Anachroniques

22/06/2025

Poésies et rêveuses pérégrinations

COULIOU Chantal, Dans les Coulisses du jardin, illustrations d’Évelyne BOUVIER, éditions Voix Tissées, 59 p. 15€

Voici un recueil mémoriel où des enfants (Le syntagme « avant de nous quitter » p.66 – avec dans l’illustration deux fillettes –, succède au « je » du premier poème, illustré par une petite fille, identifiable peut-être à la poétesse) se remémorent leur grand-père mort. Tout le recueil, tant du point de vue du texte que du travail graphique et des couleurs, établit la correspondance entre la vie humaine et les lieux traversés, les lieux de vie, les lieux choyés, choisis. Ici, c’est le jardin du grand-père, jardinier au cordeau. Héros du recueil, il l’est mais rejoint par le jardin qui, par ses métamorphoses, signifie le devenir d’une vie et son accompagnement par la nature domestiquée au cordeau puis laissée en liberté.

Chantal Couliou prise ici une poésie narrative. Comme dans un récit, des scènes se font échos comme la scène des pages 18/19 rappelle celle de la page 7 ou bien comme celle des pages 22/23 rappelle celle des pages 12/13. La poétesse s’adresse aux lectrices et lecteurs (p.27) après s’être adressée au grand-père

« Sur le vieil épouvantail

ton chapeau de guingois

devient le lieu

de conversation préféré

des moineaux. » (p.24).

Grâce aux jeux de correspondance avec la nature, les accents de nostalgie qui affleurent ici et là laissent place à la vie qui continue dont la vie mémorielle de l’absent dans le cœur et les mots du recueil. Le grand-père s’en est allé sur les ailes du poème au pays imaginaire qui conforte le réel. L’enfant qui lit peut s’appuyer sur les claires illustrations d’Évelyne Bouvier, qui à la fois confortent la compréhension du texte et ouvrent des espaces de pérégrinations mentales au creux même du chemin tracé par Chantal Couliou.

 

LISON-LEROY Françoise & MEULEMAN Marie, Le Livre en fugue, CotCotCot éditions, 2025, 44 p. 11€

Tercets et distiques dominants, deux monovers (ou vers isolés), rares quatrains, s’accompagnent de photographies argentiques qui donnent du grain aux images en regard des mots. L’art du flou poétique y invalide la référence trop abrupte au réel du milieu, tendant à filer une représentation de sens général qui se hisse hors du propos versifié. Le livre est là, dans cet entrelacement, un livre en poche, un monde en tête, une histoire qui vibrionne, des vers qui scande des séquences, souvent fugitives, de la vie si quotidienne.

L’histoire commence à l’intérieur d’une maison avant, par le souffle du vent, de s’élancer par la fenêtre en libre conquête de lieux du monde, extérieurs pour la plupart, intérieurs parfois et intérieur final d’une salle de classe où se partage la lecture. En retour, la lecture s’offre en partage, elle est le libre partage des liseurs et liseuses ensorcelés par de nouvelles visions des choses, des êtres et du monde.

Un livre est la mémoire de l’espace où le lecteur, la lectrice le saisit, l’effeuille, le lit, le referme, s’en évade, y replonge. Le livre est vagabond, la personne lectrice est une nomade. De lieu en lieu, le livre s’échange ; de main en main, il se partage ; d’attente en attention, il croise les compréhensions, tisse les interprétations. Son espace imaginaire ajouté à l’espace du réel, champêtre ou urbain, se prête à la divagation dans les contrées sans horizons aux lieux oniriques du sommeil et de la rêverie.

Le livre est la lampe de chevet qui relie les femmes et les hommes, les enfants et les sens, l’imaginaire et le réel. Le livre assure la continuité des mal nommés clichés photographiques des faits expérientiels. Les photographies tentent d’en retracer les lieux, d’en révéler les significations. Par-delà son contenu littéral, le livre vient saisir le propos de l’expérience, sinon ses raisons. +

Ainsi, la lecture entraîne-t-elle vers le monde, se jouant de l’actualité du sens de l’histoire contée. Mots en images, photos en vers, Le Livre en fugue est un appel incessant aux significations vaguant à fleur d’interprétation transcriptrice.

Toute littérature, par le port et transport du livre assurée, parcourt la vie en y créant un surréel. Lecteurs et lectrices y éprouvent leur conscience du temps, la durée de la lecture, mais aussi, ici, la durée insaisissable de l’histoire d’une fugue.

Prenant place dans la bien nommée collection « Les baladeurs, des livres qui aiment à se déplacer, sans but précis », le livre investit des fonctions toutes en rapport avec le lien donc aussi avec l’attachement. On pourrait dire qu’il est un objet transitionnel, en ce qu’il met la constellation humaine à hauteur de vie enfantine ou vieillissante, mais toujours nouvelle et recommencée. Mais comme déjà écrit dans ce blog (1), sa vraie vie, au livre, c’est sa lecture au présent.

Philippe Geneste

(1) Lire le blog « Quand le vent ouvre le livre, les nuages s’y déposent » du 16 septembre 2018.

 


16/06/2025

Qui l’eut cru ? Et pourquoi les macaques ont les fesses rouges ?

ERLEND, Loe, Qui a fait disparaître la ville du roi. Une enquête insolite du génial Fluffenberg, le meilleur détective du monde, illustrations de Kim HIORTHØY, éditions L’Agrume, 2025, 48 p. 16€50

Il fait même chavirer l’autorité suprême du roi.

Les enfants de 7 à 12 ans se régalent à lire l’enquête insolite du génial Fluffenberg, car, comme le héros de cette bande dessinée, eux aussi commencent à porter leur action sur des situations hypothétiques. L’insolite des représentations exprimées par Fluffenberg les surprennent toutefois, mais le rire s’empare d’eux et qui rit trouve accommodation avec l’étrange. De plus, cet étrange qui gouverne l’histoire porte à la réflexion. En effet, l’ouvrage met en question le respect unilatéral pour l’autorité… au profit du respect pour l’imaginaire et l’invention.

Approfondissons. Le raisonnement du héros s’appuie non pas sur le réalisme moral mais sur un irréalisme moral, ce qui n’est pas la moindre innovation hilarante de la bande dessinée. Pourquoi les enfants aiment-ils cet aspect de l’album ? parce qu’entre eux, le mensonge est autorisé, alors qu’il est interdit quand ils s’adressent à leurs parents. Qui dit mensonge dit énoncé sans correspondant dans le réel et le vrai. Eh bien, comme dans l’univers enfantin jusqu’à 11 ans, le jugement des protagonistes de Qui a fait disparaître la ville du roi (…) s’appuie sur le verbalisme et comme chez les enfants, leur raisonnement convoque des règles intemporelles mais qui sortent de l’autorité conforme des adultes.

Ainsi, les enfants se délectent-ils du labyrinthique raisonnement de Fluffenberg. Ils aiment le moment où, à la fin de l’intrigue (mais est-ce une intrigue ?), son verdict tombe. Ils aiment ce moment, parce qu’il tombe à la manière d’un raisonnement enfantin, sans fouiller le fond de la conscience des faits.

L’enfant est passionné par la problématique : qu’est-ce qui a causé la disparition de la ville d’Oslo ? Comment trouver le coupable ? Quelle sanction lui infliger ? L’enfant aime les élucubrations morales sur lesquelles repose l’enquête du formidable détective. C’est que, comme Fluffenberg, l’enfant se délecte à trouver des normes. Pour la plus grande réjouissance des enfants lecteurs, l’ouvrage pastiche le discours juridique normatif.

