Sellier Marie, La Lune nue,
illustrations d’Hélène Rajcak,
Talents hauts, 2014, 42 p. 14€90
L’album emprunte au langage
mythologique une personnification de l’astre de la nuit. Il en fait une fille
de la voie lactée, hors toute figure paternelle. Mais la mythologie en question
est une variante critique de l’imagination littéraire. La lune est certes un
astre relevant du principe féminin mais contre le convenu mythologique et
allégorique, elle est ici un principe actif. Là s’arrête le champ mythologique
et l’album entre dans une fiction fantaisiste où il est question de croissance,
de grandissement, de volonté d’être parée contre la nudité signe d’enfance.
Le récit va
alors montrer les diverses tentatives infructueuses interrogeant, par la même
occasion, le rapport au corps de la morale sociale. Mais la lune varie, en
fonction du système cosmique dont elle dépend, et ne peut jamais trouver robe à
sa juste mesure. Chaque habit s’avère éphémère, la nudité réclamant sans cesse
ses droits à cette enfant devenue grande.
Le dessin au trait, noir et
blanc, parfois en couleur, les portraits dessinés de manière faussement naïve,
qui configurent l’univers anthropomorphe de l’album, présentent l’astre engoncé
dans des habits ou perdu en eux, qui finira pas délaisser son rêve de
convenance pour vivre nue, illuminant les nuits, fournissant l’éclat des
étoiles, définissant la nuit comme vie des ombres. Le récit lunaire d’Hélène
Rajcak et de Marie Sellier est un ré-enracinement du genre du conte fondé sur
le cycle des saisons, ici représenté par les métamorphoses de la lune,
c’est-à-dire de la vie.
Jay Françoise, Wakanda
et les rêves volés, illustrations Mansot
Frédérick, Gallimard Giboulées, 2014, 32 p. 16€
Hommage à l’imaginaire des
peuples indiens d’Amérique du nord, cet album est à la fois une très belle
histoire à l’écriture ciselée et un chef d’œuvre pictural aux illustrations
envoûtantes. Françoise Jay a pris appui sur les mythes qui gravitent autour de
l’astre lunaire pour bâtir une œuvre personnelle multiculturelle. Que serait un
peuple sans légende ? Ce serait un peuple sans rêve et ce serait un peuple
en voie d’extinction. Or, la lune est la pourvoyeuse en légendes et en rêves,
deux manifestations d’une même réalité, celle de la part humaine qui signe
l’humanité au sortir de l’animalité. Une histoire de sorcellerie qui a mal retournée,
prétexte à un récit de l’aigreur et de la moralité sociale du rejet, va
s’avérer la clé du devenir de la petite indienne Wakanda qui pleure de n’avoir
point de rêve. Elle ira à la rencontre de la lune, auprès d’une mare pour
vaincre le sort qui s’est abattu sur les enfants de son village et menace donc
l’existence future de sa tribu.
Les illustrations magnifient le
texte en plongeant le lectorat dans l’effervescence des couleurs chaudes,
radieuses, inquiétantes, aussi, réalisées avec des motifs indiens et une
profusion de traits et de motifs vus à travers des glacis innombrables. Les
fonds de tableau arborent eux-mêmes moult motifs d’arrière plan, si bien que la
surcharge des détails façonne l’étouffement ressenti par l’enfant qui, sans
rêve ne peut s’échapper ni re-poser
sa vie pour la mieux voir. Le dessin est
stylisé, respectant le merveilleux du ton du conte. La comparaison entre
Yapamala le sorcier voleur de rêve et Nokomis, la sorcière préparatrice des
plantes et mémoire des histoires, est à suggérer à l’enfant à qui on lit
l’histoire ou qui la lit seul. En effet, bien des ressemblances entre l’aspect
des deux personnages, mais aussi, des dissemblances qui ont à voir entre le
principe féminin et le principe masculin.
Wakanda trouve la force
d’affronter Yapalama quand « mon rêve est venu dans ma mémoire »,
scellant ainsi l’imagination de la personne et la spiritualité de son peuple,
le songe individuel et la légende collective. Vaincu, Yapalama, la figure du
voleur de rêve c’est-à-dire de futur, se transformera en pierre symbole de
l’éternité qui n’a, par définition ni passé ni avenir, qui est insensible au
mouvement et au temps. Wakanda serait-il alors un conte de la
vie humaine, éphémère qui trace sa persistance dans les récits dont les rêves
sont une des sources.
Philippe Geneste