J’ai l’air, Réunion des musées nationaux – Grand Palais/Musée du Louvre, 2023, 32 p. 11€90 ; J’entends, Réunion des musées nationaux – Grand Palais/Musée du Louvre, 2023, 32 p. 11€90 ; J’ai peur, Réunion des musées nationaux – Grand Palais/Musée du Louvre, 2023, 32 p. 11€90
On louera une nouvelle fois ces initiatives éditoriales des éditions Rmn-GP qui associe un tableau ou le détail d’un tableau avec un sens (J’entends), une émotion (J’ai peur), une observation du visage (J’ai l’air). C’est d’abord une propédeutique au regard qui est proposé aux enfants. Mais ce regard est sollicité dans son activité de connaissance de ce qui est regardé. Les expressions s’appuient sur un lexique au registre simple puis progressivement plus difficile.
Documentaire
sur l’art, chaque ouvrage propose quinze œuvres à découvrir. À
chacune est associée un discours bref, introduisant à l’adjectivation (J’ai
l’air), au récit à peine entamé (J’entends), à
l’infinitif ou au complément de nom (J’ai peur). De ce fait, ces
ouvrages relèvent du genre de l’imagier. Mais ici, l’imagination de l’enfant
est sollicitée au-delà de son activité cognitive, vers son activité affective.
Proposant
des livres à la fois imagiers, documentaires d’art, livres de premières
découvertes, la collection L’art à tout petit pas enchante.
GALLISSOT
Romain, Le Street art, illustratrice Maud RIEMANN, Milan, 2023,
40 p. 8€90
« Vivre,
c’est de la bombe »
Miss
Tic
Tout
part de la trace laissée pour d’autres, exposée sur l’espace public. En 1970,
aux USA, des personnes au chômage apposent leur signature (tag) sur les murs de
leur ville. Certains graffeurs se regroupent. Les années 1980 voient
l’expansion du mouvement qui renouvelle le graffiti. C’est à cette époque que
Keith Haring se fait connaître. En France, les graffeurs utilisent le pochoir
(Blek le rat, plus tard Miss’tik). La photographie fait son apparition parmi,
les graffeurs durant les années 2000 avec notamment JR qui colle les portraits
de personnes de la rue ou de populations déshéritées sur les murs.
Le volume présente quelques figures dont Miss Tic, JonOne, Bordallo II, Alëxone, Clet, Os Gêmeos, El Seed, Vinie, Bansky, Invader. L’ouvrage montre aussi le paradoxe d’un art de la rue quand il est pris par le code du marché de l’art, quand il est soumis à une démarche muséale tout en continuant à intervenir pour des causes sociales.
Si
un tel ouvrage se trouvera dans toutes les bibliothèques et médiathèques, il
est aussi un livre cadeau des plus pertinent, avec une présentation rutilante
sur papier glacé.
LLENAS Anna, Le Vide, Glénat jeunesse, 2023, 80 p. 18€90
« Le
gouffre dans lequel tu te pousses est en toi »
dit
le sphinx à Œdipe dans Œdipe roi de Pasolini.
Réalisé
avec du carton, selon la technique du collage et du montage des figurines
créées en tableaux représentant des scènes à interpréter. Un texte très bref,
oriente l’interprétation. L’album invite le lectorat au commentaire.
La
force de l’ouvrage est de parler du malaise, du mal être, de cette sensation de
« vide », ce sentiment de trou creusé dans sa vie où disparaît le
bonheur d’être au monde. Toute l’intrigue va reposer sur l’accès à la
compensation, c’est-à-dire à l’élaboration du processus mental et somatique
menant à la compensation. Combler le vide en évitant les déviations maladives
comme la boulimie ; boucher les trous, en évitant la frénésie consumériste
de l’appropriation (achat) d’objets. Combler le vide, boucher les trous, donc,
mais sans se perdre dans le vertige.
Une
première étape va être de mettre des mots sur les sentiments, sur les couleurs,
sur la musique et ainsi en venir à créer un autre monde, un monde à soi. Alors
commence la recherche d’un fil où se dévide la vie. Suivre le fil n’est pas
combler le vide, car la personne n’a pas à être colmatée comme un mur offert
aux intempéries ; suivre le fil, c’est s’attacher, trouver une
attache au monde aux autres, et ainsi, par l’attachement se découvrir soi.
Combler
le vide, boucher les trous, ne sont pas des solutions puisque la vie est faite
de désirs, que les désirs s’appuient sur le manque, et que le manque est une
des formes du vide.
Avec
cet album de grand format, bellement édité, Anna Llenas propose, aux enfants,
une matière de fiction qui suit certains préceptes souples de l’art-thérapie.
L’ouvrage permet à la jeune lectrice, au jeune lecteur, de réfléchir avec
simplicité sur lui-même, sur ses sentiments maussades, sur la tristesse ou la
déprime. Une belle réussite plébiscitée par la commission lisezjeunesse. Dans
le vide, par syncope, découvre la vie, semble dire aux lectrices et lecteurs le
personnage de l’histoire, la petite Julia.