Le livre est impertinent en ce qu’il remet en cause les règles sociales du respect hiérarchique. Par ce biais, l’album remet en cause ces normes impersonnelles que l’éducation tend à faire intérioriser par les enfants. Il le fait par la dérision. Et il entraîne le rire du lectorat, un rire nourri par l’impossibilité d’identifier les valeurs normatives avec lesquelles procède Fluffenberg. L’imagination triomphe, entraînant sur son terrain l’enfant lectrice ou lecteur. D’ailleurs, si la fin établit une sanction, ce n’est que pour la détourner en mutuelle compréhension.

Mine de rien, la bande dessinée d’Erlend et Hiorthøy est un éloge à la libération des contraintes. L’autorité n’y est pas représentée par une personne mais par une approche de la vie. La méthode de Fluffenberg est de briser les croyances issues des normes pour les remplacer par des fantaisies auxquelles on ne peut certes pas croire, mais qui suscitent le plaisir de suivre une enquête joyeuse et carnavalesque. Avec Fluffenberg les normes sont ridiculisées, mais dans le respect d’autrui… Dans nos temps individualistes et où l’agressivité verbale et guerrière suinte à chaque minute, voilà qui est une heureuse contribution à un monde autre, un monde humain. Que le coupable renonce à son point de vue propre, pour l’inscrire parmi l’ensemble des points de vue des protagonistes, confirme cette interprétation de la fantaisie dessinée et verbale d’Erlend et Hiorthøy. Tout est donc affaire de langage, heureux monde de la vie mutuelle des mots… et du triomphe, il faut bien le dire, de la fiction.

 

LÂM Chin-Lan, La Porteuse d’eau et les singes / Cô gái gánh nu’ó’c và loài khí, illustrations de Jean-François LUU, L’Harmattan jeunesse, 2025, 32 p. 10€

Ce conte vietnamien est abondamment illustré avec un travail pictural à l’ordinateur qui valorise les paysages des arrière-plans et livre, sur les visages de personnages, toute une gamme d’émotions liées à l’histoire. Le conte est traditionnel et repose sur la métamorphose. La Porteuse d’eau et les singes illustre ce qu’écrit Valérie Pérez : « la métamorphose est la manifestation d’une vérité, celle de la perfectibilité de l’homme dont l’éducation doit penser les conditions de possibilité de son développement » (1). Elle se double d’une autre dimension, sociale, celle-ci, qui consiste à l’éducation par les exploités de leurs exploiteurs.

Comme dans tout conte traditionnel, on suit une jeune servante humiliée et maltraitée par ses maîtres. Grâce à sa rencontre avec Bouddha, alors qu’elle est de corvée d’eau, une tâche lourde et ingrate qui impose de nombreux aller-retours entre la maison et le puits, elle va revenir richement habillée et sans sentir le fardeau des seaux d’eau suspendus à sa palanche.

Dès lors, les riches propriétaires interrogent la jeune fille et se ruent au puits où Bouddha se trouve encore. Il répond à leurs demandes et leur enjoint la même tâche que celle demandée à la jeune fille innocente et généreuse. Les riches se ruent, certains de faire fortune… Or, leur malhonnêteté et leur appât du gain, leur cruauté envers leurs serviteurs et servantes, amène une métamorphose qui les rend disgracieux, les transformant en macaques aux fesses rouges. On retrouve ici une constante des mythes où le singe est représenté comme un personnage non recommandable, lubrique et cupide. 

Repliés dans la forêt, les exploiteurs devenus macaques laissent les ouvriers, servantes et employés administrer en bonne entente la propriété, devenue collective, afin d’y construire un monde de bonheur.

Mais le conte comporte une autre dimension, elle aussi chère à la littérature du merveilleux. Elle explique par les péripéties de l’histoire, pourquoi les macaques ont les fesses rouges.

Philippe Geneste

Notes

(1) Pérez Valérie, Eduquer, gouverner, lire l’Emile ou de l’éducation de Rousseau avec Michel Foucault, Paris, L’Harmattan, 2017, 240 p. 24€50 – p.145.

08/06/2025

Briser les silences

CARMONA Antonio, On ne dit pas « Sayonara », Gallimard jeunesse, 2023, 217 p., 13€50 euros.

Élise est l’héroïne et la narratrice de cette histoire. Collégienne en classe de 6ème, la petite fille vit en France avec son père. Il est français et a rencontré sa mère, Sumire, une pianiste japonaise talentueuse et renommée, à Kyoto. Élise est donc métisse, moitié française et moitié japonaise.

Hélas, alors qu’elle n’avait que huit ans, sa maman est soudainement décédée. À partir de ce moment-là, son père a instauré toutes sortes de règles : interdiction pour Élise de poser des questions sur sa mère, de parler en japonais, de profiter de la culture japonaise (plus de mangas ou d’animés, plus de cuisine japonaise, plus aucun contact avec sa famille maternelle). Aucune photographie de la mère d’Élise n’est affichée dans la maison. Le piano, que sa mère affectionnait tant, prend la poussière dans une pièce fermée. Le cerisier dans le jardin, l’arbre préféré de Sumire, est laissé à l’abandon, en décrépitude, puisque personne ne doit l’arroser. Pour Élise, c’est comme si une sombre créature, représentant l’intense chagrin, la colère et l’incompréhension de son père face à ce décès, prenait possession de lui. Pour elle, il essaie de « gommer » l’existence de Sumire. Seulement, il reste une seule chose qu’il ne peut pas effacer : Élise elle-même. Elle sait que son père l’aime malgré sa ressemblance frappante avec sa mère et fait tout pour le protéger en évitant de le heurter.

Au collège, Élise devient amie avec Stella, une fille de sa classe. Stella l’invite régulièrement chez elle pour regarder Naruto (1) en cachette. Son père trompe son propre chagrin avec des rituels : préparer une tarte aux oignons (un prétexte pour pleurer à cause des oignons, rien d’autre...), offrir des puzzles à Élise, qui adore ça, se convaincre qu’ils sont heureux tous les deux… Pourtant, Élise est malheureuse. Elle n’ose pas reposer LA question à son père, celle qui la tourmente et qu’elle lui a déjà posée lorsqu’il lui a appris le décès de sa mère. Son père a catégoriquement refusé d’y répondre et Élise s’est heurtée à « la créature », à un mur. Cette question sans réponse, dont le lecteur devine la teneur au fil des pages, bouleverse de plus en plus Élise.

Mais un beau jour, sans prévenir, la grand-mère maternelle d’Élise, Sonoka, débarque chez eux, depuis le Japon ! Cela faisait quatre ans qu’elle n’a aucune nouvelle et n’a pas vu ni parlé à sa petite fille ! Sonoka ne parle pas du tout le français, ce qui oblige le père d’Élise à reparler le japonais, cette langue bannie. Petit à petit, Sonoka va apporter de l’apaisement au père d’Élise qui va commencer à se réconcilier avec sa femme défunte : une photo d’elle est déposée dans la maison et ils vont lui rendre hommage en y déposant des mandarines à côté. La chambre au piano est ré-ouverte et son père finit par ré-accorder l’instrument. Le cerisier dans le jardin est arrosé à nouveau. Si la présence de sa mamie arrange un peu les choses, elle ne règle cependant pas tout. Lorsque cette dernière s’en va, Élise sait qu’elle doit absolument poser LA question à son père...

Mon avis

J’ai beaucoup aimé ce livre, qui se lit assez facilement. La thématique du deuil y est bien traitée avec une héroïne touchante. Le lecteur voit Élise grandir et son père évoluer doucement pour faire son deuil et pardonner à sa femme. Si le sujet du livre est assez grave, l’histoire est ponctuée de touches d’humour et de légèreté, notamment grâce à Stella, la meilleure amie rigolote qui va aider Élise à « affronter » son père en osant poser LA question.

