Vincent
Gabrielle, Ernest et Célestine. Les
questions de Célestine, Casterman, 2016, 32 p. 5€95
Un des plus beaux albums de la
série des Ernest et Célestine de
l’illustratrice et autrice belge Vincent Gabrielle, un album sur les questions
cruciales de l’origine : Célestine veut savoir d’où elle vient. C’est le
mystère de la naissance au monde qui est posée avec une intelligence des
dialogues rares. A relire l’album, on est frappé par l’art du dialogue de
Gabrielle Vincent. Il y a l’angoisse de Célestine, la petite souris sur son
origine. Peu importe qu’elle ait été trouvée dans une poubelle, tout vaut mieux
que de ne pas savoir, nous fait-elle comprendre. Elle joue et veut rejouer son
arrivée au monde. Ernest, lui, est bien ennuyé avec ces questions ; Que
dire ? La vérité ? L’emballer avec un peu de rubans roses ? Et
puis convaincu par la perspicacité des questions de Célestine, il dira la
vérité, toute la vérité, Célestine est une enfant abandonnée qu’il a
recueillie. Le dialogue ne cesse de se relancer. Curieusement, face au vide
devant lequel se trouve Célestine, l’autrice choisit de procéder un peu comme
Beckett, c’est-à-dire en faisant parler les mots, avant que le dialogue ne
s’émancipe des images et joue sa propre partition et que la parole des mots se
mue en discours sur la vie.
On a donc deux approches de la
même histoire : le dialogue, d’une part et d’autre part la peinture, ces
aquarelles poétiques qui enchantent petits et grands lecteurs. Par le choix de
la technique de l’aquarelle, Gabrielle
Vincent s’autorise une indécision dans l’identité des personnages ;
Célestine apparaît bien comme une petite souris, mais Ernest apparaît autant
comme une grande souris que pour ce qu’il est, de fait, un ours. C’est par
cette indécision que Gabrielle Vincent échappe à l’écueil des identifications
des enfants à des animaux Ici, l’animalisation de l’enfant, Célestine est une
petite souris petite fille, sert un propos visant à déjouer une trop forte
identification du très jeune lectorat. Isabelle Nières-Chervel, à propos de
l’œuvre de Béatrix Potter, parle de l’innovation de faire « de l’animal non pas un masque d’humanité,
mais d’abord un masque d’enfance. Ce sont des albums qui inventent l’animal
comme figure projective de l’enfant » (1). Ce propos vaut pour
Gabrielle Vincent car si Célestine a figure animale, elle permet plus aisément
à l’enfant d’entrer de plain pied dans la révélation sur ses origines. La
figure animale a une « fonction de détour et de mise à distance » (2)
C’est en grand format, en 2001,
qu’a été publié pour la première fois Ernest et Célestine. Les questions de
Célestine, juste après le décès de
Gabrielle Vincent survenu en 2000. Il fut réédité toujours en grand format en
2013, puis cette année 2016 en petit format. Il est frappant de constater que
le premier volume de la série Ernest et Célestine, paru en 1987, avait pour titre La
naissance de Célestine. La boucle est bouclée sur une même
problématique. Mais le dernier opus, avec
Les questions de Célestine invite plus encore le jeune lectorat
à interroger le monde pour se trouver mieux lui-même, grâce aux réponses des
autres qui sont toujours, aussi, et c’est toute la pédagogie d’Ernest,
l’indication d’un chemin vers soi.
Philippe Geneste
(1) Nières-Chervel, Isabelle, Introduction à la littérature de jeunesse,
Didier jeunesse, collection Passeurs d’histoires, 2009, 239 p. –
p.142 ; (2) Ibid.