PICHON
Camille, L’Alphabet s’amuse, Milan, 2023, 26 p. 25€
Voici
un livre qui pourrait servir de manuel, au sens littéral du terme,
d’apprentissage complémentaire et ludique de l’alphabet. Chaque page, fort
épaisse, demande la manipulation d’une languette (parfois deux) dont une flèche
indique l’orientation (pousser, tourner, tirer. Actionner la languette fait
pivoter un trait noir qui, en se jointant à un autre trait noir immobile vient
dessiner une lettre. Ces traits sont surimposés sur un dessin aux couleurs
douces bien que vives venant magnifier un dessin stylisé mais point abstrait.
La lettre constituée par la manipulation de l’enfant, est l’initiale d’un mot
qu’il s’agit de deviner grâce à l’illustration. Vingt-six mots sont ainsi à
découvrir, qui sortent du milieu quotidien où évolue l’enfant. C’est pourquoi,
cet abécédaire pourra être lu avec l’enfant dès 4 ans mais aussi encore, seul,
par l’enfant de 6 ou 7 ans. L’enrichissement de son vocabulaire est une des
fonctions des choix de l’autrice.
Contrairement
aux abécédaires classiques, les lettres ne sont pas données dans l’ordre
alphabétique : l’alphabet s’amuse… C’est aussi une invitation, pour
l’enfant en âge de lire de retrouver l’ordre alphabétique en regardant se
former chaque lettre sous l’effet de sa manipulation des languettes par
l’enfant.
HÉDELIN
Pascale, Le Grand Livre animé du vivant, illustré par Didier
BALICEVIC, Milan, 2023, 26 p. 22€90
Dix
doubles pages, toutes animées avec languette, rabat, roue, flap, glissière,
accordéon ou pop-up, soit plus de cinquante animations font le tour du vivant
pour des enfants de 4 à 9 ans. Y sont traités : la formation de la planète
terre ; l’évolution des organismes vivants, soit une histoire de la vie
sur terre ; la vie dans les jardins ; les mécanismes généraux du
vivant et la différence avec le non-vivant, l’inanimé ; les différentes
modalités de la naissance des êtres vivants ; leur développement au cours
de la durée de leur vie ; le cycle de l’alimentation qui participe à
l’équilibre nécessaire de la vie sur terre ; le langage des êtres
vivants ; les cohabitations ; l’adaptation au milieu dont la ville.
Le livre est d’une grande richesse explicative, d’une grande clarté. Il est
informatif, s’appuyant sur une illustration précise bien que foisonnante. C’est
une grande réussite, un livre à offrir avec la certitude de plaire aux enfants.
GOLDSAITO Katrina,
Le Son du silence, Julia KUO, HongFei, 2023, 40 p. 16€50
Yoshio
est un enfant dont on va suivre la pérégrination dans la ville de Tokyo. À
peine sorti de chez lui, il est frappé par tous les bruits qui l’entourent et
chaque page, chaque double page, rend compte par l’illustration et le texte de
cette moisson d’onomatopées. Lorsqu’il rencontre une musicienne de koto,
« musicienne du silence » (1), le voyage de Yoshio va prendre un tout
autre tour, philosophique ou expérienciel, selon l’interprétation qui sera
faite de la suite de l’album. L’enfant s’enquiert auprès de la musicienne du
plus beau son et elle lui répond que c’est le « ma »
c’est-à-dire le son du silence.
Mais
où trouver le « ma » ? Les doubles pages d’images sont
une indication, puisque l’image est muette, mais le lecteur de ses lèvres
prononce ne serait-ce qu’intérieurement – on parle, étrangement, de
lecture silencieuse – des sons… Comment, dès lors, ne pas voir le livre
comme un manifeste de la lecture indécise ? De fiat, nous sommes, avec
Yoshio, indécis dans notre lecture. De la pelote des situations dessinées et
peintes avec réalisme, on tire certes tel fil d’une pelote notionnelle, mais
c’est, une fois tournée la page, avec Yoshio entrant dans une autre situation,
un autre fil sémantique que nous tirons et investie une nouvelle page. Le sens
du silence échappe et s’échappe au fur et à mesure du voyage de l’enfant.
Si
toute lecture est motivée par une recherche de sens, alors s’y enracine bien le
passage par le silence. La désignation du silence matérialise un vide entre
deux entités, un entre qui relie, met en relation. Le silence
prend consistance quand Yoshio prend conscience de la durée entre émission et
extinction de chaque bruit, quand il prend conscience de la relation qui les
unit dans l’expérience pérégrinatrice que les tableaux imagés de Julia Kuo
traduisent. Pour pleinement se verser dans le monde Yoshio saisit les
interstices nichés dans ce qu’il ne percevait, jusque-là, que comme un
discontinu sonore. Or, l’entre ou vide relève d’une audition
coïncidente des sons entre eux soit une relation qui dissout le discontinu.
Alors, il donne sens au monde qui l’entoure grâce à la liaison, à la relation,
au « ma », au silence et à la conscience du silence. Le
silence n’est d’aucun art en particulier, mais de tous, ce qui renforce la
capacité de qui l’atteint, le comprend, d’entrer plus pleinement dans le monde.
Le
Son du silence est
un album poétique, une réflexion philosophique, tout en restant un album pour
enfant qui l’invite à l’attention.
Philippe
Geneste
(1) vers extrait
du poème Sainte de Stéphane Mallarmé. On pense aussi à ce
syntagme du poème en prose Le Démon de l’analogie : « Je
fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul la corde tendue de
l’instrument de musique »