J’avais deviné de quelle question il s’agit, à savoir la cause du décès de Sumire. Pendant tout ce temps, Élise ne savait pas comment sa maman est morte et n’a pas assisté à l’enterrement. En effet, le père d’Élise finit par enfin expliquer ce secret. Je m’attendais à ce que Sumire se soit suicidée vu le mystère entourant sa mort et la colère de son mari. Mais finalement, cette dernière est décédée lors d’un accident alors qu’elle partait faire un concert au Japon, où elle est enterrée. Si le père d’Élise a ressenti autant de colère, c’est parce qu’il avait lu un article disant qu’un séisme risquait de se produire. Il avait supplié sa femme de ne pas y aller mais Sumire ne l’a pas écouté.

L’histoire se termine avec le père d’Élise qui emmène sa fille au Japon puis sur la tombe de sa mère. Il lui présente également des excuses. Tous deux vont enfin pouvoir dire « Sayonara », qui signifie « adieu » en japonais.

Milena Geneste-Mas

Note : (1) Naruto est un manga qui existe en dessin animé.

Nota Bene : En 2023, ce roman a remporté le Concours du premier roman organisé par Gallimard jeunesse, Télérama et RTL. Il faisait partie de la sélection des romans du Prix Collégiens lecteurs de Gironde pour l’année scolaire 2024-2025 (on n’a pas encore connaissance du roman gagnant). Il fait également partie de la sélection du Prix des Incorruptibles pour l’année scolaire 2025-2026 pour la catégorie CM2-6e.

 

01/06/2025

L’enfance, le mal, sortir de l’aliénation ?

ROJZMAN Théa, Mary Bell, l’enfance meurtrière, Dessin BELARDO Vanessa, couleurs Stefano RONCONI / ARANCIA STUDIO, Glénat, 126 p. 21€

Si « l’événement est toujours la violation d’un interdit, un fait qui a eu lieu, bien qu’il n’eût pas dû avoir lieu » (1), alors le fait divers de 1968 à Newcastle en Angleterre en relève. Mary Bell, petite fille de 12 ans, a défrayé la chronique après avoir tué deux petits voisins. La justice a surfé sur la réprobation publique et la part d’horreur sensationnalisée par les tabloïds. Or, à l’époque, une journaliste, Gitta Sereny, s’était interrogée. Voici les deux personnages principaux plantés, l’enfant criminelle, la journaliste d’investigation.

Mary Bell est placée dans un centre pour jeunes délinquants, jusqu’à l’âge autorisant son incarcération. Plusieurs années plus tard, la journaliste la rencontre pour reprendre le fil des crimes et sortir de l’ornière de la monstruosité où justice et opinion publique l’ont enfermée. Mary Bell accepte le projet, comme elle accepte que son histoire soit écrite dans un livre sur lequel elle touchera des droits d’auteur. Entre temps, elle est libérée, vit en couple et donne naissance à une petite fille.

Un tel sujet présente deux travers à éviter. Le premier est de tomber dans la crudité des faits pour, à la manière des tabloïds, accentuer le sensationnel, outrer le personnage criminel, tout en se focalisant sur l’innocence des deux enfants assassinés. Le second travers est d’entrer en empathie avec l’héroïne jusqu’à abstraire du récit sa part criminelle. Théa Rozman et Belardo ne tombent dans aucun des deux. Pour ce faire, ils font alterner trois époques auxquelles correspondent trois modalités de narration des faits et trois univers de couleur orchestrés par S. Ronconi et Arcancia Studio. À l’époque du présent, soit celle de la rencontre, pour l’écriture du livre entre Gitta Sereny et Mary Bell, correspond un dessin coloré, réaliste ; à l’époque du passé, celui des faits de 1968, correspondent des planches d’ocre, de marron et de jaune sombre, avec un dessin, lui aussi réaliste. Quant à la troisième époque, elle est celle du hors temps du rêve, de l’hallucination et du cauchemar. À elle sont réservées des couleurs froides aux fonds striés, noirs et gris où la narration ouvre un univers surréaliste par lequel Rozman et Belardo plongent dans la psyché de l’enfant criminelle et les affres de la vie mentale de la jeune adulte.

Par cette articulation des trois temporalités, la composition crée un espace où s’équilibrent l’enquête quasi psychanalytique à laquelle coffinent les dialogues pour l’écriture du livre, les événements tels qu’ils se sont déroulés ou qu’ils ont été rapportés, et enfin les raisons du crime qu’explore l’imaginaire a-temporel de planches intrigantes. Cet équilibre évite et le voyeurisme et le sensationnel tout en généralisant la problématique de la complexité de la condition humaine car la psyché et les conditions de vie ne sont pas indépendantes. Par cet équilibre, le récit du fait divers déconstruit la notion de destin comme celle de nature ou d’innéisme de la criminalité.

L’enfance meurtrière met en accusation l’ordre normal des choses. Le personnage de Mary Bell se déplace à travers la frontière des interprétations de sa personnalité pour les faire vaciller. Pour autant, la fin de la bande dessinée qui voit, dans une scène onirique, Gitta Sereny partir avec les deux enfants victimes, rappelle la nécessité de maintenir l’équilibre entre les trois temps de la narration. Le temps de la justice n’est pas suffisant pour aborder le crime, il y faut le temps social et le temps des raisons c’est-à-dire des significations qui l’ont construit.

En interrogeant l’ordre social, où la mort de deux enfants a été transformée en fait-divers par les médias et la justice, les autrices interrogent la définition des valeurs qui ont fondé le jugement et donc approfondissent le sens de la référentialité avérée des faits. Ici, pas de recherche de l’exhaustivité dans la relation des faits mais la quête des motivations souterraines, des mouvements à l’œuvre non pas seulement dans le fond de la personne mais aussi de la société et de ses institutions sociales pris en leurs liens intimes.

La bande dessinée défait le regard extérieur porté sur les faits et, à l’inverse, installe une vision intérieure de l’événement où se fraie un chemin chaotique non de compréhension mais de révélation, de chose dite sortie du puits des oublis. La réalité des faits est plus profonde que l’apparence ne le laisse voir et croire. La complexité des affects et des raisonnements d’une personne ne peuvent pas être appréhendés isolément des affects et des raisonnements codifiés de la société. En effet, l’opinion publique, les discours des institutions judiciaires, policières, éducatives, politiques, imprègnent la pensée des sujets. Quand Gitta Sereny déclare à son mari « c’est la racine du mal qui m’intéresse », elle impose à son livre de couvrir tout l’éventail de la réalité économique, sociale, psychologique, affective de ce qui fait l’humain et tout événement humain.

Philippe Geneste

(1) Lotman, Iouri, La Structure du texte artistique, traduction du russe par Anne Fournier, Bernard Kreise, Ève Malleret et Joëlle Yong sous la direction d’Henri Meschonic, préface d’Henri Meschonic, Paris, Gallimard, 1975, 415 p. – p.330.

25/05/2025

Dans l’enfance de l’émancipation

JEAN Didier & ZAD, Où Cours-Tu Petite Plume ?, Utopique, 40 p. + 1 CD

« Car au goût de la liberté, les poulets,

 eux, préférèrent le goût du blé »

Pour les petits enfants entendants, l’histoire sera accessible aisément par l’écoute du cédérom qui dure 14 minutes 13 secondes et que prolonge durant 5 minutes et 1 seconde, la chanson correspondante de l’histoire. En même temps, l’enfant pourra, aidé au début par l’adulte, suivre l’histoire par les images de l’album qui sont d’un assez grand format, aux couleurs chaleureuses et au papier doux. L’adulte peut aussi lire l’album à l’enfant et fouiller avec lui les images pour y retrouver les composants du récit, les détails et suivre l’enfant dans sa découverte propre. Ainsi, l’album de Didier Jean et Zad joue de trois approches d’une même histoire : l’écriture, l’image et l’enregistrement, soit la lecture et l’écoute. À cette richesse déjà notoire, il faut ajouter le quadruple vecteur générique : l’album, le conte, la musique et la chanson. Voilà un soin de conception et de composition qui suffirait à lui seul pour recommander l’ouvrage à l’achat comme son utilisation dans les classes ou dans les dispositifs de lecture parascolaire.

