BAIJOT Mathias, Le Voyage d’Irma, CotCotCot éditions, 2024, 144 p. 21€
Le
Voyage d’Irma raconte
une histoire en privilégiant la modalité graphique d’expression. On dira donc
que c’est un roman graphique. Des pages sans texte, comme celles du générique
précédant la page de titre, se succèdent selon la logique d’accomplissement
d’un mouvement, signalant ainsi la narration graphique d’un événement inscrit
dans la durée. Chaque planche s’offre derrière un tamis ou voilage de traits,
de points, à moins que ce ne soit une surface intercalaire transparente ;
et de ce fait, le lectorat n’est pas directement en relation avec l’histoire,
son regard étant filtré dès son entrée : l’être graphiste qui narre, le
narrateur donc, n’est-il pas exprimé par ce filtre ?
Les
couleurs mates sur papier mat, font entrer le lectorat de 13 à 113 ans dans une
atmosphère inquiète ou mélancolique. Le fil conducteur en est le voyage préparé
par Léon le héron, Andréa le renard, Ernesto le blaireau, Simone la vigogne et
auquel se joint Irma la baleine. Ce voyage pourrait être un rêve à moins que ce
ne soit un récit graphique du genre du merveilleux, jouant avec les codes de la
fable animalière. De fait, Le Voyage d’Irma emprunte aux deux
genres et ce avec d’autant plus de facilité que l’ouvrage décline explicitement
son appartenance au genre du roman graphique… Cette hésitation générique n'est
pas pour rien dans la tonalité inquiète et mélancolique du graphisme. Elle est
aussi le fait du narrateur graphiste qui se manifeste par l’effet de tamis, de
voilage, de filtre évoqué ci-dessus.
Le
récit onirique conte un voyage thématique centré sur les contes. Les passagers
ont, à chaque escale, à raconter une histoire, un conte. On lira et les
personnages écouteront, les histoires de Léon le héron, de Simone la vigogne, d’Ernesto
le blaireau… mais un accident interrompra la tournée des conteurs et conteuses.
Alors, Irma qui aura beaucoup appris durant le voyage s’en ira par d’autres
chemins conter à son tour, essaimer les histoires auprès d’un public à
conquérir. Soulignons que le fait que ce soit des récits de personnages
(d’animaux en l’occurrence) apportent crédit à l’hypothèse du graphiste narrateur
proposé par l’analyse.
Pour
lire cet ouvrage, il est conseillé de s’arrêter longuement sur les pages, d’y chercher
les liens les raccordant les unes aux autres, de déceler les continuités et les
discontinuités. Les contes eux-mêmes s’évadent du code commun pour flirter avec
l’abstraction. Le choix est en accord avec celui du dessin, des couleurs et des
compositions des illustrations : elles aussi possèdent un trait
d’abstraction. Dans les deux cas, l’abstraction semble manifester une volonté
de surprendre, de casser les codes, pour faire triompher l’imaginaire. Comme
dans l’évolution de la vie, un hasard, un accident, obligera Irma, à s’adapter
au bouleversement du milieu jusque-là décrit mais qui disparaît. Un autre, issu
de la confrontation imaginative avec Irma, naîtra sûrement.
Ainsi
vont les contes, de terre en terre, passant de voix en voix, de milieu en
milieu, d’images en imaginaires.
KAARIO
Victoria, L’Amour géométrique, illustrations Juliette Binet,
éditions du rouergue, 2024, 20 p. 12€90
La
préparation, par la famille de Céleste, de la venue d’un petit frère, tel est
le thème de l’album de petit format, en papier légèrement granulé, aux couleurs
douces et multiples. Juliette Binet, comme dans un exercice de style graphique,
traduit en illustrations géométriques, les textes déclaratifs de Victoria
Kaario.
Ici
ce n’est pas l’absence qui est thématisée mais la présence spatiale prise par
celui qui n’est pas encore là. Céleste, la petite fille, va finalement aider
ses parents et lorsque Ernest est né, chaque chose est rangée dans sa chambre,
comme dans le reste de la maison « même si tout a bougé ». Les
illustrations suivent, plus dynamiques à la fin de l’album.
Un
tel ouvrage vaut pour les dialogues à mener avec le petit lecteur ou la petite
lectrice à qui il lit l’ouvrage et avec qui il lit les images. La richesse de
l’album sera proportionnelle à la richesse de ce dialogue.
GALVIN
Michel, Bleue, rouergue, 2024, 64 p. 16€
L’album
contemporain poursuit l’exploration d’un genre auquel s’identifie pour beaucoup
la littérature destinée aux jeunes enfants. Bleue est une
allégorie qui, à partir de la mise en scène d’objets parle au jeune lectorat, à
qui on lit l’histoire et avec qui on regarde le récit illustré, de la
problématique de l’exclusion. En ce sens, il relève de la variété didactique du
genre tout en empruntant les ressorts poétiques de la métaphore.
Bleue
est un récit sur la couleur qui est aussi un récit moral par le sens. Reprenant
à son compte la définition de la littérature comme langage indirect sur le
monde, Michel Galvin, propose des scènes ou tableaux allégoriques où sont mis
en présence des objets. La problématique de l’histoire est celle de la
rencontre compréhensive qui, au final aura lieu : « Et toi comment
t’appelles-tu ? ». L’interpellation de soi par la communauté des
différences signifie alors la possibilité de la socialisation et donc pour
l’héroïne, Bleue, de sa réalisation.
Philippe
Geneste