COULIOU Chantal, Dans les Coulisses du jardin, illustrations d’Évelyne BOUVIER, éditions Voix Tissées, 59 p. 15€
Voici
un recueil mémoriel où des enfants (Le syntagme « avant de nous quitter »
p.66 – avec dans
l’illustration deux fillettes –, succède au « je » du
premier poème, illustré par une petite fille, identifiable peut-être à la
poétesse) se remémorent leur grand-père mort. Tout le recueil, tant du point de
vue du texte que du travail graphique et des couleurs, établit la
correspondance entre la vie humaine et les lieux traversés, les lieux de vie,
les lieux choyés, choisis. Ici, c’est le jardin du grand-père, jardinier au
cordeau. Héros du recueil, il l’est mais rejoint par le jardin qui, par ses
métamorphoses, signifie le devenir d’une vie et son accompagnement par la
nature domestiquée au cordeau puis laissée en liberté.
Chantal
Couliou prise ici une poésie narrative. Comme dans un récit, des scènes se font
échos comme la scène des pages 18/19 rappelle celle de la page 7 ou bien comme
celle des pages 22/23 rappelle celle des pages 12/13. La poétesse s’adresse aux
lectrices et lecteurs (p.27) après s’être
adressée au grand-père
« Sur le
vieil épouvantail
ton chapeau de
guingois
devient le lieu
de conversation
préféré
des
moineaux. » (p.24).
Grâce aux jeux de correspondance avec la nature, les accents de nostalgie qui affleurent ici et là laissent place à la vie qui continue dont la vie mémorielle de l’absent dans le cœur et les mots du recueil. Le grand-père s’en est allé sur les ailes du poème au pays imaginaire qui conforte le réel. L’enfant qui lit peut s’appuyer sur les claires illustrations d’Évelyne Bouvier, qui à la fois confortent la compréhension du texte et ouvrent des espaces de pérégrinations mentales au creux même du chemin tracé par Chantal Couliou.
LISON-LEROY
Françoise & MEULEMAN Marie, Le Livre en fugue, CotCotCot
éditions, 2025, 44 p. 11€
Tercets
et distiques dominants, deux monovers (ou vers isolés), rares quatrains,
s’accompagnent de photographies argentiques qui donnent du grain aux images en
regard des mots. L’art du flou poétique y invalide la référence trop abrupte au
réel du milieu, tendant à filer une représentation de sens général qui se hisse
hors du propos versifié. Le livre est là, dans cet entrelacement, un livre en
poche, un monde en tête, une histoire qui vibrionne, des vers qui scande des
séquences, souvent fugitives, de la vie si quotidienne.
L’histoire
commence à l’intérieur d’une maison avant, par le souffle du vent, de s’élancer
par la fenêtre en libre conquête de lieux du monde, extérieurs pour la plupart,
intérieurs parfois et intérieur final d’une salle de classe où se partage la
lecture. En retour, la lecture s’offre en partage, elle est le libre partage
des liseurs et liseuses ensorcelés par de nouvelles visions des choses, des
êtres et du monde.
Un
livre est la mémoire de l’espace où le lecteur, la lectrice le saisit,
l’effeuille, le lit, le referme, s’en évade, y replonge. Le livre est vagabond,
la personne lectrice est une nomade. De lieu en lieu, le livre s’échange ;
de main en main, il se partage ; d’attente en attention, il croise les
compréhensions, tisse les interprétations. Son espace imaginaire ajouté à
l’espace du réel, champêtre ou urbain, se prête à la divagation dans les
contrées sans horizons aux lieux oniriques du sommeil et de la rêverie.
Le
livre est la lampe de chevet qui relie les femmes et les hommes, les enfants et
les sens, l’imaginaire et le réel. Le livre assure la continuité des mal nommés
clichés photographiques des faits expérientiels. Les photographies tentent d’en
retracer les lieux, d’en révéler les significations. Par-delà son contenu
littéral, le livre vient saisir le propos de l’expérience, sinon ses raisons. +
Ainsi,
la lecture entraîne-t-elle vers le monde, se jouant de l’actualité du sens de
l’histoire contée. Mots en images, photos en vers, Le Livre en fugue
est un appel incessant aux significations vaguant à fleur d’interprétation
transcriptrice.
Toute
littérature, par le port et transport du livre assurée, parcourt la vie en y
créant un surréel. Lecteurs et lectrices y éprouvent leur conscience du temps,
la durée de la lecture, mais aussi, ici, la durée insaisissable de l’histoire
d’une fugue.
Prenant
place dans la bien nommée collection « Les baladeurs, des livres qui
aiment à se déplacer, sans but précis », le livre investit des
fonctions toutes en rapport avec le lien donc aussi avec l’attachement. On
pourrait dire qu’il est un objet transitionnel, en ce qu’il met la
constellation humaine à hauteur de vie enfantine ou vieillissante, mais
toujours nouvelle et recommencée. Mais comme déjà écrit dans ce blog (1), sa
vraie vie, au livre, c’est sa lecture au présent.
Philippe
Geneste
(1)
Lire le blog « Quand le vent
ouvre le livre, les nuages s’y déposent » du 16 septembre
2018.