Mais l’histoire ? Petite Plume est une variante de La Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet. Nul besoin d’avoir lu Daudet pour lire Jean & Zad, mais dans les deux cas la problématique de la liberté est posée avec, chez Jean & Zad, celle de la servitude volontaire. Petite Plume est un poussin malin, fugueur, et qui a soif de découvrir le monde en dehors du poulailler. Un jour, par hasard, cependant, il se trouve coincé en dehors du poulailler et va devoir passer la nuit dehors ; Il va connaître la peur, les effets paniquants de son imagination encore empreinte de son asservissement de membre d’une basse-cour.

Mais un ours le prend sous sa protection et avec lui, il va découvrir la beauté de la nature dont le vecteur principal est le racontage d’histoires : entrer dans l’imaginaire du récit, du conte, de la chanson, pour s’approcher au plus près du réel, le mieux voir, y apprendre, bref, faire connaissance avec tout ce qui n’est pas soi, avec l’environnement physique et vivant.

Anicet, le petit poussin aux petites plumes, va vouloir rapporter ses découvertes à la basse-cour. Au grand désespoir de son ami l’ours, il repart donc au poulailler. Là il va comprendre que les poules ne sont nourries que pour être rôties plus tard, il va comprendre que ses consœurs et confrères ont intériorisé leur servitude et volontairement préféré la sécurité de leur connu au risque de la liberté. Dépité, Petite Plume va choisir de repartir dans la vie libre, non sans ayant fait une adepte avec une poulette, elle aussi intrépide et voulant rompre les chaînes qui la mèneront inéluctablement à la casserole de la fermière.

Racontée sur le CD par la voix aux intonations humoristiques et de confiance de Gérad Bertin, le CD épouse la douceur des dessins réalistes et classiques mais ô combien appropriés au jeune lectorat. À cette voix s’ajoutent des chœurs et les voies chantées de Malo Marie et Danielle Jean, le tout composé, enregistré, mixé par Didier Jean. Quant aux illustrations, réalisées, mais cela n’est pas une découverte, avec brio, elles sont finement pensées. En effet, l’album ne comporte aucun visage humain. On ne voit que les trois-quarts du corps de la fermière vue du point de vue du poussin, c’est-à-dire en contre-plongée, des pieds à la poitrine, on revoit ensuite la fermière, mais au lointain emportant une malheureuse volaille à la cuisine, et surtout, de dos. Les humains jouent autant le rôle du loup du conte-fable de Daudet (remplacé ici par un renard lourdaud et grossièrement goulu) que le rôle de l’ogre du conte traditionnel. Et pour y échapper, il faut savoir déchiffrer les dressages sociaux. L’intelligence de l’album est de montrer que pour accomplir cette dernière tâche, Petite Plume a eu besoin de la société des animaux, de leurs histoires animalières et naturelles transmises de générations en générations. Où Cours-Tu Petite Plume ? n’est pas centré sur l’individu mais sur la nécessité pour le poussin de développer sa socialisation pour devenir lui-même et, peut-être, avec d’autres, bâtir un monde sans prison, sans entrave, sans tuerie. La liberté c’est le risque pris pour l’épanouissement de la part d’humanité que nie l’individualisme de nos sociétés autant que l’univers hiérarque contemporain à la recherche des profits… mais c’est là interprétation, preuve au moins que Où Cours-Tu Petite Plume ? est un livre qui ouvre la réflexion.

 

CHAZERAND Émilie, Jeannette, la vie du bon côté. La sieste, illustrations d’Anna GUILLET, Milan, 2025, 24 p. 10€90

Ils sont quatre : un petit être qui répond au nom de Jeannette, la régulatrice du groupe, Sergio l’ânon bougon, Lévi le castor et Max le gentil escargot tout baveux. Ils sont quatre figures animalières des petits enfants au moment de la sieste.

Or, Sergio n’a pas son doudou. Jeannette tente bien de recréer le lien émotionnel avec un autre objet, mais ça ne marche pas. Max lui propose bien le sien, mais Sergio le repousse comme ne lui correspondant pas, comme s’il ne pouvait pas être lui-même avec cet objet. Toute l’histoire va tourner autour de l’acceptation de Sergio d’un doudou autre que le sien mais où il se retrouverait, lui. Tant qu’il ne l’a pas trouvé, Sergio est trop désorienté pour dormir et laisser dormir ses amis. Il lui faut retrouver cette relation sécurisante à ce que représente pour lui le doudou, à savoir son univers affectif le plus intime et en ce sens inséparable de lui (1).

Heureusement, dans l’histoire d’Émilie Chazenard mis en dessin de couleurs par Anna Guillet, il va se trouver un objet que Sergio va accepter comme doudou : ce sera un objet neutre au sens de n’appartenant à personne, donc libre d’appropriation par l’affectivité du personnage qui est mal de par l’absence du sien. L’histoire montrerait donc que le doudou ne ferme pas l’enfant au monde et que la mère, si l’on suit Françoise Dolto, a peut-être varié les objets qui accompagnaient leurs relations, par exemple au moment de la tétée (2).

L’album, à lire aux enfants, va même plus loin. Jeannette, épuisée par les efforts qu’elle a fournis pour calmer l’agitation de Sergio, s’endort… sans son doudou…

Philippe Geneste

Notes: (1) C’est une caractéristique de l’objet transitionnel mis à jour par Winnicott avec le fait que cet objet est aussi « une possession de quelque chose qui n’est pas moi » (cité par Laplanche, Jean et Pontalis J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, sous la direction de Daniel Lagache, Paris, PUF, 1981, 523 p. – p.296). - (2) « C’est tout de même une relation de la mère avec lui, que l’enfant projette » sur l’objet transitionnel. Dolto, Françoise, Séminaire de psychanalyse d’enfants I, édition réalisée avec la collaboration de Louis Caldaguès, Paris, éditions du Seuil, 1991, 238 p. – pp.236-237.


18/05/2025

La filiation de l’humain par la filiation de la femme

Qui veut approcher une théorie de la civilisation doit comprendre ce qui, de la sélection naturelle porte à la sympathie universelle (1). Personne ne niera que les formes de relations humaines engendrées par une société caractérisent celle-ci à l’intérieur de ce processus civilisationnel. Les relations entre les hommes et les femmes en sont donc aussi des marqueurs clés, directement en relation avec la sélection liée au sexe, étudiée par l’anthropologie darwinienne. Voici un écho de cette problématique à l’intérieur du champ de la littérature destinée à la jeunesse et aux jeunes adultes.

