POLI Didier (direction artistique), BAIGUERA Giuseppe, SMULKOWSKI (couleurs), GRELLA Paolo (couverture), Glénat, 2025, 48 p.
Un
grand soin est apporté à cette adaptation du récit de Tristan et Iseult.
Dans une postface nourrie, Luc Ferry explique le choix pris de partir de
l’édition de 1972 de René Louis et non de celle de Bédier « réalisée entre
1900 et 1905), la plus couramment utilisée, mais qui souffre de travers moraux
étrangers à la légende dont on connaît les premières traces écrites au XIIème
siècle. La version en bande dessinée proposée est donc une reconstruction à
partir d’une autre reconstruction, mais elle s’enrichit de la connaissance des
textes de Béroul et de l’Anglo-Normand Thomas qui écrivaient entre 1150 et 1190
(on cite généralement 1160 pour la version en vers de Thomas, et 1180 pour
celle de Béroul, mais d’autres dates sont avancées). Enfin, il existe d’autres
versions dont parle la postface.
Le
premier tome conte la naissance douloureuse de Tristan, Blanchefleur, sa mère
mourant en couche. Le père, le roi Rivalen du Duché de Léon en Bretagne,
appelle son fils Tristan, où se reconnaît le mot tristesse car dit-il « Tristan
portera en lui l’amour de sa mère, mais aussi la souffrance de sa perte ».
Le nom synthétise la mort qui donne la vie et le futur sombre d’un amour
confronté à la mort et qui en triomphera, pourtant, en s’unissant au-delà
d’elle. Le défi des créatrices et créateurs est ici de donner toute son
épaisseur au personnage, en le suivant dans son apprentissage de souverain et
de chevalier sous l’enseignement bienveillant de l’écuyer du roi Rivalen,
Gorneval. Puis on assiste à la fuite de Tristan, après l’assassinat de son
père. Il se réfugie chez son oncle, le roi Mark, en Cornouaille.
Le
second volume commence avec le combat contre le Morholt. Les
vocabulaires de l’action héroïque, de l’exploit, de la traitrise et du
merveilleux, investissent ce second tome. Pour le plus grand confort de lecture
l’archaïsme du vocabulaire et de certains tours syntaxiques, un art de la
sentence, organisent une distance avec l’histoire permettant au charme de la
légende d’opérer. Ce volume fait une grande place aux barons félons,
pourtant loyaux au roi Marc. À la fin, le roi Marc croit se soustraire à l’insistance
des barons qui souhaitent qu’il prenne femme pour avoir un enfant, ce qui
éliminerait Tristan du trône que lui a réservé ce roi à sa mort, en disant
qu’il épouserait la femme portant le cheveu qu’un oiseau lui a apporté… Mais
Tristan, qui a reconnu un cheveu d’Iseult, se propose pour l’aller quérir…
ADRIANSEN
Sophie, Outre Mères. Le scandale des avortements forcés à La Réunion,
illustrations ANJALE, Vuibert, 2023, 208 p. 24€90
Cette
bande dessinée est le résultat d’un travail documentaire exceptionnellement
rigoureux, auquel l’éditeur rend hommage avec une chronologie précise et une
bibliographie fouillée.
La
dynamique du récit tient au montage alterné des années 1970 et 1971 à La
Réunion et dans la métropole française, à Paris. À Paris, le gouvernement
criminalise les femmes ayant avorté ainsi que toutes celles et ceux qui les ont
aidées. Le mouvement féministe se bat contre ce pouvoir patriarcal, multipliant
les manifestations originales et pointant du doigt l’hypocrisie du pouvoir.
Alors
qu’en France, la propagande nataliste de Debré se poursuit à l’identique des
premières années de la cinquième République, à la Réunion, dont Michel Debré
fut le député à plusieurs reprises (mai 1963-février 1966 ; avril/mai
1967-juillet/août 1968 ; avril 1973-avril 1978 ; avril 1978-mai
1981 ; juillet 1981-avril 1986 et avril 1986-mai 1988) un gros bonnet,
avec la complicité des plus hautes autorités gaullistes, chapeaute des médecins
qui pratiquent la stérilisation forcée des femmes non blanches et issues des
milieux populaires. C’est le combat de femmes, de leur famille et de médecins
généralistes intègres, contre ces commerçants des corps, ces notables de l’île
pratiquant l’idéologie eugéniste développée aux États-Unis d’Amérique à
l’encontre des femmes noires dès le début du vingtième siècle, et sur les
deniers de la conquête ouvrière de la Sécurité Sociale. Le montage alterné
télescope une parole du pouvoir anticonceptionnelle et anti-avortement en
France à la parole du même pouvoir, via des montages louches et en faveur de la
médecine privée, en faveur de la stérilisation forcée.
Le 24 février 1971 le procès en appel des
docteurs Ladjadj, Valentini (anesthésiste), Leproux, Lehman, de l’infirmier
Covindi et l’homme d’affaire, membre du Conseil Général de La Réunion, David
Moreau, clôture le scandale des cliniques privées de Saint-Benoît (dont le
propriétaire est Moreau) et Sainte-Clotilde. Moreau échappe à toute
condamnation, Ladjadj et Covindi sont condamnés à la prison avec sursis, les
autres médecins sont relaxés au bénéfice du doute ! Les plaignantes sont
déboutées et doivent s’acquitter des frais de justice…
Ce même mois de février 1971, à
l’initiative de Simone de Beauvoir paraît, dans Le Nouvel Observateur,
le manifeste signé de 343 femmes déclarant avoir avorté, dans le but de forcer
le pouvoir à légaliser l’avortement et à élargir la contraception.
On
connaissait le trafic d’enfants créoles pratiqué par le pouvoir républicain à
l’encontre des familles réunionnaises non blanches, l’épisode de la
stérilisation forcée, par un cénacle de médecins et hommes d’affaires (Ladjadj
et Moreau) eugénistes et raciste, ne l’était pas. Il a fallu l’enquête poussée
de Sophie Adriansen pour la rendre accessible au grand public. La bande
dessinée est épurée, favorisant la dynamique dramatique par une majorité de
plans moyens, rapprochés, qui plongent le lectorat au cœur des sentiments
éprouvés et des moments de décision de chacun et chacune.
Cette
bande dessinée allie l’intelligence d’un scénario de fiction à l’exactitude
documentaire, en étant servie par un art du dessin qui vise la simplicité et
l’efficacité pour la représentation des faits racontés. Un chef d’œuvre de la
fiction documentaire à proposer aux adolescentes et adolescents, jeunes adultes
et adultes.
Philippe
Geneste