MANCEAU Édouard, Touc-Touc la fourmi, Frimousse, 2023, 24 p. 6€60
Page de gauche, un texte en écriture manuscrite, écrit gros, noir sur
blanc. Page de droite, une page en aplat jaune vif, et une fourmi dessinée, en
noir et blanc, à la bouche esquissée par une touche rouge étirée. Le lecteur ou
la lectrice pourrait croire ouvrir un récit animalier. C’est vrai, mais pas
tout à fait. L’album au tout petit format carré, parfait pour les 3-5 ans, mais
que des membres de la commission lisezjeunesse plus âgés ont lu de manière
gourmande, cet album, donc, relève entièrement de la littérature. La fiction
repose sur une mécanisation du corps de la fourmi qui rêve d’aller jusqu’au
bout du monde. Au fil de l’histoire, c’est l’apparence du corps qui trouve à
s’expliquer non par l’évolution biologique, comme il serait de droit
scientifique de s’y attendre, mais par une cohérence de l’invraisemblance
joyeuse.
Le livre égaie les petits, amuse les grands, stimule les imaginations,
preuve que la simplicité est aussi une haute vertu.
DAUGEY
Fleur, Fourmidables fourmis ! Myrmécologie, illustrations d’Émilie
Vanvolsem, éditions du ricochet, 2023, 36 p. 14€50
Quel
est l’insecte dont on connaît 14 000 espèces ? Qui vit sur terre
depuis 140 millions d’années ? Qui peut porter une charge de plus de
cinquante fois le poids de son corps ? Quel est l’autre nom du fourmilier,
cet animal qui ne se nourrit que de fourmis, 13 000 par jour ?
Quelles fourmis cultivent un champignon qu’elles nourrissent dans leur nid pour
ensuite se nourrir de lui ? Les fourmis sont des hyménoptères : citez
deux autres espèces d’insecte qui le sont aussi. Qu’est-ce que les
phéromones ?
Répondre
à ces questions est entrer dans la science des fourmis ou myrmécologie. La
lecture du livre de Fleur Daugey et d’Émilie Vanvolsem permet de comprendre
pourquoi on dit des fourmis qu’elles appliquent l’adage selon lequel ensemble
on est plus fort et plus intelligent. Cet album est, comme toute la
collection du ricochet, un régal de clarté, de beauté illustrative et
d’intelligence textuelle.
PROULX-CLOUTIER
Émile, Le Grillon et la luciole, illustrations Élise KASZTELAN,
les éditions Planète rebelle, 2023, 40 p. 20€
Couleurs
pâles, mates, tranchées par effractions, auxquelles des traits, silhouettes
géométriques, viennent donner un aspect figuratif. Sur ces toiles, qui ne sont
pas sans rappeler les peintures de forte composition de Philippe Séro-Guillaume
avec le jeu savant des traits suggérant une figuration, deux personnages vont
et viennent, l’amoureux grillon et la fantasque luciole.
On suit l’histoire
qui semble s’achever tragiquement. Sauf que…
L’intertextualité est habilement convoquée par Émile Proulx-Cloutier. Le grillon chante des sérénades, dont la forme même initiale du texte de l’album est un écho puisqu’il s’agit d’une chanson, mais la luciole qui ne se rassasie pas d’aventures ne permet pas à leurs amours de se poser. Au lointain, on entend la fable de La Fontaine, La Cigale et la fourmi, mais où la cigale se serait dédoublée en grillon chanteur et luciole imprévoyante attirée par le progrès. Par ce dernier trait thématique qui intervient au tiers du livre, on pense à la grande rupture civilisationnelle qu’image Pier-Paolo Pasolini dans ses Écrits corsaires : « Au début des années soixante, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître (…) Après quelques années, il n’y avait plus de luciole ».
Par
ces convocations intertextuelles, on pourrait se diriger vers deux
interprétations différentes de l’album. Mais ce serait faire fi de sa
composition, qui repose sur le dédoublement. Alors que le récit s’achève,
l’auteur reprend la plume pour interroger le jeune lectorat sur cette
fin : « Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que
ça finit bien ? (…) ». Et une nouvelle narration esquisse des
suites avant de passer la main à l’enfant lecteur ou lectrice qui, à sa guise,
pourra imaginer comment grillon et luciole accompliront le restant de leur vie,
comment le grillon surmontera-t-il la déchirure sentimentale ? Comment traiter
la disparition de la luciole ? Des pages vierges sont d’ailleurs laissées
à cet effet.
S’il
faut louer cet album, c’est pour le dialogique qui le constitue et pour
l’intelligence des situations à laquelle il mène le jeune lectorat à être
sensible. Le travail graphique et de couleurs d’Élise Kasztelan suit certes
l’histoire mais garde sans cesse vivante la volonté d’en ouvrir l’imaginaire
pour que les enfants puissent la rêver en plus de la lire. Nourri du texte et
de l’image l’enfant saura peut-être conjurer la disparition du peuple des
lucioles et par l’errance imaginative exercer une pensée libre ouverte sur le
possible inouï de la relation amoureuse.
Philippe
Geneste