*

DAUGEY Fleur, Fortes et flamboyantes ! Les femelles dans le monde animal, illustrations d’Émile VANVOLSEM, éditions du Ricochet, 2025, 36 p. 14€50

Que ce livre sorte en mars ne doit rien au hasard, car il a pour fonction de renverser des stéréotypes dont ceux véhiculés par les sciences biologique, zoologique, naturaliste. C’est que toute science opère à l’intérieur d’un bain idéologique qui est celui de la société. Et l’idéologie dominante vient imprégner les travaux scientifiques, à leur insu souvent, parfois par obligation de pouvoir poursuivre leurs travaux. Fleur Daugey donne une illustration de ce fait, illustration qu’elle réalise sans jargon, sans discours théorique qui perdrait le lectorat de 8 à 12 ans visé. Avec sa complice en images, d’Émile Vanvolsem, elle propose de vérifier la thèse couramment énoncée, selon laquelle, dans le règne animal, les mâles emportent la palme des attributs esthétiques, celle de l’agressivité, celle de l’indifférence quant à la progéniture, celle de la corpulence donc de la force. Or, le travail documentaire et le travail iconique se conjuguent pour révéler des contre-exemples : l’autour des palombes, l’hyène, l’orque, la veuve noire australienne, l’éléphant, les abeilles, le rat-taupe, l’antilope topi, la caille japonaise, l’émeu d’Australie, la rynchée peinte, le grizzli, autant d’exemples où la stéréotypie de la différence des sexes chez les animaux est prise en défaut sur une ou plusieurs de ses affirmations.

L’album, au format italien est bien un documentaire, un documentaire aussi fameux que tous ceux qu’ont déjà publiés les éditions Ricochet. Il ajoute aux excellences connues, une réflexion sur la science dans son rapport à l’idéologie. On l’a dit, ce qui est formidable, c’est d’initier cette réflexion sans amoindrir la fonction documentaire de l’album et sans mettre le livre hors de portée du jeune lectorat… et on pourrait ajouter, tout l’intérêt que les plus âgés trouveront à cet ouvrage !

Fortes et flamboyantes ! Les femelles dans le monde animal invite d’une part à sortir du regard social où domine le machisme et l’infériorisation de tout ce qui touche à la femme, donc aussi à la femelle dans le monde animal, pour magnifier l’homme donc aussi le mâle dans ce même monde animal. Il invite, d’autre part, à mieux observer la réalité des comportements chez les humains afin de voir que bien des nuances existent dont ne rendent pas compte les stéréotypes idéologiquement construits sur la différenciation des genres. Il invite enfin à se demander comment peut se réaliser l’égalité tant évoquée jamais réalisée entre les sexes. Matérialistes, Émile Vanvolsem et Fleur Daugey veulent croire en une science plus attentive, donc au progrès de la recherche scientifique sur des bases anthropologiques non soumises à l’ordre politique. Et puis, reste la question jamais encore résolue des conditions économiques et sociales pour la construction d’une humanité sans hiérarchie, évoluant dans l’égalité intégrale… Et cet ultime volet de la réflexion laissée en suspens par les autrices n’est pas plaqué sur l’album, puisque l’animal humain marque dans l’évolution le moment où, comme le théorise Patrick Tort, la sélection naturelle engendre son inverse sur la base notamment des instincts sociaux développés dans le règne animal.

 

HALIM, Seule contre Hollywood. La première actrice à avoir dénoncé le système, Steinkis, 2025, 112 p. 20€

Halim a puisé dans le travail d’enquête du journaliste David Stenn, mené en 1990, sur une affaire effacée des studios de la MGM à Hollywood, pour construire son scénario. Halim raconte l’histoire de Patricia Douglas, une aspirante à devenir actrice de cinéma. La jeune fille est retenue lors d’un casting pour le tournage d’un film par la Metro-Goldwyn-Mayer. Le 5 mai 1937, Patricia Douglas et les cent-vingt jeunes filles choisies par la MGM se retrouvent offertes aux commerciaux de l’entreprise dans une soirée privée. Patricia Douglas sera violée. La firme hollywoodienne achète le silence des autres participantes, truque les expertises médicales, soudoie la justice et la police. Enfin, après un premier temps prometteur, elle écarte par la corruption l’avocat ; Patricia Douglas se retrouve seule contre Hollywood. Elle est seule face au pouvoir patriarcal qui a institutionnalisé « la soumission et l’esclavage feutré de ces femmes qui étaient perçues comme le “sexe faible” à éduquer, guider ou protéger » (citation tirée de la biographie donnée en annexe de Patricia Douglas). L’histoire est édifiante en ce qu’elle montre la collusion des institutions de la démocratie américaine (industrie culturelle, presse, justice, police, médecine) qui relaient le pilier politique du sexisme.

Grâce à l’enquête de David Stenn, Patricia Douglas (1917-2003) a pu raconter son histoire. Grâce à la bande dessinée d’Halim, cette histoire est relayée plus amplement auprès du public contemporain, quatre-vingts ans plus tard, où #MeToo a libéré la parole des femmes par l’affaire Weinstein, un des nombreux successeurs de Ross (le violeur de Patricia Douglas), Mayer (directeur général des studios) et les cadres dirigeants de la MGM. La question demeure la même et porte sur les enjeux politiques, économiques et sociaux de la sexualité, sur les voies d’une libération possible de la justice de classe intimement patriarcale, sur l’abolition de l’exploitation économique des femmes des classes populaires (la famille de Patricia Douglas n’était pas une famille bourgeoise). Plus même, la recomposition en bande dessinée de l’affaire Patricia Douglas, interroge le point de vue des historiens, trop enclins à s’intéresser aux puissants quand la dynamique historique se trouve dans les gestes des exploités, des opprimés et dominés, par exemple, dans le geste de Patricia Douglas pour que le viol soit reconnu comme un crime, pour que cesse la réification des femmes et la banalisation de leur manipulation oppressive au nom du sexe mâle.

Philippe Geneste

Notes : (1) Lire les travaux de Patrick Tort, notamment L’Effet Darwin. Sélection naturelle et naissance de la civilisation, Paris, éditions du Seuil, 2008, 236 p., Darwin, Charles, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, traduction coordonnée par Michel Prum, préface de Patrick Tort, Paris, Institut Charles Darwin International & éditions Syllepse, 1999, 825 p. (ouvrage réédité par la Librairie Champion en collection de poche).


11/05/2025

Parmi les traversées narratives de l’Afrique

SOW Seydi, Le Talibé, préface de Abdoulaye Racine Senghor, L’Harmattan, 2024, 87 p. 15€

Ce roman pour les enfants de 9/10 à 12/13 ans est illustré par l’auteur, une illustration narrative et colorée qui conforte la lecture. Le Talibé et un roman d’éducation qui explore les structures de l’enseignement coranique au Sénégal. En suivant le parcours de Birane, cet enfant de 12 ans confié à un marabout qui trahit la confiance des parents, le roman traverse la société sénégalaise à hauteur d’enfant. Le récit décrit, de la misère à la réconciliation sociale, les étapes du développement de Birane en lien avec la tradition musulmane du pays.

D’une certaine façon, le roman de Seydi Sow s’apparente au conte puisqu’il décrit une métamorphose qui aboutit à une fin euphorique. Mais contrairement au conte, cette métamorphose s’ancre dans les conditions sociales et économiques de la vie. Celle-ci traversent les besoins « spirituels » du héros, s’immiscent dans ses pensées, travaillent son imaginaire à commencer par ses rêves comme ceux du marabout gredin Thierno Moulaye.

Facile à lire, précis dans sa narration descriptive, alerte dans les échappées imaginaires, Le Talibé rend compte de la vie au doudal des enfants sénégalais élèves de marabout assurant une éducation coranique.

 

M’BOH Mariame, Les Contes de M’Boh, illustrations d’Almanmy Saad WAGUE, préface de Juliana Diallo, L’Harmattan, 2024, 68 p. 13€

Ce recueil de contes a été écrit par une enfant guinéenne de 11 ans. Ils sont d’une facture très classique, intégrant sa culture guinéenne, avec une volonté de faire court. Chacun des seize contes se termine par une morale qu’il illustre. Les thèmes traités sont l’amitié, la hiérarchie, la bonne volonté, le rapport à l’autre, l’ingratitude, l’amour maternel, l’enfance, l’orgueil, le mensonge, la situation d’orphelin, la présence ou l’absence du père, la ruse…

Un tel livre est un bon vecteur pour solliciter des enfants d’âge primaire d’écrire à leur tour des contes.

