Pour les plus jeunes et les petits
NOËL
Sophie, Une Maman pour Tiki, illustrations Emmanuelle MOREAU, Utopiques,
2025, 32 p.
De
beau format, le livre de Sophie Noël et Emmanuelle Moreau est un conte tendre
qui se passe au Congo. Il réunit une petite fille, Kimya, et un petit garçon à
peine plus âgé, Nono, autour de la naissance d’un agneau dans la bergerie dont
s’occupe Kimya. L’intelligence de l’album provient du croisement subtil entre
plusieurs thématiques : celle du handicap introduite par l’agneau né
aveugle, celle de l’amitié qui solidarise les deux enfants face aux épreuves
qui forment les péripéties de l’histoire, celle de la condition des enfants
congolais dont la fonction de travailleur ou travailleuse participant à la
condition économique de la famille est présente en arrière-plan. Kimya,
l’héroïne, a tout pour plaire au jeune lectorat : elle est insouciante,
généreuse, maline, vivant à fleur d’émotions. De plus, l’histoire étant aussi
un récit animalier, avec l’agneau et une brebis devenant mère de substitution,
comble les enfants lecteurs.
Tout,
dans la création des autrices, vise à présenter un monde de simplicité,
traversé de bout e bout d’empathie, et laisse percer les rêves de Kimya. Le
présent de la situation dressée par la narration s’empreint ainsi d’un futur
hypothétique dans lequel les petites lectrices ou petits lecteurs sont libres
de pénétrer ou non. Plusieurs niveaux de lecture s’offrent, aucun n’ayant de
prévalence sur l’autre, comme si les autrices avaient cherché par une tendresse
compositionnelle à redoubler la tendresse diégétique. La générosité des
illustrations, la douceur des couleurs, la finesse des détails, le jeu rêveur
des arrière-plans mais aussi les contrastes d’atmosphères entre le sombre de
l’inquiétude, de la crainte du danger et le clair dominant de la vie qui se
tisse, de l’amitié qui s’y développe, tout ce travail graphique et pictural
rehausse sans cesse la motivation des enfants à lire l’histoire d’Une
Maman pour Tiki.
Pour les pré-adolescents et préadolescentes
VIGIER, Patricia, Bobine et pop-corn, le muscadier,
2025, 89 p. 11€50
En juillet 2013, dans la continuation de la Loi
d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril
2005, la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de
l’école de la République (1) introduisait dans le Code de
l’Éducation la notion d’école inclusive. Elle mettait ses pas dans un
mouvement entamé le 11 février 2005 avec la Loi pour l’égalité des
chances et des droits (2), et que le décret paru au Journal
Officiel du 6 juillet 2024 en application de la Loi pour une
école de la confiance (juillet 2019) poursuit. L’inclusion scolaire est
donc montée en puissance au fil de ce premier quart du vingt-et-unième siècle.
Le récit de Patricia Vigier nous en fait partager quelques
facettes à travers la vie d’une Unité Locale pour l’Inclusion Scolaire (ULIS)
sise dans un collège. On y suit les élèves de l’ULIS : Émilie, la
principale héroïne, Max, Ninon, Fabien, Élie, Rafaëla, Youri, leur enseignante
Amaïa et un Accompagnant d’Élève en Situation de Handicap (AESH). Le livre
n’aborde pas l’inclusion à proprement parler, les élèves n’étant jamais vu à
l’intérieur des classes différentes où ils sont intégrés, mais seulement dans la
salle de l’ULIS du collège, ce qui donne l’impression qu’ils sont toujours
ensemble. Peut-être est-ce parce que l’ouvrage veut s’intéresser à l’inclusion
de la structure dans l’établissement et au rapport général qu’entretiennent les
élèves de l’ULIS avec les autres élèves et réciproquement.
Ainsi sont pointés les préjugés projetés sur les membres de
l’ULIS, d’une part, et les difficultés affectives, psychologiques et
socio-affectives rencontrées par les jeunes de l’ULIS. L’intrigue se noue
autour du cas du harcèlement (3) d’Émilie par un groupe de garçons de classes
générales du collège. En même temps, le roman raconte le travail interne à la
classe de l’ULIS pour une émission radio qui donnera le titre au roman.
L’autrice épouse sans distance le discours officiel sur l’inclusion scolaire,
lissant son propos autour de sentiments, certes généreux, mais qui tendent à
édulcorer les situations réelles.
Ce réalisme feutré est commun à de nombreux ouvrages du secteur
de la littérature jeunesse (4), et on peut se demander s’il ne nuit pas au
propos des auteurs. Ici, par exemple, Patricia Vigier propose, de manière
presque documentaire, le suivi de la création de l’émission de radio, alors que
dans le même temps, les relations conflictuelles trouvent toutes une solution
heureuse, ce qui contrevient au réalisme affiché. Le feutrage d’empathie a cet
effet de quitter l’exigence réaliste pour se projeter dans l’univers du
souhait. La fin ainsi évite d’être déceptive mais l’univers scolaire s’en
trouve édulcoré.
Quoi qu’il en soit, Bobine et pop-corn propose un
roman pour tous les collégiens dont les collégiens « en situation de
handicap » dans un langage adapté à tous. Nul doute que les CDI de
collège et les bibliothèques des écoles primaires (pour les CM2) auront à cœur
de le proposer aux élèves et que les médiathèques municipales sauront le mettre
en avant dans leurs rayons.
Philippe Geneste
Notes
(1) Sur cette loi, lire Geneste Philippe, Le Travail de
l’école, contribution à une critique prolétarienne de l’éducation. Contre
l’école du tri social. Pour une éducation commune, polyvalente et polytechnique
affronter les cohérences institutionnelles et patronales sur la formation,
Yainville, éditions le Scorpion brun, 2018, 170 p. notamment les pages
25-32. Lire aussi : Geneste Philippe, Le Travail de l’école,
contribution à une critique prolétarienne de l’éducation, La Bussière,
éditions Acratie, 2009, 185 p. notamment les pages 15-80.
(2) Sur cette loi, lire Séro-guillaume, Philippe, Langue
des signes, surdité et accès au langage, Chambéry, CNFEDS – Université
Savoie Mont Blanc, 2020302 p. + 11 feuillets détachables détaillant les
composantes et le principe d’une transcription de la langue des signes
française (LSF).