On ne travaille toujours qu’insuffisamment le répertoire des expressions figées par lesquelles les enfants entrent dans le discours français. Il y aurait, pourtant, ici, une mine de réflexion d’ordre légendaire, mythologique, social, ordre des mœurs et des relations humaines. Nulle part ailleurs que dans les formules figées ne se trouve la quintessence de l’opinion commune, opinion du pouvoir ou idéologie dominante. Elles sont le matériau privilégié du travail subversif sur le langage, car le producteur y est directement en prise avec les idées reçues. Flaubert ou différemment Léon Bloy nous ont appris, avec les poètes, l’importance de savoir entrer dans ces expressions, de les dégeler comme aurait dit Rabelais. C’est que les clichés de la conversation courante laissent une empreinte profonde chez chaque locuteur, chez chaque locutrice. S’est-on interrogé avec suffisamment de profondeur sur les conséquences du stéréotypage auquel les enfants sont soumis dès leur plus jeune âge ? S’est-on interrogé sur la concomitance entre les difficultés d’entrer dans l’écrit et le fait qu’à cet âge le langage enfantin n’a de vœu que de coller à la norme linguistique, qu’il ne se permet plus ces créations qui fon t le délice des premières productions ? Raison de plus pour proposer des ouvrages qui ouvrent des explications soit par l’histoire, soit par le sens des mots, soit par l’étymologie, et qui se faisant, ouvrent l’enfant au questionnement de ces expressions figées, blocs qu’on n’interroge d’autant moins qu’ils semblent pétrifiés dans le marbre de ce qu’on nomme improprement « la langue ». Les Expressions françaises, livre qui sort aux éditions Oskar nous donne le prétexte pour nous pencher modestement sur cette problématique en littérature de jeunesse.
Guettier Béatrice, La Cerise sur le gâteau. Une enquête de l’inspecteur Lapou, Gallimard, collection Giboulées, 2009, 28 p. 7€
Cette nouvelle enquête sur les drames du potager est provoquée par une cerise tombée par inadvertance sur le gâteau au chocolat de ce rouspéteur de Chacha, le chat. La signification de l’expression « la cerise sur le gâteau » est ainsi déclinée tout au long de l’enquête, une manière joyeuse de réaliser une expression figée et de lui donner vie chez l’enfant, dès cinq ans, par un questionnement narratif.
Heller-Arfouillère, Brigitte, Petites histoires des expressions de la mythologie, Flammarion jeunesse, 2013, 256 p. 5€60
Les expressions figées portent trace de l’ancrage de l’esprit humain dans l’animisme. Les expressions sont alors le refuge de croyances dépassées mais qui viennent saturer des zones entières du lexique. Ce très bon livre de Brigitte Heller-Arfouillère, permettra à l’enfant de replacer avec justesse l’origine de nombre de ces expressions. On lui reprochera de n’avoir retenu que les mythologies romaine et grecque, oubliant le fond celtique de la langue française. Cela n’empêchera pas les lecteurs dès 10/11 ans d’y trouver des délices de savoirs et de s’y aventurer avec gourmandise.
Le livre fait prendre conscience à l’enfant que les mythes, loin d’être seulement des traces régressives de l’esprit humain, en sont une composante essentielle pour sa compréhension du monde. C’est toute une dimension spécifique du langage qui le rend si différent des savoirs scientifiques et qui le rend rétif à des descriptions de pure logique toutes ayant échouées… Le livre invite l’enfant à rentrer dans le langage par le récit : n’est-ce pas au fond le principal message des expressions figées provenant de la mythologie ?
Gremaud Florence, Pinchon Serge, J’ai un mot sur la langue, illustré par H Coffinière, Gallimard, 2001, 127p
L’expérimentation, à sa sortie, par la commission lisez jeunesse, a permis de mesurer l’intérêt des préadolescents (on peut le travailler avec des plus jeunes de CM2 surtout) pour le langage. L’ouvrage passe en revue plus de 200 expressions, soit en en donnant le sens (vouloir le beurre et l’argent du beurre, en avoir gros sur la patate, mettre la main à la pâte, quand les poules auront des dents, il y a anguille sous roche, avaler des couleuvres, avoir une mémoire d’éléphant, s’entendre comme chien et chat, ne pas être aveugle, triste comme un bonnet de nuit) soit, et c’est la plus grosse partie du livre, en détaillant la formation de l’expression et son sens, avec, quand c’est possible, une datation de l’apparition. Ainsi, apprendre par cœur (apprendre sans omettre un détail) naît au XII° siècle. Le cœur, c’est le siège des émotions, des sensations, de la volonté, de l’intelligence et de la mémoire. Autrement dit, demander à un élève d’apprendre par cœur, c’est bien lui signifier qu’il n’a pas à en tomber amoureux et que, d’autre part, le savoir n’est que détails… Ces expressions toutes faites, ces locutions diverses, c’est tout un héritage culturel, linguistique. Le livre nous entraîne ainsi dans les péripéties humaines de la désignation, il nous plonge dans quelque archaïsme qu’il sort de leur obscure raison. Mais surtout, à notre sens, l’intérêt est d’amener le jeune lecteur à casser l’évidence de ces expressions par l’analyse curieuse provoquée par le livre chez l’enfant. Ajoutons que c’est un régal, de revenir sur ces tours idiomatiques, qui nous réservent toujours des surprises. Les auteurs y ayant adjoint la date de parution dans le discours, le livre gagne en richesse d’érudition ce qu’il offre en plaisir de découverte.
Perrier Pascale, Boucher Michel, Les Expressions françaises, Oskar éditeur, collection Des mots pour comprendre, 2013, 62 p.
Vingt-huit expressions françaises courantes sont auscultées avec humour, finesse, intelligence. L’explication est donnée ainsi que l’emploi historique à l’origine de l’expression. Une étude d’un des mots peut aussi être entreprise. Une double page correspond au format d’analyse de l’expression. La page de gauche propose trois solutions explicatives, le lecteur doit rechercher par son raisonnement quelle est la bonne. A l’envers, la réponse est livrée. Ce procédé permet d’ouvrir à des compléments de compréhension habiles à éviter des contresens. Pour certaines expressions, un équivalent pris dans une autre langue est présenté avec un choix à faire, pareillement, entre trois expressions et la réponse explicative qui suit.
Un excellent ouvrage dont les enfants dès neuf ans sont toujours friands, preuve qu’ils aiment la langue quand ils en retrouvent le sel de l’énigme comme durant leur plus jeune âge.
Philippe Geneste