 

SYLLA Omar, Le Coq vaniteux, bilingue bambara-français, L’Harmattan, 2025, 16 p.

Cet album bilingue exemplifie l’utilisation de la morale comme axe privilégié de la construction du conte qu’utilise Marianne M’Boh. Ici, le conte vient illustrer par une histoire animalière de basse-cour, la morale « La Vanité est mauvaise conseillère ». La langue bambara est celle de peuples du Mali. 

 

N’KALOULOU, Bernard, Les Larmes du crocodile. Contes nsoundi, L’Harmattan, 2024, 67 p. 11€

Le Nsoundi est une ancienne province du royaume du Kongo. La langue en était le kongo. Bernard N’Kaloulou est un conteur congolais qui puise dans la tradition orale, une tradition qu’il s’est employé aussi à enrichir, pour constituer ses spectacles de contes et de nombreux recueils. Dans ce volume de la collection « la légende des mondes », il a rassemblé neuf contes. Certains sont des contes animaliers, proche de la fable comme « Mbwa le chien et Mbakou le renard ». D’autres sont une exploration de sentiments et d’émotions que l’on retrouve dans les contes du monde, par exemple, la ruse est particulièrement présente. Certains scrutent des coutumes humaines (« Mabina et les trois chasseurs » pourrait y être classé), exploration de l’énigme de la mort (le magnifique « Baniakina », le captivant « L’oublié de la mort »). D’autres contes tissent leur structure autour des liens entre hommes, animaux et nature (le conte pygmée, « Le Mokélé Mbembé » par exemple). Bien sûr, d’autres apportent une explication sur l’origine de certains phénomènes (la perte de la parole par les animaux dans « La Tortue fâchée ») ou expressions (« Les Larmes du crocodile »).

Dans tous les cas, le travail d’écriture est d’un soin exceptionnel et au service de compositions éprouvées. La dimension initiatique avec ses différentes épreuves (obstacles qui semblent insurmontables, énigmes à résoudre, difficulté à écarter) est très présente. À écouter la réaction des membres de la commission lisezjeunesse, il semble que le succès des contes repose sur cette dimension initiatique, totalement disparue en tant que telle de nos sociétés mais probablement, comme le pensait Mircea Eliade, qui demeure vivace au fond de l’être humain.

Dans les contes de Bernard N’Kaloulou, la morale reste ouverte à d’autres interprétations, ce qui s’appuie sur la richesse des contes où plusieurs motifs se croisent et s’articulent les uns aux autres. L’imaginaire ici est triomphant, les textes jouant sans ambiguïté sur le genre du conte à l’exclusion du mythe – même si les portes restent entrouvertes y compris avec la légende.

On l’aura compris, ce recueil est d’une très grande qualité littéraire, d’une belle précision civilisationnelle et donne grand plaisir aux lectrices et lecteurs qui s’y aventurent

Philippe Geneste

Note: 1 Il en voyait une trace dans les manifestations du passage d’un âge à un autre, « de la nescience (…) à l’âge spirituel de l’adulte ». Eliade, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1973, 249 p. – p.244. 

04/05/2025

Ruth Rewald et le parti pris de l’Histoire ouverte

REWALD Ruth, Quatre garçons dans la guerre d’Espagne. 1936-1939, traduit de l’allemand par Danielle Risterucci-Roudnicky, L’Harmattan, 2024, 196 p. 19€

Quand Ruth Rewald (1906-1942) écrit Quatre garçons dans la guerre d’Espagne elle vit en exil, ayant fui, avec son mari et sa fille, l’Allemagne nazie. Pour cette famille juive communiste, il n’y avait pas d’autres choix. Elle est arrêtée à Les Rosiers-sur-Loire, en 1942, par la Gestapo, déportée puis assassinée à Auschwitz. Sa fille aura le même sort deux ans plus tard.

En 1937, Ruth Rewald se rend à Madrid où son mari est engagé dans les Brigades Internationales. Elle y reste quatre mois et visite, nous dit la traductrice, l’orphelinat Ernst Thäleman où elle s’entretient avec de enfants. Ce séjour et ce qu’elle apprend de la bouche de son mari sur le rôle des enfants républicains nourriront l’écriture du roman qu’elle écrit à son retour aux Rosiers-sur-Loire. Dans sa précieuse postface, Danielle Risterucci-Roudnicky souligne qu’il s’agit du seul roman en langue allemande consacré à la guerre d’Espagne.

Quatre garçons dans la guerre d’Espagne se passe principalement à Penarroya. Après les élections législatives de 1936 et la victoire du Front Populaire, un espoir se lève dans la population. Le roman le retrace en particulier, en décrivant la nouvelle école qu’anime un instituteur inspiré par les conceptions rationalistes de l’école moderne de Francisco Ferrer (1859-1909). Mais les réactionnaires vaincus par les urnes veulent reprendre le pouvoir par les armes. Depuis le Maroc, le général Franco en programme la reconquête. Il est à la tête d’une armée soutenue et fournie en logistique par les fascistes italiens et les nazis allemands. Le pouvoir républicain met en place des milices populaires mais sans aucun soutien des « démocraties occidentales », pas même du Front Populaire français.

Le roman fait une place de choix aux Brigades internationales, comme réalisation de l’internationalisme prolétarien. Ce n’est pas un hasard si, à la fin du roman, les quatre garçons affamés, épuisés sont sauvés par la treizième Brigade internationale Tchapaïev, celle-là même qui intervint début 1937 contre l’offensive franquiste sur Malaga que le roman évoque. En revanche, l’autrice ne présente pas les composantes anarchistes, poumistes, communistes staliniens, elle n’éclaire pas les conflits internes du camp républicain et, d’ailleurs, les dialogues des personnages miliciens ouvriers n’en laissent rien percer non plus : peut-être est-ce parce que le roman est paru en 1938 (donc a été achevé, vraisemblablement, durant le premier semestre 1938), à un moment où le sort de la révolution espagnole n’est pas scellé ; peut-être aussi que l’autrice a cherché à assurer le vraisemblable de la perception de la guerre par les enfants et adolescents.

Le roman met en scène la situation de guerre, sur les deux années 1936 et 1937. L’Espagne vérifie l’observation historique qu’en période de guerre, la révolution passe par la guerre civile. La toile de fond en est la bataille de Madrid dont le roman laisse en suspens l’issue puisque celle-ci n’interviendra qu’après la rédaction du livre. Dans Penarroya, occupé par les fascistes, la population est divisée en deux camps irréconciliables qui correspondent à un clivage de classes sociales. Tandis que les notables, les commerçants et propriétaires appuient les franquistes, les travailleuses et travailleurs des campagnes, des mines et des villages mettent tout leur espoir dans les républicains qui se battent, entre autres, à Madrid, avec peu de moyen et beaucoup d’enthousiasme pour la liberté conquise et à, plus pleinement encore, réaliser.

Le roman décrit la vie du peuple asservi de Penarroya, asservi par l’occupant. Il détaille les conditions de travail des exploités, leurs conditions de vie, notamment celles des femmes, souvent seules car les hommes sont partis dans le maquis. Enfin, le roman suit la vie enfantine en temps de guerre.

Quatre garçons dans la guerre d’Espagne est l’histoire de quatre garçons, fils du peuple ou de petits commerçants, unis dans la haine du franquisme, qui prennent conscience de la nécessité de l’engagement, de leur force de soutien auprès des parents, des mères d’abord, puis, à la fin du roman, en tant que force d’appui dans les milices ouvrières et l’armée républicaine.

