PERNA Fabrice, Mercader. L’assassin de Trotsky, tome 1, dessin Stéphane BERVAS, couleur Christian Lerolle, Glénat, 2024, 56 p. 14€95 ; PERNA Fabrice, Mercader. L’assassin de Trotsky, tome 2, dessin Stéphane BERVAS, couleur Christian LEROLLE, Glénat, 2025, 56 p. 14€95.
La
bande dessinée est un thriller autant qu’un roman d’espionnage traditionnel.
Les dessins de Stéphane Bervas guident le lectorat vers ce dernier genre, dès
les premières planches. Tout part d’un suicide apparent, puis des identités
multiples du mort. L’identité est la première piste thématique générale
poursuivie par le scénariste Fabrice Perna : Raymond, Jacques Mornard,
Franck Jackson ou encore Ramon Mercader. Mais on n’est pas à Mexico en 1940,
lieu et année de l’assassinat de Trotsky orchestré par le régime stalinien,
mais à Prague en 1978.
Quel
est donc cet homme suicidé, détenteur d’un manuscrit qui semble accréditer
qu’il serait le fameux Mercader, ex lieutenant de milices en 1937 en Espagne, où
il est recruté et formé comme agent des services secrets russes avec pour
mission de tuer Trotsky ? On le sait, Mercader avait été envoyé à Paris,
où il séduit Sylvia Ageloff. Celle-ci est une adhérente américaine de la
Quatrième Internationale (constituée par les trotskistes), qui côtoie le vieux
révolutionnaire.
Sont
présents aussi dans la bande dessinée, les habitués de la villa-forteresse de
Coyoacán dont le couple Rosmer, des communistes staliniens mexicains, la mère
de Mercader, la communiste catalane Cardidad, le compagnon de celle-ci, Leonid
Eitingon dirigeant du NKVD, les services secrets staliniens. Caridad entretient
une relation manipulatrice avec son fils, qui lui est passionnément attaché, ce
qui donne lieu à la part de fiction particulièrement aboutie de Perna à partir
d’une interprétation psychanalytique…
Très
documentée, l’œuvre de Perna et Bervas, colorée par Lerolle, rend compte de
l’attentat échoué du 24 mai 1940, en traitant la thèse de l’auto-attentat à
laquelle penche la police mexicaine. Leur œuvre présente enfin sobrement la
séance de travail supposée entre Mercader et Trotsky dans son bureau, le 20
août 1940, où Mercader assassine Trotsky d’un coup de piolet.
La
bande dessinée introduit aussi à la compréhension par Trotsky, de la
bureaucratie stalinienne comme « la clique totalitaire du Kremlin
qui s’appuie sur « les prétendants à la domination totalitaire »[1]. En mêlant récit
historique et intrigue policière, Perna rend vivant un épisode sanglant de la
contre-révolution stalinienne en URSS, particulièrement symbolique de par la
personnalité de la victime. Perna crée des personnages non historiques pour
personnages principaux. Le policier, Pavel, par exemple, qui veut découvrir les
ressorts complets de l’affaire, est lui-même suivi par le KGB et les services
secrets tchèques staliniens à l’époque. En mettant en avant des personnages
fictifs, Perna insuffle une intrigue qui sollicite lecteur et lectrice. Perna
joue aussi des pistes interprétatives où il se trouve en liberté de création.
Ainsi, explore-t-il la relation de Mercader à sa mère, ébauchant une hypothèse
psycho-affective à la source explicative de son acte. Mais l’hypothèse reste
intelligemment à l’état d’hypothèse, le récit historique, alors relançant
l’histoire. C’est ce va et vient de la fiction pure à l’accréditation
historique des épisodes narrés et dessinés qui donne toute sa dynamique à
l’œuvre. Lecture agréable, il s’agit aussi d’une lecture instructive mais aussi
d’une lecture qui entretient une mémoire révolutionnaire contre le
totalitarisme dont parlait déjà Trotsky, et dont l’actualité ne se dément pas,
sous des oripeaux politiques très divers.
Philippe
Geneste
Nota Bene : En complément de la bande dessinée, recommandons Broué, Pierre, Trotsky, Paris, Fayard, 1988, 1105 p. ; Broué, Pierre, L’Assassinat de Trotsky, Paris, éditions Complexe, 1980, 192 p.
[1] Trotsky,
Léon, Œuvres, juin 1940- août 1940, tome 24, publiées sous la
direction de Pierre Broué, introduction et notes de Pierre Broué, Paris, 1987,
Publications de l’Institut Léon Trotsky401 p. – p 313.