COULIOU Chantal, Sur Les Ailes du poème, illustrations d’Évelyne BOUVIER, éditions Voix Tissées, 59 p. 15€
Le
livre est édité avec soin, en format carré (20 cm x 20 cm), avec des
illustrations soit en pleine page soit adroitement insérées pour faire sens dans
la page du poème. Chantal Couillou est une poétesse de la simplicité, écriture
qui sied particulièrement au propos. En effet, Sur Les Ailes du poème
conte, en vers, le rapport de modestie qu’elle entretient avec le monde. Le
propre du monde est d’être parcouru :
« d’un
bord à l’autre du chemin
sauter
de caillou en
caillou »
(p.7) ;
« de
chaque côté du talus » (p.10).
Ce
parcours est certes géographique et spatial mais il est aussi une interrogation
de ce qui relie l’homme et l’animal, ce qui relie les éléments naturels entre
eux. Comme dans une histoire, un personnage, le goéland, itère cette thématique
en lien avec le site d’une école et des enfants qui y travaillent et y jouent.
Le lieu est significatif : il s’agit par la poésie d’entrer en
connaissance du monde, de l’humanité. L’image d’un jardin ensauvagé après la
mort du jardinier intensifie cette thématique. Mais rien de didactique, Chantal
Couillou déploie des techniques rhétoriques et poétiques pour le lectorat de
tous les âges.
L’ouvrage
est tout entier tendu vers l’appréhension du monde par l’écriture. La nature
propose ses thèmes que le poème tente d’accomplir en représentations. Le poème
semble, à plusieurs reprises, dans l’énumération : l’énumération joue sur
les substitutions, sur les accommodations de mots, sur les glissements subtils
de sens. Ces procédés utilisés pour exprimer la nature, créent entre le poème,
ses illustrations et le réel, le silence du hors-texte en quelque sorte,
« des chemins de traverse » (p.33). Les empruntant, la poétesse et avec elle
Évelyne Bouvier invitent les élèves, personnages du poème, mais aussi les
lectrices et lecteurs du recueil, à libérer leur langage (« oubliée la
dictée de pépé »
(p.10) ;
« oubliées les dictées, les divisions » (p.10)).
Ce
sont là quelques pistes de lecture ; mais Sur Les Ailes du poème
est irrigué par d’autres thématiques. Les illustrations d’Évelyne Bouvier
redoublent de douceur le style lumineux de Chantal Couillou. Comme suggéré par
les pages 24 et 25, le rapport de la culture et de la nature, de l’homme et de
l’animal, de l’architecture et de l’espace, de l’agriculture et de la terre
sauvage, n’invitent à la ronde des enfants autour de la terre, mais au
cheminement d’humanité sur les bords intérieurs et extérieurs d’un ruban de
Moebius. On comprend alors que la poésie de Chantal Couillou soit sentie si
narrative à la lecture, échappant à la boucle fermée pour la farandole incessamment
dansée.
LOUIS
Catherine, Un Oiseau sans histoire, HongFei, 2024, 32 p.
12€90
Quel
magnifique album qui pourra être lu avec les enfants dès deux ans mais qui
pourra être lu avec des plus enfants plus âgés qui auront plaisir à lire page à
page cette œuvre de petit format, aux feuilles cartonnées, aux coins arrondis.
La
dynamique narrative est assurée par une silhouette dessinée d’un oiseau en
quête d’histoire, car il vient de se faire exclure de la sienne. Premier niveau
de symbolisme, l’album suit un oiseau déraciné de son espace de vie. Ce sujet
triste s’exprime à travers les couleurs posées par la technique du pastel,
insufflant une mélancolie à l’oiseau en errance. Toutefois, la silhouette aux
grands yeux naïfs est drôle, stimulant l’enfant à tourner les pages dont le
fond de clarté aux impressions évanescentes et sobres venant envahir de pâleur
les couleurs ainsi adoucies.
L’oiseau,
second niveau du symbolisme, est un penseur : pourquoi se chercher une
histoire sinon des histoires, si on n’a personne à qui la raconter ?
L’histoire serait donc autant le signe d’une relation interpersonnelle
nécessaire pour vivre qu’un récit pour rêver, pour revoir le monde, pour
l’interpréter.
Germe,
alors, dans la tête de l’oiseau, une idée : fermer les yeux dans le
silence de la voix et du monde alentour. La neige signifie ce silence, cet
amortissement du bruit. De même, aucune couleur éclatante ne survient sur les
pages ; seule la douceur floconneuse des teintes et des tons, une
duveteuse douceur silencieuse.
Un Oiseau sans
histoire
est une histoire sans histoire, un poème narratif où les pas de l’oiseau le
mène non à discriminer les éléments du réel mais à plonger au contraire dans
leur continuité, dans le mouvement de la vie.
Philippe
Geneste