On retrouve, ici, un motif propre au roman historique pour la jeunesse qui endosse le genre du roman d’apprentissage (1). En voici six caractéristiques :

- l’apprentissage de la vie recouvre l’intégration dans un monde social accepté ;

- cet apprentissage se fait par l’observation des adultes qui se battent (contre les fascistes mais aussi pour la survie des enfants et des proches) ;

- la formation de la personnalité équivaut à une formation idéologique contre le franquisme, le fascisme et le nazisme ;

- les héros enfantins restent de bout en bout positifs ;

- les enfants gagnent en autonomie, et ce dès l’expérience de l’école moderne qui voit le jour après les élections avant d’être éradiquée quand les franquistes occupent Penarroya, et cette autonomie est assortie d’une rupture avec les parents, rupture involontaire quand un parent est mort ou volontaire, quand les enfants décident de quitter le village pour rejoindre les combattants de la liberté ;

- enfin, le contexte historique détaillé encadre quatre destins suspendus, inachevés.

Cette conformité générique est au service d’une vision du monde démocratique révolutionnaire.

Ruth Rewald, qui compose le livre entre 1937 et 1938, participe de cet élan d’intellectuels engagés contre le fascisme, pour le communisme ou pour l’anarchisme. Visant le lectorat enfantin, il est logique qu’elle privilégie les scènes de la vie quotidienne aux scènes de combat et qu’elle se centre davantage sur les conditions de vie durant la guerre que sur les scènes militaires. Pour elle, la littérature endosse une fonction similaire à celle de la photographie, du photoreportage, de l’affiche (2), à savoir rallier les peuples hors de l’Espagne à la défense de la république espagnole, avec l’espoir que les opinions publiques des démocraties occidentales (Ruth Rewald est alors exilée en France) pourraient forcer leurs gouvernements respectifs à s’impliquer auprès des républicains contre le franquisme soutenu par l’Italie et l’Allemagne.

Il est rare, enfin, qu’un roman historique s’écrive alors que les événements sont en cours. C’est ce que fait Ruth Rewald. Grâce à sa maîtrise de l’écriture, à la rigueur de sa composition, elle réussit à ne pas laisser le roman d’apprentissage englober le roman historique et à conserver, donc, la primauté du genre historique. Mais bien sûr, le présent est sa préoccupation et elle s’appuie sur sa documentation pour tracer un point de vue qui va façonner la vision du monde étroitement liée aux enfants qui sont les personnages principaux du livre. De ce fait, Danielle Risterucci-Roudnicky a raison d’écrire que le but de Ruth Rewald semble bien de mettre « en lumière : le pouvoir dans l’union, l’espoir dans la liberté » (3). L’Histoire serait donc ouverte… Puisse cette foi rencontrer sa vérité aujourd’hui où la guerre, ses discours et la soif de profits qu’elle sert et qui la génèrent, se déchaînent en visant le vol des consciences. Les enfants palestiniens, congolais, ukrainiens, birmans, haïtiens, soudanais, russes, libanais, sahéliens et subsahéliens, … sont là pour rappeler l’actualité sanglante de cette problématique.

Philippe Geneste

Note : (1) Lire Geneste, Philippe, « Le Roman historique pour la jeunesse » dans Escarpit Denise, La Littérature de jeunesse. Itinéraires d'hier et d'aujourd'hui, Magnard, 2008, pp.416-433. – (2) Lire Lapeyre, Karine, « L’Image de l’enfant dans l’Espagne républicaine en guerre » dans Attikpoéé, Kodjo et Foucault, Jean, L’Image de l’enfant dans les conflits, Paris, L’Harmattan, 2013, 270 p. – pp.161-176. – (3) Risterucci-Roudnicky, Danielle, « Postface » dans Rewald, Ruth, Quatre garçon dans la guerre d’Espagne. 1936-1939, traduit de l’allemand par Danielle Risterucci-Roudnicky, L’Harmattan, 2024, pp.183-191 – p.188.

27/04/2025

De la catastrophe à la cata…

Il y a bien sûr les catastrophes naturelles, mais il y a aussi celles que la vie de famille provoque et puis, il y a celles que l’on fomente à l’intérieur de soi, que l’on essaie de combattre, et que parfois on évite parce qu’on en a surmonté les causes. Dans tous les cas, il est bon de mettre en question les catastrophes, afin d’y répondre en conscience, en connaissance des causes, pour le mieux être personnel et collectif. La catastrophe est une question sociale.

 

FIGUERAS Emmanuelle, Les Catastrophes naturelles en questions, illustrations de Margaux DUPONT, Aronne Nembrini, Milan, 2025, 40 p. 9€20

Alors que l’actualité et le quotidien des jeunes sont traversés par les catastrophes naturelles, voilà un livre qui fait le point. Les autrices s’adressent aux enfants de l’école primaire et des classes de sixième et cinquième de collège. Les illustrations mêlent photographies, dessins, et des pictos réalistes. La volonté est d’être clair et c’est une réussite. Seize questions structurent l’ouvrage : Qu’est-ce qu’une catastrophe naturelle ? Depuis quand y en a-t-il ? Quelle a été la plus grande catastrophe ? Quelle catastrophe a provoqué la disparition des dinosaures ? Pourquoi la terre tremble-t-elle ? Comment sauve-t-on les gens pendant un séisme ? Qu’est-ce qu’un tsunami ? Comment se protège-t-on des catastrophes naturelles ? Comment les cyclones fonctionnent-ils ? Par quoi les feux de forêt sont-ils provoqués ? Pourquoi y a-t-il des avalanches ? Un orage peut-il déclencher un incendie ? Y a-t-il plus de catastrophes avec le réchauffement climatique ? Qui surveille les catastrophes naturelles ? Pourquoi les gens vivent-ils près des volcans ?

Chaque question est traitée par une double page en trois paragraphes accolés à une illustration avec un pictogramme qui signale le sujet du texte (dégât, histoire, inondation, énergie, avalanche, volcan, comment ça marche, tempête, métiers, prévention etc.)

Un livre accessible pour la tranche d’âge visée, très visuel, avec des exemples récents, qui vient informer sur le monde comme il va mal.

 

MARTINIÈRE Damien, Trompe-l’œil, dessins Paul BONA, éditions Jungle Ramdam, 2024, 128 p. 19€95

La bande dessinée a fait un tabac dans la commission lisezjeunesse des préadolescents et adolescents. Le dessin stylisé mais sans excès, le travail des couleurs cherchant le contraste, la saturation, souvent, ne se retenant pas sur l’invraisemblance, le dessin nerveux, jouant des cadres et des angles de vue, variant les plans, et, enfin, les portraits où l’humour domine même dans les situations les plus tragiques, tout concourt à saisir le lectorat du début à la fin de l’histoire sans pause.

Trompe-l’œil est à la fois un roman graphique policier à dimension sociale et une suite biographique de perdants absolument pas magnifiques. Certains sont attachants, tous sont embarqués dans une voie sans issue, par bêtise pour les uns, par fatalité pour les autres, par mauvais choix pour d’autres encore. Qu’un des supports de l’histoire soit le trafic de faux tableaux ajoute à l’intérêt de la lecture pour l’art pictural… de Paul Bona. Le scénariste Damien Martinière a soigné la vitesse de son récit, jouant sur quelques itérations, évitant les rétrospections, s’amusant des rêves d’avenir de certaines héroïnes ou rendant, par eux, le faussaire attachant.

Et puis, Trompe-l’œil est un roman familial dont la faillite touche les sensibilités et nuance même la psychologie de personnages qui n’ennuient pas le lectorat par leurs introspections intimistes.

Pour singer l’épigraphe du chapitre 3, quand on peint une grande BD, quoi qu’il fasse, le lectorat est dedans. Avec cette différence que la bande dessinée oblige à prendre le contre-pied de l’épigraphe du chapitre 2 : cette histoire se dit avec les mots qui soulèvent la raison de les peindre, à moins qu’elle ne se peigne en dessins qui soulèvent la bonne raison de les parler.

 

JUNG Jinho, 3 Secondes pour plonger, CotCotCot éditions, 2025, 40 p. 17€

Cet album peut être destiné aux petits. Ceux de la commission Lisezjeunesse se sont amusés des images à caractère géométrique, qui jouent avec les lignes et les espaces pour construire un univers saturé d’escaliers, donc de passages et de voies pour cheminer. Le personnage qui monte au plongeoir les ravira. Et le plongeon les a fait éclater de rire. Avec eux, la lecture simultanée du texte ne s’impose pas nécessairement, elle peut très bien attendre la première découverte complète de l’album. Il est intéressant de voir les petits lecteurs ou les petites lectrices s’étonner devant les pages réalisées avec de la perspective, une grande étrangeté pour ces enfants… Les pages qui reposent sur le jeu des diagonales anticipent sur l’éloignement en profondeur du petit héros et creusent l’espace, sollicitant chez les jeunes lecteurs et lectrices le cheminement en cours du petit garçon.

Avec des moins petits, l’album est le prolégomène au monologue intérieur. Le personnage se parle à lui-même tout en montant au plongeoir. Il récapitule ses peurs, les situations qui le mettent mal à l’aise, ses difficultés à l’école… Durant son périple, il fait quelques rencontres, mais ce n’est que pour confirmer sa personnalité timide, peu hardie. L’album prend alors une coloration morale, surtout que l’enfant se trouve enhardi arrivé tout en haut du plongeoir en compagnie de camarades solidaires qui lui donnent l’envie de plonger. La solidarité, la socialisation sont les garantes de la réalisation personnelle du personnage.

Cette double lecture de l’album est aussi permise par un travail graphique sobre, au stylo à encre noire pour les contours, au motif des escaliers réalisé aux tampons de papier et aux couleurs mise à l’ordinateur. Cette sobriété s’accompagne d’une grande douceur qui sied au personnage qu’on imagine ne pas aimer être brusqué. Et c’est aussi le propos de l’album tenu sans didactisme à partir de la situation où le personnage s’incorpore. Douceur, sobriété, 3 Secondes pour plonger est un album qui soulève un rejet de la compétition et de la concurrence : « Mais, moi, gagner, ça ne m’intéresse pas, parce qu’alors quelqu’un doit perdre. » C’est à nouveau le point de vue de l’autre qui vient étayer le point de vue personnel.

Philippe Geneste

 


20/04/2025

De la vie domestique et de ses échappées artistiques

KALKAIR Cookie, Les réseaux sociaux et nos ados, Steinkis, 2024, 124 p., 18€

Comme dans sa bande dessinée précédente (1), l’auteur s’adresse aux adultes pour les conseiller sur l’usage que leurs enfants font des réseaux sociaux. Pareillement, il s’appuie sur sa propre connaissance des réseaux sociaux et sur des recherches dont il fait part de manière simple et humoristique. La bande dessinée est à la fois une description de leur fonctionnement et une réflexion sur leur utilisation à partir de pratiques avérées et observées. Cookie Kaldair ne manque pas de conseiller les parents. Il leur fait part d’astuces pour avertir les enfants de tel ou tel danger possible. Il est question de la gestion du temps impliquée par l’usage des réseaux sociaux, de la problématique de l’estime de soi avec ses aspects sociaux, psycho-sociaux et de santé, de la toxicité en ligne. Le livre est un guide qui n’a pas réponse à tout et qui le dit, mais qui pointe les enjeux par la pratique afin de pouvoir discuter avec les filles et les garçons en âge d’adolescence et de préadolescence.

Comme l’écrivait Milena dans la recension du précédent opus de Kaldair chez Steinkis, « l’auteur (…) explique très bien en utilisant des exemples concrets. ». Surtout, s’il dédramatise l’utilisation des réseaux sociaux, il souligne l’engrenage et s’interroge : « Pour l’instant, tout va bien, on fait les malins, on en consomme, toute la journée, on en file à nos enfants, on tousse un peu mais bon, on continue. Mais dans 10 ans, on va se rendre compte qu’en fait ça nous tue à petit feu, mais là ce sera trop tard et on mettra des petites bannières sur Insta disant “Les réseaux tuent”. Mais les gens continueront quand même… ». 

Commission Lisezjeunesse

(1) Kalkair, Cookie, Les jeux vidéo et nos enfants, Steinkis, 2023, 128 p, 18€. Lire la chronique que consacre à la bande dessinée Milena Geneste-Mas sur le blog du 21 mai 2023.

 

GRAAF Julie de, Un Livre plein de maisons, illustrateur Pieter VAN EENOGE, éditions Grand Palais RMN éditions, 2024, 64 p. 24€90

Nul doute que ce livre de grand format (24,5 x 34 cm), magnifique livre-cadeau pour les fêtes, ravira les enfants d’âge de l’école primaire et des premières classes du collège. L’autrice présente des maisons hors du commun, les met en correspondance parfois avec des formes pluriséculaires de construction, raconte le processus de leur invention et les circonstances qui ont présidé à leur édification. Les illustrations mettent en scène le texte explicatif en privilégiant l’humour, mais aussi le réalisme pour que les enfants puissent se représenter lesdites maisons ; on y trouve les maisons igloo de R. Buckminster Fuller en face des igloos traditionnels, on y découvre la hutte d’amour qui a inspiré les penthouses de New York, on s’étonne devant les maisons en plastique, l’ingéniosité des maisons sur pilotis ou les maisons flottantes dans plusieurs régions du monde, on se surprend dans un palais bulle. On y croise des artistes, des architectes, et on comprend que la plupart des maisons traditionnelles appartiennent à la créativité de leurs peuples.

Un Livre plein de maisons est un ouvrage savant, composé de quatre parties d’un peu plus de dix pages chacune, et correspondant à ce qui est plus particulièrement traité : Matériau, Forme, Espace(s), Art. Une carte rassemble toutes les maisons présentées, ce qui est une aide précieuse et en même temps un instrument propice à la connaissance circonstanciée. Elle est aussi une preuve tangible de la présentation des éditeurs : « Un livre essentiel pour apprendre à habiter le monde ».

 

LAMBILLY Élisabeth de, CHARDEAU-BOTTERI Stéphanie, Gustave Caillebotte, Grand Palais RMN éditions, 2024, 48 p. 13€50

Cet album pour la jeunesse sera lu avec intérêt par tout amateur de l’histoire de la peinture. Les autrices mettent en regard la vie du peintre avec certaines de ces peintures. Mais plus que de simples correspondances entre la création et la biographie, le texte analyse les œuvres choisies. L’album met l’accent sur le solide jugement esthétique de cet artiste, mécène aussi des peintres impressionnistes avec lesquels il ne cessa de mener le combat pour la reconnaissance de ce qui devint une école aux œuvres mondialement recherchées.

Grâce au texte, le jeune lectorat s’initie à la facture picturale de Caillebotte, son art du point de vue, ses hardiesses, l’influence de la photographie dont son frère Martial était un amateur praticien éclairé. L’album invite à interroger le lien entre le réalisme et l’impressionnisme. Le glossaire copieux mais non pesant est une aide précieuse pour le jeune lectorat qui peut aussi approfondir sa lecture grâce à une série de questions et autre invitation de recherche au cœur du livre.

Quand l’ouvrage est paru, une exposition « Gustave Caillebotte. Peindre les hommes » se tenait au musée d’Orsay. Nul doute que le travail d’Élisabeth Lambilly et Stéphanie Chardeau-Botteri fut une bonne introduction à sa visite.

Philippe Geneste